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4 décembre 2018 2 04 /12 /décembre /2018 05:55

En Californie, non loin de San Francisco. Clay Edison, trente-quatre ans, est coroner à Berkeley, célèbre pour son université, dans le comté d’Alameda. Célibataire, c’est un ancien sportif. Il est chargé d’enquêter sur la mort de Walter Rennert, soixante-quinze ans, ex-professeur de psychologie à Berkeley, décédé de causes naturelles après être tombé dans l'escalier de son domicile. Telle n’est pas la version de Tatiana Rennert-Delavigne, la fille trentenaire du défunt. Elle prétend qu’on a "poussé" son père. Pourtant, quand Clay Edison examine les traitements médicaux de Rennert, dont l’un fut curieusement prescrit par un urologue, il en conclut que le mélange avec la forte consommation d’alcool du père de Tatania a pu entraîner un malaise fatal. Un dossier que d’autres classeraient rapidement.

Clay, aussi pro soit-il, n’est pas insensible au charme de Tatiana. La jeune femme a un autre argument : le décès parfaitement similaire – il y a quelques années – de Nicholas Linstad, étudiant diplômé de Rennert. Le professeur et son assistant avaient dirigé une étude qui s’est terminée par un meurtre. L’étudiant Julian Triplett, un des sujets choisis pour une étude sur l'impact de l'exposition à des images violentes sur l'apprentissage et le contrôle des impulsions, poignarda mortellement Donna Zhao, une autre étudiante de Berkeley. En 1993, l’affaire causa un scandale qui obligea Rennert à démissionner et à cesser d’explorer le thème qui lui tenait à cœur. Au procès de Julian Triplett, le professeur en psychologie Alex Delaware enfonça les théories de Rennert. Ce dernier a d’ailleurs récemment recontacté son collègue Delaware. 

Tout en restant (de plus en plus) proche de Tatiana, qui déménage la maison de son père, Clay se documente sur l’affaire remontant à vingt-cinq ans. Il se refuse toujours à trop vite boucler le rapport sur la chute de Walter Rennert. Mineur à l’époque des faits, Julian Triplett a été libéré de prison environ dix ans plus tôt. Affaiblie, sa mère ne cache pas son hostilité à Clay. Elle affirme ne plus avoir la moindre nouvelle de lui depuis qu’il est sorti de prison. Le policier qui interrogea Triplett à l’époque le trouva globalement délirant, d’une instabilité agressive. Clay apprend de la part de ce flic que Triplett fut dénoncé, livrant l'identité de celui qui donna son nom. Le témoignage de Kara Drummond, la sœur de Triplett, apporterait un alibi à son frère. Personne n’en a tenu compte, vu leur lien de parenté, et on peut logiquement s’interroger sur la validité de cette version.  

Quand la maison de Rennert est "visitée" en l’absence de Tatiana, Clay et elle peuvent se dire que quelqu’un rôde encore, et que ça justifie leurs doutes sur la mort naturelle du professeur. L’opinion du Pr. de psychologie Paul Sandek, dont Clay est l’ami ainsi que de sa fille, pourra peut-être orienter la réflexion du jeune coroner. Homicide ou mort naturelle, la question reste encore posée…

Jonathan et Jesse Kellerman : Exhumation (Seuil, 2018)

— C’est la vérité, insistai-je. Quand je parle avec une personne endeuillée, elle se fiche de savoir à combien d’autres personnes j’ai parlé avant elle, ce jour-là ou n’importe lequel. Et elle a bien raison. Pour elle, c’est la première fois. Elle mérite la même attention et le même respect que toutes les précédentes.
Tatiana faisait rouler son verre vide entre ses paumes comme si elle voulait fabriquer un boudin en pâte à modeler.
— Je sais que vous ne me croyez pas, pour mon père, déclara-t-elle.
Je m’apprêtais à la démentir, mais elle m’interrompit.
— Ça ne fait rien. Moi non plus, je ne me croirais pas. Mais si ce que vous venez de dire est vrai, regardez-moi dans les yeux une minute.

S’agissant d’une histoire où les auteurs père et fils nous invitent à suivre leur héros dans sa profession autant que dans sa vie privée, Jonathan et Jesse Kellerman n’ont aucune intention de révolutionner le genre. L’affaire ne se prêterait pas à des scènes percutantes, à des rebondissements spectaculaires, d’ailleurs. Sans précipitation mais avec obstination, explorant soigneusement détails et hypothèses, Clay Edison mène l’enquête sur un dossier enterré, qui ne fut pas sans conséquences pour les protagonistes d’alors. En parallèle, est évoqué le quotidien du bureau du coroner avec ses collègues, et l’évolution de la relation entre Clay et Tatiana Rennert-Delavigne. Des investigations "tranquilles" ? Certes, mais ça n’interdit pas , en filigrane, un suspense sans tension majeure – mais avec de nombreuses questions à démêler pour approcher de la vérité – celle d’hier et d’aujourd’hui.

Jonathan et Jesse Kellerman ne sont pas par hasard des best-sellers. Auteurs chevronnés, ils maîtrisent la tonalité du récit, et les arcanes de l’intrigue. Avec ce "cold case", nul doute qu’ils séduiront une fois de plus leurs lecteurs.

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2 décembre 2018 7 02 /12 /décembre /2018 05:55

Les deux compères sont amis depuis trente-cinq ans et plus. C’est sous l’égide de Patrick Mosconi qu’est publié en 1983 dans sa collection Sanguine, un volume intitulé “Very Nice” incluant deux romans : “La clé de Seize” de Patrick Raynal et “Spinoza encule Hegel” de Jean-Bernard Pouy. Depuis, les deux romanciers ont poursuivi des carrières parallèles, jamais loin l’un de l’autre. Auteur d’une centaine de romans (dont onze dans la Série Noire) et d’une multiplication de nouvelles et d’écrits en tous genres, Pouy a aussi créé diverses collections (Pierre de Gondol ou la Série Grise). Sans oublier le personnage du Poulpe (Gabriel Lecouvreur) publié dès 1995 aux éditions Baleine.

Prix Mystère de la Critique pour son roman Fenêtre sur femmes en 1989, ex-directeur de la Série Noire chez Gallimard, Patrick Raynal a permis à toute une génération de nouvelles voix du polar de figurer au catalogue de la Série Noire. S’il ne dirige plus de collection, Raynal a toujours un poids certain dans l’édition, qu’on ne s’y trompe pas. On aura compris le point commun de Pouy et Raynal : mettre en valeur la littérature populaire, montrer par toutes leurs initiatives que c’est un genre vivant et en perpétuel renouvellement. Sils vont à la rencontre des lecteurs dans les Festivals et salons du livre, c’est plus sûrement pour valoriser les livres d’autres auteurs que les leurs.

En 1985 tous deux avec Daniel Pennac, écrivent leur premier roman en commun : La vie duraille”. Publié sous le pseudo de J.B.Nacray, c’est le n°1968 de la collection Spécial Police du Fleuve Noir, un numéro fort symbolique (et ironique). Pouy et Raynal vont par la suite écrire à quatre mains d’autres romans, tel le réjouissant “La farce du destin” (Les Contrebandiers, 2004). S’ils ne manquent pas d’expérience dans cet exercice de style, et s’ils aiment se donner des contraintes en écriture, les deux amis se sont lancés un défi un peu fou avec “Lord Gwynplaine. Car il s’agit ici d’imaginer une version actuelle d’un monument de la littérature française : Le comte de Monte-Cristo, la plus magistrale et la plus palpitante histoire de vengeance.

Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal : Lord Gwynplaine (Albin Michel, 2018)

Dans cette version actuelle, toute aussi riche en aventures, pour ne citer qu’eux, Dantès est devenu Erwan Le Dantec, pilote d’avion pour une société en relation avec l’Afrique, et l’abbé Faria s’appelle Vargas, ancien comptable des narcotrafiquants colombiens, ayant détourné des sommes faramineuses – et s’étant fait beaucoup d’ennemis. Sans avoir été jugé alors qu’il eût pu réfuter sans mal les accusations, Erwan Le Dantec est envoyé très discrètement dans une sorte de pénitencier au cœur de la jungle de Guyane. Vargas va lui offrir une chance de s’en sortir après des années à végéter dans cette prison. Un hélico, ça se manie aisément pour un pilote d’avion comme Le Dantec. Celui-ci va devoir se cacher en Amérique du Sud pendant quelques années encore, le temps de peaufiner son retour et de se trouver des allié(e)s. Entre-temps, la fiancée du captif (dont on lui a fait croire qu’il était mort) s’est mariée par ailleurs. C’est sous les traits de Lord Gwynplaine” qu’Erwan Le Dantec – assisté de Maria-Luisa et de Brendan Kane – reviendra hanter ceux qui l’ont trahi, non sans avoir renoué avec d’anciens amis et avec son père.

Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal : Lord Gwynplaine (Albin Michel, 2018)

Les époques changent, mais pas les motivations de ceux qui visent le pouvoir et l’argent. La vilenie reste un puissant moteur pour les arrivistes, les cyniques. Il convient donc de les affronter avec les mêmes armes. Arriver au sommet ayant en grande partie endormi la vigilance de ces adversaires, sûrs de leur position sociale, ils ne voient pas le piège qui se referme méthodiquement sur eux… Pas ennemis de la tonalité sarcastique, Pouy et Raynal ne se contentent pas de "revisiter" l’original, ils y apportent leur touche personnelle… Un roman fertile en incessantes péripéties, alliant noirceur et regard sociétal. Très excitant !

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1 décembre 2018 6 01 /12 /décembre /2018 05:55

En Californie, au début des années 1950. Howard Cross est agent de liberté surveillée du côté de Pacific Point, assisté d’Ann Devon. C’est par l’épouse de Fred Miner que Cross est alerté sur la disparition de son mari et du petit Jamie Johnson, quatre ans, dont il est le chauffeur. Cross connaît le cas de Fred Miner, trente-cinq ans. Voilà quelques mois, il a frôlé de gros ennuis avec la justice après avoir tué accidentellement en voiture un inconnu – que l’on n’a pas identifié depuis. Fred était en état d’ivresse manifeste. Il est resté au service du riche Abel Johnson et de sa femme Helen, ex-infirmière. Le père du petit Jamie a reçu une demande de rançon par courrier le matin même de l’enlèvement de son fis. Car il s’agit bien d’un kidnapping – dont on peut soupçonner Fred Miner. Avec son avocat Larry Seifel, Abel Johnson a rapidement réuni les 50.000 $ exigés – sans avertir la police, qu’il a déposés sans attendre à l’endroit indiqué.

Bien que Fred et Jamie ne réapparaissent pas, Amy Miner se refuse à croire son mari coupable. Elle-même risque fort d’être bientôt inculpée pour complicité. Immédiatement, Howard Cross se met sur la piste de la valise contenant le pactole, obtenant bientôt le signalement d’un suspect. C’est à l’état de cadavre que Cross retrouve cet inconnu, dont les initiales sont AGL. Un kidnapping et un meurtre, ça déclenche une enquête du FBI, en la personne du policier Forest. Grâce à Ann Devon, qui est amoureuse de Larry Seifel, Cross apprend que l’avocat avait croisé la victime. Ce qu’il confirme, mais en affirmant ignorer son nom. Seifel et l’inconnu se sont brièvement rencontrés lors du procès de l’accident de Fred Miner. L’avocat l’ayant trouvé malsain, il ne donna pas suite à ses offres de service. Cet homme collabora quelques temps dans une agence de détectives, dont le patron comprit bien vite le manque de fiabilité de ce Art Lemp.

Avec des complices, Lemp était un combinard qui faisait chanter la clientèle sur laquelle il enquêtait pour l’agence. Même si l’affaire n’est pas de son niveau, on peut supposer que c’est lui qui a organisé l’enlèvement du petit Jamie Johnson. Howard Cross tient une nouvelle piste : Molly Fawn était la partenaire des manœuvres de Lemp, avec un troisième comparse, le photographe Kerry Snow. Cross garde une longueur d’avance sur l’enquête du fédéral Forrest, en particulier après avoir trouvé des éléments en visitant – avec Molly – la chambre d’Art Lemp. Il a déniché le point commun entre Art Lemp, Kerry Snow, et Fred Miner. Les heures passent, mais on n’a toujours aucune trace des disparus, Fred et Jamie. Incarcérée, Amy Miner reste sur sa version des faits. La rousse Helen Johnson bénéficie heureusement du soutien moral de l’avocat Larry Seifel, car une nouvelle épreuve l’attend. Démêler le vrai du faux et définir le rôle de chacun, Howard Cross s’y emploie jusqu’au bout…

Ross Macdonald : Rendez-vous à la morgue (Presses de la Cité, 1954)

Soudain j’aperçus une auto que je n’avais pas encore vue, cachée qu’elle était par le camion. C’était une vieille conduite intérieure Chevrolet de couleur bleue, et son numéro minéralogique indiquait qu’elle venait de Los Angeles. Il n’y avait pas longtemps qu’elle était là, car on voyait encore les traces des roues que le sable n’avait pas eu le temps de recouvrir.
Je m’approchai et jetai un coup d’œil à l’intérieur. La première chose que je vis, sur le siège arrière, fut une valise noire, toute neuve. Ouverte.
Puis j’aperçus l’homme. Il était recroquevillé devant le volant, de telle façon que, de l’extérieur, il état impossible de le voir. D’ailleurs, un manteau marron le recouvrait en partie. Lorsque j’ouvris la portière, une perruque roux-marron se détacha de sa tête et tomba à mes pieds. Un pic à glace était fiché dans son cou.

Si Kenneth Millar (1915-1983) reste un des grands noms du polar sous le nom de Ross Macdonald, c’est grâce aux enquêtes du détective privé californien Lew Archer (de 1949 à 1976). Au risque de négliger d’autres romans de cet auteur. Ce qui est assurément le cas de ce “Rendez-vous à la morgue” publié en 1954 dans la collection Un Mystère des Presses de la Cité, jamais réédité depuis. Pourtant, c’est là un roman d’enquête aux multiples péripéties tout aussi convaincant que le reste de son œuvre. D’abord, l’action se déroule pour l’essentiel en continu sur 24 heures, respectant en grande partie l’unité de temps. Le héros, s’il n’est pas détective privé, est assez inspiré pour avancer sur les bonnes pistes. Autre qualité notable : l’Amérique de l’après-guerre (le conflit étant encore récent) nous est décrite avec un certain réalisme et sans lourdeur.

Un autre atout n’est pas négligeable : la traduction est ici assurée par Igor B. Maslowski, romancier et critique pour Mystère Magazine, qui fut un des meilleurs dans sa spécialité. C’est avec soin et sur une tonalité souple très agréable qu’il s’est occupé de la version française de ce roman. La fluidité de l’histoire lui doit certainement beaucoup. Bien que l’intrigue soit riche en énigmes et mystères, qu’on y croise bon nombre de personnages, on n’est jamais perdus – le narrateur ne cachant rien de ses investigations au lecteur. Sans doute serait-il bon que de tels romans très réussis, palpitants à souhaits, soient aussi valorisés que la série Lew Archer.

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30 novembre 2018 5 30 /11 /novembre /2018 05:55

Habitant Sanport, Russel Foley est lieutenant de bord sur un pétrolier faisant du cabotage sur la côte sud-est de États-Unis. Une vie de marin incompatible avec le mariage, sa jeune épouse ayant bien vite décidé de divorcer. Cette nuit-là, de retour chez lui, Foley a eu une vie altercation avec son voisin Charles L.Stedman, inspecteur de police. Cynique "homme à femmes", ce dernier a fricoté avec l’épouse de Foley en son absence. Ça s’est terminé par une vive bagarre entre les deux voisins. Le problème, c’est que le policier Stedman a été retrouvé mort poignardé peu après, et que Russel Foley fait fatalement figure de suspect principal. Très rapidement, il a pris la fuite, se réfugiant dans un cottage inoccupé d’une bourgade en bord de mer, à quelques dizaines de kilomètres de là. Foley ayant laissé des traces de sa fuite, le secteur est bientôt quadrillé par la police.

C’est dans le chalet de Suzy Patton qu’il a trouvé provisoirement refuge. Trentenaire, la jeune femme est une romancière assez désabusée. De passage à son cottage, elle tombe sur Foley. Suzy accepte d’écouter sa version des faits. Son histoire étant aussi stupide qu’extravagante, elle y croit sans trop hésiter. Néanmoins, quand Suzy lui échappe, Foley a des raisons de craindre qu’elle le dénonce. Au contraire, elle revient le lendemain, et le cache dans sa voiture pour regagner Sanport. Rentrer directement chez lui est impossible, et aller aussitôt chez Suzy serait terriblement imprudent. Le seul sur qui il puisse peut-être compter, c’est Red Lanigan, amical patron d’un bar où il a ses habitudes. Il réussit à le contacter par téléphone, sans éveiller les soupçons de la police. Red Lanigan suppose qu’une belle inconnue, rôdant récemment autour du fic Stedman, pourrait être la tueuse.

Fuyant toujours la police, Foley se retrouve seul au milieu de la nuit, ignorant comment renouer avec Suzy. C’est elle qui, via le bar de Red Lanigan, réussit à lui communiquer son adresse. Foley s’installe chez elle, le temps de prendre un peu de repos. Convaincue qu’il n’a pas quitté la ville, la police ne relâche pas la pression, toujours sans succès. Foley et Suzy cherchent d’autres indices sur la victime. Partenaire de Stedman, le flic Purcell se serait suicidé quelques temps plus tôt. Étonnant sans doute, car il n’était pas moins véreux et cynique que son coéquipier. Tous deux avaient abattu il y a peu un malfaiteur nommé Danny Bullard, impliqué dans un casse. L’autre piste à explorer, c’est d’établir l’identité de cette jeune inconnue. Si le nom Shiloh mérite d’être retenu par Foley et Suzy, c’est qu’il s’agit d’une usine de machines-outils où est employée cette femme.

Bien que le policier Stedman ait été un grand séducteur, ce n’est probablement pas une histoire de femmes qui a conduit à sa mort. Encore faut-il à Foley posséder suffisamment d’éléments pour le démontrer. Malgré l’aide de Suzy Patton, c’est une enquête semée d’embûches qui l’attend encore, avec la police aux trousses…

Charles Williams : Mieux vaut courir (Série Noire, 1959)

Je me relevai et me mis à courir. J’entendais derrière moi les sirènes de la police, allant crescendo à mesure que d’autres voitures venaient rejoindre la première. Je courus jusqu’à ce que j’eusse un point de côté et que je ne puisse plus respirer.
Enfin, je m’assis le dos contre le ciment du parapet. La pluie battait le bord de mon chapeau. Ils savaient à présent que j’étais de retour à Sanport. Et j’avais perdu Suzy. Je ne connaissais ni son adresse, ni son numéro de téléphone, et même si je trouvais encore une cabine publique, et son nom dans l’annuaire, je ne pourrais pas lui téléphoner. J’avais cent soixante-quinze dollars en poche, mais pas un sou de monnaie.

Pilier de la Série Noire dès les années 1950, Charles Williams (1909-1975) utilise ici une des grandes thématiques du polar : l’innocent devant prouver qu’il n’est pas l’assassin alors que tout le désigne et que la police est sur ses traces. S’en sortir seul est impossible quand on ne possède pas l’esprit du criminel, et que l’on ignore les véritables raisons du meurtre. Heureusement, le marin Foley – qui redoute de se faire alpaguer à tout moment – tombe sur une complice d’occasion. La romancière Suzy est bienveillante à souhaits. Et le patron de bar Red fait aussi ce qu’il peut pour qu’il sorte du pétrin.

Ce qui est entraînant, c’est que Charles Williams n’abuse pas d’une ambiance exagérément lourde et noire. La pression est forte autour de son héros, mais la narration reste très fluide. Un équilibre parfaitement dosé, sur une intrigue aussi énigmatique que solide. Si l’on a retenu des succès tels “Fantasia chez les ploucs” (retraduit en français et en intégralité chez Gallmeister en 2017 sous le titre “Le Bikini de diamants”), bien d’autres titres de Charles Williams sont passionnants à lire ou relire. Notons que, comme une douzaine de romans de cet auteur portés à l’écran, “Mieux vaut courir” fut adapté en 1989 pour un téléfilm français réalisé d’Élisabeth Rappeneau, avec Christian Clavier et Carmen Maura dans les rôles principaux.

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28 novembre 2018 3 28 /11 /novembre /2018 05:55

Émile Loubet est commissaire de police au Puy-en-Velay. Veuf et ayant perdu son fils unique tragiquement, il a adopté le jeune Renji, aujourd’hui étudiant. “Émile est un homme simple, bon, qui combat la méchanceté et le crime en raisonnant plus qu’en faisant des coups médiatiques”. Ce jour de décembre, le bouvier Balto réussit à alerter le voisin agent de police : il se passe quelque chose d’anormal chez son maître. En effet, l’ancien juge Danton est bientôt retrouvé mort dans son lit, décapité. L’équipe de Loubet passe à l’action : le retraité assassiné jouissait d’une très bonne réputation, rien qui explique cette fin dramatique. Son chien Balto est le premier à regretter un si bon maître. Selon l’autopsie, il est mort (peut-être de peur) deux heures avant d’être ficelé et décapité. Toutefois, il avait récemment reçu une lettre menaçante.

À l’occasion d’une émission de télé sur Planète-Justice, le juge Danton avait ressorti un dossier qu’il traita voilà quarante ans, alors qu’il était en poste en Charente. L’affaire se passait au lieu-dit Tartifume, sur l’île d’Oléron. Alors qu’il jouait à cache-cache avec des copains et une copine de son âge, d’une douzaine d’années, Stéphane Gardinier disparut soudainement. On ne le retrouva jamais. On dispose toujours des témoignages de ses camarades de jeu, et l’un des enquêteurs de l’époque – M.Rémy – se souvient bien des circonstances de cette histoire. Sébastien Danton, fils du défunt, habitant Oléron, se déplace jusqu’au Puy-en-Velay. Certes, il y a eu une mésentente entre lui et son père quelques temps plus tôt, mais rien qui justifie un meurtre. D’ailleurs, il a un alibi solide.

Le commissaire Loubet s’étant bêtement blessé, son fils adoptif Renji arrive à la rescousse. D’ailleurs, ce dernier – lecteur de Sherlock Holmes – est un amateur d’affaires énigmatiques. Loubet a pris des contacts du côté des Charentes Maritimes, conscient que c’est là-bas qu’il trouvera les réponses au crime du Puy-en-Velay. Accompagnés de Balto qu’ils ont volontiers pris en charge, Renji et Loubet vont rencontrer à La Rochelle et dans sa région les enquêteurs ayant suivi le dossier (ou sorti des archives depuis peu). On s’aperçoit qu’un des copains de Stéphane Gardinier cita alors un prénom, sans que quiconque y attache de l’importance. Il s’agissait de Bruno, le frère du disparu. Par la suite, ce dernier s’engagea dans la Légion Étrangère. Il vit désormais à Angoulême.

Grâce à l’ancien inspecteur Rémy, Loubet collecte de nouveaux éléments. Il va falloir de nouveau interroger les enfants d’alors, quarante ans plus tard. Le commissaire se rend aussi sur les lieux de la disparition du gamin, un secteur marécageux, et recueille les souvenirs de la mère du petit Stéphane. Mais l’émission de Planète-Justice a déclenché des envies de vengeance chez un des protagonistes de l’époque. Même l’ancien policier Rémy a été menacé, et le criminel armé rôde toujours entre les Charentes et Oléron…

Gilles Calamand : Le chagrin de Balto (Éd.De Borée, 2018)

Une voiture faisait rugir son moteur et le conducteur fit un démarrage en trombe, tandis que Balto courrait derrière en aboyant. Rémy se précipita vers sa femme.
— Je n’ai rien, le rassura-t-elle. J’ai voulu faire sortir le chien. Au moment où j’ouvrais la porte, un homme est arrivé dans le jardin. Je m’approchais de lui pour lui demander ce qu’il voulait. Je croyais que c’était ce musicien que tu avais invité ce soir pour l’apéritif. Il a sorti une sorte d’épée de sous son manteau. J’ai crié, j’ai glissé dans la neige, et le chien a mordu les fesses de l’homme qui s’est enfuit. J’espère que le chien reviendra !
— Qu’est-ce qui se passe, intervint Renji qui sommeillait près du feu et sortit à ce moment-là.
Le chien revenait en remuant la queue.
— Brave chien, fit Loubet. Te voilà devenu chien policier, désormais. Nous venons d’échapper à un meurtre, mon brave Renji.
— Mais pourquoi ?
— Parce que je pense que notre intrusion dans l’intimité de la famille Gardinier a inquiété quelqu’un. L’assassin du juge, par exemple. L’épée en est la preuve.

D’emblée, l’auteur nous prévient que ce n’est pas une intrigue percutante ou violente qu’il va exploiter. Il nous invite à suivre le tranquille commissaire Émile Loubet au fil de ses investigations et de sa vie privée, d’Auvergne en Saintonge. Nul besoin de péripéties-choc, ni de scènes spectaculaires. Sans précipitation, l’affable policier réexamine les pièces d’un vieux dossier qui ne trouva pas son dénouement – plus de traces de l’enfant disparu, ni de son assassin. Une affaire classée, un "cold case" comme on dit de nos jours. Sous l’œil bienveillant du chien Balto, son confrère de La Rochelle (le commissaire Murat) et le policier retraité Rémy aideront Loubet à démêler les mystères vieux de quatre décennies. Un simple jeu de cache-cache qui aurait mal tourné, sans que les camarades de Stéphane s’en aperçoivent ? L’explication semble un peu courte au policier, qui n’exclut aucune hypothèse – sans les formuler prématurément.

Le roman d’enquête est une belle tradition du polar, une de ses bases. Gilles Calamand nous en donne l’illustration dans ce roman très agréable à lire. Il n’oublie pas de nous faire sourire, grâce au bouvier Balto.

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27 novembre 2018 2 27 /11 /novembre /2018 05:55

En 1792, la Révolution française vit de nombreuses turbulences. Les pays européens voisins ne sont pas mécontents de cet affaiblissement du royaume. L’année précédente, la fuite de Louis 16, rattrapé avec ses proches à Varennes, l’a fragilisé. S’il reste à la tête du pays, c’est maintenant aux Tuileries qu’il est contraint de résider. Dans ce contexte, le roi et la plupart des députés ont été favorables à une guerre contre l’Autriche. On compte sur des généraux émérites tels que La Fayette pour rapidement montrer la force de la France, dont l’armée dispose alors d'environ 120 000 soldats volontaires. Mais les dissensions entre élus et camps politiques compliquent rapidement la situation. Dans l’Est et dans les Ardennes, les troupes sont indisciplinées et les ordres contradictoires.

Victor Dauterive est un jeune officier de Gendarmerie parrainé par La Fayette. Il a déjà effectué plusieurs missions pour son mentor, jalousé pour ses opinions modérées. À la Révolution pure et dure, La Fayette (créateur de la Garde Nationale) préfère un régime de monarchie constitutionnelle allant vers plus de démocratie sociale et politique. Cette fois, c’est à Victor Dauterive qu’il demande d’escorter et de protéger le convoi transportant la paye de l’Armée, une fortune de 500.000 Livres. Le secret de ce transfert semble éventé, car des escarmouches se produisent en chemin. Alors que Victor et ses hommes font halte dans une auberge de Mars-la-Tour, des émeutiers s’attaquent au convoi. Nul doute qu’ils soient bien renseignés. Non seulement, il existe des complicités – venant sûrement des sphères du pouvoir – mais la troupe des gueux ne s’était pas formée spontanément.

Victor identifie bientôt le meneur de la bande, un nommé Jourdier – personnage frayant avec les adversaires de La Fayette, agissant également sur le terrain pour déstabiliser le pays. Si la bande qu’il a monté est vite arrêtée, Jourdier et ses deux complices sont en fuite avec le trésor. En chaise de poste, Victor et ses fidèles sont sur leurs traces, de Gravelotte jusqu’à Valenciennes et Lille – où règne alors une anarchie sanglante, le peuple s’estimant trahi par ses généraux. Gardant un tiers du butin, Jourdier lâche ses comparses avant de disparaître à Paris. Victor Dauterive a fait son rapport à La Fayette, alors basé dans les Ardennes, qui le charge de définir qui est au cœur du complot le visant. C’est à Paris, aux Tuileries autour du Roi, que Victor peut espérer trouver des réponses.

Victor s’installe près de Paris, chez son amie Olympe de Gouges. S’ils ne peuvent nier une attirance mutuelle, les priorités révolutionnaires entravent leur relation. Pour la féministe Olympe, la cause des citoyennes est loin d’être gagnée. Les contradictions des combats politiques et les rivalités avec des responsables culturels, tel Collot d’Herbois, la placent en porte-à-faux en ces moments où la Révolution est viciée par les enjeux du pouvoir. Même s’il connaît une des proches de la famille royale, Victor aura beaucoup de mal à approcher Louis 16, voire l’un ou l’autre de ses conseillers. D’autant que la population parisienne assiège les Tuileries. C’est pourtant dans la sphère du roi que se trouve un manipulateur, un traître. Si Jourdier est un exécutant efficace toujours à l’œuvre, d’autres au-dessus de lui disposent d’un pouvoir de décision mettant en péril les socles de la Révolution…

Jean-Christophe Portes : L’espion des Tuileries (City Éd., 2018)

Tout en étant respectueux des faits historiques, Jean-Christophe Portes revisite la période si agitée de ce contexte révolutionnaire. Ayant rompu avec un père aristocrate intransigeant, artiste dans l’âme (il est très doué pour le dessin), Victor Dauterive est le témoin de son temps. Il ne peut être question de fonctions ordinaires pour ce jeune officier de Gendarmerie, mais – bien de disposant de la confiance du vaillant La Fayette – Victor subit davantage les événements qu’il n’en décide. Depuis près de trois ans, toute l’organisation du royaume est bousculée, y compris par des alliances improbables. Victor n’appartient pas aux cercles qui cherchent à imposer leur version actuelle. Loin des arcanes du pouvoir, il en suppose les rouages – sans peser sur le déroulement du processus, mais restant fidèle à La Fayette dont la popularité décline fortement. 

Victor protège autant qu’il le peut le petit Joseph, essayant de lui offrir des bases d’éducation, et de ne pas trop l’exposer aux aléas tourmentés de ses missions. Encore que, dans un tel chaos, l’enfant risque autant que Victor. À travers le portrait et les actions d’Olympe de Gouges, l’auteur dessine la complexité du combat – contre l’esclavagisme et en faveur des femmes – menée par celle-ci. Avec Jean-Christophe Portes, nous baignons dans cette France au présent aussi incertain que l’avenir. On suit les tribulations de son modeste héros, devenant avec lui témoins des troubles et des calculs d’alors. Une belle manière d’explorer une époque majeure de notre Histoire. 

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25 novembre 2018 7 25 /11 /novembre /2018 05:55

Expert en Littérature fantastique, Jean-Pierre Croquet a sélectionné douze nouvelles sur le thème de l’hiver et de Noël, des histoires où la mort (parfois le crime) côtoie les humains dans des ambiances plus sinistres que ne le suppose cette période de joie et de bonheur pour chacun. Les douze auteurs sont plus ou moins connus, mais tous d’une valeur certaine : Charles Dickens (Le voile noir), Erckmann-Chatrian (La montre du doyen) Thomas Hardy (Sous le regard du berger), Sheridan Le Fanu (Le défunt sonneur de cloches), Robert Louis Stevenson (Markheim), Arthur Conan Doyle (L’escarboucle bleue), William Wymark Jacobs (Jerry Bundler), Edith Nesbit (L’ombre), Saki (Les loups de Cernogradz), Gaston Leroux (Le Noël du petit Vincent-Vincent), Hugh Walpole (Le Tarnhelm), Ethel Lina White (Figures de cire).

Pour enfants ou pour adultes, les contes traditionnels ne sont jamais dénués d’une part de noirceur, de cruauté. Sans être forcément horrifiques ou sanglants, les climats y sont malsains. S’ils ont été longtemps portés par l’oralité, ce sont des écrivains tels que le grand Charles Dickens qui ont fait entrer ces textes en littérature. L’écrit souligne la force, l’étrangeté macabre (et l’humour, quelquefois) de ces contes. Jean-Pierre Croquet relate dans sa passionnante préface l’historique du genre. En fin de volume, il évoque dans des notices la douzaine d’auteurs choisis – dont quelques-uns hélas oubliés de nos jours. À l’opposé de notre matérialisme cartésien d’aujourd’hui, ces récits réveillent les peurs diffuses qui, autrefois, se transmettaient chez nos aïeux – même si nul n’ignorait qu’il s’agissait de fiction.

Si le conte horrifique de Noël, avec ses spectres et ses morts, “traduit la noirceur des nuits les plus longues de l’année, traversées de vents hurleurs que les ombres projetées par les flammes dans l’âtre rendent plus inquiétantes encore”, c’est surtout l’occasion de retrouver une tradition littéraire de fort belle qualité.

J.P. Croquet : Crimes et fantômes de Noël (L’Archipel, 2018)

Quelques exemples de l’excellente sélection opérée ici par J.P.Croquet…

Le voile noir (Charles Dickens, 1836) Dans la région de Londres, un froid hiver autour de 1800. Ce jeune médecin sans clientèle reçoit ce soir-là la visite d’une femme de haute taille, masquée d’un voile noir. Elle affirme qu’un homme va mourir le lendemain matin, mais apparaît très confuse sur la possibilité de le sauver. Le médecin est prêt à consulter immédiatement ce patient semblant au seuil de la mort, mais il devra attendre l’heure indiquée par la mystérieuse visiteuse pour se rendre à l’adresse en question – une maison modeste et isolée de la banlieue londonienne. Encore arrive-t-il un peu trop tôt, et doit-il patienter jusqu’à ce la femme de la veille se montre, et lui explique la situation…

Le Noël du petit Vincent-Vincent (Gaston Leroux, 1924) Un ancien Parisien raconte à des amis la tragique histoire d’un couple de voisins, au temps où il habitait la Butte Montmartre. D’un âge avancé et d’un milieu aisé, les Vincent eurent tardivement un fils qu’ils prénommèrent Vincent. Rien n’était trop beau pour cet enfant, que leur voisin aimait beaucoup. La soirée de Noël s’annonçait des plus festives : le couple sortit pour participer aux réjouissances populaires, puis à la messe de minuit. De retour chez eux, ils soupèrent avec le petit Vincent. Celui-ci, un peu déçu, fut recouché : il devrait attendre le lendemain matin pour découvrir ses cadeaux. Mais la suite de cette soirée s’avéra dramatique, car la mort rôdait chez les Vincent…

L’ombre (Edith Nesbit, 1905) Après un bal de Noël au manoir, trois jeunes filles sont réunies dans leur chambre, se racontant des histoires de fantômes. Elles n’y croient guère, ces récits n’étant destinés qu’à faire frémir. Mlle Eastwich, la stricte gouvernante, se joint à elles : elle a vécu une expérience étrange, inexplicable. Mabel et son mari étaient ses seuls amis. Ils venaient d’emménager dans une maison neuve. Le jeune époux ressentit très bientôt comme une malédiction planant sur cette demeure. Mlle Eastwich fut invitée à séjourner ponctuellement chez eux, afin de rassurer son amie enceinte. Elle ne tarda pas à éprouver les mêmes craintes obsessionnelles que le mari de Mabel. C’est dans un placard que semblait se cacher une ombre, prenant des formes effrayantes – jusqu’à se liquéfier. Pas un simple effet de l’imagination de Mlle Eastwich et de l’époux, et il ne suffisait sans doute pas de quitter la maison pour que cesse cette menace…

Jerry Bundler (William Wymark Jacobs, 1897) À Torchester, quelques voyageurs réunis dans une auberge se divertissent en buvant fort autour d’histoires de fantômes, en cette soirée de fin décembre. Seule la dernière pourrait davantage impressionner les personnes présentes. Voilà plusieurs années, un malfaiteur fut pourchassé et cerné dans l’auberge par la police, où il se suicida dans sa chambre. Un témoignage affirme qu’il joue depuis au fantôme dans cet établissement, même s’il ne présente pas vraiment de danger pour les clients. Hirst, un des présents, pratiquant volontiers le théâtre, s’en amuse et fait le pari d’effrayer les autres en se grimant tel Jerry Bundler. Un jeu qui inquiète le convive qui a raconté cette histoire-là. Peu après, dans l’auberge mal éclairée, il semble bien que le vrai Jerry Bundler fantomatique se manifeste. Chacun des autres hésite à regagner seul sa propre chambre. Simple effet d’une hallucination collective ? Quoi qu’il en soit, il peut être dangereux de vouloir singer les fantômes…  

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23 novembre 2018 5 23 /11 /novembre /2018 05:55

Commissaire de police, Aglaée Boulu est en poste à Grenoble. Elle est chargée d’une enquête dans la région de Villard-de-Lans. Patron d’une grosse scierie et chasseur ayant une réputation de paillard, Anselme Delmare a été découvert mort par son jeune ouvrier Fabien Dourgues. Scène macabre : le corps de la victime a été scié en deux dans l’usine inoccupée ce dimanche-là. Pour Aglaée Boulu, le plus simple consiste à s’installer dans une auberge des environs, où elle sait que les clients sont choyés. Ayant recueilli Choupa, le chien de la victime, la policière annonce le meurtre à Suzie Delmare, désormais veuve du patron de la scierie. Celle-ci ne paraît pas choquée ni émue par ce décès sanglant. Elle prendra bien vite la relève afin que se poursuive l’activité de son mari. Mais la situation de l’entreprise était loin d’être aussi saine qu’il semblait, Delmare étant endetté. 

Le forestier Simon Campan ayant eu voilà peu un différend commercial avec la victime, il pourrait faire un bon suspect – encore que ce soit improbable. C’est plutôt Marc Vauché qui peut tirer parti de la mort de Delmare. Marié à une amie de Suzie Delmare, il avait prêté une forte somme au défunt, et couvrira la dette en récupérant la scierie. La veuve va tenter le maximum afin que ça ne se produise pas, mais ce sera compliqué. Sans doute le jeune et ambitieux Fabien Dourgues est-il son amant. Toutefois, ce dernier ne pense pas que ce soit par la force qu’ils trouveront une solution. À l’auberge, la commissaire a plus ou moins sympathisé avec le comte Danjou, un aristo local connaissant la région et l’état d’esprit d’ici. C’est alors que Francesco Falcone, commandant de police corse et ami intime d’Aglaée Boulu, fait son retour dans la vie de la policière.

Existe-t-il un rapport entre la mort – supposée accidentelle – d’Eugénie Catel, gardienne de troupeau âgée de quatre-vingt-douze ans mais toujours vaillante – et le meurtre d’Anselme Delmare ? Deux morts violentes en moins d’un mois dans ce secteur, c’est assez troublant. En fait, la population a déjà désigné son coupable : François Rébac, instituteur au village, très apprécié des enfants, qui a le défaut d’être d’origine citadine. On n’hésite pas à manifester face au maire et à la commissaire pour l’affirmer. Rumeurs et commérages, plus qu’éléments concrets, à vrai dire. C’est encore le jeune Fabien qui va découvrir la deuxième victime : le forestier Simon Campan a été agressé sur son tracteur alors qu’il travaillait dans son champ, avant d’être assassiné. À l’évidence, il s’agit du même coupable. Ça ressemble davantage à une série de vengeances qu’à autre chose.

Tandis que Suzie Delmare s’évertue à garder la scierie – même s’il ne provoque rien, Fabien espère bien que ça lui sera profitable, la commissaire Aglaée Boulu (avec le chien Choupa) et Francesco Falcone poursuivent toutes les pistes crédibles. Les témoignages ne sont que relatifs, et il faut éviter que les habitants s’excitent davantage. C’est plus sûrement un épisode du passé qui justifie ces crimes…

Jérôme Sublon : Corps rouge dans le Vercors (Éd.du Caïman, 2018)

L’homme se mit lui aussi à se mouvoir. Il leva son morceau de bois au ralenti, comme on le fait d’une masse pour cogner un coin planté sur une bûche que l’on veut fendre. Le choc produisit un son mat. Le crâne de Simon s’enfonça dans les brins de blé fauchés. Ce deuxième coup l’avait tétanisé mais il avait conservé sa lucidité. Il assista inerte à la suite. Il vit son agresseur s’accroupir, poser son bâton, leurs regards se croisèrent un temps qui lui semblait sans fin. L‘homme prit Simon par les bras et le traîna à la lisière du champ, là où attendait le matériel qui devait faire suite à la moisson…

La littérature policière inclut diverses formes, sociétales ou énigmes pures, mais le roman d’enquête traditionnel est toujours une de ses valeurs sûres. C’est ce que choisit Jérôme Sublon pour nous raconter cette affaire. Après les deux tomes de “Nozze nere” (Éd.du Caïman) dans le décor corse, c’est dans les montagnes du Vercors qu’il situe cette nouvelle affaire. Même dans une France qui s’est beaucoup urbanisée, ces communes rurales ne changent pas tant. "Vox populi" a tôt fait de choisir un responsable, de préférence quand il vient d’ailleurs. Et les sourdes rancœurs peuvent rester vives. Éternel facteur humain ! Aglaée Boulu se montre plutôt flegmatique, observant sans juger, ne précipitant pas des conclusions qui seraient erronées. La narration soigneusement détaillée n’en est pas moins fluide, dans un climat sans lourdeur inutile. On suit donc avec grand plaisir les investigations de cette sympathique policière.

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