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10 août 2016 3 10 /08 /août /2016 04:55

Bientôt âgé de quarante-cinq ans, Salvo Montalbano est commissaire de police à Vigàta, en Sicile. Il habite en bord de mer, dans sa villa de Marinella. Salvo entretient une relation complexe avec sa compagne. Âgée de trente-trois ans, Livia Burlando vit à Boccadasse, près de Gênes. Elle le rejoint ponctuellement en Sicile. Mais son métier est ce qui occupe en priorité le commissaire Montalbano. Entouré de son adjoint Mimì Augello, des policiers Gallo et Galluzzo, de l’enquêteur Fazio, et de l’agent de police gaffeur Catarella, il n’est pas exempt de brusquerie lorsqu’il mène ses enquêtes. Il sait aussi se montrer plus subtil, faire preuve d’empathie envers les protagonistes. Il reste méfiant vis-à-vis des autorités, d’une partie de la hiérarchie, tout en respectant à peu près la loi de manière juste. Salvo est également un fin gourmet, jamais repu des meilleurs plats siciliens.

Cette affaire d’un Tunisien abattu lors d’une sortie en mer sur un bateau de pêche, il sent que c’est une embrouille puante. Il la laisse à Mimì Augello, et puisque c’est Mazàra le port d’attache du bateau, Salvo s’arrange pour que la police de Vigàta se désiste sur ce coup-là. Néanmoins, puisqu’il est ami avec Valente, le vice-Questeur de Mazàra, il garde un œil sur ce sac-de-nœuds. Montalbano se charge d’un crime commis à Vigàta : M.Lapecora, un sexagénaire, a été mortellement poignardé dans l’ascenseur de son immeuble en ce jeudi matin. Commençant par une enquête de voisinage, il s’aperçoit que plusieurs personnes ont vu le cadavre, avant que ne soit alertée la police. Des lettres anonymes ont été adressées à l’épouse de Lapecora, absente pour la journée. On attend le retour de la veuve pour explorer l’appartement. On constate que la victime possédait un pistolet.

Bien que retraité, Lapecora avait conservé ses anciens bureaux. Ça devient intéressant : il avait là des relations intimes avec sa femme de ménage tunisienne Karima Moussa. On y voyait aussi le brun "neveu" de Lapecora… sauf qu’il n’avait pas de neveu. Le fils pédiatre de la victime, un égoïste, n’était pas intervenu quand il eût récemment des problèmes. Il semble que les lettres anonymes aient été composées dans le bureau de Lapecora. C’est en relisant un passage du roman “L'appel du mort” de John Le Carré, que Montalbano va mieux comprendre. Quand les policiers arrivent au domicile de Karima, ils n’y trouvent que la vieille Aisha. Karima et son fils de cinq ans, François, ont décampé. Outre des photos, les policiers découvrent que l’épargne bancaire de Karima était très élevée.

Alors que Livia passe quelques jours à Marinella, Salvo mobilise tous ses policiers : il s’agit de retrouver un gamin qui a frappé des mômes de son âge pour voler leurs goûters. C’est évidemment le petit François, seul et affamé. Enlevée par le nommé Fahrid, Karima a sans doute été supprimée. Quand l’enfant est récupéré, on le met à l’abri chez Montalbano. Au risque que Livia s’attache à François, un gamin fort intelligent. Celui-ci reconnaît son oncle Ahmed Moussa sur une photo : c’est le Tunisien abattu sur le bateau de pêche de Mazàra. Un appel à témoin via la télé, concernant Karima et Ahmed, ne sera pas inutile. Bien qu’il ait l’immatriculation de la voiture de Fahrid, Salvo reste dans une impasse. Après qu’il ait fait avouer l’assassin de M.Lapecora, pour affronter un colonel minus, il doit ruser…

Andrea Camilleri : Le voleur de goûter (Fleuve Noir, 2000 – Pocket)

Après “La forme de l'eau” (1998, Prix Mystère 1999) et “Chiens de faïence” (1999), “Le voleur de goûter” (2000) est la troisième enquête du commissaire Salvo Montalbano. On n’a pas besoin de souligner la qualité des suspenses du maestro sicilien, Andrea Camilleri. Cet épisode joue moins sur l’humour (l’irritable Docteur Pasquano est peu présent, mais l’agent Catarella est toujours très drôle). L’auteur n’oublie pas la gastronomie, dont Salvo est si friand. Il s’agit probablement de l’intrigue la plus "personnelle" autour du policier. On y parlera de son propre père, et surtout de la place d’un enfant dans sa relation avec sa compagne. Il n’est pas rare que, au fil des romans, Salvo se questionne sur sa vie.

Quant aux sinueuses investigations criminelles, elles concernent deux affaires – pas aussi distinctes qu’il y paraît, bien sûr. Camilleri se souvient des rapports anciens entre Siciliens et Arabes, quand il évoque le quartier de Kerkent (du 9e au 11e siècle). Si l’endroit est devenu Villaseta, il exista effectivement jadis près d’Agrigente, à Porto Empedocle, ville natale de l’auteur, rebaptisée par lui Vigàta. Cette histoire peut aussi rappeler l’occupation italienne en Tunisie, au temps de Mussolini, et les mauvais liens entre les deux pays. Un roman captivant, comme toutes les aventures de Montalbano.

 

Toutes mes chroniques sur les romans d'Andrea Camilleri, dans cette rubrique :

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9 août 2016 2 09 /08 /août /2016 04:55

À New York dans les années 1940, âgée de vingt-deux ans, Alberta French est l’épouse de Kirk Murray. Elle a compris qu’elle avait une rivale, avec laquelle Kirk est sur le point de partir. Il s’agit d’une artiste de cabaret, Mia Mercer, vingt-huit ans. Ayant bientôt obtenu son adresse, Alberta explore l’appartement de cette dernière, en ce 12 mai. Elle tombe sur le cadavre de Mia Mercer : sans prévenir la police, Alberta s’approprie l’agenda de la jeune femme et une pochette d’allumettes, avant de s’enfuir. Elle ne parvient pas à alerter assez tôt Kirk. Bien que niant le crime, il est rapidement en état d’arrestation. L’avocat Benedict le défend au mieux durant le procès, mais n’y peut rien : Kirk est condamné à mort.

Alberta dispose de moins de trois mois pour prouver l’innocence de son mari. La pochette d’allumettes est un indice faible, mais le carnet téléphonique de la victime s’avérera plus utile. Le nom de l’assassin débute par la lettre M : Alberta a donc quatre suspects. Même si le policier Flood n’est nullement convaincu, il ne la décourage pas de mener l’enquête. Le premier suspect se nomme Marty Blair. Il ne loge plus à l’hôtel indiqué, car il est dans la dèche, désormais. Alberta le retrouve et l’approche en amie. Marty est l’ancien mari de Mia. Elle l’a quitté, mais il est resté obsédé par elle. Était-il sur le lieu du crime, puisqu’il en connaît les détails ? Jusqu’où peut aller la désespérance d’un homme tel que lui ?

La deuxième piste d’Alberta, c’est le docteur Mordaunt. Se faisant passer pour une amie de Mia, elle prétexte des vertiges pour le contacter. Quand il lui fixe un rendez-vous privé, c’est pour lui confier une énigmatique mission. Qui va entraîner Alberta dans des milieux interlopes. Au retour chez le médecin, elle frôle la mort… Le troisième suspect se nomme Ladd Mason. C’est un bel homme inspirant la sympathie, gai et assez désinvolte, issu de famille aisée. Alberta ne tarde pas à être sous le charme. Toutefois Leila, la sœur de Ladd, la met en garde contre certains aspects de son frère. Avec l’aide du policier Flood, Alberta tente de piéger Ladd Mason. Si Mia lui causa des embrouilles, il n’avoue pas le meurtre.

Le quatrième et dernier suspect est Jérôme McKee, propriétaire d’un club. Alberta s’y fait engager comme danseuse, malgré son manque d’expérience. McKee est un caractériel, fasciné par le visage angélique d’Alberta. Il la comble de cadeaux, ils sont presque fiancés. Mais lorsqu’elle va fouiner dans le coffre-fort de McKee, la suite pourrait se gâter. Elle en sait trop, ayant aperçu des dossiers compromettants à l’intérieur du coffre. Elle a quand même le temps de donner l’alerte, avant qu’ils ne quittent Manhattan pour Long Island. Si on vient à son secours, reste à déterminer qui eût le plus intérêt à éliminer Mia Mercer. Et il ne faudrait pas que le policier Flood arrive trop tard…

William Irish : Ange – L’ange noir (Éd.J’ai Lu)

Écrit en 1943, ce roman fut d’abord publié dix ans plus tard par Frédéric Ditis sous le titre “Ange” dans ses collections Détective-Club, La Chouette, et J’ai Lu policier. Il est paru sous le titre “L’ange noir” aux Éditions Christian Bourgois en 1982, puis chez J'ai Lu en 1985. Cette édition présente un dossier établi par Martine Ferrand, présentant en détail le film de Roy William Neill “Black angel”, basé sur ce roman de Cornell Woollrich / William Irish. À vrai dire, le scénario est plutôt éloigné de l’intrigue conçue par l’écrivain. Néanmoins, ce film bénéficia d’un beau budget, les nombreux décors et comédiens en témoignent. Belle réussite côté technique, montage et jeu sur le noir & blanc. Le roman fut encore réédité dans Noir, c'est noir” (Omnibus, 1992) puis dans William Irish : Romans et nouvelles” (Omnibus, 2004 et 2012).

Il est vrai queAnge – L’ange noir” n’est probablement pas le plus intense des romans de William Irish. Pourtant, c’est diablement réussi. Il utilise une structure "par épisode" que l’on retrouve dans plusieurs de ses titres (“La mariée était en noir”, par exemple) : intro, quatre parties autour des suspects, dénouement. Les suspects représente chacun des cas de figure différents, donc c’est pour la jeune héroïne autant d’aventures qui s’annoncent. Son enquête – non sans vrais dangers – n’empêche pas une part de romantisme ou de compassion chez Alberta, ce qui la rend humaine et attachante. Bon suspense concernant l’identité de l’assassin, bien sûr. Un roman qui permet d’aborder en souplesse l’univers de William Irish, plus sombre et davantage sous tension dans d’autre titres.

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8 août 2016 1 08 /08 /août /2016 04:55

Décembre neigeux, aux confins de l’Alsace et des Vosges, du côté du col de Bussang. Il y a là un petit village appelé Pierre-Fendre : une demie-douzaine de maisons autour d’une modeste chapelle. Et une place où l’on trouve un bar-hôtel sans prétention, chez Ladier, le maire de la commune. Pour l’heure, on ne peut pas dire "il gèle à pierre-fendre" : c’est une tempête de neige qui obscurcit la contrée en cette fin de journée. Par contre, si la ligne téléphonique a été coupée, ce n’est pas à cause de la neige, mais une "précaution" de deux étrangers au village qui débarquent ici. Que sont-ils venus attendre ? Peut-être leur présence a-t-elle un lien avec le hold-up qui s’est produit le même jour, dans une banque de Mulhouse, qui n’est qu’à environ cinquante kilomètres.

De son vrai nom Jean-Georges Albimi, Go est l’organisateur du braquage. Le butin est à la hauteur des risques encourus : cent millions de centimes. Sauf que, dès leur sortie de la banque, des flics sont intervenus. Ils ont pourchassé la voiture des complices de Go. Lui et son comparse Sorin ont rejoint la fourgonnette qui va leur permettre de passer inaperçus. Go continue seul, mais la tempête de neige le contraint à stopper vers le col de Bussang. Prélevant un cinquième du pactole, il arrive à pied à Pierre-Fendre. Échange immédiat de tirs avec le duo qui l’attendait : Go est blessé à la jambe, les autres sont morts. Branle-bas au bar-hôtel du village. Faute de pouvoir téléphoner à la police, un des administrés de Pierre-Fendre propose d’évacuer Go dans la vallée, à cheval, malgré la neige.

Cet homme, c’est David Corte, trente-sept ans, marié à Madeleine, vingt-huit ans. Depuis sept ans, ils ont créé ici un haras pour les touristes. Quatorze chevaux de selle et trois juments poulinières, dont David s’occupe avec son employé local Adelin. Pas la fortune, plutôt des emprunts à rembourser pour longtemps. Ça vaut toujours mieux que sa vie d’avant. Dix ans plus tôt, avant de tourner la page, il fricotait dans le petit banditisme, avec Go. Ils se connaissent, et c’est pourquoi David l’a fait quitter le village. Pour qu’il ne parle pas de leur passé en commun, et peut-être en souvenir de leur amitié. La tentation de récupérer le butin du hold-up de Mulhouse ? Ce serait la fin de ses soucis financiers, en effet. En chemin, Go cogite sur le temps-qui-passe et sur les motivations de David.

Un chasse-neige a été réquisitionné afin que des flics puissent approcher de Pierre-Fendre. Ces policiers arrivent finalement chez Madeleine, où Adelin est resté en cas de problème. Ils semblent tout savoir concernant le braquage de Mulhouse, et être bien renseignés sur le pedigree de Go et de David. Un groupe va braver la neige, se composant de Madeleine, Adelin et des trois flics. Du côté des hommes à cheval, Go craint une trahison de David, mais il a besoin d’un guide pour sortir de cette équipée forestière sous la neige…

Pierre Suragne (Pierre Pelot) : Du plomb dans la neige (Fleuve Noir, 1974)

On aurait tort de sous-estimer ce suspense de Pierre Pelot, qu’il signa sous le pseudo de Pierre Suragne en 1974. D’abord, parce qu’il est bon de noter "l’unité de temps" : toute l’histoire se passe en quelques heures, de la fin d’après-midi au milieu de la nuit suivante. Ce qui assure un tempo narratif idéal. S’il y a des "pauses", sans lenteur néanmoins, elles sont consacrées à la réflexion de David ou de Go, élément essentiel pour la crédibilité du récit.

Ensuite, on comprend que Pierre Pelot connaît à la perfection les décors qu’il décrit : c’est chez lui ! Plus exactement, dans le massif du Ballon d’Alsace, à la frontière entre Alsace et Lorraine, non loin de la source de la Moselle. Les routes sinueuses aux virages en lacets, les chemins étroits avec leurs raccourcis entre forêt et montagne : on les imagine aisément enneigées, la nuit.

L’intrigue n’est pas loin de celle des westerns – deux cavaliers avançant dans un paysage désolé, après un braquage de banque, lequel s’en tirera : aucun, peut-être, s’ils se tirent mutuellement dessus à la fin ? Impression logique, puisque Pierre Pelot était l’auteur de la série Dylan Stark, dans l’ambiance Far-west. L’action et la psychologie (y compris pour Madeleine) vont de pair dans cette histoire fiévreuse. Un roman qu’on ne lâche pas si facilement, qu’on lit volontiers d’une traite. Il est encore disponible, sous forme d’EBook, produit par les éditions Milady, publié sous le nom de Pierre Pelot.

Pierre Suragne (Pierre Pelot) : Du plomb dans la neige (Fleuve Noir, 1974)

Dans les décors de ce roman : la source de la Moselle, ci-dessus, se trouve à quelques centaines de mètres du Col de Bussang.

Ci-dessous, les montagnes entourant Bussang... sans neige.

Pierre Suragne (Pierre Pelot) : Du plomb dans la neige (Fleuve Noir, 1974)
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6 août 2016 6 06 /08 /août /2016 04:55

Originaire du Maine, âgé de trente-huit ans, Nick Hawthorne est employé depuis dix ans des journaux locaux de la côte Est des États-Unis. Rien d'excitant, mais ses ambitions sont modestes. En ces années 1990, il flashe un jour sur une carte de l’Australie. L’envie lui prend de s’offrir avec ses économies un voyage à travers ce pays. C’est ainsi que Nick a débarqué à Darwin, dans le nord de l’Australie. La chaleur intense, première mauvaise surprise pour l’Américain. Envisageant un périple jusqu’à Perth, à 4500 kilomètres de son point de départ, il acquiert un vieux Combi VW. Si le vendeur est un chtarbé de religion, le véhicule est nickel, lui. Nick a juste occulté un principe de base : ne jamais conduire de nuit dans le désert. Deuxième surprise désagréable : il heurte un kangourou. Il n’est pas loin de renoncer, l’outback australien s’avérant plutôt hostile.

Une halte est la bienvenue à Kununurra, le temps de se remettre. Une dizaine de jours, ce n’est pas trop car il n’est plus si pressé. Ensuite, ce sera mille kilomètres à travers le bush jusqu’à Broome. Entamant le trajet, Nick fait la connaissance d’une auto-stoppeuse. Look rétro, cheveux blonds cendrés courts, bronzée naturelle, la jeune femme de vingt-et-un ans se prénomme Angie. “J'avais affaire à une Walkyrie, option surf : un mètre-quatre-vingt de muscles, et des mains comme des battoirs…” Costaude mais séduisante, Angie vient de Wollanup, un village oublié du cœur mort de l’Australie. Sa culture musicale date de vingt ans et plus : elle admet ne jamais avoir quitté son bled jusqu’ici. Avec Angie, le sexe ressemble assez au catch : “On se retrouvait complètement nettoyé en deux temps trois mouvements. Elle ne vous faisait pas l’amour, elle vous prenait d’assaut.”

Nick songe fortement à larguer Angie, mais il est déjà trop tard. Il se réveille un matin dans un poulailler de Wollanup, après avoir été drogué. L’oncle Gus lui annonce qu’il s’est marié entre-temps avec Angie. Aucun souvenir, bien sûr. Il faut bien quatre jours à Nick pour se désintoxiquer, avant des retrouvailles avec Angie. Pas le temps d’examiner ce qui paraît un “monstrueux malentendu” durant leur lune de miel, au village. L’ambiance va vite changer : “Transformation à vue. Déjà la virago perçait sous la tendre épousée.” Nick s’aperçoit qu’on lui a pris son passeport et son argent. Il comprend qu’il est prisonnier dans “un puits sans fond, écrasé de soleil. Un gouffre sans issue.” La petite ville la plus proche se trouve à des heures de là, sans vraie route. Nick est convoqué par le comité qui dirige Wollanup, les chefs des quatre familles vivant ici, une cinquantaine d’habitants.

Délesté sous la menace de ses économies, Nick n’a plus qu’à obéir aux singulières lois de Wollanup. À gagner sa vie en tant que mécanicien, payé en monnaie locale. À composer avec la famille d’Angie, des gens aussi méfiants qu’agressifs. À se désaltérer à la bière, l’eau étant rare, et à digérer les plats infects d’Angie. À supporter la puanteur, y compris émanant de l’abattoir à kangourous, seule industrie de l’endroit. Sa stratégie vise à ne pas montrer son désir de s’échapper, tout en réparant à neuf son Combi. Cela fonctionnera-t-il ? Des mois passeront avant qu’une complicité et un plan bancal lui offrent l’espoir d’une éventuelle fuite aléatoire…

Douglas Kennedy : Cul-de-sac (Série Noire, 1998)

Douglas Kennedy figure depuis quelques années parmi les auteurs de best-sellers. Il faut avouer que, ne manquant pas d’esprit, le personnage est plutôt sympathique. Si ses livres rencontrent un beau succès, c’est probablement mérité. Quand est publié le premier titre de cet auteur dans la Série Noire, c’est encore un inconnu. Même si ce roman a été adapté au cinéma : pas sûr que “Bienvenue à Woop Woop” (1997) de Stephan Elliott ait vraiment séduit les cinéphiles. Plus tard, quand Christian de Metter créée une version bédé de ce roman sous le titre (de la nouvelle traduction) “Piège nuptial” (Casterman, 2012), on ne saurait garantir que cet album ait marqué les amateurs de BD, non plus.

Aussi remarquable soit-elle, l’histoire de “Cul-de-sac” n’est pas à aborder si l’on est un peu déprimé, cafardeux. Car il s’agit d’un scénario sombre, dont la part de dérision peut ne pas être si flagrante. Ce fut mon cas à première lecture, à l’époque de la sortie du livre : je sentais que je passais à côté de l’esprit du roman – Nick n’avait qu’à assumer ses conneries et se sortir du pétrin, pas d’empathie. D’une certaine façon, je ne me trompais pas totalement : Douglas Kennedy dresse un portrait ironique de "l’Américain en voyage". Toutefois, à mieux lire ce récit, son sort ne nous laisse pas indifférents. Sa capacité à surmonter l’épreuve à laquelle il est confronté, et une improbable évasion, créent un vrai suspense palpitant. Il s’agit bien d’un authentique roman noir.

Via des articles de journaux, on nous raconte l’origine de cette "communauté" qui s’est constituée à Wollanup, se faisant oublier des autorités australiennes. C’est fort troublant, autant que réaliste. En effet, il y eut des "expériences" de ce genre, soit en suivant les préceptes égalitaires hippies, soit quand des gens se laissèrent guider par quelque gourou. À la tête de tout groupe, se révèlent fatalement des chefs autoproclamés. Qui ne tardent jamais à imposer des lois iniques, qui dominent avec une cruauté jouissive. Au-delà des mésaventures de Nick, c’est assurément la description de ce climat malsain qui donne sa force à ce très bon roman.

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5 août 2016 5 05 /08 /août /2016 04:55

Tom Kendall tient depuis an et demi une boutique de monnaies anciennes, timbres, livres d’occasion, magazines. Un commerce qui fonctionne, mais ne sera vraiment rentable que dans les années à venir. C’est pour Tom Kendall un moyen de reconstruire sa vie. Ancien combattant durant la guerre de Corée, il avait épousé la brune Marie, timide et taciturne. Une nuit, il retrouva Marie morte égorgée. Évidemment, Tom fut le premier suspect. Mais le docteur Greene démontra que son emploi du temps plaidait pour lui. Et qu’il pouvait s’agir d’un suicide, car la dépressive Marie souffrait de "mélancolie régressive". Leur ami Art Hughes avait tenté de la soutenir moralement. Après l’affaire, il resta fidèle à Tom.

Ce dernier fit un séjour en psychiatrie, puis ouvrit sa boutique. Sa petite amie Katherine Munson, dite Kit, une grande blonde au franc-parler, collabore avec lui et souhaite qu’ils se marient. Elle finit par quitter Tom, qui retarde toujours l’échéance car il culpabilise encore. Il imagine possible qu’il ait assassiné Marie. En effet, Tom a des "absences", des trous de mémoire sur des moments précis, quelques heures ou toute une nuit. Le fait qu’il ait tendance à s’alcooliser n’arrange rien. Les mots tels "tailler" ou "trancher" le révulsent. Son ami Art Hugues semble prendre ses distances, lui conseillant de consulter un psy. Un soir dans un bar, il est pris à partie par un sale voyou muni d’un couteau, Joe Calgary, bientôt stoppé par Tom et les barmen.

Tom finit la nuit avec Trixie Fisher, la fille rousse que l’autre ringard espérait racoler. Au matin, quand il se réveille, Tom se retrouve avec le cadavre ensanglanté de Trixie, égorgée. Il ne peut certifier qui l’a tuée, Joe Calgary ou lui. “Un couteau est silencieux”, se répète-t-il. Tom alerte la police, puis il est amené au commissariat. Le lieutenant de police Cohen fait correctement son métier. Le District Attorney Howard apparaît bien plus roublard. Vu le passé de Tom, de lourdes charges peuvent être retenues contre lui. Le poignard ayant servi pour tuer Trixie a été volé dans la boutique de Tom. Joe Calgary, introuvable, semble hors de cause.

Kit ne laisse pas tomber Tom : elle a engagé un avocat sérieux, son ex-fiancé Anthony Mingo. Toutefois, un témoignage accable Tom : il est reconnu par l’aveugle Blind Bill. Quand Joan, une amie de Trixie, est assassinée de manière identique, le D.A.Howard n’a d’autre choix que de faire libérer Tom. Ne pas se disculper par lui-même, comment serait-ce possible ? “Brusquement, je réalisai que je n’avais pas l’intention de tenir ma promesse envers Howard. Je ne pouvais pas rester à l’écart de ceci, parce que j’étais toujours dedans, jusqu’au cou. Et je resterais impliqué dans cette affaire jusqu’à ce qu’on ait retrouvé le tueur. Jusqu’à ce que j’aie été réellement innocenté et que Kit le sache, et n’ait plus peur de moi” se dit Tom.

Après que Blind Bill soit passé à sa boutique pour s’excuser de son erreur, Tom se rend chez l’avocat Mingo. Il s’aperçoit de la fascination de celui-ci pour les criminels sanglants d’autrefois. Une passion excessive, estime Kit, qui le connaît bien. Dans un bar mal famé, Tom est contacté par Helen Calgary. Sans nouvelles de Joe, celle-ci lui avoue tout ce qu’elle sait. Le policier Cohen préférerait que Tom cesse de jouer au détective amateur. Pourtant, il lui appartient de définir le rôle de chacun autour de cette série de crimes…

Robert Bloch : L’Éventreur (Fleuve Noir, 1983) – Coup de cœur –

Bien qu’il y ait évidemment ici des allusions au célèbre criminel londonien de 1888, il ne faut pas confondre ce roman avec “La nuit de l’Éventreur” du même auteur, qui évoque l’histoire de Jack l'Éventreur. Le présent titre fut publié (par François Guérif) en 1983 dans la collection Engrenage du Fleuve Noir, puis chez NéO en 1989, et chez Pocket en 1994. Plus aucune réédition depuis vingt-deux ans, ce qui est aberrant pour un suspense d’aussi belle qualité. Car c’est un chef d’œuvre du roman criminel qu’avait concocté Robert Bloch. Le mot n’est pas un superlatif exagéré : tout est agencé avec maestria pour ménager le suspense, offrir de multiples hypothèses – toutes plausibles – quant au nom du coupable, et même envisager que le héros ne soit pas si innocent qu’il le prétend.

Si le principal suspect se nomme Joe Calgary, ce n’est ni un hasard, ni en référence à la ville canadienne, dans l’Alberta. C’est un clin d’œil au film de Robert Wiene “Le cabinet du Docteur Caligari” (1920). D’ailleurs, il en est question dans une scène, citant en particulier les acteurs Werner Krauss et Conrad Veidt. Ce film-culte traite de la folie meurtrière, tout comme cette fiction de Robert Bloch. Un thème qui passionnait cet écrivain. Il prête à un de ses personnages une (malsaine) fascination comparable pour les assassins.

Écrit en 1954, ce livre présente aussi un aspect sociologique. Le héros a été marqué par un épisode vécu durant la guerre de Corée, alors encore récente. Il souffre d’amnésie partielle, problème de santé longtemps mal compris aussi par la justice. À l’époque, les États-Unis n’admettant ni leurs faiblesses, ni les séquelles des conflits, la médecine s’occupe peu des troubles post-traumatiques. À noter aussi, deux belles pages sur la clochardisation : “Oh, c’est facile de se sentir satisfait de soi-même, distingué et supérieur, quand on passe à côté des clodos […] Il suffit de presque rien pour commencer, une toute petite pichenette… Vous perdez votre boulot, votre maison, votre femme ou les gosses, ou tout simplement vous perdez votre sang-froid…”

Ce roman n’est pas dénué d’humour. À l’exemple de Cohen, l’enquêteur, qui n’est pas un Irlandais comme beaucoup de flic d’alors, et n’a pas l’allure de sa fonction : “C’était peut-être un excellent policier, mais jamais il n’obtiendrait un rôle dans une émission policière à la télé.” Ou de ce barman, agacé par les ruses grossières des flics. Sans oublier une sacrée auto-dérision de la part du héros : “Tom Kendall, le détective amateur. Quelle était l’histoire déjà ? Ah oui, le détective amateur qui s’introduit dans la chambre du meurtrier, à la recherche de preuves et qui se fait assommer. Très amusant, vraiment, pourtant c’est ce que je faisais en ce moment même. J’étais là sans revolver, ni couteau, ni lime, ni pince-monseigneur, ni même une lampe électrique. Rien, à part une petite intuition et une grande case en moins.” [traduction de François Truchaud].

Bien au-delà d’un "classique de la Littérature policière", un roman magistral qui mérite un Coup de cœur pour son excellence absolue.

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3 août 2016 3 03 /08 /août /2016 04:55

À Paris, le quinquagénaire Victor Lefaucheux est propriétaire d’un club, le Bar Becue. Mais c’est avant tout un chef de bande, qui prépare un gros braquage. Ses complices Varcher, Giquel et Ober, sont d’excellents exécutants. Il y aura aussi le jeune Morland, dit le Gosse, qui a contribué à monter l’affaire. Et puis Ferdinand Bobin, ancien pilote de course qui eut quelques exploits à son actif. S’il n’est plus le cador qu’il fut, il a conçu un véhicule blindé qu’il conduira, qu’il a appelé le Casse-route. Imitant une ambulance militaire, son engin atteint des vitesses capables de laisser loin derrière tout poursuivant. Dans la bande, il y a encore Paul Chaumel, dit Fine-de-Claire, à cause de son goût immodéré pour les huîtres.

C’est le maillon faible du groupe, Lefaucheux le sait bien. Officiellement, Fine-de-Claire est représentant en horlogerie. Marié à Pierrette, père du petit Jean-Loup (dit Shérif), il habite entre Nantes et l’Atlantique, à Louangé-en-Retz. C’est justement à Rezé, dans la région nantaise, qu’aura lieu le braquage programmé. Étant convaincu que Fine-de-Claire va se dégonfler pendant l’opération, Lefaucheux le vire brutalement de la bande, au profit du Gosse qui, lui, ne flanchera pas. Fine-de-Claire prend très mal cette éviction. Il pense déjà à se venger. S’il dénonçait ses complices, on saurait illico que c’est lui qui a trahi la bande. Par contre, il confie à son ami Tiennot qu’il saurait saboter le Casse-route de Ferdi Bobin.

Pourquoi s’attaquer à une banque de Rezé ? Depuis quelques années, le mouvement Black Power se constitue un trésor de guerre pour financer ses actions aux États-Unis. Il s’agit de pierres précieuses, de diamants, dont une partie est stockée dans cette petite banque. Il y en a pour seize millions de dollars. En ce mois d’octobre, le trésor va bientôt être transféré, c’est pourquoi il est temps pour Lefaucheux et ses hommes de l’intercepter. Qui plus est, il a des clients qui l’attendent en Irlande pour récupérer les diamants. Ce sont des émissaires du Ku-Klux-Klan : une bonne façon de court-circuiter financièrement leurs ennemis du mouvement de défense des Noirs, qui prend toujours plus d’ampleur.

Le scénario du braquage a été bien préparé. Deux complices feront diversion en simulant le cambriolage d’une bijouterie voisine, tandis que les autres attaqueront la banque. Il est prévu de buter le caissier, de vite s’éloigner et de rejoindre le Casse-route, puis de filer en direction de l’océan (toutes sirènes hurlantes), où attendra un bateau pour l’Irlande. Le jour J, autour de neuf heures du matin, Lefaucheux et ses comparses sont à pied d’œuvre autour de la banque, à Rezé. De son côté, Fine-de-Claire n’est pas loin : il veut observer les effets du sabotage du Casse-route. Certes, il y a des impondérables dans un braquage tel que celui-là, et des motards risquent de prendre en chasse les voleurs. Le Casse-route va foncer comme prévu, malgré certains dangers en passant à Louangé-en-Retz…

Pierre Siniac : Le casse-route (Série Noire, 1969)

Bien qu’il ait publié trois romans entre 1958 et 1960 sous le nom de Pierre Signac, les vrais débuts de l’auteur datent de 1968, avec “Les morfalous” paru dans la Série Noire. L’année suivante, est publié son deuxième titre dans la collection, “Le Casse-route”. À la base, c’est une histoire de truands assez conventionnelle. Avec un grain-de-sable, comme il se doit : Paul Chaumel, dit Fine-de-Claire, “un quadragénaire presque chauve, à la figure ronde, au long nez de renard, aux yeux bleus à fleur de tête”. Père de famille aux idées bien arrêtées, il n’a plus vraiment sa place parmi les malfaiteurs. Son portrait d’amateur glouton d’huîtres nuance la noirceur de l’intrigue, apportant une légèreté souriante. Celui de Bobin, ex-pilote de course, amène aussi une certaine dérision.

L’essentiel de l’histoire se déroule près de Nantes, dans le Pays de Retz. Il est amusant de penser que, près d’un demi-siècle plus tard, l’agglomération nantaise n’est plus du tout si "provinciale". On nous parle ici de l’aérodrome de Château-Bougon, devenu quelques années plus tard l’aéroport de Nantes-Atlantique en prenant de l’extension. Les routes conduisant à la mer sont meilleures que celles décrites. Néanmoins, en quittant la proximité urbaine, ce secteur a su conserver une allure tant soit peu naturelle. Notons aussi une allusion à l’époque, fin de la décennie 1960, avec le KKK encore très puissant, face aux organisations des Noirs américains gagnant du terrain. Un suspense habile et captivant, par un Pierre Siniac qui montrera par la suite toute l’étendue de son originalité.

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2 août 2016 2 02 /08 /août /2016 04:55

Reno dans les années 1950, la capitale des divorces rapides. Le Nevada, “l’État dépotoir ! Vous avez du fric à claquer au jeu ? Venez chez nous. Vous voulez vous débarrasser de votre petite épouse ? Faites donc ça ici. Vous avez une bombe atomique de trop ? Faites-la exploser dans le secteur, tout le monde s’en lavera les mains. C’est le slogan du Nevada : Tout est bon pour nous, seulement ne venez pas vous plaindre après.” Ex-danseuse en boîtes de nuit, la blonde Roslyn Taber s’est installée chez Isabelle Steers, le temps de la procédure de divorce d’avec son mari Raymond. Roslyn vient de l’Est des États-Unis, du côté de Chicago. Isabelle Steers est une dame âgée servant de témoin pro aux divorces.

Dès qu’il aperçoit la séduisante Roslyn, le mécanicien Guido flashe illico sur elle. On le surnomme Pilote, car il possède un petit avion. Son meilleur copain est Gay Langland, un cow-boy de quarante-neuf ans. Accompagné de sa chienne Margaret, il revendique une large liberté. Les femmes passant dans sa vie sont de récentes divorcées de Reno, pour lesquelles Gay n’éprouve ni attachement, ni mépris. Après officialisation du divorce de Roslyn, un quatuor se forme dans un bar avec Isabelle, Guido et Gay. Isabelle prévient sa jeune amie Roslyn : “Les cow-boys sont peut-être les derniers hommes dignes de ce nom sur terre. Mais on ne peut pas plus se fier à eux qu’à des lapins sauvages.”

Malgré tout, ils vont faire la fête dans la maison inachevée de Guido, dans la campagne environnante. Le mécano-pilote n’y a pas de bons souvenirs. S’il est sous le charme de Roslyn, celle-ci est plus sûrement attirée par Gay, homme mûr à l’esprit libre. Tous deux s’installent finalement seuls dans la maison de Guido. Même si Roslyn et lui sont d’accord pour simplement profiter de ces bons moments, Gay sent qu’il pourrait s’attacher à elle. Une tendresse mutuelle les relie. Roslyn a su aménager la maison, tandis que Gay s’est occupé du potager : quand Guido et Isabelle reviennent quelques temps plus tard, s’il est un peu jaloux, le mécano-pilote avoue qu’il apprécie le décor que le couple a composé.

Les sentiments de Roslyn restent incertains, mais le dynamisme de Gay lui convient. Avec Guido, ils prévoient d’aller à la chasse aux mustangs sauvages dans les montagnes de la région. Roslyn apprendra plus tard qu’on ne les attrape plus pour leur valeur, hélas. Elle qui aime tant les animaux en sera plus que contrariée. Gay et Guido ont besoin de l’aide d’un troisième : ils s’adressent à Perce Howland, un habitué des rodéos. D’ailleurs, ils vont tous assister à celui de Dayton, auquel il participe. Dans la ville en fête, Roslyn glane un paquet de dollars sur des paris. Affronter un cheval fougueux puis un taureau agressif, ça vaut quelques séquelles à Perce Howland. Roslyn s’inquiète, mais il s’en remet vite.

Bien qu’ils soient rentrés tous ivres du rodéo de Dayton, il faut déjà se préparer pour la chasse aux mustangs. Ils vont bivouaquer dans le désert, en attendant que Guido arrive avec son avion. C’est en affolant ainsi les chevaux, qu’ils les acculent avant d’en attraper autant qu’ils peuvent. Ce qui ne peut qu’écœurer Roslyn, et probablement lui donner envie de partir, de quitter Gay…

Arthur Miller : Les misfits [Les désaxés] 1957 – Éd.Robert Laffont

Précision qu’il ne s’agit nullement d’une novélisation, d’une version adaptée en roman, du film de John Huston, avec Marilyn Monroe, Clark Gable, Montgomery Clift, Eli Wallach, Thelma Ritter. C’est l’évidence, puisque ce livre date de 1957, alors que le film est sorti en 1961. Il est certain qu’Arthur Miller a écrit ce roman-scénario pour son épouse Marilyn. Il s’inspire d’ailleurs de sa fragilité complexe, de sa hantise de la solitude. Si on a vu ce film d’anthologie, impossible d’imaginer d’autres comédiens dans les rôles principaux. C’est en particulier vrai pour Clark Gable, dont ce sera l’ultime rôle. S’il est encore bel homme, Montgomery Clift a ici un air plus tourmenté, plus ténébreux, en lien avec sa propre vie.

Arthur Miller explique en préface la construction de l’histoire, futur film : “C’est le genre de récit auquel la forme du découpage cinématographique, avec tout ce qu’elle comporte de sommaire et de schématique, ne saurait convenir, car sa signification dépend autant des nuances de caractère et de situation que de l’intrigue.” Si l’auteur ne néglige pas les descriptions, elle sont souvent assez elliptiques tout en restant visuelles. Le cas de la maison de Guido en est un bon exemple. Les dialogues sont ciselés, telle cette réponse de Gay qui résume son fatalisme : “C’est aussi naturel de mourir que de vivre, pour autant que je sache. Alors la seule chose à faire, c’est de ne pas y penser.” Très beau film, “Les misfits”, mais c’est également un roman d’une humanité et d’une force remarquables.

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1 août 2016 1 01 /08 /août /2016 04:55

Été 1959. Le commissaire Mareuil, de la PJ, est appelé à l’usine de la Compagnie Générale des Propergols, à Courbevoie. Dans le pavillon du bureau d’étude, l'ingénieur en chef Georges Sorbier a été assassiné durant la pause du déjeuner. Les propergols sont un carburant pour les fusées : Sorbier avait récemment inventé un procédé différent des techniques habituelles pour la propulsion. L’un des spécimens de l’appareil tenait dans un tube de vingt kilos, qui a été dérobé à l’occasion du meurtre. Une véritable bombe pouvant détruire une partie de Paris, si l’objet est mal manipulé. Le vol de cette invention secrète laisse supposer une affaire d’espionnage. Pourtant, l’arme de petit calibre 6.35 est rarement utilisée par des pros. Aucune trace du criminel dans les locaux.

Il y a trois témoins : le gardien Legivre avec deux ingénieurs, Renardeau et Roger Belliard, ami du commissaire Mareuil depuis la guerre. Tous avaient beaucoup d’estime pour la victime. Ils n’ont vu sortir personne, alors que quelqu’un portant un tube de vingt kilos ne serait pas passé inaperçu. Si le coffre-fort a été ouvert entre la mort de Sorbier et l’arrivée des ingénieurs, ça laisse un laps de temps fort court. Mareuil avait rencontré l’ingénieur en chef, lui aussi. Dans le bureau, il trouve une enveloppe de lettre recommandée adressée à Sorbier, mais pas la lettre elle-même. Difficile pour lui de comprendre le déroulement du crime, mais il suppose que le coffre contenant le tube était déjà ouvert. Mareuil interroge les témoins, avant de visiter l’usine, qui est avant tout un centre de recherches.

Accompagné par Belliard, le policier va annoncer la mauvaise nouvelle à l’épouse de Sorbier, Linda, dans leur belle maison de Neuilly. Âgée de vingt-huit ans, Linda une blonde d’origine suédoise, de famille aisée. Elle ne dévoile guère ses sentiments. Le directeur de la PJ et le ministre mettent la pression sur le commissaire Mareuil, sachant le danger que représente le tube disparu. Le policier trouve bientôt une piste : celui qui adressa la lettre à Sorbier, c’est son ancien chauffeur viré depuis peu, Raoul Mongeot. Sa maisonnette se situe quai Michelet à Levallois, de l’autre côté de la Seine, face à l’usine de propergols. Il pouvait l’observer avec des jumelles. Filé par la police, Mongeot mène une vie routinière. Néanmoins, on pense qu’il vient de tenter de pénétrer clandestinement chez Sorbier.

Mareuil fait appel à son ami Belliard pour surveiller avec lui le domicile de leur suspect. Raoul Mongeot est pris pour cible par l’assassin-fantôme, et gravement blessé. Mareuil réalise vite que, comme à l’usine, le tireur paraît s’être évaporé : une victime, et pas de trace du criminel. Hospitalisé, Mongeot est très faible à son réveil, et ment sûrement en affirmant ne pas avoir reconnu son agresseur. Rien de formel ne peut être retenu contre Mongeot, quand il retourne guéri chez lui. Las de manquer d’indices, le policier va laisser l’essentiel des investigations, qu’il sait inutiles, à son collègue Tabard. Le dangereux tube reste introuvable. Lorsque Raoul Mongeot s’introduit une fois de plus chez Sorbier, Linda est effrayée. Belliard et Mareuil espèrent la protéger efficacement…

Boileau-Narcejac : L’ingénieur aimait trop les chiffres (Denoël, 1959)

Cet excellent "roman de mystère" est le dixième en duo pour Pierre Boileau (1906-1989) et Thomas Narcejac (1908-1998). L’intrigue s’avère exemplaire, énigmatique à souhaits. Elle utilise un contexte "moderne" pour son temps, puisque ça débute dans un centre de recherche autour des fusées atomiques. Quand le policier Mareuil visite les lieux, il avoue que c’est inhabituel : “Et savez-vous ce qui me gêne le plus ? Ce n’est pas le crime lui-même. C’est tout ce que vous venez de me montrer. Dans une banque, dans une bijouterie, dans un hôtel, je me sentirais à l’aise. Je saurais par quel bout prendre l’enquête. Mais dans ce décor futuriste… on a l’impression que n’importe quoi peut arriver, ici… Qu’on peut devenir invisible, ou tuer à distance.”

[Pour l’anecdote, le Quai Michelet à Levallois (où habite un des protagonistes) est devenu Quai Charles Pasqua en juin 2016.]

Aujourd’hui, plus d’un demi-siècle après, ça peut nous apparaître tel un roman d’enquête traditionnel. C’est à la fois vrai et faux. S’il s’appuie sur un adjoint nommé Fred, figurant ici le policier-type quasi-anonyme, le commissaire Mareuil n’est pas un enquêteur au sens strict. Ses hypothèses "ne collent pas", il en est conscient et ça le déprime quelque peu. Les personnages sont décrits avec bien plus de nuances, d’infimes détails, de psychologie, que dans bon nombre de romans policiers : l’un est nouvellement père de famille, l’autre est un oisif sans complexe, etc. Bien entendu, le récit ne manque pas de péripéties. Un suspense de très belle qualité, toujours disponible au catalogue Folio policier.

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