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7 novembre 2018 3 07 /11 /novembre /2018 13:00

Nicolas Mathieu récompensé à quarante ans par le Prix Goncourt pour son deuxième roman "Leurs enfants après eux" (Actes Sud), non seulement ça fera plaisir à ceux qui ont détecté immédiatement le talent de ce Lorrain, mais c'est aussi la magnifique démonstration que le "roman social" est toujours (ou de nouveau) présent dans la littérature française. Comme Pierre Lemaître, Nicolas Mathieu a débuté par le polar, le roman noir. Le Prix Mystère de la critique 2015 et le Prix Erckmann-Chatrian 2014 ont récompensé son premier roman "Aux animaux la guerre".

Un grand bravo à Nicolas Mathieu, c'est mérité !  

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6 novembre 2018 2 06 /11 /novembre /2018 05:55

Jason Danvers est quadragénaire. Pendant quelques années, il a vécu à New York avec sa compagne Nora. Voilà un peu plus de cinq ans qu’ils sont revenus s’installer à Ednaville, petite ville natale de Jason dans l’Ohio – où Nora est bibliothécaire. Le genre d’endroit où l’on s’ennuie vite, et où le regard des autres peut devenir pesant, surtout pour un couple sans enfant comme Jason et Nora. Concernant une question d’héritage, un ami de Jason recherche la trace de Logan Shaw. Celui-ci fut un de leurs copains d’études, disparu vingt-sept ans plus tôt. Son père moribond lui laisse une grosse fortune. À l’époque, la disparition de Logan ne suscita pas une enquête approfondie, car elle était probablement volontaire. Quant à l’argent, ça ne correspondait pas à son idéal de vie. Certes, il se produisit une brutale altercation entre Jason et Logan peu avant qu’il disparaisse, mais aucune poursuite contre Jason.

Depuis quelques années, Jason n’avait plus de relations avec sa sœur Hayden. Celle-ci connut une jeunesse agitée, tumultueuse. Elle ne se montra pas réglo avec son frère, son alcoolisme chronique n’arrangeant rien. Son mariage avec le fêtard Derrick ne dura pas très longtemps. Elle a élevé vaille que vaille sa fille Sierra, une adolescente mûre aujourd’hui. Semblant avoir tourné la page, Hayden se présente chez son frère. Elle a besoin que Nora et lui hébergent Sierra durant plusieurs jours – le temps de régler de derniers problème liés à son ancienne vie dissolue. Nora et Jason accueillent avec plaisir la nièce de Jason. Mais Hayden laisse sa fille et sa famille sans nouvelles pendant les jours qui suivent. Jason n’est pas certain qu’elle ait quitté Ednaville. Il est possible qu’elle ait renoué avec Jesse Dean Pratt, une racaille locale avec qui elle fut autrefois amie.

Tandis que Sierra s’adapte parfaitement chez son oncle et sa tante, peut-être sa première vraie famille, Jason va devoir trouver des témoins du passé de sa sœur – dont il ne sait finalement pas grand-chose. Le cas de la disparition de Logan Shaw n’est pas moins obscur. Regan, leur ancienne petite copine, se montre affable, mais ne paraît pas avoir d’élément supplémentaire. Du moins dans un premier temps. En effet, elle va bientôt s’avérer plus active pour aider les recherches de Jason. Vingt-sept ans plus tard, il y a encore des témoins – qui furent très proches du disparu – se souvenant du véritable caractère de Logan. Quant à Hayden, il faudrait déterminer quelles expériences elle vécut de son côté…

David Bell : La fille oubliée (Actes Noirs, 2018)

— Quelle que soit la raison pour laquelle Hayden est revenue, t’en mêles pas, c’est tout, OK ?
C’était la première fois depuis qu’il était monté en voiture qu’il parlait avec d’autorité, autant d’intensité. Il ponctuait ses mots de sortes de gestes de karaté.
— Il y a des trucs qui te dépassent, tu vois ? Ta sœur évolue pas dans le même monde que toi. Elle peut bien travailler dans un cabinet dentaire, ça change rien. Tu piges ?

Avec “La fille oubliée”, David Bell nous présente une très belle illustration des thématiques autour des "secrets de famille" et des disparitions. Les caractères des protagonistes vont apparaître par petites touches, expliquant les facettes sombres qu’ont pu comporter leurs vies. Même dans une bourgade de l’Ohio, peuvent se nouer certains drames, et des faits rester sans explication. La vie de Jason n’a peut-être pas été folichonne, excitante, mais le parcours de chacun n’a pas forcément été rectiligne ou satisfaisant. Si la part sociétale n’est pas loin en filigrane, ce sont les rapports entre les personnages que l’auteur met en avant. La psychologie n’est ici pas un vain mot. On n’oublie pas l’aspect criminel de cette affaire, avec une forme d’enquête de proximité plus d’un quart de siècle plus tard. Un suspense maîtrisé sans précipitation, de belle qualité.

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4 novembre 2018 7 04 /11 /novembre /2018 05:55

Au Texas, Hap Collins et Leonard Pine forment un singulier duo d’amis, aussi dilettante l’un que l’autre. Ce qui les a entraînés dans des tribulations agitées à hauts risques. Ils ont désormais tourné la page, y gagnant une stabilité relative. Si c’est surtout vrai pour Hap et sa compagne Brett, infirmière, c’est un peu moins évident côté cœur pour Leonard, avec son compagnon John. Le duo en Noir et Blanc est employé par l’agence de détectives de Marvin Hanson pour des missions assez faciles.

Il peut se produire des complications, comme quand ils cognent le propriétaire d’une jeune chienne (qu’ils nommeront bientôt Buffy). Ce n’est pas cet homme violent qu’ils doivent finalement redouter, mais une veille dame, Lilly Buckner, qui a filmé la scène. Entre-temps, Marvin Hanson ayant été nommé chef de la police locale, ils ont hérité de son agence, rebaptisée "Agence Brett Sawyer" – car la compagne de Hap avait envie de quitter son ingrat métier d’infirmière.

Lilly Buckner exerce un chantage sur Hap et Leonard, afin qu’il découvrent ce qu’est devenue sa petite-fille Sandy Buckner, disparue depuis quelques temps. Trouver des éléments cinq ans plus tard, pas si simple. Hap et Leonard s’adresse au garage où Sandy fut employée. Les véhicules de prestige qu’on y vend supposent une clientèle riche. Pas sûr que Leonard et Hap, manquant quelque peu de distinction, puissent faire illusion.

Ils sont reçus par une séduisante hôtesse se faisant appeler Frank. D’instinct, Hap comprend que l’activité automobile est avant tout une façade. Ça cache une affaire de prostitution haut-de-gamme, à n’en pas douter. Le journaliste Cason, ami de Hap et Leonard, répond davantage qu’eux à l’allure de la clientèle visée. Quant à la très belle hôtesse Frank, elle a eu de précédents ennuis avec la justice. Qu’elle participe à un réseau d’escort-girls n’a vraiment rien de surprenant.

Que Sandy se soit prostituée n’étonne pas sa grand-mère Lilly, elle-même ayant vécu une jeune sexuellement ultra libérée. Néanmoins, ça n’explique pas sa disparition. S’il y a des cas de chantage derrière tout ça, quelqu’un a pu engager un pro pour éliminer la jeune femme, estime Hap. Tandis que le duo est contacté par une certaine Chance, il semble que leur vieille connaissance Vanilla Ride soit de retour. Elle n’est peut-être pas leur ennemie, mais ils doivent s’attendre tout. Car le danger n’est jamais loin…

Joe R.Lansdale : Honky Tonk Samouraïs (Denoël, 2018)

Ils sont prudents. Une fois qu’ils ont harponné quelqu’un, ils le tiennent bien, ils n’auront qu’à traire leur victime jusqu’à ce qu’elle soit à sec. Ou alors ils sentent que leur victime est à bout, prête à dire "Filez-moi du pop-corn et je projetterai le film moi-même". Peut-être qu’à ce moment-là, ils laissent tomber. Le chantage débouche sur une impasse. La victime n’en a plus rien à fiche, eux non plus. Alors on garde le silence là-dessus, et ils ne montrent pas le film. Plus personne ne moufte. C’est une arnaque prudente, à mon sens. Ils l’ont suffisamment pratiquée pour savoir quand s’arrêter, et j’imagine que des représentants de la loi sont impliqués.

La série Hap Collins-Leonard Pine comporte à ce jour quatorze aventures, dont neuf ont été traduites en français. Dénué de véritable statut social, ce duo original se complète idéalement. Hap, le narrateur, apparaît plus pondéré que son ami Leonard, prompt à réagir avec force. Leurs enquête sont riches en péripéties trépidantes et en énigme, mais avec une bonne touche d’humour. Il suffit de glisser dans leur univers – quelque peu décalé – et de suivre leurs pas, pour se laisser séduire. C’est l’occasion d’y croiser une galerie de personnages hauts-en-couleur. L’objectif de Joe R.Lansdale est de distraire ses lecteurs, tant par les scènes-choc que par le sourire. Hap et Leonard, héros atypiques, sont encore une fois au centre une intrigue à la tonalité propre à l’auteur.

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1 novembre 2018 4 01 /11 /novembre /2018 05:55

Frank Clemons est lieutenant de police à Atlanta, en Géorgie. Quadragénaire, il a du mal à surmonter le suicide de sa fille Sarah, seize ans. Un décès qui entraîna son divorce, Frank ayant sombré dans l’alcoolisme. Son frère aîné Alvin, policier à Atlanta lui-aussi, se montre bienveillant envers Frank, même si ce dernier n’apprécie guère la compassion d’Alvin. Sans doute eût-il fait un meilleur pasteur que leur père. Frank s’entend davantage avec Caleb Stone, vieux flic chevronné. Caleb n’est pas un donneur de leçons, mais il a su développer ses "réseaux" durant sa carrière, et en tirer expérience.

Le cadavre d’une jeune fille de dix-huit ans, Angelica Devereaux, est découvert sur un terrain vague d’un quartier très modeste de la ville. Une très jolie Blanche comme elle, appartenant à un milieu fortuné, n’avait rien à faire dans cet endroit. Quant à la cause de sa mort, elle est d’abord difficile à déterminer. L’autopsie montre qu’Angelica était enceinte, et qu’elle est décédé par empoisonnement. Frank rencontre Karen Devereaux, la sœur de la jeune fille, artiste peintre. Orphelines depuis quelques années, Angelica et elle vivaient dans une luxueuse maison des quartiers les plus rupins d’Atlanta. Si elle était d’une beauté lumineuse, Angelica n’était guère liante – ni vers sa sœur, ni vers l’avocat tuteur qui géra son riche héritage jusqu’à ses dix-huit ans. Pas proche non plus des autres élèves de l’Académie Northfield, où elle venait de terminer ses études.

Frank et Caleb se demandent si Angelica n’a pas tenté d’avorter en s’injectant un produit nocif et fatal. Mais elle avait largement les moyens de faire appel à un médecin compétent pour ça. Caleb Stone déniche bientôt un témoin, une prostituée reconvertie, qui séjourne près du terrain vague de Glenwood – où on trouva le corps d’Angelica. Cette nuit-là, elle a remarqué une voiture rouge neuve et la silhouette d’un homme mûr. Frank enquête au collège, s’intéressant à la pièce de théâtre amateur dont elle avait tenu le rôle principal. Grâce aux contacts de Caleb, la voiture de la jeune fille est retrouvée chez un casseur-automobile. Le petit voyou noir ayant volé le véhicule, que le duo de policiers interroge, n’est pour rien dans la mort d’Angelica. Frank et Caleb sont présents aux obsèques de la jeune fille, mais ses proches (avocat, médecin…) sont fort peu soupçonnables…

Thomas H.Cook : Qu’est-ce que tu t’imagines ? (Série Noire, 1989)

De retour dans l’entrée, il ne lui fallut qu’un instant pour identifier le tableau de Karen Devereaux. C’était une huile représentant une petite fille debout près d’un vase de fleurs. Il contempla attentivement les tourbillons de couleur, le regard attiré par le visage, la peau pâle et sans défaut, le bleu profond des yeux. Il se rendit immédiatement compte que c’était le visage d’Angelica qui le fixait, impassible, les lèvres légèrement bleutées. C’était bien Angelica, aucun doute. Il passa du visage au corps puis aux petites jambes blanches, se préparant presque à trouver un pied nu et une pauvre cheville écorchée.
Karen avait signé dans le coin inférieur droit et, tout en continuant à regarder le tableau, Frank s’étonna de ne pas l’avoir remarqué plus tôt. Ses couleurs étaient plus sombres, son atmosphère plus grave. Le portrait tranchait brutalement avec les toiles qui l’entouraient.

Publié dans la Série Noire en 1989, “Qu’est-ce que tu t’imagines ?” est le troisième roman de Thomas H.Cook. Cet auteur n’atteindra une certaine notoriété en France qu’avec “Les rues de feu” en 1992, son cinquième titre. Cette histoire relate des faits s’étant déroulés 1963 à Birmingham, Alabama, où une fillette Noire a été assassinée. La ségrégation règne dans cet État américain rendant l’ambiance explosive. Policier blanc intègre, Ben cherche la vérité, contre vents et marées. Un roman noir d’une force remarquable.

L’intrigue de “Qu’est-ce que tu t’imagines ?” reste très classique, Thomas H.Cook n’ayant pas encore la maturité de romancier qui fait aujourd’hui de lui un des maîtres du polar noir. S’il s’agit d’une enquête de police plutôt classique, autour d’une jeune fille que rien ne prédestinait à mourir si tôt, les investigations de Frank Clemons et de Caleb Stone sont sinueuses. Car une aura de mystère planait sur la victime, resplendissante de beauté autant que d’une psychologie assez complexe. Frank ne cache pas son attirance pour Karen, la sœur d’Angelica, mais une relation apparaît improbable. 

Moins subtil que ce qu’il écrira plus tard, ce roman ne doit pas être négligé dans l’œuvre de Thomas H.Cook.

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30 octobre 2018 2 30 /10 /octobre /2018 05:55

À la toute fin de sa vie, un homme âgé livre une ultime confession écrite, que quelqu’un lira peut-être un jour. Voilà des décennies qu’il habite tel un ermite dans cette maison, une masure perdue dans la montagne. Cet isolement volontaire, c’est à la suite de la guerre qu’il l’a choisi. Il faisait partie des héros de la Résistance, de ceux qui étaient passés à l’action. Ces circonstances-là lui valurent le surnom de Silex. Retourner vers une existence ordinaire, tolérer la promiscuité avec une part de la population qui tira profit du conflit – y compris au sein de sa propre famille, ça n’était pas envisageable pour lui. Vivre dans ces montagnes sauvages, rester à l’écart d’un monde pas si civilisé, valait mieux que renouer avec le mensonge. Se comporter en reclus ne l’empêchait pas d’observer, de se souvenir.

Un jour de l’été 1957, il tomba sur un cadavre gisant dans les environs. Rien d’une mort naturelle : l’homme avait été abattu avant d’être massacré par une meute de chiens. Silex connaissait trop bien la région pour se poser longtemps des questions. Les braconniers qui avaient commis ce meurtre atroce, c’était un trio facile à suspecter. Il commença par jeter le corps dans un ravin inaccessible. À quoi bon laisser une trace, alors qu’on chercherait sûrement cet individu sans tarder ? En effet, la gendarmerie était sur sa piste, et vint poser des questions à l’ermite – qui répondit aussi peu aimablement que d’habitude. Ce macchabée était un des membres d’une petite bande de braqueurs venant de réussir un hold-up. Le fuyard avait des complices, rôdant certainement dans ces montagnes.

Se munir d’armes à feu prêtes à servir ne relevait pas seulement de la prudence. Même pour vérifier que ses soupçons étaient justes, il devait pouvoir riposter. Ses vieux réflexes de Résistant allaient s’avérer utiles. Le plus malsain du trio de braconniers, c’était bien le fils de Rachel – probablement avait-il conservé le butin de leur victime. Silex n’éprouvait aucune antipathie pour les deux autres. Au contraire, l’un fit partie de ses amis durant la guerre – qui se soulagea en lui racontant la mort du malfaiteur. Le sang ruisselait déjà dans cette contrée montagneuse. Une violence incarnée par un costaud, complice du braquage. Dans l’esprit de Silex, était-ce vraiment une traque ? Peut-être davantage un nettoyage face au Mal venu perturber le silence de la montagne…

Alain Émery : Silex (Zonaires Éditions, 2018)

Sans attendre, je l’ai chargé sur mon dos. Je n’ai pas mis longtemps. Il ne pesait pas aussi lourd qu’il en avait l’air et j’étais surtout plus robuste que je ne le suis aujourd’hui. Mais ce qui a fait la différence, c’est que je n’avais pas perdu la main.
Une fois sur mes épaules, avant même que je ne fasse un pas sur le sol devenu glissant, alors que j’inclinais la tête et reprenais mon souffle, j’ai su, comme une évidence, que d’autres vies que la mienne allaient être à nouveau fracassées.

Pour un auteur qui sait manier les mots, synthétiser un récit, installer des ambiances sans rajouter des effets, un roman court – appelé aussi "novella" – possède autant de force qu’un ouvrage de plusieurs centaines de pages. Alain Émery est le parfait exemple de ces écrivains offrant aux lecteurs des textes aussi forts que raffinés. Il ne cache pas que c’est à travers les nouvelles – il en a écrit beaucoup – qu’il éprouve un plaisir narratif majeur. Il n’a pas son pareil dans les portraits, c’est un fait. Parfois, c’est l’intrigue qui impose son format, la brièveté d’un roman ne nuisant en rien à sa qualité. Noirceur, c’est le maître-mot de cette histoire – qui démontre une fois de plus le talent réel d’Alain Émery.

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28 octobre 2018 7 28 /10 /octobre /2018 05:55

Le Montana se situe au nord des États-Unis, à la frontière avec le Canada. La ville où, vers 1980, habite Milo Milodragovitch se nomme Meriwether. Milo est un riche héritier… virtuel, car la succession ne sera débloquée que quand il aura cinquante-deux ans. En attendant, cet ancien soldat de la guerre de Corée a eu divers emplois, plutôt en dilettante. Il fut récemment détective privé, expérience agitée – avant d’être aujourd’hui agent de sécurité pour la société du colonel Haliburton. Ce militaire retraité se montre bienveillant envers son personnel, pratiquant une forme d’insertion sociale pour d’ex-soldats – y compris ceux du Vietnam. Il a plutôt confiance en Milo, fermant les yeux sur son goût pour les shots de schnaps à la menthe poivrée, censés calmer l’alcoolisme de son employé, et sur la coke que Milo consomme plus modérément que par le passé.

Sarah Weddington est une dame âgée vivant dans une des plus luxueuses demeures de Meriwether, avec sa petite-nièce Gail. Quand elle fait appel aux services de Milo, c’est tout un pan du passé du "privé" qui ressurgit. Quarante ans pus tôt, Mrs Weddington était une femme splendide, qui impressionna beaucoup Milo. Elle fut pendant un temps la maîtresse du père de Milo, habitué des liaisons extra-conjugales. La vie de Sarah fut très riche en péripéties, expliquant qu’elle soit désormais fortunée. Elle souhaite engager Milo, à un tarif bien supérieur à la moyenne, pour une drôle de mission – motivée par sa curiosité. Elle lui demande de découvrir l’identité d’un couple qui semble se donner des rendez-vous secrets, afin de connaître la nature de leurs rencontres. En marge de son job pour le colonel Haliburton évidemment, même si là encore ça dérange peu le patron de Milo.

S’il a trouvé le nom de la femme, Cassandra Bogardus, l’affaire débute mal pour Milo, une altercation avec un voisin acariâtre de celle-ci risquant de le faire repérer. Reprenant sa filature, il finit par prendre contact dans un bar avec Mme Bogardus. Sauf qu’il y a erreur sur la personne, c’est une certaine Carolyn Fitzgerald qu’il a suivie. Quand Milo tente de suivre la vraie Cassandra Bogardus lorsqu’elle prend l’avion pour Los Angeles, c’est un nouvel échec. Ayant identifié l’homme dudit couple, John P.Rideout, Milo se lance sur sa piste. Ce qui, après une filature chaotique, va le mener jusqu’à un motel d’Elk City, dans l’Idaho. Quand il découvre le cadavre de John P.Rideout, Milo court un double risque : être suspecté du meurtre, sans oublier les tueurs de cet homme – des pros du crime – qui sont à ses trousses. Il espère les semer du côté de Seattle.

Milo reste en contact téléphonique avec le colonel Haliburton, qui lui apprend que Sarah Weddington et la jeune Gail semblent avoir disparu. Milo s’en retourne à Meriwether, mais il réalise bien vite qu’il est préférable pour lui de "faire le mort". Il se réfugie à Stone City, dans la réserve indienne, où son enquête – si relative qu’elle soit – pourrait progresser…

James Crumley : La danse de l’ours (Gallmeister, 2018)

Ma plus proche rencontre avec le roi Grizzly eut lieu durant ma troisième lune de miel. Ma nouvelle femme et moi étions assis sur la terrasse du Granite Park Chalet, à Glacier National Park, à siroter des single malts écossais en regardant au loin, bien protégés par la distance offerte par nos jumelles, une ourse s’ébattre au bord d’un petit lac avec ses deux oursons. J’eus envie d’aller voir de plus près ; elle non ; notre mariage ne survécut pas au séjour.
J’ignorais combien il restait de grizzlys – six ou huit cents, au plus – et j’avais sous les yeux la peau d’un de ces rares spécimens, jetée en dessus de lit dans une putain de chambre de motel…

Deuxième aventure de la tétralogie ayant pour héros Milo Milodragovitch, “La danse de l’ours” est probablement un des titres les plus réussis de James Crumley, affinant le portrait de son personnage central et l’entraînant dans une suite de péripéties fort hasardeuses. Toutefois, on ne doit pas se tromper de lecture. Les histoires de détectives privés (officiels ou non) sont remuantes : c’est le cas ici, mais la tonalité choisie ne mise pas sur le spectaculaire, sur un tempo effréné – ni strictement sur le fait de résoudre une affaire. Au-delà de l’intrigue à suspense, James Crumley inscrit le récit dans une époque donnée, décrivant une partie de l’Amérique des années 1970-80.

L’économie a tendance à stagner, les ex-soldats sont livrés à eux-mêmes trop souvent, et l’esprit rebelle de jeunes (et de moins jeunes) reste développé – la consommation de cocaïne en étant l’un des principaux symboles. Dans des contrées peu habitées comme le Montana et les États voisins, les flics ne paraissent jouer qu’un rôle facultatif – même si Jamison, le mari de l’ancienne épouse de Milo, est le chef local de la police. On l’aura compris, l’auteur utilise les ambiances, sans chercher à accélérer le rythme. S’il se trouve en mauvaise posture, Milo subit les évènements avec un certain flegme – et avec le soutien du colonel Haliburton. Voilà un roman noir, avec quelques aspects souriants, bénéficiant d’une véritable écriture.

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27 octobre 2018 6 27 /10 /octobre /2018 04:55

Paris, dans les années 1950. Cette nuit-là, le cadavre d’une jeune fille est découvert place Vintimille, dans le 9e. Ce coin de Montmartre, c’est le secteur de l’inspecteur Lognon, que l’on surnomme le Malgracieux. Il ne va pas apprécier que le commissaire Maigret et son adjoint, l’inspecteur Janvier, s’intéressent à ce meurtre. Selon les premières constatations du légiste, le Dr Paul, n’était pas une prostituée (elle était vierge). Par contre, elle était alcoolisée. La victime a été mortellement frappée. Une piste mène Maigret et Lognon rue de Douai, à la boutique de Mlle Irène. Cette dame a effectivement prêté une robe du soir à cette jeune fille, pour la deuxième fois. Mais Mlle Irène ignore son identité.

Malgré la publication d’une photo de l’inconnue dans les journaux, les réactions du public tardent. Finalement, un appel téléphonique anonyme conseille au commissaire une adresse, rue de Clichy (non loin de la rue de Douai et de la place Vintimille). Selon les renseignements fournis par la concierge, la victime sous-louait une chambre chez une dame âgée, Mme Crêmieux – ce qui n’est pas légal. Elle s’appelait Louise Laboine, avait vingt ans. La loueuse trouvait Louise renfermée, ne réussissant jamais à lui faire parler de sa vie privée, de son passé. Seule évidence, Louise était désargentée. L’inspecteur Lognon retrouve un chauffeur de taxi qui a vu la jeune fille entrer au club Roméo.

La boîte de nuit était, cette nuit-là, réservée pour une fête de mariage. Selon des témoins, Louise est entrée en contact avec la mariée, Jeanine Armenieu. Une autre piste s’avère importante : Louise Laboine a vécu quelques années plus tôt avec sa mère à Nice. Un policier local va interroger ladite mère. C’est une ancienne artiste fréquentant assidûment les casinos (il la trouve à celui de Monte-Carlo). Comme tant de personnes peu riches, elle y gagne de quoi vivre. Le sort de sa fille Louise la laisse quasiment indifférente. Elle l’a élevée seule, le père – un nommé Van Cram, un aventurier international fiché pour divers vols – ayant bien vite disparu de leurs vies.

L’inspecteur Janvier a pu situer le bar où Louise passa un moment, le soir de sa mort. Elle y consomma plusieurs grogs avant de se rendre au club Roméo. Près de la rue du Chemin-Vert, le commissaire obtient des renseignements sur la mariée. Jeanine Armenieu a vécu à une époque chez une tante à elle. Elle a hébergé Louise à l’insu de cette tante pendant un certain temps. Ce qui fut à l’origine de la rupture entre Jeanine et elle. Depuis, Jeanine a disparu, poursuivant son but : se marier avec un homme riche. Elle a "mis le grappin" sur Marco Santoni, connu comme fêtard mais pas vraiment malhonnête. L’inspecteur Lognon continue son enquête pour Maigret mais, cette fois encore, il se trompe dans ses investigations, faute d’avoir compris l’état d’esprit de Louise et le contexte autour d’elle…

Georges Simenon : Maigret et la jeune morte (1954)

Maintenant, il connaissait son nom, pour autant que ce fût son nom véritable. Il savait où elle avait dormi les deux derniers mois, où elle avait passé une partie de ses soirées.
Il savait aussi que, par deux fois, elle s’était rendue rue de Douai pour louer ou pour emprunter une robe du soir. La première fois, elle avait payé. La seconde, il lui restait deux ou trois cent francs en poche, à peine le prix d’un taxi ou d’un repas frugal.
Est-ce que la première fois où elle s’était rendue chez Mlle Irène, c’était à la suite du coup de téléphone ? Cela paraissait improbable. Cette fois-là, il n’était pas si tard quand elle s’était présentée dans la boutique.
En outre, elle était rentrée rue de Clichy à six heures du matin, vêtue de sa robe et de son manteau habituels. Elle n’avait pas pu déjà aller rendre la robe de satin bleu à Mlle Irène, qui se levait tard.

Écrite et publiée en 1954, cette enquête de Jules Maigret est plaisante à suivre, sans être d’une véritable originalité. Le commissaire y est entouré de son équipe habituelle de policiers : Janvier, Lucas, Torrence, et le jeune Lapointe (à la PJ depuis deux ans). Le plus singulier des inspecteurs, c’est Lognon : “C’était l’ennui avec Lognon. Il venait, à la sueur de son front, c’était le cas de le dire, de réunir un certain nombre de renseignements probablement précieux. Si ces renseignements avaient été apportés par un de ses inspecteurs, Maigret en aurait mis aussitôt quelques autres en chasse afin d’en tirer le maximum. Un homme ne peut pas tout faire. Or, si le commissaire agissait ainsi, l’inspecteur Malgracieux aurait la conviction qu’on lui retirait le pain de la bouche.” Efficace flic de quartier, il se considère comme brimé dès que Maigret et ses adjoints prennent en main une affaire pouvant être de son ressort.

Aspect intéressant également, quelques scènes se déroulent boulevard Richard-Lenoir, au domicile du commissaire. Son épouse, femme au foyer toute dévouée à son mari, y est parfois sollicitée pour donner son opinion.(“— Je me demande quels sont les cas où une jeune fille éprouve un urgent besoin de porter une robe du soir” se demande Maigret, sa femme ayant une réponse.) Une affaire assez tranquille, sur une intrigue classique – l’essentiel étant de cerner le profil de la victime, et de reconstituer son emploi du temps. Maigret reste une valeur sûre du roman policier traditionnel.

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26 octobre 2018 5 26 /10 /octobre /2018 04:55

En 1956, dans l’est des États-Unis. Patti Fraser –“vingt-cinq ans, cheveux courts, poitrine menue, et cerveau légèrement supérieur à ceux qu’on rencontre en Nouvelle-Angleterre” – est originaire du Vermont. Vivant alors dans le Maine, Patti se montre rassurante avec sa mère Rachel au téléphone. Pourtant avec son frère aîné Dan et un ami à lui, Steeve, ils ont formé un petit gang à trois. Ce jour-là, c’est une banque de la ville de Bingham qu’ils vont braquer. Pas vraiment de résistance de la part des employés et clients présents. Le trio dérobe environ 38.000 dollars en billets – marqués, qu’il sera difficile d’écouler. Plus deux tableaux se trouvant dans la salle des coffres. Après avoir buté un policier, Steeve est lui-même blessé, sans que ça gêne de trop leur fuite à tous les trois.

Patti se renseigne par téléphone auprès de sa mère, amatrice d’œuvres d’art, sur la valeur des deux toiles volées. Rachel connaît parfaitement la célébrité de leur auteur, Jackson Pollock. Dont chacun des tableaux abstraits obtient une cote faramineuse. Si les billets de la banque sont inutilisables en l’état, les toiles de Pollock sont invendables. À moins de les négocier en s’adressant au peintre ? se dit Patti Fraser. Mais il y a belle lurette que Pollock a sombré dans l’alcool, dont il n’émerge qu’en de rares moments. Comme quand il explora en 1951 les rites indiens et les arts navajos, son ami Edgar Dashee lui ayant servi de guide sur leur territoire. Encore que, cette fois-là, Pollock s’étant alcoolisé à son habitude, il se laissa entraîner à des jeux d’argent qui ne furent pas sans conséquences.

Évidemment, les deux tableaux volés par Patti Fraser à la banque de Bingham ont un propriétaire. Et non des moindres, car il s’agit de Dee Gorman. Ce vieux caïd indien, au cœur de bien des trafics, n’est pas de ceux qui se laisse entourlouper. Le directeur de la banque ayant failli, il le paiera cher. Le premier sbire qu’envoie Gorman sur la piste de la petite bande est un Asiatique. Il va rapidement dégoter la trace des voleurs, grâce au maillon faible du trio. Entre-temps, Patti cherche toujours la meilleure solution pour se débarrasser avec profit des tableaux de Pollock. Mais le trio a par ailleurs des soucis avec le fils de Dan, le neveu de Patti. Et un repli stratégique chez Rachel n’est peut-être pas la solution, car un deuxième sbire de Gorman y a pensé également…

Marc Villard : Sur la route avec Jackson (Cohen & Cohen, 2018)

Elle récupère son verre de bière et avale goulûment le houblon. Au moment où elle va pour payer, elle remarque sur la table mitoyenne la une du Portland Press Herald. Un titre se détache au centre de la page : « Hold-up de Bingham, la police piétine. »
‒ Depuis bientôt quinze jours, le trio de braqueurs de la Camden Bank de Bingham court toujours. Le butin est estimé à 500.000 dollars, sans compter le contenu des coffres. Rappelons que l’agent Fred Malloney, héros de la guerre en France, a été tué dans l’exercice de sa mission […] Monsieur Dickinson, directeur de la banque, a été grièvement blessé et sera immobilisé durant plusieurs mois, ainsi que l’époux d’une employée présent sur les lieux et qui a eu le tort de résister aux tueurs. Ceux-ci seraient dirigés par une femme et, de sources sûres, le trio n’aurait pas quitté le Maine…

Est-il encore besoin de rappeler que Marc Villard est un virtuose français de la nouvelle et du roman court, sans doute le meilleur de ces catégories ? L’Amérique et ses mythes l’ont depuis longtemps inspiré, en particulier tout ce qui concerne le jazz. Cette fois, l’époque des débuts du rock’n’roll lui permettent d’évoquer en filigrane Bill Haley et Elvis Presley.

Toutefois, c’est le peintre Jackson Pollock qui reste le pivot de cette histoire. Après des œuvres "classiques" ne rencontrant qu’un très modeste succès, à partir de 1947 Pollock innove. Il déverse la peinture directement des pots, contrôlant la fluidité et l’épaisseur des lignes obtenues, et surtout l’égouttement de la peinture sur les toiles à plat. La technique du "dripping" séduit le monde artistique, et les acheteurs.

Ne nous y trompons pas, ce n’est pas une énième biographie de Jackson Pollock que nous présente Marc Villard. L’intrigue à suspense relève du polar, avec des personnages qui ne manquent pas de singularité, ni d’une noirceur certaine pour quelques-uns d’entre eux. Il suffit au styliste qu’est l’auteur de quelques descriptions ciselées pour décrire chacun des protagonistes – ainsi que les lieux et les situations. Puisqu’il n’y a nullement nécessité à emberlificoter un tel scénario, jusqu’à un dénouement épatant, Marc Villard concentre admirablement son écriture pour nous livrer un roman court subtil et convaincant.

Marc Villard : Sur la route avec Jackson (Cohen & Cohen, 2018)
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