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23 mai 2016 1 23 /05 /mai /2016 04:55

Habitant Ivry, Christelle est une jeune femme d'environ vingt-cinq ans, dont son petit-ami Pascal est très amoureux. Elle reste proche de sa mère, Nanou, quinquagénaire vivant à Puteaux. Toutes deux sont infirmières en hôpital, leurs opinions politiques étant marquées à gauche. En ce mois de mars 2011, l'état de santé de Nanou est fragile. Il se dégrade encore davantage quand sa fille lui parle d'un patient admis là où elle est employée, suite à un accident de voiture. Âgé de cinquante-quatre ans, très gravement touché, cet Alain Vénoret est un chirurgien orthopédiste exerçant en Suisse, où il vit depuis de nombreuses années. Il est originaire de la région brestoise, comme Nanou. Bien que la mère de Chris n'ait pas semblé se souvenir de lui, la crise qui la secoue peut être associée au nom de cet hospitalisé. Le choc sera bientôt fatal à Nanou. Elle a laissé à sa fille un curieux dossier.

Par ailleurs, trois hommes sont confrontés à des moments fort contrariants. Médecin à Mortagne-au-Perche, Loïc Mazou était intimement proche d'un de ses patients. Si la mort de ce dernier n'est pas exactement naturelle, le docteur s'arrange pour que la femme au service du défunt n'en sache rien. Néanmoins, celle-ci a des doutes. Dans le Finistère, la carrière politique d'Eugène Abilien paraît bien amorcée. Pourtant ce notable va renoncer à poursuivre dans cette voie, "pour raisons personnelles". À l'abbaye de Kerascoët, le père Gildas Runavot est apprécié dans sa communauté. Son décès est en contradiction avec les principes religieux, l'un des moines l'ayant retrouvé suicidé. Un appel téléphonique aurait-il déclenché cet acte désespéré ? Pourquoi la chanson de Mort Shuman "Le lac majeur" suppose-t-elle un mauvais souvenir pour Abilien, Runavot et peut-être Mazou ?

Au printemps 2012, Chris a quitté son poste à l'hôpital pour s'occuper exclusivement de la convalescence d'Alain Vénoret. Il s'est installé à Paris, car le temps de sa rééducation sera probablement long. Plutôt qu'infirmière, Chris fait figure de régisseuse des soins apportés au patient. Pascal, son petit-ami, est le grand perdant dans cette situation. D'abord, il y a des frictions entre eux, puis il apprend incidemment que le mariage entre Vénoret et Chris est annoncé. Face à son incompréhension, Chris prend ses distances avec Pascal. Elle ne l'en informe surtout pas lorsque Vénoret et elle déménagent à Brest, en juillet.

Chris a choisi une maison tout confort, équipée pour les handicaps de l'ex-chirurgien, avec une gardienne à leur service. Le comportement de sa fiancée a sûrement rendu méfiant Alain Vénoret, car il a engagé un détective privé afin de la prendre en filature. Pas toujours aisé, la foule étant particulièrement dense à cause des Fêtes maritimes intitulées Tonnerres de Brest. C'est dans ce même contexte que Pascal, ayant découvert le départ du couple, débarque à son tour dans la cité brestoise. Par un cousin de Vénoret, il obtient quelques renseignements. Pour autant, pas sûr que Chris veuille renouer avec Pascal…

Jean-François Coatmeur : Les noces macabres (Albin Michel, 2016)

Est-il indispensable de rappeler que Jean-François Coatmeur fut récompensé par le Grand prix de Littérature policière en 1976 pour “Les Sirènes de minuit, par le Prix Mystère de la critique en 1981 pour La bavure” et par quelques autres Prix depuis ? Aucune flagornerie, si on le classe parmi les grands maîtres du polar et du roman noir. C'est l'évidence, et il le prouve une fois de plus avec “Les noces macabres”, il a toujours été un perfectionniste de l'intrigue, et un narrateur de premier ordre. À l'origine de cette histoire, les admirateurs de Coatmeur auront reconnu une nouvelle parue dans le recueil “Brest l'ancre noire” (Éd.Autrement, 2003). C'est un suspense beaucoup plus élaboré, encore plus subtil, et certainement pas une version "rallongée", qu'il nous présente ici.

À l'opposé d'un roman d'enquête, les lecteurs disposent d'éléments sur les bases de cette affaire. Entre autres grâce à Clovis Lestafou, qui en fut le témoin privilégié et que l'on va recroiser au cours du récit. Si l'auteur nous a concocté un chassé-croisé de personnages, il veille à ce qu'on les situent facilement. Surtout, il fait en sorte que l'ambiance sombre ne soit pas absolument pesante. Du style, certes, mais le plaisir de lecture importe aussi à ce romancier chevronné. Petit clin d'œil de sa part : il a terminé l'écriture de ce livre à la veille de son anniversaire, date hautement symbolique dans ce cas. Lire un suspense de Jean-François Coatmeur offre toujours un grand moment de plaisir.

 

- "Les noces macabres" est disponible dès le 25 mai 2016 -

 

 

Jean-François Coatmeur : Les noces macabres (Albin Michel, 2016)

En novembre 2008, Jean-François Coatmeur fut un des invités du festival "Noir sur la Ville" à Lamballe (Côtes d'Armor). Avant la rencontre avec les lecteurs, le repas se termine. Belle tablée où l'on reconnaît à droite le journaliste

cinéaste Alain Bévérini ("Total Khéops" avec R.Bohringer), près de J.F.Coatmeur la regrettée Michèle Witta et, au fond, Jean-Bernard Pouy.

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22 mai 2016 7 22 /05 /mai /2016 04:55

C'est "au mérite", que la jeune policière quimpéroise Mary Lester a gravi les échelons dans son métier. Généralement épaulée par son coéquipier costaud Jean-Pierre Fortin, elle n'a jamais hésité à se frotter aux enquêtes épineuses, aux cas en apparence insoluble. Forte de multiples succès, Mary Lester accède aujourd'hui au grade de commandant de police. Sans doute Ludovic Mervent, conseiller à l’Élysée avec lequel elle a parfois collaboré, a-t-il accéléré cette promotion pour Mary, Fortin et leur collègue Gertrude Le Quintrec. Personne n'en contestera néanmoins le bien-fondé. Mervent ne tardera pas à avoir besoin de ses services, lui proposant même un poste très avantageux qu'elle refusera. Toutefois, restant dans l'ombre, Mary va s'occuper indirectement d'une affaire qui fait grand bruit.

Les médias se sont largement fait l'écho du vol de cinquante kilos de drogue au cœur des locaux de la Brigade des Stups, au 36 Quai des Orfèvres. Les fuites sont de plus en plus courantes au sein de la police, au mépris de la présomption d'innocence. Grâce à des caméras de surveillance, on a identifié le lieutenant Frank Letanneur, trente-six ans, dont dix comme policier. Les biens immobiliers qu'il possède dans le Sud laissent penser qu'il dispose de ressources illégales, même si c'est son épouse qui en a hérité. Le flic Pellego est à la fois un ami du suspect et de Fortin. C'est lui qui, en premier, attire l'attention de Mary Lester sur ce qu'il estime être une injustice. Pour Pellego, les indices sont loin d'être probants. Connaissant mal les arcanes de la police parisienne, Mary hésite à sen mêler.

Pourtant, les noms de collègues apparaissant dans ce dossier – Mercadier et Lucile Darle – excitent la Quimpéroise. S'il y a des coups fourrés, ces deux-là peuvent être impliqués. On doit s'interroger sur un troisième personnage, Ange Venturini, le patron de la Brigade des Stups. La gestion des stocks de drogue saisis, sous scellés, n'est probablement pas aussi stricte qu'il le faudrait. Le rôle de l'épouse de Venturini pose également question. Car, selon son témoignage, Letanneur a apporté les deux sacs "de drogue" à cette femme. En réalité, il s'agit de kapok, une fibre légère utilisée jadis pour les gilets de sauvetage. Mary a obtenu de Ludovic Mervent que Letanneur soit assigné à résidence à Bénodet. Avec sa famille, ce qui les met à l'abri de manigances potentiellement dangereuses.

Consciente qu'il est fréquent que de la drogue soit cachée en box privé, Mary suggère à Mervent de lancer à Paris une opération visant quantité de garages personnels suspects. Il est possible que l'initiative révèle des failles dans l'organisation des Stups. Bien qu'elle ne dévoile pas sa mission menée depuis la Bretagne, Mary préfère que les échanges avec ses interlocuteurs se fassent hors de l'univers policier. Tant pis si elle passe pour une parano. Elle n'oublie pas que Mercadier, Venturini, Lucile Darle, appartiennent aux hautes sphères de la police. La piste de Caroline Vialatte, une escort-girl, fera-t-elle avancer l'enquête ? Une affaire qui ne se conclura pas sans qu'il y ait des victimes…

Jean Failler : Avis de gros temps (Éd.du Palémon, 2016) – Inédit –

L'intrépide Mary Lester donne une nouvelle fois rendez-vous à ses lecteurs, très nombreux à suivre cette série de romans policiers. Faut-il le rappeler ? Mary est une jeune femme ne manquant ni de caractère, ni de témérité, mais dont la vie quotidienne n'est par ailleurs pas exceptionnelle. C'est évidemment cet aspect ordinaire qui marque les esprits et séduit ses admirateurs. Si elle nous a habitués à voyager en Bretagne et sur la côte Atlantique, à s'immiscer avec hardiesse dans des affaires de terrain, elle opère ici d'une autre manière. Ce qui offre un tempo sans précipitation, mais n'empêche pas maintes péripéties. Outre l'habituelle fluidité narrative caractéristique de Jean Failler, ça permet également à l'auteur de développer le côté ironique ou malicieux de Mary.

À la base de cette fiction, est évoquée une affaire qui a fait grand bruit, et qui a entaché l'image du célèbre 36 Quai des Orfèvres : la disparition de cinquante kilos de drogue à la Brigade des Stups. Il est certain que quantité de citoyens ont été surpris, voire choqués, qu'un tel vol puisse se produire. N'importe quel quidam n'ayant pas accès aux stupéfiants stockés, c'est logiquement "en interne" qu'on a trouvé le coupable. Il n'en reste pas moins que ce "dysfonctionnement" prouve que la frontière peut s'avérer mince entre banditisme et police, si on n'y prend pas garde. Quant à la présomption d'innocence, à qui s'applique-t-elle de nos jours ? Bien sûr, quand les médias en rajoutent, ça n'arrange rien… Laissons Mary Lester faire la lumière dans cette histoire, même si ce roman ne prétend pas afficher le véritable contexte de ce dossier.

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21 mai 2016 6 21 /05 /mai /2016 04:55

Cet été-là, une famille d'Anglais s'installe dans le Périgord, du côté de Saint-Romain. Mark et Jenny, avec leur fils de sept ans Jimmy, vont créer un gîte touristique dans la maison qu'ils ont acquis. Un projet qui leur demandera des efforts, car l'endroit n'est pas en très bon état. C'est surtout une idée de Mark, son épouse étant moins enthousiaste, et son fils ne s'intéressant qu'à sa DS. Ici, la nature peut apparaître hostile à ce qui n'y sont pas habitués. La ferme voisine est tenue par Martin et la vieille Georgette, dont on ne saisit pas vraiment la parenté. Si Mark et Jenny achètent leurs produits, par souci de bons rapports, ils s'empressent de les jeter. Ce n'est pas avec d'autres Anglais, grands buveurs un peu snobs, que le couple pourra se lier facilement. Par contre, Mark sympathise avec le maquignon Jean-Louis, un chasseur extraverti et dynamique.

Mark ayant acheté un setter, son ami Jean-Louis espère initier le maître et son chien à la chasse au sanglier. Ayant passé une journée avec la bande des copains chasseurs de Jean-Louis, Mark rentre ivre chez lui, ce qui ne lui est pas coutumier. Jenny s'imagine entourée d'ombres inquiétantes. Pour le petit Jimmy, la rentrée scolaire au village n'est pas du tout encourageante. C'est surtout à cause du chien Bluebell que la situation va se gâter. Il se met à tuer les poules du voisinage, celles du couple Martin, récidivant plusieurs fois. Déjà peu aimable, le fermier exprime sa colère. Mark réussit à alléger l'ambiance familiale, en achetant pour leur fils le poney Alfred. Certes, il faut acquérir une clôture afin de fabriquer un enclos, mais le serviable Jean-Louis lui donne un coup de main. Malgré cet épisode plus agréable, Jenny ne se sent toujours pas à l'aise et parle de retourner en Angleterre.

Les problèmes avec le chien ne sont pas réglés. Mark se sent incapable d'affronter son voisin : “Il songea à Martin. À cet homme sans âge qui lui faisait peur et se conduisait en maître. Tandis que lui, Mark, tremblait comme un vassal qui a enfreint la loi, un serf pris en train de braconner sur les terres du seigneur. Il se haïssait tout d'un coup d'agir comme un lâche...” Quand la vieille Georgette est retrouvée noyée dans la rivière proche, on peut penser qu'il s'agit d'un suicide. Encore que les dames d'à côté s'interrogent. Lors des obsèques, le couple d'Anglais est informé des ragots accusateurs à leur égard. Ce serait de la faute des récents incidents avec le chien, ce suicide ? Pour Mark, c'est grotesque. Jenny pense que c'est Martin qui a assassiné Georgette. Quand l'enclos du poney est saboté, ce pourrait être une malveillance du fermier. Les gendarmes confirment la version du suicide, et semblent penser que Martin finira de la même façon. Un hiver morne s'annonce…

Louis Sanders : Auprès de l'assassin (Rivages/Noir, 2016) – Inédit –

En effet, la France attitre des Britanniques en quête d'une vie différente. On en dénombre environ deux cent mille, habitant principalement dans le Sud-Ouest. Qu'ils se regroupent en communautés d'anglophones ou qu'ils se rapprochent des populations locales, ils sont considérés comme bienvenus. D'autant qu'ils participent souvent à apporter un peu de vie dans des bourgades plutôt désertées. Comme nous le suggère ici Louis Sanders, il peut y avoir des exceptions. Car les relations de bon voisinage ne se décrètent pas. Parfois, ce sont des citadins qui s'adaptent mal aux habitudes campagnardes. Ou bien certains ruraux grognons ou franchement acariâtres, qui font preuve de mauvaise volonté envers les nouveaux venus, voire d'une hostilité marquée. L'auteur aura sans doute observé que les animaux de compagnie (un chien et un poney, dans ce cas) sont prétextes à querelles.

La principale vertu d'une fiction, c'est de correctement raconter une histoire. Clairement, sans opacité factice ni artifice superflu. Nul besoin de criminel multirécidiviste pervers, ni de profilage en dessinant le portrait inquiétant. Une poignée de personne dans un univers ordinaire, quotidien, supposément tranquille, c'est suffisant. Les actes et les réactions de chacun conduisent l'intrigue, la noircissant progressivement. De même, quel besoin de développer quatre cent pages quand on présente la même chose en moins de deux cent ? Voilà un roman parfaitement convaincant, un très séduisant polar noir.

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20 mai 2016 5 20 /05 /mai /2016 04:55

Sa hiérarchie estime le major de gendarmerie Fabrice Remangeon incapable de maîtriser ses réactions violentes dans certains cas. C'est ainsi qu'il est muté dans le village solognot dont il est natif, où il n'est plus retourné depuis longtemps. Âgé de quarante-huit ans, il reste marqué par la soudaine disparition de son épouse Élise, dix ans plus tôt. Bien qu'elle ait peut-être choisi un départ volontaire, Remangeon y pense de façon obsessionnelle. En disgrâce dans cette bourgade d'un millier d'âmes, le major devra s'accorder avec l'équipe en place : l'adjudant-chef Manuel de Freitas, la séduisante brigadière-chef antillaise Aimée Toussaint et la brigadière Geretz.

Parmi la population locale, quelques personnes se souviennent probablement que le père du gendarme fut rebouteux. Un guérisseur très efficace, dont la clientèle venait parfois d'assez loin. Des rumeurs le qualifiaient même de sorcier, ce qui n'était pas absolument faux. Fabrice Remangeon préféra tourner le dos à ces pratiques. Si certaines superstitions ont encore cours ici, une autre tradition ne change pas : le braconnage. Les propriétaires terriens de Sologne exploitent de longue date des parcs destinés à la chasse. Les cervidés sont la cible des braconniers, pour un trafic fort rentable. Concessionnaire automobile à Romorantin, Patrick Vailly en a été victime, perdant plusieurs animaux.

Il est facile de soupçonner Tristan Lerouge, dont la fâcheuse réputation n'est pas usurpée. Depuis des décennies, il chasse illégalement. À la fois le gibier et les femmes, se vante-t-il souvent. Il est maintenant marié à une Ukrainienne, Irina, qui lui sert d'objet sexuel. Elle ressemble tant à Élise, que le major peut effectivement s'y méprendre. Selon l'oncle de son défunt copain d'enfance Teddy Jambart, qui fut un cancre charismatique, Remangeon devrait admettre définitivement qu’Élise ne reviendra plus. Le gendarme renoue avec son amie de jeunesse Delphine, qui vit toujours à la ferme avec ses parents âgés. Son élevage de faisans, destinés à la chasse dans les parcs du secteur, semble menacé.

Pas de raison précise si ses bêtes dépérissent, mais on peut envisager une "intervention extérieure". Tristan Lerouge ayant des notions de sorcellerie, Delphine souhaiterait que Remangeon applique les remèdes de son père pour contrer un envoûtement. Tandis qu'ils traquent nuitamment les braconniers, les gendarmes subissent des accidents avec leur véhicule. Si le premier accrochage touche le major, c'est Aimée Toussaint qui est victime dans le second cas. Remangeon continue à se sentir mal, peut-être visé par un sortilège.

Interrogé par les gendarmes, Tristan Lerouge répond qu'il est jalousé par ceux qui envient ses succès et sa liberté. Le major et sa brigade se lancent sur la piste de gardes-chasses douteux, et surveillent une casse automobile plutôt suspecte. La disparition d'Élise, le rôle de Lerouge, celui de Vanessa Vailly, les trafics de cervidés, autant d'énigmes auxquelles le gendarme cherche des réponses…

Pierric Guittaut : D'ombres et de flammes (Série Noire, 2016)

Si la Sologne évoque des paysages campagnards, on peut penser que beaucoup de gens ne situent pas très bien cette région, au sud d'Orléans, à l'est de Blois, au nord de Vierzon et de Bourges. Des étangs et des rivières (la Sauldre, le Beuvron, le Cher), de multiples parcelles forestières, quelques villes et des communes rurales, c'est le pays du braconnier Raboliot (de Maurice Genevoix, 1890-1980). Comme partout, l'urbanisation gagne du terrain, mais l'élément sauvage y est sans doute un peu mieux préservé qu'ailleurs. Quant à la population, de natifs ou pas ─ car elle n'est plus forcément d'origine, elle accepte un rythme différent de celui des grandes villes. Croire que “tout le monde se connaît” dans ces villages, c'est un mythe plus vraiment de saison véhiculé par les citadins.

L'auteur place son histoire sous le signe de la sorcellerie. Dans la France de naguère que certains passéistes imaginent paradisiaque, il y a quarante à cinquante ans, ces croyances restaient présentes. Un guérisseur valait mieux qu'un médecin, son don pour soigner étant naturel, de même que ses potions. Les superstitions ayant aussi leur effet placebo, la crédulité faisait parfois des miracles. Ces sorciers du 20e siècle ne détestaient pas être considérés tels des jeteurs de sorts, capables du Bien comme du Mal. Qu'en est-il depuis que la technologie de pointe a envahi nos vies, que sont omniprésents des appareils de toutes sortes, que notre tempo quotidien s'est accéléré ? Le major Remangeon prétend ne plus croire dans les envoûtements et autres maléfices, mais est-ce tellement vrai ?

Voici donc le contexte de cette intrigue. Au centre, un personnage tourmenté. “Tu es un homme juste” lui dira en conclusion son amie Delphine. Le lecteur en sera moins certain. Cette étape de son existence permet au gendarme de gagner un peu d'apaisement, après un bouillonnement intense. Pas seulement intérieur : c'est intrinsèquement un être violent et asocial. À cause du manque de réponses sur la disparition de son épouse, en partie. Et de sa propension à jouer les justiciers, sûrement. Autour, dans ce décor solognot qui le rebute, des bons et des méchants : à lui de faire le tri. Plutôt que de l'associer au “nature writing”, il s'agit d'un noir polar réussi quant à son ambiance tendue, entre psychologie et péripéties.

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19 mai 2016 4 19 /05 /mai /2016 04:55

Ce roman fut un des "Coup de cœur" d'Action-Suspense en 2015. Il a été récompensé en Grande-Bretagne par le Prix John Creasey du premier roman, par la Crime Watchers Association. L'intrigue s'inspire du cas réel d'un tueur en série signant Axeman qui, tel Jack l’Éventreur, cessa brutalement ses crimes (en octobre 1919) et ne fut jamais identifié. L'auteur reproduit la vraie lettre que ce meurtrier adressa à la presse. Cette fiction ne prétend pas reconstituer l'affaire telle qu'elle se déroula. Ray Celestin crée des personnages qui, selon des motivations diverses, enquêtent afin d'arrêter le coupable.

 

En 1919, La Nouvelle Orléans est une grande ville comptant plus de 380.000 habitants. Malgré une géographie particulière et des ouragans ponctuels, sa prospérité vient de ses différences avec tant d'autres villes américaines, plus puritaines. Multiculturelle, "The big easy" tolère tous les excès permettant de faire la fête, même si le quartier de Storyville n'est plus autant un lieu de débauche. Si la forte population noire subit comme ailleurs la ségrégation, c'est elle qui donne sa tonalité musicale à cette agglomération, grâce au jazz et au blues. À l'image de ce jeune cornettiste de dix-huit ans, qui se nomme encore Lewis Armstrong. La mafia italienne est très présente à La Nouvelle Orléans. Ses membres sont des Siciliens, tous venus de Monreale, ce qui limite les guerres de clans. Gangrenée par la corruption, la police locale a une réputation exécrable.

Cette année-là, un criminel vite surnommé "le Tueur à la hache" assassine sauvagement depuis quelques semaines des couples d'épiciers d'origine italienne. Sur les lieux, il laisse à chaque fois une carte de tarot, images de luxe peut-être françaises, pas de la fabrication courante. C'est le policier Michael Talbot qu'on charge d'enquêter sur ce meurtrier qui va bientôt récidiver en tuant le couple Schneider, dont lui est avocat. Talbot est marié avec Annette, ils ont deux enfants. Un mariage clandestin, car son épouse est Noire. Il sait que sa mission est une sorte de piège. S'il est très mal vu, c'est parce qu'il dénonça un de ses collègues, Luca d'Andrea. Cet ex-inspecteur vient de sortir de prison, après cinq ans.

Ida Davis est une jeune métisse de dix-neuf ans. Amie de toujours de Lewis Armstrong, elle n'ignore pas les tourments familiaux de celui-ci, même s'il conserve le moral grâce à la musique. Ida Davis est secrétaire de l'agence Pinkerton de La Nouvelle Orléans, dirigée par le flemmard Lefebvre. Pour prouver sa valeur de détective, Ida entreprend d'enquêter sur le "Tueur à la hache". Son ami Lewis va souvent l'accompagner, car la ville n'est pas si sûre. Ils interrogent d'abord Mme Hawkes, infirmière des premières victimes. Ida pense que cette série de meurtres masquent un trafic de fausse monnaie. Prenant en filature un jeune voleur malingre, Ida et Lewis aperçoivent son boss, Cajun massif à la barbe rousse. Il semble s'agir d'un nommé Morval, propriétaire d'une usine.

Côté police, Michael Talbot ne néglige pas les tuyaux du journaliste John Riley, qui lui conseille de rechercher un certain Lombardi. Kerry Behan est un jeune agent arrivé depuis peu de son Irlande natale. Il est conscient que Michael est mal aimé des autres, mais il va pourtant l'aider. Suivant la consigne de leur supérieur, Michael et Kerry se renseignent sur des repris de justice supposés cinglés. Pourtant, c'est plutôt vers "la Main Noire" des Siciliens, que les deux policiers espèrent trouver des indices. Les mafieux prétendent que l'assassin ne peut qu'être un Noir, ce qui est très improbable pour Michael. Mandaté par Don Carlo, le vieux caïd de la mafia, l'ex-policier Luca d'Andrea mène aussi son enquête. Il va même jusque dans le bayou, contactant la prêtresse vaudoue Simone…

Ray Celestin : Carnaval (Éd.10-18)

Il faut avouer que les deux plus attachants protagonistes sont Ida Davis, la téméraire secrétaire de chez Pinkerton, prête à sillonner la ville du French Quarter jusqu'aux docks, en passant par les honky tonks de Back'O Town et autres quartiers typiques, avec son ami musicien. C'est un Louis Armstrong jeune, à l'air encore poupin (“Son visage rond d'un noir très sombre était l'écrin idéal pour son sourire si reconnaissable”), mais qui a déjà traversé quelques épreuves, qui deviendra quelques années plus tard un maître du jazz. On frémit avec ce couple d'amis, déterminé et sans trop de complexes, mais plutôt inexpérimenté. Ils seront directement en danger : “Ida hurla et Lewis la dévisagea avec de la panique dans le regard. L'une des brutes, le plus petit, sortit une matraque et assomma Lewis.”

Enquête criminelle, certes. Le policier intègre Talbot et son assistant Kerry ont un rôle officiel, tandis que la mafia missionne un ancien flic pour mener d'autres investigations. Néanmoins, c'est le contexte de La Nouvelle Orléans qui offre sa force à ce roman. Les décors sont restitués avec soin, sans toutefois s’appesantir. La mythologie de cette ville cosmopolite est évoquée. Non sans humour, lorsqu'est cité un héros local, Jean Lafitte : “Sans ce pirate on serait Anglais, et on parlerait leur langue.” S'il est question de culte vaudou, la prêtresse Simone est surtout guérisseuse, soignant même les pauvres filles après avortement. Bien que majoritaires, les Noirs ne peuvent pas grand choses contre le racisme ambiant, ni contre les lois. Mais à l'occasion d'obsèques, ou sur les bateaux à vapeurs du Mississippi, les meilleurs joueurs de blues et de jazz s'expriment, améliorant tant soit peu leur condition sociale.

À la veille de la Prohibition, on consomme ici de l'absinthe, pourtant déjà interdite. La Nouvelle Orléans étant un port important, tous les trafics s'y développent. Bien entendu, tout en restant assez discrète, la mafia pèse sur l'économie de la ville. Les conditions climatiques ont aussi un sens, car la pluie drue est annonciatrice d'une tempête féroce. On le constate, l'aspect meurtrier n'est pas le seul atout favorable de ce remarquable suspense. Quant à découvrir l'identité du "Tueur à la hache", on verra bien si nos enquêteurs y parviennent. Un roman de qualité supérieure.

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18 mai 2016 3 18 /05 /mai /2016 04:55

Frank Cairnes est plus connu en tant que Felix Lane, pseudonyme sous lequel il signe ses romans policiers à succès. Veuf âgé de trente-cinq ans, il habite depuis cinq années dans un cottage du Gloucestershire. Son fils Martie avait à peine sept ans quand, le 3 janvier de cette année-là, il fut victime d'un mortel accident de la route. Le chauffard qui l'a renversé s'est enfui. Felix Lane culpabilisa d'abord, puis reçut des témoignages de sympathie. Pas plus que la police, il ne trouva de renseignement sur le responsable de la mort de Martie. Néanmoins, il confie dans son journal intime sa volonté inébranlable de châtier le coupable en préservant sa propre impunité. Parmi ses hypothèses, il en retient une qui explique que la voiture cabossée du chauffard n'ait pas été retrouvée : il s'agit certainement d'un pro de la mécanique, peut-être d'un garagiste capable de réparer les dégâts.

Alors qu'arrive l'été, Felix trouve finalement un témoin : prénommé George, le conducteur coupable était accompagné d'une jolie passagère. Il est bientôt établi que c'est l'actrice de cinéma Lena Lawson. Felix s'installe à Londres, et trouve facilement un prétexte pour faire la connaissance de la jeune femme. Après quelques dîners et autres sorties ensemble, la frivole actrice s'avoue éprise de Felix (qu'elle surnomme Pussy). Grâce à elle, il obtient le nom qu'il cherche : George Rattery, propriétaire d'un garage automobile à Severnbridge, dans le Gloucestershire, est le beau-frère – et l'ex-amant – de Lena Lawson. Felix et elle vont séjourner en ce mois d'août chez les Rattery. Outre l'antipathique et brutal George, tyran domestique nerveux et méprisant, s'y trouvent son épouse trop soumise Violet, leur fils de douze ans Philip, ainsi que la rigide mère du chef de famille, Ethel Rattery.

À cet endroit, la rivière Severn est assez large pour pratiquer le nautisme, un des loisirs favoris de Felix Lane. Ce qui l'inspire pour son projet d'éliminer George Rattery, assassin de son fils. Mais, ne sachant pas nager, le garagiste n'est guère pressé d'accepter son invitation à une balade en bateau. Felix se sent proche du jeune Phil : parce qu'il lui fait penser à son fils, et parce qu'il est rudoyé par son père George et sa grand-mère Ethel. Il est temps pour Felix de convaincre le garagiste, et d'organiser le chavirage du voilier qui causera la mort de George. Rapidement, la navigation sur la Severn s'avère fort agitée, Felix s'arrangeant pour effrayer son passager. Toutefois, George est d'un caractère méfiant et il a pris quelques dispositions en cas de décès suspect. L'auteur de romans policiers se retrouve dans une impasse. Néanmoins, George va mourir peu après.

Nigel Strangeways est un détective amateur qui, avec son épouse Georgia, contribue aux enquêtes de Scotland Yard. D'ailleurs, c'est son ami l'inspecteur Blount qui s'occupe de la mort de George Rattery. Le suicide ayant été écarté, Felix Lane apparaît comme le plus suspect dans l'entourage actuel du défunt garagiste. Son journal intime montre qu'il était déterminé à supprimer George, quoi qu'il soit advenu. Première interrogée, Lena Lawson défend ardemment Felix. Nigel et son épouse comprennent qu'il est souhaitable d'écarter le petit Phil de ce drame, et le prennent sous leur protection. Ce qui mécontente la mère du garagiste, Ethel Rattery. Les investigations de Nigel s'annoncent sinueuses…

Nicholas Blake : Que la bête meure (BibliOmnibus, 2016) ― Coup de cœur ―

On peut l'affirmer sans crainte : “Que la bête meure...” figure parmi les chefs d'œuvres de la littérature policière. Claude Chabrol ne s'y trompa pas, en l'adaptant à l'écran en 1969. La structure de l'histoire est exemplaire : le "journal" de Felix Lane nous éclaire sur toutes les circonstances de l'affaire, puis vient une tentative vengeresse de meurtre, à laquelle succède l'enquête du détective amateur, avant la conclusion explicative de l'ensemble des faits. On ne nous cache rien des péripéties, ni des éventualités. Peut-être garde-t-on plus secrètes les intentions de certains protagonistes. Tous sont là, devant nos yeux, présentés avec leurs défauts et leurs qualités, leur psychologie et leurs actes. Le récit limpide est parfaitement ajusté pour nous offrir un suspense impeccable. Et même intense.

Bien que l'intrigue se place vers 1938, il serait absurde d'y voir quoi que ce soit de "daté" ou de "vieillot". Canots à voile et TSF ont été remplacés par nos voiliers et médias actuels, mais le contexte général est valable à toute époque, y compris aujourd'hui. La vengeance est un thème éternel, d'autant plus quand il s'agit d'un parent s'en prenant au meurtrier de leur enfant. Notons encore que la partie "enquête criminelle" ne se résume pas à une audition de témoins tant soit peu balisée. Elle explore toutes les facettes des relations entre les personnages impliqués, imagine des hypothèses contradictoires mais crédibles. Écrit avec maestria, construit avec brio, ce polar d'énigme reste une véritable référence.

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16 mai 2016 1 16 /05 /mai /2016 04:55

La policière italienne Mariella De Luca séjourne durant quelques semaines à Oxford, pour se perfectionner professionnellement. Son ami l'inspecteur Mark Farrell est chargé d'une enquête sur le braquage d'un transport d'œuvres d'art. Les deux chauffeurs ont été tués, et la responsable de l'exposition enlevée. Mariella est convaincue que c'est cette Cristina d'Elia qui était la seule cible, d'autant que les œuvres n'ont pas été volées. D'ailleurs, elles seraient invendables. Mais l'Italienne ne peut rester plus longtemps dans la Vallée de la Tamise, car sa coéquipière Silvia la réclame à Rome. Un cas très médiatisé d'enlèvement d'enfant agite leur pays en cette toute fin du mois d'août. C'est en suivant l'émission de télé italienne "Missing", que Mariella commence à collecter les infos sur ce kidnapping.

Alice de Romanis est âgée de douze ans et onze mois. Elle habite avec son père Ugo, un commerçant très occupé, et sa belle-mère Flora, qui ne se soucie aucunement d'Alice. La disparue fréquentait assidûment la maison des Dionisio. Le père, Italo, est veuf et retraité depuis quelques temps. Ex-employé, il a un parcours d'honnête homme, exploitant avec succès depuis sa retraite des terrains agricoles non loin de Rome. C'est sa fille Jessica, vaguement étudiante, âgée de vingt-deux ans, qui avait "adopté" la jeune Alice. Dont elle s'occupait un peu comme d'une poupée, lui apprenant à son montrer plus féminine. Mirko Viola, le petit-ami de Jessica, aimait bien Alice, lui aussi. S'il n'est pas toujours fidèle à Jessica, un peu caractérielle envers lui, il ne semble pas avoir été attiré par l'adolescente.

Coup de théâtre en direct à la télévision : Italo Dionisio avoue implicitement avoir enlevé Alice. En réalité, ses propos restent assez confus. Capable de détailler le kidnapping, Italo évoque un rêve, sans être précis sur l'identité du coupable. Il parle d'une “grotte sacrée” où serait caché le cadavre d'Alice, avant d'y conduire la police. L'endroit est à proximité de sa propriété agricole. En effet, le corps de l'adolescente s'y trouve : elle a été étranglée, peut-être violée. Jessica s'est bien vite autoproclamée porte-parole de l'univers d'Alice, omniprésente sur les chaînes de télé, maîtrisant ses interventions. Silvia, la coéquipière de Mariella, ne doute pas un instant qu'Italo soit un pervers et un criminel. Préférant démêler le vrai du faux dans le témoignage du suspect, Mariella n'en est pas convaincue du tout.

Explorer la page Facebook d'Alice n'est pas une sinécure car elle y était très active, même si ça ne révèle pas d'indice capital. La petite fâcherie entre Jessica et Alice précédant sa disparition n'est pas forcément significative. Que Mirko Viola ait offert une poupée Barbie à la victime, non plus. Pourtant Jessica pourrait penser le contraire, voire s'en servir contre son petit-ami. Mariella rend visite à Italo, emprisonné à Regina Cœli. Peu après, avec son mentor le commissaire D'Innocenzo, Mariella enquête sur un suicide qui relance l'affaire…

Gilda Piersanti : Wonderland (Éd.Pocket, 2016)

La vie de Mariella De Luca compte encore une saison meurtrière supplémentaire, avec ce “Wonderland” dans le décor romain cher à l'auteure. Le “Pays des merveilles” d'Alice, qui s'est peut-être prise trop tôt pour une jeune adulte, à l'instar de beaucoup de gamines de son âge, n'était probablement pas si parfait. Quant à l'univers de la poupée Barbie, il n'est idéal que dans l'imaginaire des petites filles. En franchissant sans précaution certaines étapes, il arrive que l'on pénètre dans un monde nettement moins bienveillant, voire monstrueux. Le manque d'affection et de repères n'est pas sans conséquences.

Il n'est pas indispensable d'avoir lu les précédentes enquêtes de Mariella pour apprécier ce titre. D'autant que l'on note très rapidement l'atout principal de l'histoire : sa remarquable souplesse narrative. En effet, non seulement la structure du récit évite les temps morts, mais la réflexion personnelle (et même introspective) de Mariella est en harmonie avec ses faits et gestes. La policière s'immerge dans ses investigations, pourrait-on dire. Si sa collègue Silvia va "au plus simple", l'enquêtrice discerne la complexité du dossier. C'est un roman policier fluide et captivant, avec sa part de psychologie, dans la belle tradition du genre, que nous propose Gilda Piersanti avec “Wonderland”.

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14 mai 2016 6 14 /05 /mai /2016 04:55
Thierry Maugenest : La cité des loges (Albin Michel, 2016)

À l'automne 1732, le dramaturge Carlo Goldoni et sa troupe de comédiens sont en tournée à travers l'Italie, l'auteur participant à ses propres pièces. Celles-ci rencontrent un succès de plus en plus éclatant : “Dès les premières scènes, les deux domestiques ont gagné la faveur du public. Le peuple d'artisans, de pêcheurs, de boutiquiers ou de vendeurs ambulants se reconnaît volontiers dans ces personnages malicieux et débrouillards qui se jouent de leurs maîtres...” Il écrit régulièrement de nouvelles comédies où, contrairement à la commedia dell'arte, on se produit sans masque. Ayant reçu un courrier de Venise, Carlo Goldoni va retourner dans sa ville natale. Outre la mission qui l'attend, les théâtres de la Sérénissime (en particulier le San Tomà) sont demandeurs de ses pièces.

Zorzi Baffo est le chef de la “quarantia criminale”, la police vénitienne. Certes, il jouit aussi d'une réputation justifiée de libertin : dans les soirées très privées, Zorzi séduit avec ses poèmes licencieux et ses contes coquins. Mais il évite de mélanger les activités, ce qui lui vaudrait la perte de sa fonction. Grâce à ses “confidenti”, dans cette ville où chacun à le goût du secret, le policier est bien informé. Le traducteur hypocondriaque Luca Grisotti lui apprend la disparition d'un comédien en plein spectacle. Bien plus excitant pour Zorzi que le menu fretin des affaires habituelles. Après avoir vérifié le renseignement, il assiste à une autre pièce de théatre où un deuxième comédien disparaît lors de la représentation. Personne ne l'a pourtant vu sortir, tout comme dans le premier cas.

L'Inquisiteur Mezzetin est extrêmement mécontent. Lui-même propriétaire de théâtres, il rappelle à Zorzi Baffo l'importance économique de ces spectacles. Un public venu de toute l'Europe contribue à la prospérité de Venise. Le chef de la chancellerie criminelle apprécie bien davantage les charmes de Giulietta, l'épouse de Mezzetin, que cet arrogant notable. Carlo Goldoni vient apporter son aide à Zorzi dans cette enquête. Ils suivent une piste qui les mène à l'hospice Santa Chiara, auprès de la lingère Enea. Celle-ci a quelque peu perdu l'esprit depuis sept ans. Le comédien Quinto Zenta est convaincu d'être la prochaine cible du ravisseur. Ayant demandé la protection de la police, ce dernier est attiré dans un piège, mais le coupable ne se laisse pas attraper par les services de Zorzi.

Sept ans plus tôt, le policier était absent de Venise, quand se produisit une affaire jamais résolue : “Je crois que cette histoire est liée à cette jeune femme dont le cadavre a été retrouvé il y a sept ans à la surface du rio dei Mendicanti. À cette époque personne n'avait signalé de disparition. [Un médecin] avait alors décelé des traces de liens sur ses poignets et son visage, des éléments qui suggéraient que la fille, âgée de quinze à vingt ans environ, avait été attachée et bâillonnée avant d'être violée.” De son côté, Carlo Goldoni a repéré l'ancien théâtre Santi Giovanni, pouvant cacher des mystères. La nouvelle épée de Zorzi, plus sournoisement efficace, lui sera utile à l'heure de rendre la justice…

Thierry Maugenest : La cité des loges (Albin Michel, 2016)

Au 18e siècle, Venise est une cité plus singulière que jamais dans son histoire. Puissante et indépendante, elle l'est encore grâce à ses dirigeants autoritaires, et ses institutions républicaines aux règles strictes. Mais la Sérénissime est autant un lieu de villégiature (on n'ose pas dire "touristique"), de légèreté, de plaisirs. Le théâtre vénitien est à son apogée, attirant les foules. Un enjeu économique fort, qui pourrait être mis en péril par l'énigme de la disparition de plusieurs comédiens, ruinant la qualité des spectacles. Infatigable auteur produisant en série des comédies, Goldoni n'a que vingt-cinq ans et tout l'avenir devant lui. Il reste fidèle à son ami policier Zorzi Baffo, aussi doué pour les rimes paillardes qu'avec les armes acérées.

Roman d'enquête, certes. Ou polar historique, si l'on veut. Thierry Maugenest cherche surtout à transmettre l'esprit de cette époque, à Venise. Par les ambiances, à travers les rues et les canaux de la ville, autant que dans les palais et les théâtres. Par les coutumes : on n'entre pas armé chez l'Inquisiteur, par exemple. Par l'hypocrisie, qui tolère si volontiers le libertinage, réputation qui dépasse les frontières vénitiennes. On verra que parfois, même à visage découvert, certains avancent masqués. Tradition locale du secret et goût du complot, en somme. Des personnages savoureux, des chapitres courts, une narration enjouée, autant d'atouts favorables pour cette “Cité des loges”.

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