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13 mai 2016 5 13 /05 /mai /2016 04:55

Shérif du comté d'Absaroka, dans le Wyoming, Walt Longmire a une vie quotidienne assez chargée. Ce qui, en ce mois de février glacial, lui laisse peu de temps pour s'occuper de sa santé, malgré les séquelles de précédentes affaires. La préparation du mariage de sa fille Cady, avocate à Philadelphie, n'est pas le principal. D'autant que son ami Henry Standing Bear lui donne un coup de main, tout en effectuant des réparations au bureau de police. Victoria Moretti, la mordante adjointe de Longmire, est obsédée par l'achat d'une maison. C'est le cas de son autre assistant, Santiago Saizarbitoria, dit Sancho ou Le Basque, qui inquiète surtout le shérif. Époux de Marie, père d'un bébé, il a été marqué par la violence des dernières enquêtes. Saizarbitoria n'est pas loin de démissionner. Walt va consulter son ex-mentor, l'ancien shérif Lucian Connally, pour savoir comment s'y prendre avec Sancho.

La famille Stewart est propriétaire d'une casse automobile et d'une déchetterie dans les environs. Ce terrain est sous la garde de Butch et Sundance, deux chiens sans pitié pour les intrus. Le vieux Geo Stewart, soixante-douze ans, est un sympathique casse-cou qui vivote dans ce décor boueux enneigé. Son petit-fils Duane, vingt-et-un ans, habite aussi là avec sa compagne Gina. Suite à quelques chocs, on a dû hospitaliser Geo, mais il n'est pas du genre à se plaire entouré de médecins. Il vaut mieux qu'il surveille ses biens, car il est en conflit avec Ozzie Dobbs Junior. Celui-ci a lancé un programme immobilier dans le meilleur site du secteur. Pour attirer les clients, il faudrait que disparaissent la casse auto et la déchetterie des Stewart. La tension monte entre les deux parties, et il ne serait pas mauvais que Walt Longmire réussisse à amadouer Ozzie Junior, agressif envers Geo.

Veuve, Betty Dobbs fut autrefois enseignante, le shérif s'en souvient fort bien. Sans doute est-il préférable que son fils Ozzie ignore la relation sentimentale existant entre Betty Dobbs et Geo. L'adjointe Vic résume ça ainsi : “Putain de merde ! La Fille de la Révolution américaine, membre de l'association féminine PEO, figurant dans le Who's Who, la grande dame de Redhills Rancho Arroyo "chtoupe" le ferrailleur. ― Je crois qu'il préfère qu'on l'appelle Ingénieur du site municipal de dépôt, tri et récupération des déchets.” En effet, la réaction d'Ozzie risque d'être fatale à Geo. À moins qu'il ne décède d'une autre cause. Le shérif confie à son adjoint Le Basque une enquête inutile, mais qui l'occupera. On a trouvé un doigt coupé, un pouce, dans la décharge de Geo. Pas grand mystère, finalement, car le nommé Felix Polk réclame ce doigt auprès de l'hôpital, puis du bureau de police.

Walt Longmire n'accorde pas grande confiance à Duane, le petit-fils de Geo. Le shérif est intrigué par les sous-sols de leur demeure, soi-disant infestés de serpents. Il y fait une découverte qui peut entraîner de gros ennuis au peu fiable Duane. Ayant rencontré Felix Polk, Walt laisse son adjoint peaufiner le dossier, en fait pas si inutilement. Incarcéré à la prison locale, Ozzie parvient à s'enfuir peu vêtu et pieds nus. Le shérif et son équipe le pourchassent, mais le retrouveront-ils suffisamment vite ?…

Craig Johnson : Molosses (Éd.Points, 2016)

Avec “Molosses”, Craig Johnson nous proposait la sixième aventure du shérif d'Absaroka. Comme point central, l'auteur semble s'être inspiré de l'entreprise d'un véritable ferrailleur pittoresque du Wyoming. En fait, on n'est pas loin de penser que tous les protagonistes de cette histoire seraient la version livresque de personnages existants. Car c'est bien dans le quotidien de ce comté rural qu'évolue Walt Longmire. Bienveillant et humaniste, attentif et débonnaire tant qu'on n'enfreint pas sérieusement la Loi, ce shérif-là n'a pas pour mission première de sanctionner, mais plutôt de prévenir et de limiter les problèmes. Jauger les témoignages, ne pas tout gober quand chacun montre sa meilleure facette, voilà son rôle. Parfois, quand malgré tout la situation se durcit inévitablement, Walt intervient.

Côté équipe de policiers, la narquoise Vic se manifeste toujours, mais la "gestion du personnel" concerne davantage Sancho, autrement dit Santiago Saizarbitoria. Walt réalise ses tourments de jeune père de famille, qui hésite à s'exposer désormais. Le shérif prend le thé avec l'épouse du Basque pour mesurer le bien-fondé d'une démission. Le SSPT, Syndrome de Stress et Pétoche sur le Terrain, amènera-t-il la fin de la carrière de policier pour Sancho ? S'il reste davantage dans l'ombre Henry Standing Bear, l'ami Amérindien du shérif, n'est pas loin. Outre une description réaliste des gens et des lieux, l'intrigue et son suspense s'harmonisent toujours avec une belle part d'humour dans le récit. Excellent.

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12 mai 2016 4 12 /05 /mai /2016 04:55

Loupo est un braqueur actuel, qui fréquente peu le milieu des truands, dont il sait se faire respecter, au besoin. Même s'il opère avec son ami Kangou, qui pilote les motos volées à chaque coup, et sur les tuyaux de leur copain Le Chat, Loupo est un solitaire dans l'âme. Kangou et lui pillent des banques de Paris et de sa région. S'il est surnommé Le Flingueur, c'est parce que Loupo tire à chaque braquage pour impressionner employés et clients. Il a amassé un joli tas de fric, auquel il ne touche pas. Marié à la belle Maria, père de famille, Kangou se shoote un peu et perd pas mal de ses gains au jeu. Néanmoins, Loupo peut avoir une confiance totale en lui. En attendant le gros braquage, il faut patienter avec des coups moins rentables.

Loupo n'est pas de ceux qui bénéficieraient de circonstances atténuantes devant la Justice. Certes, abandonné par sa mère, il connut l'orphelinat, l'Assistance Publique d’Évry, ce qui attisa certainement sa révolte intérieure. Tôt, avec quelques potes, Loupo s'engagea dans la délinquance. C'est ainsi qu'ils perdirent leur ami Smalto. Ça n'arrêta pas Loupo dans sa marche en avant, vers des braquages toujours plus juteux et risqués. Le dernier en date va mal tourner. Comme toujours, Loupo tire pour affoler les gens dans la banque. Par accident, il touche un môme, dont il ne sait s'il est mort ou blessé. En plus, il n'y a quasiment pas de fric dans cette agence, car on les a prévenus.

Loupo culpabilise au maximum, envisage le suicide, mais songe plutôt à se rendre après avoir laissé son pactole à Kangou. Il devine qui les a balancés. Avant de se livrer aux flics, c'est une affaire que Loupo doit régler. Le gang d'en face est dangereux, mais il a des arguments-choc et pas grand chose à perdre. S'il était capable de s'attacher à la jeune Nora, sincèrement amoureuse de lui, peut-être agirait-il autrement. Mais l'étape qu'il vient d'entamer est probablement sans retour…

Jacques-Olivier Bosco : Loupo (Éd.Pocket, 2016)

Quand une histoire est racontée par le héros, à la première personne, ça donne du rythme et ça permet des images explicites puisque personnelles : “C'est pour ça que je m'y sens chez moi, la nuit. Seulement la nuit. J'ai les sens qui guettent, qui attendent. Je me rappelle tous les coups qu'on faisait, les petits cambriolages de pavillons, les casses d'entrepôts. Parfois la nuit était glacée, mordante et agressive...” Un mode narratif direct et efficace, idéal pour un roman d'action de ce genre.

La psychologie du héros est particulière : c'est un type froid, déjà “en sursis” bien avant cet épisode de sa vie. Il ne souhaite ni admiration, ni pitié. Ses moments d'apitoiement sur lui-même (“Je suis un monstre. Je le savais. Je le savais.”) ne sont pas destinés à nous émouvoir. Les braquages répondent à son besoin d'adrénaline, qui afflue pendant quelques minutes, même si l'excitation du casse reste brève. Voilà la seule drogue de ce loup solitaire.

L'auteur fait référence à Léo Malet et André Héléna, pionniers du roman noir à la française. La délinquance glissant vers la criminalité est intemporelle, en effet. La violence devient vite l'unique réponse des gens traqués. Loupo fait parfois penser aux personnages désabusés de David Goodis, conscients qu'ils seront rattrapés par la fatalité. Ils ont connu trop de déboires pour solliciter la sympathie. Cette notion n'existe pas dans le monde des animaux, or Loupo se veut animal. Un polar solide et percutant.

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11 mai 2016 3 11 /05 /mai /2016 04:55

1889. Allemand d'origine, le Dr Anton Kronberg travaille à l'hôpital Guy, de Londres. Après ses études à Berlin, il s'est spécialisé en bactériologie à Boston. Ce qui explique que, en plus de son activité médicale, il soit consulté comme légiste par Scotland Yard. Les cas de choléras sont encore très fréquents dans l'agglomération londonienne. Peu énigmatiques en général, car causés par le manque d'hygiène entraînant des virus. Lorsque Kronberg est convoqué à l'usine de traitement des eaux de Hampton, c'est pour un cadavre atteint du choléra, en effet. Selon l'inspecteur Gibson, nul besoin d'enquête. Ce n'est pas l'opinion d'Anton Kronberg, ni celle d'un homme plutôt observateur présent sur les lieux.

Très occupé par son métier, le médecin n'a que vaguement entendu parler de ce Sherlock Holmes. Sans doute la police a-t-elle fait appel à lui pour l'affaire Jack l’Éventreur, mais on ne tient guère compte de l'avis de ce détective-conseil : “Tout le monde recherche un oiseau de proie, alors que le coupable est un petit rongeur.” Dans le cas présent, ce n'est pas seulement le choléra qui a causé la mort de l'inconnu. Grâce à un examen approfondi, utilisant même un microscope, le médecin Kronberg comprend que l'homme a aussi été touché par le tétanos. Dès leur première rencontre, Sherlock Holmes a découvert le secret de Kronberg, qu'il n'a pas de raison de dévoiler : c'est une femme.

En cette fin de 19e siècle, la pratique médicale reste toujours interdite aux femmes. Anna Kronberg a dû se grimer en homme pour faire ses études. Elle porte une tenue et des attributs masculin, pour donner le change. Mais par ailleurs, retrouvant l'aspect féminin, il lui arrive de soigner bénévolement des Londoniens pauvres, passant pour infirmière. Elle a pour amant Garret O'Hare, un grand Irlandais rouquin, cambrioleur de son métier. Après une visite au 221B Baker Street, où Holmes vit seul depuis le mariage de Watson, Anna et le détective explorent les marécages de Chertsey Meads. C'est là que le mort a été plongé dans la Tamise, malgré le secours d'un ami, qu'ils surnomment Gros Brodequins.

Peu après, alors qu'un mourant est déposé à l'hôpital Guy, le docteur Kronberg comprend vite que c'est Gros Brodequins. Lui aussi a été victime du tétanos. Holmes, Watson et Anna Kronberg se demande comment et où leur fut inoculé le virus de cette maladie. Le détective pense bientôt à l'hospice d'aliénés de Broadmoor, dans le Berkshire. Si ni lui, ni Anna n'y trouveront probablement de preuves directes, le directeur Nicholson apparaît plus que suspect. Anna Kronberg profite d'un voyage en Allemagne pour revoir son père, et surtout pour étudier le bacille du tétanos. Dont elle rapporte des souches à Londres, en janvier 1890, en vue de recherches pour un vaccin. Tandis que Holmes a identifié les deux Écossais victimes, Anna va au-devant de sérieux dangers…

Annelie Wendeberg : Le diable de la Tamise (Presses de la Cité 2016) – Sherlock Holmes –

Cette histoire nous est racontée par Anna Kronberg elle-même, car elle est bien au centre de l'enquête. C'est cette jeune femme déguisée en homme qui se charge des dissections de cadavres et des recherches bactériologiques. Il est exact que c'est dans ces années-là que les docteurs Kitasato et von Behring progressèrent dans leurs études sur le tétanos. Le vaccin ne sera disponible qu'à partir de la décennie 1920. L'auteure de ce roman étant une scientifique, cela explique son intérêt pour ce thème. Ce qui ajoute de la véracité, de l'authenticité à cette intrigue. Quant à la double vie (ici masculine-féminine) de l'héroïne, ça peut rappeler par certains côtés “Les Habits Noirs” de Paul Féval.

On aura sûrement compris qu'il ne s'agit pas d'une parodie guillerette des aventures de Sherlock Holmes. Certes, on joue malicieusement sur des clichés : Watson marié n'habite plus à Baker Street, la fascination d'Holmes pour Irene Adler, le violon se substituant à la drogue pour calmer les moments dépressifs du détective, etc. Mais les récits écrits par le docteur Watson soulignaient déjà que Sherlock Holmes est lui aussi un scientifique. Il a de bonnes connaissances en chimie et dans le domaine des poisons. Il est souvent en contact avec le corps médical dans ses enquêtes. Il évoqua d'ailleurs l'hôpital psychiatrique de Broadmoor, dans “Le marchand de couleurs retiré des affaires”.

Dans ce roman, Sherlock Holmes est à la fois bien présent, tout en restant une ombre protectrice pour Anna Kronberg. Ce qui ne manque pas de subtilité. Bien au-delà d'un simple pastiche holmésien, utilisant avec justesse l'ambiance d'époque, c'est une enquête parfaitement convaincante que nous propose Annelie Wendeberg.

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10 mai 2016 2 10 /05 /mai /2016 04:55

Kate McDougall est une femme de quarante-cinq ans vivant désormais dans les Cantons-de-l'Est. Elle fut mariée vingt ans plus tôt, mais le divorce arriva vite. Kate a longtemps été policière au quartier général de la Sûreté du Québec, à Montréal. Elle appartenait au service du lieutenant Paul Trudel, avec lequel elle a eu une brève liaison. Si elle a quitté la SQ, c'est à cause du sergent-chef Brodeur, peu consciencieux, arriviste et manipulateur, auquel elle se heurta violemment. Maintenant suivie par une psychiatre, Kate a accepté un poste de policière à Brome-Perkins, à près de cent kilomètres de Montréal. Habitant un chalet au bord d'un petit lac, elle n'a plus à s'occuper de crimes, juste de méfaits locaux.

Pourtant, ce matin-là, elle découvre le corps d'une fillette de neuf ans dans le lac près de chez elle. Violaine Dauphin a été égorgée ailleurs avant d'être placée ici, malgré l'accès difficile au lac. Sa disparition toute récente a été signalée à Magog, une ville proche. Ses parents n'apparaissent nullement suspects. Puisque Paul Trudel et Brodeur vont superviser cette enquête, Kate est priée de ne pas s'en mêler, d'autant qu'elle peut être soupçonnée. Toutefois, son amitié avec le légiste Sylvio Branchini et sa famille lui permet d'obtenir le rapport d'autopsie. Son partenaire flic, l'anglophone Todd Dawson, ferme les yeux car il a compris que l'affaire la perturbait fortement. En effet, Kate est sujette à des cauchemars mortifères, venus de son enfance. Ce qui inquiète quelque peu la psy qui suit son cas.

La petite Mélanie Chassé était aussi âgée de neuf ans. Elle a été également égorgée dès son agression. Certes, son père est un homme brutal, mais il possède un alibi. Quoi qu'il en soit, on retrouve des indices similaires autour des deux meurtres : de la gaze, et des jetons de Scrabble. Ainsi qu'un message, qui pourrait bien s'adresser à Kate. Paul Trudel autorise Kate a participer à l'enquête, avec les policiers de la SQ Labonté et Jolicœur. Une décision qui mécontente le sergent-chef Brodeur, mais Trudel le remet à sa place. Si Kate est visée par le criminel, quel est le sens de ces crimes ? “Je n'ai pas l'impression que le lien est professionnel. Du moins pas dans le sens d'une vengeance. Il ne s'attaque pas à sa famille ou ses amis” estime Labonté. Une sorte de rituel, peut-être ?

C'est dans un étang tout proche du bureau de police de Brome-Perkins qu'est retrouvé le troisième cadavre d'une fillette de neuf ans égorgée. Il ne peut plus subsister de doute. La pauvre gamine ressemble d'ailleurs beaucoup à Kate vers cet âge. La médiatisation bat son plein, entraînant une pression de la hiérarchie, ce qui ne facilite pas le rôle de Trudel. Quant à Kate, stressée et dormant peu, elle cause un incident chez sa psy. Il n'est pas mauvais que Paul et elle se rapprochent intimement, pour faire face. Si la découverte de plusieurs autres corps d'enfants est une mauvaise surprise, cela fait progresser l'affaire à grand pas. Cette avancée concerne en priorité Kate, lui permettant de dénicher le nom d'un certain Thomas. Ce septuagénaire côtoie effectivement “la Bête” tueuse de fillettes…

Johanne Seymour : Le cri du cerf (Éd.Eaux-Troubles, 2016)

Depuis 2012, les Québécois passionnés d'intrigues à suspense ont un rendez-vous annuel à Lac-Brome, dans les Cantons-de-l'Est : "Les Printemps meurtriers de Knowlton". C'est Johanne Seymour qui est la présidente-fondatrice de ce festival, accueillant de grands noms de la littérature policière et du roman noir. Depuis une dizaine d'années, elle est l'auteure de cinq enquêtes de Kate McDougall, et d'autres romans (“Wildwood”, “Rinzen”). Aux lecteurs européens francophones de découvrir son œuvre aujourd'hui, puisque ses livres commencent à être plus facilement disponibles chez nous.

Les spécialistes québécois du polar ne s'y sont pas trompés : le style de Johanne Seymour est fluide, direct, servi par de cours chapitres, entretenant un sympathique suspense, tout cela n'étant pas dénué d'une certaine noirceur. Dans ce premier opus, où nous faisons la connaissance de la policière Kate, on s'aperçoit rapidement de la fragilité psychologique de celle-ci. Non pas qu'elle manque de caractère, bien au contraire, mais il existe des failles dans son parcours de vie. Si la dernière en date est due à un collègue véreux, ce n'est pas la seule. N'en dévoilons pas davantage, la progression de l'histoire peaufine son portrait, et ceux des gens qui l'entourent. Un roman d'enquête dans la très bonne tradition.

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9 mai 2016 1 09 /05 /mai /2016 04:55

À Los Angeles, l'organisation du boss Fin règne sur quelques “taules”, des crack houses où les junkies viennent se shooter. Âgé de quinze ans, East dirige une bande de guetteurs qui veillent aux accès des taules. Noir du ghetto, il impressionne peu avec ses cinquante kilos. Le boss Fin est son oncle, protecteur à son égard. La situation change après l'intervention surprise des flics visant la taule surveillée par East. D'autant qu'une gamine a été tuée. Si les petits caïds Sidney et Johnny sont furieux, c'est Fin qui décide de la suite. Il confie une mission à East : aller dans le Wisconsin pour supprimer le juge Carver Thompson, témoin-clé d'un futur procès concernant le réseau de Fin. Un périple de trois mille kilomètres dans un monospace anonyme attend East et les trois autres Noirs qui l'accompagnent.

Le petit groupe se compose de Michael Wilson, vingt ans, qui passe pour un étudiant ; du corpulent Walter, dix-sept ans ; et de Ty, âgé de treize ans, le jeune frère d'East, déjà plus expérimenté que lui dans la délinquance, maniant le flingue avec assurance. Vêtus tels des admirateurs des Dodgers, l'équipe de base-ball, le quatuor va disposer de faux papiers d'identité et d'une somme d'argent limitée. La consigne est de passer inaperçus, de ne pas laisser de traces. Les premiers kilomètres défilent, à travers le désert du Nevada. Michael Wilson décide d'une pause à Las Vegas, car il a envie de goûter aux jeux d'argent. C'est sans doute un cador pour faire du bizness à la fac de l'UCLA, mais là il ne tarde pas à provoquer des incidents pouvant compromettre la suite de leur mission.

Après un arrêt sur une aire de repos de l'Utah, le monospace bleu aborde les montagnes du Colorado. Pour East, pur môme du ghetto de L.A., voilà des paysages inédits. Avec son frère Ty, leurs relations restent froides. Elles sont encore plus tendues vis-à-vis de Michael Wilson. Dans le Nebraska, voulant embarquer une fille mineure, il crée un nouvel incident. Le groupe doit se séparer de Michael. C'est dans l'Iowa que le trio restant va réceptionner les flingues commandés pour l'exécution. Un rendez-vous est fixé par téléphone, mais le fournisseur refuse finalement de leur délivrer les armes. Pour résoudre le problème, ils doivent improviser. Ils trouvent d'autres vendeurs, mais cet achat de flingues est coûteux. Ty y remédie bientôt, ce qui plonge le trio dans une certaine euphorie.

Comme dans l'Iowa, il fait diablement froid dans le Wisconsin lorsque les trois citadins de l'Ouest habitués à la chaleur arrivent à destination, près du lac Wilson. Même si du côté de Los Angeles, l'organisation de Fin subit dans le même temps de sérieux revers, aller au bout de leur mission reste l'objectif. Ty reste sans états d'âme. Toutefois, leur véhicule ayant été vandalisé, ils seront contraints de trouver d'autres transports. Quand Ty devient ingérable, East et le gros Walter doivent bientôt se séparer à l'aéroport de Des Moines. Avec cent cinquante-et-un dollars en poche, East continue sa route vers l'Ohio…

Bill Beverly : Dodgers (Éd.Seuil, 2016)

Durant une large partie du récit, on s'interroge sur le degré de sympathie que nous inspire East. Il possède une maturité plus avancée que la moyenne des ados de quinze ans, mais il est moins mûr que son jeune frère. Il manque à East le cynisme des vrais durs. Pour autant, il appartient à un "système" criminel, pas seulement à un "milieu" délinquant. On ne peut pas le considérer comme victime, ni même partager une empathie avec lui. Il est logique que, lors de ce voyage vers des États où les Blancs sont majoritaires, le regard sur lui et ses copains Noirs soit extrêmement méfiant. Même entre eux, ces quatre jeunes ne sont d'ailleurs pas "sur la même longueur d'onde". Seul Walter (taille 4XL) se met à la portée d'East, estimant probablement qu'il y a quelque chose d'encore sain en lui.

Si les tribulations d'East et de ses compagnons de route sont empreintes d'un gênant malaise, ce n'est pas un point négatif. Encore faut-il en prendre conscience, se dire que cette aventure restera plutôt sombre. L'auteur présente une galerie de subtils portraits, fort crédibles. Il serait stupide d'utiliser les formules "road-movie" ou "road-story" au sujet de cette histoire d'un ado, qui réalise que le monde ne se limite pas aux boîtes de béton dans lesquelles il vit. Cette étape initiatique de son existence ne dépend que de lui-même, le trajet géographique n'étant qu'une circonstance. Bannissons donc l'idée du "road trip novel", gardons plutôt celle du Destin qui lui offre des choix.

Intrigue criminelle, certes, mais surtout qui induit l'éventualité d'une sortie de la violence urbaine. Ou pas, ce sera à East d'évaluer la suite. Il s'agit là tout simplement d'un très bon roman.

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7 mai 2016 6 07 /05 /mai /2016 04:55

Veuf depuis six ans, Walt Longmire est le shérif du comté d'Absaroka, dans le Wyoming. Il prépare le mariage de sa fille Cady, qui va épouser le frère de son ironique adjointe Victoria Moretti. Il était prévu que la cérémonie se passe dans un site naturel de la réserve indienne voisine, mais ça pose problème. Aussi Walt et son ami Henry Standing Bear vont-ils sur place pour essayer de régler la question. Les premiers contacts avec Lolo Long, la nouvelle chef de la police tribale, ex-soldate, se passent assez mal. Se trouvant sur le site, Walt et Henry sont témoins de la chute d'une femme, tombant de la falaise. Audrey Plain Feather est décédée, mais son bébé de six mois est sauf. Le nourrisson Adrian est pris en charge aux urgences par Hazel Long, la mère de la policière.

De retour sur le site puis en haut de la falaise, Walt et Henry cherchent des indices. Accident, meurtre ou suicide ? Mais la réserve se trouve en territoire Cheyenne, dans le Montana. Le shérif n'a donc aucune autorité ici. L'agent du FBI Cliff Cly sera responsable de l'enquête officielle. Le manque d'expérience de Lolo Long s'avérant vite flagrant, elle ne nie pas ses erreurs. Amie d'Audrey, elle ne croit pas au suicide. Le principal suspect en cas de meurtre est Clarence Last Bull. Cet ivrogne, compagnon d'Audrey Plain Feather, est supposé être le père du bébé. Il lui est arrivé d'aller goûter à d'autres plaisirs, avec la très jeune Inez. Ni Walt Longmire, ni Lolo Long ne pensent qu'il soit coupable. L'ébriété quasi-permanente de Clarence plaide en sa faveur, le rendant incapable de cet acte.

Walt interroge le personnel des services sociaux locaux, où travaillait Audrey. Par ailleurs animateur de la radio du secteur, le responsable Herbert His Good Horse ne cache pas qu'ils ont parfois à faire face à des cas spéciaux. Tel celui d'Artie Small Song, un marginal réputé violent. Chez la mère de celui-ci, Walt, Henry et Lolo Long tentent une arrestation musclée. Mais ils tombent sur Nate, le neveu d'Artie. Plus tard, Walt est admis dans une cérémonie rituelle Cheyenne. S'il pense que le peyote est sans effet, il va néanmoins faire de curieuses rencontres en suivant un fil… Sa fille Cady et Lena Moretti, sa future belle-mère, rejoignent Walt. Le site prévu étant compromis, la réservation de l'hébergement des invités restant à faire, il est temps de se dépêcher pour préparer le mariage.

L'agent du FBI Cliff Cly est sûr d'avoir identifié les coupables : il a la preuve formelle de la complicité entre Clarence et Artie. Les capturer est fort incertain, car ils connaissent très bien la réserve indienne. Pour éviter les bavures, bien qu'ils ne soient plus concernés, Walt et Henry mènent une enquête parallèle. En interrogeant la jeune Inez, qui n'ignore pas où Clarence peut se réfugier, ils tiennent la bonne piste. Mener de front des investigations et préparer un mariage, fatigant pour Walt. Peut-être qu'Hazel Long pourra lui donner un nouvel indice qui, s'il l'interprète bien, l'amènera vers le véritable coupable… 

Craig Johnson : À vol d'oiseau (Éd.Gallmeister, 2016)

 

Voici la dernière en date des aventures du shérif Walt Longmire, dans le nord du Wyoming et surtout au sein de la réserve indienne, près des monts Bighorn. Sans doute est-ce sa fille Cady qui résume le mieux la chose : “Je vous ai déjà raconté ma remise de diplôme universitaire ? Mon père n'a pas pu venir parce qu'il avait une enquête en cours. Mon diplôme de droit ? Une autre enquête en cours… Il a toujours une enquête en cours, Papa.” Les problèmes viennent à lui, sans qu'ils les appellent. Parce qu'il a un caractère humaniste et qu'il est ami des Cheyennes, le chevronné shérif du comté d'Absaroka est capable d'obtenir les bons témoignages. Il sait discerner les failles de l'enquête du FBI et celles de la policière Lolo Long. Qu'il soit assisté par Henry Stand Bear est fort utile, aussi.

Enquête policière dans la très bonne tradition du genre, donc. Il n'est pas indispensable d'avoir lu les précédents titres pour apprécier celui-ci. Ce qui pimente ce roman, c'est "le contexte Cheyenne". Parmi ceux qui habitent dans la réserve, qui y sont revenus ou qui en partiront un jour, il y a celles et ceux qui admettent une part de modernité. Une identité indienne bien présente sans être rétrograde. Et des personnages comme la mère d'Artie, vieille femme-médecine, qui reste méfiante envers l'Homme blanc. N'est-ce pas lui qui envoie leurs enfants faire la guerre à travers le monde ? Mais il y a aussi beaucoup d'humour dans ce récit : on lira avec ravissement le long passage où Walt part dans un délire animalier. Et on imagine les trajets cahoteux dans le véhicule déglingué d'Henry.

On se laisse bien volontiers embarquer par l'ambiance de ce huitième épisode de la série Walt Longmire, un polar solide raconté de très belle manière.

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6 mai 2016 5 06 /05 /mai /2016 04:55

En mai, deux suspenses dus à des auteurs français sont désormais disponibles en format poche, chez Points. D'inspiration différente, ils sont tous les deux fort excitants.


 

Brigitte Aubert : La mort au Festival de Cannes

Élise Andrioli est célèbre pour avoir vécu des aventures criminelles agitées, racontées par une romancière. Cette année, accompagnée de l'indispensable Yvette Holzinsky, Élise va pouvoir profiter de l'effervescence du Festival de Cannes. Car l'adaptation cinéma de “La mort des bois”, avec Jodie Foster et Vincent Cassel dans les rôles principaux, est projetée à cette occasion. On a invité Élise, qui va loger avec Yvette au Majestic, à faire partie du jury Jeunes Talents. Sur son fauteuil roulant high-tech, doté d'un ordinateur vocal, Élise en oublierait presque qu'elle est tétraplégique, aveugle et muette, capable d'utiliser sa seule main gauche. Non, elle ne risque pas de gommer ses handicaps, mais c'est bien excitant d'évoluer parmi les stars. À commencer par son chouchou, Hugh Laurie, le Dr House.

Dès l'arrivée, les mondanités s'enchaînent. Élise fait la connaissance des autres jurés et de trois ados marseillais surdoués, héros d'un film de Mehdi Boualem. À noter un incident sans gravité qui conduit la maman de la jeune Gwendoline à l'hôpital. Frissons pour Élise, à la montée des marches du Palais, avant un beau succès à la projection de “son” film. La poétesse et jurée Valeria Fortine meurt noyée dans une piscine lors de la fête qui suit. Fort étonnant pour une si bonne nageuse. Personne autour n'a rien remarqué. Le capitaine de police Kevin Isidore, fan du chanteur Sting, champion de boxe thaïe, s'occupe de l'affaire. Élise l'imagine sans mal, et ne tarde pas à le surnommer pour elle-même Fernandel Columbo. Selon la légiste Véra Martineau, la victime a été droguée.

Le lendemain, Élise et Yvette sont bloquées dans les toilettes par un cadavre qui entrave l'accès. Il s'agit d'un vigile du Festival, un certain Derek. Cocktails et visionnages de films se poursuivent pour Élise, sous la houlette d'Yvette. Celle-ci est sous le charme de Charles Moroni, un vieux barman cannois de belle prestance. Le troisième jour, se produit un accident : l'attachée de presse Maëva Osmond fait une chute mortelle. En attente de l'accouchement de son épouse, le policier Isidore tâtonne. Puis, c'est le jeune cinéaste Loïc Safran qui est, à son tour, supprimé. Et la situation va encore empirer…

C'est une magnifique comédie noire qu'a concoctée ici Brigitte Aubert, offrant de nouvelles aventures à l'héroïne de “La mort des bois” et de “La mort des neiges”, Élise Andrioli. Elle a un mental d'acier et une capacité à nous raconter ce qu'elle entend, ce qu'elle perçoit, ce qu'elle devine. “Nous autres, les Hercule Poirot de banlieue, on a toujours des suspects en réserve. C'est comme ça dans tous les bons polars. L'auteur sort les suspects de son clavier plus vite qu'un magicien les lapins de son chapeau.” Car Élise compte bien écrire elle-même un roman : “L'enquêteur de mon polar sera d'un calme à toute épreuve, en plus d'être beau, costaud, drôle et cultivé. À se demander pourquoi il se retrouve célibataire et alcoolique. Ben oui, tous les détectives sont mal rasés, pochtrons et ténébreux.” Humour, noirceur et suspense, telles sont les qualités des meilleurs polars de Brigitte Aubert, comme le montre cette incursion ravageuse au Festival de Cannes. (Disponible dès le 6 mai 2016)

Polars poche : Brigitte Aubert et Valentin Musso, chez Points

Valentin Musso : Une vraie famille

Âgé de cinquante-huit ans, François Vasseur est un universitaire, spécialiste de l'Histoire médiévale. Son épouse quinquagénaire Mathilde, propriétaire d'une galerie d'art à Paris, a un faux-air de Meryl Streep dans "La route de Madison". Il semble que leur fille Camille se soit éloignée d'eux pour s'installer à Londres. Ils ne furent guère des parents attentifs, leurs métiers passant d'abord. François Vasseur a connu un sérieux problème lui causant une blessure à la jambe. Le couple s'est installé depuis quelques mois dans une propriété campagnarde isolée, à une quinzaine de kilomètres de Quimperlé. Ils n'ont pour voisins que la famille du vieux fermier Le Bris, soixante-quinze ans. François Vasseur reste en contact avec les cercles universitaires parisiens. Il se rend régulièrement à Quimperlé chez la kiné Laurence, pour des séances de massage. Une certaine sympathie s'est nouée avec la jeune femme, mariée à Marc, lieutenant de gendarmerie.

François engage un jeune homme de vingt ans aux cheveux ras, qu'il a rencontré par hasard. Originaire de Lille, Ludovic vit dans sa camionnette. Taciturne et peu cultivé, il fait un excellent boulot dans le jardin du couple. Dans le bâtiment annexe de la longère des Vasseur, les travaux de l'appartement pour Camille sont restés en suspens. Un chantier qui paraît exciter Ludovic. Si Mathilde a été réticente au début, elle voit d'un bon œil qu'il se charge des travaux. Vu comme il pleut sans cesse à l'extérieur, Ludovic est invité par le couple à s'installer dans l'appartement en rénovation. Quand François en parle à la kiné Laurence, elle lui recommande tout de même la prudence. Après tout, les Vasseur savent bien peu de chose sur ce jeune bricoleur, aussi compétent soit-il. De menus incidents se produisent bientôt…

Ceci résume une partie du premier acte de l'histoire. Les lecteurs ne sont pas au bout de leurs surprises. Intrigue axée sur le trio de personnages principaux, plus trois ou quatre seconds rôles, cette histoire n'est toutefois pas théâtrale, figée dans son décor rural et pluvieux. Ici, le danger est en priorité psychologique. Même si, au final, on compte deux morts et un blessé, dont le pronostic vital ne sera bientôt plus engagé. Dès le début du deuxième acte, la situation va curieusement évoluer. Et l'on en saura un peu plus sur le passé de chacun des trois héros de l'affaire. Un scénario intimiste, tout en sobriété, captivant psycho-suspense, très vivant grâce à une belle fluidité narrative. (Disponible dès le 12 mai 2016)

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5 mai 2016 4 05 /05 /mai /2016 04:55

Âgé de treize ans, Tyrone Bradoux a l'air d'un enfant de sept ans. Il a été “électrochoqué” par la disparition de sa mère, quelques années plus tôt. Tyrone est devenu sourd-muet ou, du moins, il ne s'exprime plus et ne paraît plus entendre. Pourtant, il perçoit bien les aboiements de son chien Biscoto, ainsi que les paroles des gens. À l'école primaire, il suit une scolarité un peu décalée. Son père s'étant remarié avec Chloé, Tyrone a volontiers adopté sa nouvelle mère. Elle a deux enfants, Edgar et Saskia, déjà adolescents. Harmonieuse famille recomposée, les Bradoux habitent Lanormale-les-Ponts, une ville que rien ne distingue des autres.

Le parti politique populiste les Lucioles séduit beaucoup d'électeurs. Ils organisent des kermesses, se montrent serviables envers leurs concitoyens. Leurs actions sur le terrain ne manquent pas de générosité. On les reconnaît aisément à leurs tenues noires à points blancs, leur béret noir. Dans les écoles, ils expliquent que le monde sera meilleur grâce à eux. Edgar et Saskia sont enthousiastes, leurs parents beaucoup moins. Il est logique que les Lucioles gagnent les élections nationales. Tyrone a suivi de près le scrutin. Le pays adopte les noires couleurs des Lucioles. Il va y avoir du changement, pour le bonheur de tous. Ça commence quand même par une grande quantité d'interdictions.

L'endoctrinement a bien fonctionné, concernant Edgar et Saskia. Enrôlés par les Lucioles, ils ont quitté la maison. Il est bien normal que l'épicerie exotique où se fournissait le père de Tyrone soit fermée, car les produits étrangers sont proscrits. C'est aussi l'évidence pour les livres, étrangers ou pas, et tous les produits culturels : plus question de pervertir le peuple avec ce qui leur permet de réfléchir. Lors de la fête obligatoire célébrant la victoire du Grand Chef des Lucioles, celui-ci fait un admirable discours, avant que l'on procède à un autodafé pour détruire tous les mauvais livres. Heureusement que la milice des Lucioles veille et surveille, que dans leurs uniformes seyants ils sanctionnent les récalcitrants.

La société nouvelle s'installe, n'offrant des privilèges qu'aux partisans les plus zélés des Lucioles. Les vieux, les malades et les handicapés n'ayant pas leur place dans une société si pure, des expériences eugénistes y remédieront. Le changement vers ce monde parfait promis par les Lucioles ne va pas sans sacrifices. Les parents de Tyrone doivent accepter un autre métier, très fatigant pour son père. Il n'est plus raisonnable de manger autant, il est légitime que la population soit soumise à des restrictions. Tyrone et son chien Biscoto restent chez eux, ne sortant qu'en cachette. Jusqu'au jour où l'animal disparaît. Au bout d'un an de ce régime politique, la situation s'est nettement dégradée pour le peuple. Une étape encore plus sévère s'annonce pour ceux n'appartenant pas à l'élite des Lucioles…

Jan Thirion : Les Lucioles (Éd.Lajouanie, 2016)

Le narrateur étant un enfant, on peut apposer l'étiquette "roman jeunesse" sur ce livre. Il est bon, néanmoins, de préciser que cette histoire s'adresse aux publics de toutes les générations. En particulier aux lectrices et aux lecteurs en âge de voter. Car si, en termes simples, l'auteur rappelle le sens et les modalités d'une élection, c'est aussi une manière d'en souligner l'importance. Aucun scrutin n'est sans conséquences, chacun (y compris les abstentionnistes) doit en être pleinement conscient. Justement, ce sont les effets de ces élections qui constituent le thème de cette fiction. Du scénario fictif à la réalité, il n'y a qu'un pas, qu'il est prudent de ne pas franchir.

Certes, on a le droit de penser qu'une société idéale, heureuse et conviviale, va d'abord exclure et rejeter, qu'elle commencera par interdire et par réprimer. Que son but supposé bienveillant sera de remplacer la liberté par des obligations strictes, et d'imposer un nivellement minimaliste. On peut rêver au miracle, quand un parti hurle avec les loups, confirme les récriminations de l'opinion publique, émet des promesses n'engageant que ceux qui y croient. Toutefois, soyons sûrs que la démocratie sera en péril. Et que ces futurs maîtres seront bien plus corrompus que les précédents, et nettement plus cruels. L'Histoire l'a maintes fois démontré, il suffit de s'en souvenir.

Auteur de nombreuses nouvelles et de romans, Jan Thirion est décédé en mars 2016, à l'âge de soixante-quatre ans. Dans “Les Lucioles”, sous couvert de la candeur enfantine, il met en garde contre la dictature obscurantiste, le totalitarisme qui guette nos pays. Les solutions radicales et extrêmes ont toujours causé grand tort à la population. C'est ce danger qu'illustre brillamment le regretté Jan Thirion dans ce polar de grande qualité.

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