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9 juin 2017 5 09 /06 /juin /2017 04:55

La Bête du Gévaudan ! Fût-ce superficiellement, cela fait partie de notre culture générale. Si l’Histoire a retenu cet exemple, alors que d’autres "bêtes" meurtrières sévirent en ces temps anciens, c’est dû à plusieurs raisons. D’abord, l’animal monstrueux s’attaqua aux populations de juin 1764 à juin 1767, causant trois longues années de terreur. On recensa autour d’une centaine de victimes, nombre conséquent. Ensuite, l’affaire ne se borna pas au territoire de la Margeride, du côté de la Lozère, la Haute-Loire et le nord de l’Ardèche actuels. Les autorités royales furent bientôt informées, et prirent des mesures afin que soit traquée et supprimée la bête tueuse. Enfin, des questions restent posées sur la nature même du monstre. Loup, chien-loup, hyène, animal hybride ? Au fil des siècles, on osa de multiples théories, parfois agrémentées d’une part de sorcellerie.

Pierric Guittaut est, entre autres, l’auteur de “La fille de la pluie” (2013) et “D’ombre et de flammes” (2016), deux romans publiés dans la Série Noire. Mais ce n’est pas une fiction qu’il nous propose cette fois. Amateur de ruralité et chasseur, il s’est passionné depuis plusieurs années pour la Bête du Gévaudan, collectant une grande quantité d’information, de documentation. Cet ouvrage très complet inclut des photographies prises par l’auteur – sur les lieux concernés où il s’est rendu, et des illustrations d’époque – en particulier, des croquis d’animaux pouvant se rapprocher du fameux monstre. Par un récit très vivant, Pierric Guittaut décrit cette région montagneuse aride et rude, hostile et très froide durant les six mois de l’hiver, et reconstitue les faits chronologiquement en détail. Ici, on est vraiment dans un contexte régional sous le règne de Louis 15.

Dès les premières attaques meurtrières, Étienne Lafont – haut-responsable local – prend le problème au sérieux. Certes, arriveront divers autres intervenants, dont des chasseurs émérites s’intéressant peut-être davantage aux primes allouées qu’à tuer la Bête. Car il faut souligner que des sommes d’argent considérables ont été consacrées, par le pouvoir royal, à la traque du monstre. Néanmoins, les rapports d’Étienne Lafont sont précieux. François Antoine est probablement un des meilleurs chasseurs du pays, son titre de porte-arquebuse du roi n’est pas usurpé. Jusqu’alors, les battues à travers la campagne n’ont été d’aucune efficacité, et même les bons chasseurs du cru ont souvent raté la Bête. Il est vrai que, touché par certains tirs, le monstre n’a jamais été gravement blessé, semble-t-il. Son atout principal, surprenant pour un canidé, c’est son extrême mobilité.

Pierric Guittaut : La Dévoreuse (Éd.De Borée, 2017)

Étienne Lafont, lui, est plus prudent, il écrit le lendemain au même: "Les suites feront connaître ce que l’on peut attendre de cet événement, après les blessures que cette bête à reçues et auxquelles elle a échappé l’on n’ose se flatter de rien." Le syndic sait que l’espoir avait été grand en mai dernier, après les blessures infligées par les frères de La Chaumette, mais que la déception n’en avait été que plus terrible lors de la réapparition de l’animal, toujours aussi sanguinaire. En dépit de tout ce qui nous sépare du Gévaudan d’alors, on imagine sans peine cette nouvelle attente fébrile qui s’empare de tous à la suite de l’exploit de Marie-Jeanne Vallet. Attente faite d’un mélange d’espoir à l’idée que la Bête expire finalement son dernier souffle maudit dans quelque recoin de la Margeride, et de consternation à voir réapparaître sa silhouette aussi familière que redoutée venir hanter à nouveau les pâtures. Autorités, chasseurs ou habitants du Gévaudan, tous retiennent alors leur souffle, un œil sur l’horizon et la ligne sombre des forêts de la Ténézère ou du bois Noir, en attendant les cris qui ne manqueront pas de courir les campagnes. Puissent-ils être de joie, et accompagner la nouvelle qu’enfin, la Bête est morte.

Les efforts de M.Antoine sont couronnés de succès en septembre 1765. L’animal est enfin abattu, au grand soulagement des habitants, et des autorités royales qui s’en glorifient. Mais quelques semaines plus tard, d’autres attaques mortelles sont à déplorer. Et à partir du printemps suivant, la Bête tue avec frénésie. On peut raisonnablement penser que le monstre s’est trouvé une compagne louve, et peut-être ont-ils un louveteau. Est-ce ce qui accroît le nombre de victimes ? Pas exclu. En tout cas, il reste encore impossible de situer la tanière de la Bête. Si l’on abat quelques loups ordinaires, pas rares dans la région, et si des courageux mettent en fuite le monstre, il représente toujours une menace. Quant au pouvoir royal, il se désintéresse désormais de la question, laissant se débrouiller seuls les gavauds, la population de ces montagnes.

C’est donc en juin 1767 que la Bête du Gévaudan sera tuée par un groupe de chasseurs s’étant organisé pour la cerner. Des descriptions précises de l’animal, il en existe de très pointues. Toutefois, cela ne permet pas de savoir à quelle espèce exacte il appartenait. Un loup commun d’une taille et d’une force extraordinaire, un chien-loup issu de croisement et qu’on aurait dressé pour attaquer les humains, une hyène livrée à elle-même ou ayant subi une mutation génétique, ou bien encore un animal cryptide d’une espèce inconnue? Pierric Guittaut étudie toutes les possibilités. Il a même opéré des tests de tirs, afin de comprendre comment la Bête résistait aux blessures de fusils. En se documentant sur des cas d’autres animaux-tueurs de l’époque, il envisage qu’il puisse s’agir d’un loup-cervier ou d’une sorte de hyène canine, analyses et gravures d’époque à l’appui.

C’est dans le Valais, en Suisse, que l’auteur pense avoir déniché la meilleure piste. Ainsi, il poursuit ses investigations jusqu’à Sion. Où l’on trouve un loup de race spécifique, qui fut dans les siècles passés presque aussi meurtrier que la Bête du Gévaudan… Il s’est publié quantité de livres, avec autant d’hypothèses variées et sûrement parfois farfelues, sur le sujet. Force est de reconnaître que Pierric Guittaut se singularise par la qualité supérieure de son enquête. Loin d’une synthèse artificielle ou d’un ordinaire résumé de l’histoire, le déroulement de cette mystérieuse affaire est présenté de façon captivante. Grâce à un récit basé sur les témoignages écrits, mais qui sait également aborder les comportements et la psychologie des protagonistes. Quant à "l’étude animalière", elle est très fouillée, ne négligeant aucune version de l’ordre du possible. Un ouvrage remarquable.

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7 juin 2017 3 07 /06 /juin /2017 04:55

En ce milieu des années 1950, Sidney Chambers est le jeune chanoine de la paroisse de Grantchester, à côté de Cambridge. Sa vie de pasteur pourrait être des plus ordinaires, entre son chien Dickens, son assistant Leonard Graham et sa cuisinière, Mrs Maguire. Côté cœur, il reste le meilleur ami de la londonienne Amanda Kendall, mais il est plutôt épris de Hildegard Staunton. Si cette musicienne classique est retournée en Allemagne, à Berlin, le pasteur garde le contact avec elle. Sidney Chambers est proche de l’inspecteur Keating. Le policier voit d’un bon œil les investigations de son ami lorsque se présente un cas litigieux ou criminel. En ce neigeux mois de janvier 1955, se produit une nouvelle affaire.

Sidney Chambers est témoin d’un incident mortel sur les toits de Cambridge, impliquant deux étudiants et M.Lyall, un directeur d’études âgé de cinquante-deux ans. Ce dernier a fait une chute accidentelle au cours de cette escalade malvenue. Pour Rory Montague, un des étudiants, qui ne cache guère ses naïves sympathies communistes, il s’agit seulement d’un accident. Mais l’autre jeune homme, Kit Bartlett, ayant disparu à cette occasion, on est en droit de s’interroger. D’ailleurs, l’appartement de celui-ci est bien trop propre pour un étudiant, comme nettoyé. Ce n’est pas l’ex-épouse de M.Lyall qui redorera la mémoire du défunt. Avec le policier Keating, Sidney Chambers inspecte le toit fatal. En ces temps de guerre froide, cette mort aurait-elle des relents d’espionnage ?

En août 1957, un impressionnant incendie détruit les locaux loués par Daniel Morden, un photographe. Il est probable que cela n’ait rien d’accidentel. Sidney Chambers s’entretient avec Morden, absent au moment des faits. Celui-ci connut une petite notoriété à l’époque du cinéma muet, mais n’a plus beaucoup d’ambition. Il admet tirer le portrait de jeunes filles, parfois mineures. Ce qui pourrait rendre suspect Jerome Benson, taxidermiste et chasseur, voyeur pervers à ses heures. Le garagiste Gary Bell, loueur des lieux incendiés, n’est pas moins suspect. À cause d’un bidon d’essence, mais surtout parce sa petite amie Abigail Redmond, fille de fermiers, s’imaginait devenir mannequin et s’adressa à Morden.

Cette année-là, à l’époque de la Semaine Sainte, Hildegard est de retour au village. La mort d’Adam Cade, professeur de mathématiques de trente-cinq ans, mérite que Sidney Chambers s’y intéresse. Il a été victime d’une crise cardiaque alors qu’il prenait un bain. Il est vrai que Cade était d’un tempérament tendu. Il supervisait les travaux de l’électricien Charlie Crawford, en train de rénover certains locaux de Cambridge. Ce dernier est bientôt renvoyé par le Professeur Edward Todd, collègue d’Adam Cade avec lequel il menait des recherches scientifiques. Sidney, Hildegard et Charlie s’introduisent dans l’appartement de Cade, afin de confirmer leurs hypothèses pouvant expliquer autrement le décès.

Autour d’un match de cricket, Sidney Chambers s’aperçoit qu’existe une idylle entre Annie Redmond, la fille de l’épicier, et Zafar Ali, un Indien musulman. À l’issue du match, Zafar est empoisonné, et ne survivra que quelques jours. La légiste Derek Jarvis confirme avoir décelé de l’antimoine et du thallium. Davantage que la boisson qu’il avala, c’est peut-être un objet qui, en priorité, intoxiqua Zafar Ali…

Les années passant, et son exubérante amie Amanda étant sur le point de se marier, Sidney Chambers ne devra-t-il pas retourner à Berlin ? Pour enquêter, sans doute, mais aussi pour envisager le mariage avec Hildegard…

James Runcie : Sidney Chambers et les périls de la nuit (Actes Noirs, 2017)

En roulant dans Cambridge à bicyclette, Sidney s’interrogeait sur le sens de tout cela. Pourquoi quelqu’un voudrait-il brûler un pavillon d’aussi peu de valeur ? Était-ce une simple fraude à l’assurance, ou pouvait-il s’agir de quelque chose de plus grave ? Gary Bell, ou même Abigail Redmond, pouvaient-ils avoir allumé le feu pour se débarrasser de Daniel Morden ? Dans ce cas, il eût été plus simple de ne pas renouveler son bail. Peut-être existait-il un lien sentimental entre Morden et Abigail, même si celle-ci était encore bien jeune ? Et, à entendre Abigail, Benson le taxidermiste semblait être un peu coureur de jupons ; et peut-être même pire. Morden le connaissait-il bien ?

James Runcie : Sidney Chambers et les périls de la nuit (Actes Noirs, 2017)

Héros très attachant, ce pasteur anglais trentenaire vécut ses premières aventures dans “Sidney Chambers et l’ombre de la mort”, désormais disponible en format poche dans la collection Babel Noir. Le voici de retour avec, comme dans le premier tome, une série de six enquêtes. Il est utile de préciser que ce ne sont pas strictement des nouvelles, au sens où l’on trouve ici une sorte de continuité narrative. Ce qui prime, c’est l’univers de Sidney Chambers, avec ses proches, ce village caractéristique qu’est Grantchester, les collèges de Cambridge, ainsi que le contexte d’après-guerre.

Le mode de vie traditionnel est encore assez figé dans cette Angleterre de la fin des années 1950. Dans une paroisse, le pasteur reste un des pivots pour la population locale. (Bien que se sachant observé par ses ouailles, Sidney Chambers s’amuse à acheter une revue érotique pour se documenter, ce qui pourrait outrer les habitants). Par ailleurs, la Grande-Bretagne sera durablement marquée par des scandales concernant des affaires d’espionnage touchant l’élite du pays. Mais il faut surtout retenir que ce prêtre n’est ni un policier, ni un juge. S’il contribue à faire arrêter des criminels, il sait faire preuve d’une compréhension et d’une magnanimité digne de sa fonction ecclésiastique.

Au fil de ses investigations, on ne perd pas de vue la situation sentimentale de Sidney Chambers. Entre Amanda et Hildegard, son cœur balance ? C’est plus subtil que ça. Veuve et Allemande, aimant Bach et la musique classique alors que Sidney préfère nettement le jazz, Hildegard hésite autant que lui à s’engager. Quant à Amanda, elle est sans doute un peu trop libre et "moderne" pour jamais devenir l’épouse d’un pasteur. Outre les intrigues proprement dites, bien sûr énigmatiques, c’est le portrait nuancé de la société britannique et de l’époque que l’on aime dans ces mystères de Grantchester.

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6 juin 2017 2 06 /06 /juin /2017 04:55

Amateur de bières, de tabacs forts, de plats en sauces, de nuits blanches et de bastons virulentes, le quinquagénaire parisien Jacques Bower doit suivre l’avis de son médecin traitant, et se mettre à la diète. Pour commencer, il va prendre l’air sur la côte belge, vers La Panne et Furnes. Pas tellement pour raisons de santé, ni même pour fuir sa compagne Véro, shampouineuse pour animaux. Un fait divers a attiré son attention. Van Haag, ex-conservateur du musée Paul Delvaux à Saint-Idesbald, est mort dans l’éplucheuse automatique d’une usine de frites surgelées en Flandres. Bien que sa présence là reste inexplicable, on a conclu à un simple accident.

Tout juste Bower sait-il que Van Haag organisa une rétrospective consacrée au peintre Paul Delvaux, exposition annulée au dernier moment. Madeleine, actuelle conservatrice du musée, lui apprend que Van Haag fut jadis membre d’un obscur mouvement artistique, les Reculistes. Devenus proches de Delvaux grâce à leur égérie Lotte, aucun d’eux n’a jamais connu la célébrité. Sauf Wout Baeteman, qui expose dans une galerie de La Panne, à la place de la rétrospective prévue. Bower sympathise avec Léopold Spriet, un des derniers Reculistes. De leur groupe artistique, il resta ami avec Van Haag et le comédien Jonas.

Bower visite l’expo des œuvres de Baeteman. Selon le propriétaire de la galerie, c’est de l’art transgressif. Pour Bower, c’est merdique à vomir. Le lendemain à Furnes, il tente de contacter Jonas, à l’occasion de la Procession des pénitents. Le comédien est abattu d’une balle en pleine tête. Au domicile de Jonas, il trouve pour principal indice une date, le 2 août. Les mêmes adversaires s’en prennent bientôt à la maison de Madeleine, la conservatrice du musée. Bower se rend à Merwijk, ville dont le bourgmestre n’est autre que Colvenaer, propriétaire de la galerie d’art. Il perçoit vite ici l’hostilité des Flamands contre l’ensemble des francophones. Une ambiance cultivée par le bourgmestre Colvenaer, leader d’un groupe politique à l’idéologie fasciste, prônant une supériorité flamande. Ceux qui le dérangent ont droit aux méthodes musclées de Clarence, son homme de main.

S’il est expulsé manu militari de chez Colvenaer, Boer a quand même croisé la fameuse Lotte. Après avoir interviewé le médiocre peintre Baeteman, Bower est agressé sur ordre de Colvenaer. Il trouve refuge et soins chez Léopold Spriet, qui préfère s’éloigner. Il est temps que Bower soit rejoint par son ami Karim, afin d’affronter en duo leurs ennemis…

Maxime Gillio : La fracture de Coxyde (l’Atelier Mosésu, 2017)

Jacques Bower est un proche cousin de Gabriel Lecouvreur, aussi fouineur et indépendant que lui, partageant certains de ses goûts, il possède son caractère personnel. D’ailleurs, le surnom de Bower est Le Goret, ce qui désigne un jeune cochon, non pas un octopode à longs bras genre pieuvre… ou Poulpe Les tribulations flamandes de cet enquêteur autonome l’amènent à prendre de vrais risques. Les milieux artistiques belges s’avèrent terriblement dangereux. Ses mésaventures sont toutefois ironiques et souriantes, l’auteur prenant plaisir à nous entraîner dans de multiples péripéties. On retrouve la tonalité de “Les disparus de l’A16”, avec cette forme narrative mouvementée et débridée qui convient à Maxime Gillio.

Excellente initiative que de rééditer “La fracture de Coxyde”. Si elle est diablement agitée, cette histoire se veut aussi un hommage au peintre Paul Delvaux. En outre, l’auteur y effleure la délicate situation politique belge, gangrenée par les alliances entre nationalistes flamands et groupes néo-nazis. Mieux vaut retenir, comme on le fait ici, les spécialités culinaires et l’assortiment de bières qu’offre la Belgique. Dans la meilleure tradition du roman populaire, ce roman palpitant nous offre une fort excitante comédie policière.

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5 juin 2017 1 05 /06 /juin /2017 04:55

De 1956 à sa mort en 1970, le président égyptien Nasser est l’homme le plus influent du monde arabe. En particulier, parce qu’il a résisté aux Occidentaux après avoir nationalisé le Canal de Suez. C’est à l’initiative de ce partisan du panarabisme que se crée un nouvel État regroupant l’Égypte et la Syrie : la République Arabe Unie dure de février 1958 à septembre 1961. Le régime nassérien est autoritaire, ce qui provoquera cette scission côté syrien. Ville multimillénaire de Syrie, Alep compte plus de 425000 habitants en 1960. Les monuments historiques et religieux sont nombreux. L’activité économique et touristique reste importante, malgré un certain déclin, pour ce pays du Moyen-Orient.

Golam Naghizadeh est un prospère boutiquier des souks d’Alep. Son frère aîné Rezah est professeur d’études coraniques à la célèbre université El Azhar, au Caire. Il maîtrise tous les aspects de la religion musulmane. Rezah Naghizadeh est clandestinement de retour à Alep, avec son ami Derradji. Ce dernier ne tarde pas à supprimer un voisin commerçant trop curieux, à la solde de la police nassérienne. Ce qui n’est pas sans conséquences pour Golam, et pour le jeune agent de la CIA qui le surveillait, Cliff Hanford. Le commissaire Azzem est sans pitié pour les opposants à Nasser. Tandis que Rezah se cache, Derradji tente de prendre contact avec quelqu’un qui pourra les aider à quitter la Syrie.

Si Rod MacKenna est l’agent officiel de la CIA à Alep, c’est l’espion Gary Farrell qui a été chargé du cas Rezah Naghizadeh. “Assurer la sécurité, puis l’évacuation de Rezah hors des frontières syriennes ; ramener, par n’importe quel moyen, dans n’importe quelle condition, les connaissances qu’il transportait dans sa tête, les documents qu’il pouvait détenir, telle était la mission qui avait motivé l’envoi en République Arabe Unie d’un agent spécial chevronné. Mais apparemment, il y avait de la concurrence”. En effet, le contact de Rezah semble être Fara Millâh, d’origine iranienne. Âgée de dix-sept ans, cette jolie jeune fille en paraît vingt, et profite de son charme oriental pour allumer les hommes.

Bien que Gary Farrell ait prié MacKenna de se faire discret, l’agent local a la mauvaise idée de rechercher Rezah de son côté. Pendant ce temps, Gary s’introduit chez Fara Millâh afin de lui faire avouer ce qu’elle sait. Le commissaire Azzem et ses hommes ne tardent pas à débouler dans cet immeuble, recelant plusieurs cadavres. Tandis que Fara fait l’innocente face au policier, Gary doit se cacher chez l’habitant voisin, son compatriote Greg Wilson. Le lendemain, lors d’une visite guidée de sites remarquables d’Alep, Gary et Fara essaient de retrouver Rezah. Mais, dans la Citadelle, le couple est bientôt en danger. Ils le sont encore bien plus quand le commissaire et ses sbires reviennent à l’appartement de Fara…

Gilles Morris-Dumoulin : La barbe du Prophète (Presses de la Cité, 1961)

Le commissaire Azzem, grand amateur de beauté féminine, ne regrettait pas d’avoir sonné personnellement à la porte de Fara Millâh. Cette petite était une merveille ambulante ! Surtout dans ce déshabillé, sous la lumière vive du salon. Chaque fois qu’elle s’y exposait, selon certains angles, elle était pratiquement nue, mais dormait debout et ne paraissait pas s’en douter une seconde. Azzem en avait les tripes sciées au niveau du diaphragme.
Elle ne savait rien, naturellement. Elle n’avait rien vu, rien entendu. D’ailleurs, Azzem s’était renseigné entre-temps sur les locataires de l’immeuble, et les parents de cette mignonne étaient riches, influents. Elle ne pouvait pas être compromise dans une telle aventure. Elle écouta, les yeux progressivement agrandis, le récit de la découverte des trois policiers massacrés dans le hall de l’immeuble, et de ce quatrième cadavre sur le toit-terrasse, et de tout ce sang répandu, quelle horreur !

Hommage à Gilles Morris-Dumoulin, décédé l’année dernière à 92 ans, le 10 juin 2016. Traducteur et auteur, il écrivit quantité de romans policiers à suspense, d’anticipation et d’espionnage. Il fut récompensé en 1955 par le Grand Prix de Littérature Policière. Pilier de la collection Un Mystère, Gilles Morris-Dumoulin deviendra un des auteurs importants du Fleuve Noir à partir de la décennie 1960. Fertiles en péripéties, tous ses romans sont placés sous le signe de l’aventure, de l’action et du mystère. C’est particulièrement le cas quand il traite d’espionnage. Bien que paru dans une petite collection populaire en 1961, “La barbe du Prophète” n’est pas une affaire basique de rivalité entre agents secrets, comme il s’en publia tellement au temps de la Guerre Froide.

Ce roman témoigne d’un épisode sans doute oublié de l’Histoire du 20e siècle. Avant que s’imposent l’Arabie Saoudite et les Émirats, c’est l’Égypte du président Nasser qui possède la plus forte image au Moyen-Orient, à l’époque. Fédérer et moderniser le monde arabe, telle est l’ambition de Gamal Abdel Nasser. Autour de 1960, pendant trois ans, il organise une union entre son pays et la Syrie, mais ses méthodes se heurtent à des oppositions. Il n’est pas impossible que les pays occidentaux, craignant la puissance de Nasser, se soient efforcés de contrecarrer l’essor de cette République Arabe Unie. Il est vrai que cette région du monde grouillait d’espions de tous les camps, en ce temps-là.

C’est avec précision et d’une façon très vivante que Gilles Morris-Dumoulin nous présente la ville d’Alep, s’étant parfaitement documenté sur les lieux décrits : “Laissant sur sa gauche le consulat de France et l’église latine, il atteignit la rue Tilel qui marque, à l’est, une frontière sans transition entre la moderne Aziziyé et l’antique Djédéidé, quartier pittoresque riche en vieilles maisons orientales. À l’angle de la rue Nayal, il sauta dans un tramway, descendit au carrefour des rues Naoura, Tchiftlik et Kalaseh…”

Mais il est ici également question de religion, le futur exfiltré Rezah Naghizadeh étant un spécialiste de l’Islam, un expert du Coran. En marge du récit, des annotations de bas-de-page expliquent les références musulmanes. On souligne que le mot "djihad" signifie plutôt "lutte collective" que "guerre sainte", relativisant la notion de combat armé. Ce qui montre qu’existe de longue date une ambiguïté sur la lecture et la traduction du Coran. Un petit roman d’espionnage ? Peut-être, car les codes du genre sont largement utilisés. Mais une intrigue qui offre aussi, encore aujourd’hui, matière à réflexion.

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4 juin 2017 7 04 /06 /juin /2017 04:55

La brune quinquagénaire Agatha Raisin a du mal à accepter le ratage de son mariage avec le colonel retraité James Lacey, son voisin et amant au village de Carsely. Ils avaient prévu un voyage de noces, mais il est parti sans elle à Chypre, dans la partie nord turque de l’île. De caractère obstiné, Agatha entend renouer sans tarder avec James. Aussi prend-elle bientôt l’avion pour le rejoindre. En ce chaud mois de septembre, Agatha débarque à Kyrenia, et s’installe au Dome Hotel. Elle ne sait trop où se trouve la villa louée par James à son ami d’antan Mustafa, mais elle est assez futée pour le découvrir. Entre-temps, elle fait la connaissance d’un groupe de touristes anglais, une demie-douzaine de personnes.

Une balade en bateau, un dîner avec eux, ça tisse quelques liens superficiels. Il y a là deux couples, accompagnés chacun d’un ami. Olivia et ses proches représentent la classe riche et hautaine de la société britannique. Rose, son mari Trevor et leur ami Angus, font plutôt partie de la classe moyenne aisée. Si elle joue les allumeuses un peu vulgaires, Rose est plus cultivée qu’il y paraît, ce qu’Agatha réalise très vite. Les deux trios s’avèrent mal assortis, mais les Anglais en vacances s’accordent malgré tout avec des compatriotes. Si Agatha a retrouvé James, celui-ci se montre tout au plus courtois, mais conserve une distance certaine avec elle. Il s’inquiète surtout de savoir où est passé son ami Mustafa.

Lors d’une soirée en discothèque, Rose est assassinée. Comme les autres, Angela et James sont interrogés par l’inspecteur Nyall Pamir, de Nicosie. Ce dernier est un pro de la police, parfaitement renseigné sur ce qui se passe dans sa juridiction. Il conseille à Agatha de ne pas se mêler de l’enquête. Voulant rendre James jaloux, Agatha tente de séduire un touriste, Bert Mort. Ça ne va pas du tout, en réalité. Par contre, sir Charles Fraith est aussi en vacances à Chypre. Cet ami quadragénaire d’Angela ne manque pas d’atouts. Les circonstances font que Charles et elle passent une nuit ensemble. Pas sûr que ça donne envie à James de reconquérir Angela, lorsqu’il découvre cette liaison passagère.

En visite au château de Saint-Hilarion, Angela est agressée par un inconnu. L’inspecteur Pamir ne prend pas la chose à la légère. Afin d’obtenir davantage d’informations sur le groupe d’Anglais, Agatha a contacté son ami Bill Wong, jeune policier de Mircester. Rien de véritablement suspect les concernant. Si ce n’est que Trevor, le mari de Rose, héritera – ce qui ne peut qu’améliorer sa situation financière difficile. Celui-ci ne cache pas sa nervosité envers Agatha, n’appréciant guère qu’elle joue au détective. D’ailleurs, même si le groupe a tenu une conférence de presse en commun, lançant un appel à témoins, il existe des tensions entre eux. De nouveau, Agatha est attaquée, dans sa chambre d’hôtel cette fois. Malgré sa petite expérience, pas évident qu’elle réussisse à identifier l’assassin…

M.C.Beaton : Agatha Raisin – Vacances tous risques (Albin Michel 2017)

— On pourrait penser à un crime prémédité. [Le policier se pencha en avant]. Quelqu’un était prêt à saisir l’occasion. Peut-être quelqu’un qui connaissait le système d’éclairage de ce club. Quand la lumière tourne, tout devient noir par moments. Savez-vous si l’un de vous s’y était déjà rendu ?
— Je ne sais pas, répondit Agatha avec lassitude. Je les connais à peine. Mais peut-être pourrais-je vous aider. J’ai déjà collaboré avec la police auparavant. La clé du meurtre doit se trouver dans leur passé, si l’un d’entre eux est le meurtrier. Mais si je pouvais simplement étudier…
— Non, la coupa Pamir avec fermeté. Pas d’amateurs chez moi. Je vous suggère de profiter un peu de vos vacances et d’oublier tout ça.

C’est la 6e aventure d’Agatha Raisin, série qui a connu un très beau succès en Grande-Bretagne, avant de plaire au public français depuis 2016. Ces “Vacances tous risques” sont dans la continuité de “Pour le meilleur et pour le pire”, la 5e enquête. Même si l’on n’a pas lu l’épisode précédent, on comprend rapidement l’origine de ces tribulations chypriotes. Le décor des Cotswolds, avec ses villages "à l'ancienne", c'est très agréable. Mais les Anglais quelque peu fortunés aiment voyager pour trouver le soleil. Ils semblent avoir certaines affinités avec la moitié turque de cette île méditerranéenne. Au fil des péripéties, l’auteure nous présente plusieurs sites locaux remarquables. Comme toujours, Agatha va beaucoup se démener au cours de ce séjour : avec elle, il faut que ça bouge !

Il s’agit d’une comédie à suspense, avec son flot permanent de rebondissements, dans la meilleure tradition du genre. Histoire humoristique, certes, qui s’appuie néanmoins sur une vraie intrigue criminelle : qui a tué l’extravertie Rose Wilcox, et pourquoi ? Les cinq suspects, nous les situons facilement, mais qui est coupable ? L’inspecteur Pamir ne les perd pas de vue, Agatha non plus. Sujet auquel s’ajoute le jeu amoureux entre James et Agatha, celle-ci éprouvant de sérieuses difficultés à lui faire oublier leurs déboires passés. Les enquêtes d’Agatha Raisin sont extrêmement divertissantes, c’est donc un bonheur de la suivre dans ses investigations agitées.

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2 juin 2017 5 02 /06 /juin /2017 04:55

1810. L’Argentine est encore le vice-royaume du Río de la Plata, dépendant de l’Espagne. À Buenos Aires, le poids du régime hispanique se fait toujours sentir. Mais quelques notables s’étant enrichis dans le commerce veulent s’affranchir de cette tutelle. Au besoin, en s’entendant avec les Indiens et les Noirs, contre l’autorité espagnole. N’ont-ils pas repoussé seuls des tentatives d’invasion ces dernières années ? Certains fortunés restent fidèles à l’Espagne, d’autres complotent. La révolution est proche en ce mois de mai.

Sexagénaire, Doña Felicity est membre de la haute société de Buenos Aires. Elle incarne la référence absolue en matière de savoir-vivre. La rigueur des convenances reste la base de leur statut social. Son défunt époux George Jones fut un homme d’affaires, qui pratiqua entre autres le commerce des esclaves. Désormais ruinée, Doña Felicity habite sa maison sans confort avec son petit-fils Félix, dix-huit ans. Celui-ci est le collaborateur de Natanael Blanco, un homme savant qui projette de semer un esprit culturel dans ce territoire du Río de la Plata. Quant à Doña Felicity, elle tente de préserver les apparences.

Les obsèques du riche Anselmo Padilla se préparent. Appartenant au même milieu, Doña Felicity rend une visite de courtoisie à la famille. Elle est amie avec Malgosia Padilla, trente ans, deuxième épouse du défunt. Elle a moins d’affinités avec Leonardo, frère d’Anselmo, quadragénaire autoritaire. Fille d’Anselmo, âgée de seize ans, la turbulente Luz joue les exaltées, favorable à la révolution qui couve. Doña Felicity se doute que la jeune fille est peu éduquée, sachant mal lire et écrire, les femmes devant garder une certaine futilité. Luz se rebelle contre le futur mariage arrangé qui lui sera très bientôt imposé.

En présence de Doña Felicity, on découvre le cadavre d’une inconnue dans la bibliothèque des Padilla. La pièce étant fermée à clé, il s’agit probablement d’un suicide. On identifie la victime : Julia Soto, nourrice, était l’employée de la famille Valbuena. Pourquoi serait-elle venue se supprimer chez les Padilla ? Pour Doña Felicity, la scène du crime n’est pas aussi claire qu’il y paraît. Elle est invitée par Malgosia Padilla à séjourner chez eux, le temps de mener sa petite enquête. Ce sera plus agréable que dans sa propre maison. Elle pourra inculquer à Luz quelques rudiments d’éducation et, peut-être, de savoir-vivre.

Les conseils de Natanael ne sont pas inutiles, lui donnant l’idée de tester la fenêtre de la bibliothèque du crime. C’est surtout dans le quartier de Monserrat, ghetto des esclaves Noirs, que Doña Felicity et Luz espèrent trouver une piste valable. Hospitalisé, le mari malade de Julia leur donne une adresse où, elles le vérifient, se tiennent des réunions secrètes. Elles s’informent aussi chez les Valbuena, et auprès de Pénélope, amie nourrice de la victime. Tandis que l’heure est aux changements politiques à Buenos Aires, il est temps pour Doña Felicity de dénouer cette affaire…

Maïté Bernard : Manuel de savoir-vivre en cas de révolution (Éditions Le Passage, 2017)

Felicity évalua la situation. Elle était venue le voir parce qu’il fréquentait les Valbuena, mais aussi parce que c’était la personne la plus cultivée qu’elle connaisse, et qu’il pouvait peut-être identifier le petit personnage sur les cartes trouvées chez Manuel Toluto et au couventin de la lune. Maintenant, elle se disait que cette culture pouvait peut-être l’aider à éclaircir ce qu’elle n’avait pas compris sur la scène de crime. Pouvait-elle se risquer à partager ses doutes ?
— Vous avez peut-être entendu dire que la bibliothèque était fermée de l’intérieur, commença-t-elle. Nous avons retrouvé la clé dans la poche de la victime. J’ai été la première personne à entrer. Ce que j’ai vu…
Elle hésita en reconnaissant de la compassion sur le visage de Natanael. Il ne s’étonnait pas qu’elle puisse penser, mais elle restait quand même une femme, c’est-à-dire une personne guidée par ses émotions, et il n’avait pas l’air d’imaginer que son cerveau puisse s’être mis en marche dès qu’elle avait aperçu la morte. Tant pis, elle n’aurait pas d’autres opportunités.

On pourrait se contenter de la double étiquette, roman d’enquête et polar historique. Mais ce serait sans compter sur la subtilité de Maïté Bernard. Alors que, justement, tout est ici dans la manière d’agencer et de raconter. C’est donc une période charnière de l’Argentine à naître qui sert de toile de fond au récit. Simple rébellion contre le pouvoir espagnol ? On perçoit la volonté d’autonomie, sinon d’indépendance, de cette région d’Amérique latine. Ils sont quasiment prêts, ceux qui aspirent à faire du Río de la Plata un vrai pays. Une des clés de l’intrigue est, d’ailleurs, en lien direct avec ce soulèvement. Oui, il s’agit d’un polar authentique, pas simplement un roman historique destiné à étaler l’érudition d’un auteur.

Au cœur de l’affaire, Felicity Jones n’est pas sans rappeler les enquêtrices avisées – telle miss Marple – dont Agatha Christie nous narra les aventures. Que l’on se souvienne qu’à soixante ans, une dame était jadis considérée comme une vieillarde. Malgré la dignité de son allure, Doña Felicity est une fieffée fouineuse, bien décidée à comprendre, et qui n’oublie jamais de réfléchir. Même si, avoue-t-elle, “je n’ai que des questions qui viennent s’ajouter à d’autres questions”. À ses côtés, Luz exprime toute la fougue de la jeunesse. Elle manque de maturité, mais sa pétulance la rend elle aussi fort sympathique. Moins marquant, le petit-fils Félix tient également sa fonction dans tout ça. Quant aux suspects, selon la bonne tradition, on se doute qu’ils ne manquent pas. Tonalité enjouée pour un roman à l’intrigue solide, qui nous offre un plaisir de lecture certain.

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1 juin 2017 4 01 /06 /juin /2017 16:30
Vivement septembre, à la Série Noire ! Une nouvelle éditrice arrive...

La mythique Série Noire, chez Gallimard, fut créée et dirigée par Marcel Duhamel, puis par Robert Soulat, et par Patrick Raynal. Depuis douze ans, c’est Aurélien Masson qui en avait pris la tête. Voilà quelques mois, il a décidé de réorienter sa carrière d’éditeur en partant aux éditions Les Arènes. Qui allait lui succéder ? Selon Claude Combet, de Livres Hebdo, c’est Stéfanie Delestré qui dirigera dès le 1er septembre 2017 la Série Noire. Excellente nouvelle, car c’est une professionnelle qui connaît son sujet.

Titulaire d’un doctorat de littérature comparée sur le roman noir, Stéfanie Delestré, a lancé en 2006 avec Laurent Martin le magazine Shanghai Express, collaboré au Dictionnaire des littératures policières de Claude Mesplède (Ed. Joseph K.), et à Une brève histoire du roman noir (Œil neuf éd.) avec Jean-Bernard Pouy, qu’elle a ensuite assisté à la direction de la collection "Suite noire" (Ed.La Branche). De 2008 à 2012, elle a dirigé la collection "Le Poulpe" créée par J.B.Pouy” rappelle Claude Combet dans Livres Hebdo.

Depuis 2012, elle était éditrice chez Albin Michel. Elle a largement contribué au succès de Patrick Bauwen, Sébastien Gendron, Ian Manook, et Sophie Hénaff (entre autres). Notons que Caryl Férey, écrivain surtout estampillé Gallimard, a publié en janvier 2017 “Pourvu que ça brûle” chez Albin Michel. Avec Stéfanie Delestré, on peut s’attendre à une programmation de belle qualité, en particulier pour les auteurs français.

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1 juin 2017 4 01 /06 /juin /2017 04:55

Voici disponible le 34e numéro de la revue trimestrielle Quinzinzinzili. Faut-il le rappeler ? Le contenu fait référence à l’univers de Régis Messac, universitaire de l’Entre-deux-guerres. Cette époque fut riche en mouvements intellectuels contraires. Tensions entre pacifistes et bellicistes, opposition entre partisan d’un fascisme à la française et pro-communistes. On nous donne un exemple de la complexité des opinions à travers le cas d’Henri Barbusse, auteur du livre “Le feu”, œuvre admirable sur la Première Guerre mondiale. Il finança la création en 1928 de la revue "Monde", dont l’objectif était de traiter de sujets littéraires, artistiques, scientifiques et sociaux. Si l’influence communiste y resta d’abord relative, elle s’accentua sous l’effet du stalinisme de 1933 à 1935. Un excellent article évoque cette évolution, non choisie par Barbusse.

Très bonne initiative de la collection La Petite Vermillon, aux éditions de La Table Ronde, que de rééditer cette année le roman de Régis Messac “Quinzinzinzili” (1935), qui donne son nom à cette revue. Outre l’édition d’origine, il fut publié en 1972 chez Lattès, puis en 2007 chez l’Arbre Vengeur : cette réédition est donc la quatrième parution de ce livre. L’histoire racontée par Messac, mettant en scène des enfants dans un cadre post-apocalyptique, se rapproche-t-elle de “Sa majesté des mouches”, roman de W.Golding ? D’un point de vue stylistique, cela rappelle-t-il celui de Louis-Ferdinand Céline ? Il est vrai que le narrateur avoue qu’il n’aime pas grand monde, en particulier les enfants. Et que la forme du récit est singulière. Si plusieurs "lectures" sont possibles, retenons une réflexion sur l’avenir, le renouvellement des générations.

Reprenant l’univers graphique de Jacques Tardi, Emmanuel Moynot a adapté en BD le roman de Léo Malet “Nestor Burma contre CQFD”. L’enquête du détective se situe à la fin de l’hiver et au printemps 1942, sous l’Occupation. Le chroniqueur de Quinzinzinzili admet “la qualité de l’exercice”, l’ambiance étant restituée par la version graphique. Mais il s’insurge contre certains détails inexacts, ce qui est son droit, avant de conclure que “Tout ceci n’a finalement qu’une incidence relative”. Néanmoins, cette manière de sodomiser les diptères est déplaisante. Qui se soucie à ce point des arcanes des transports publics parisiens et autres taxis d’alors ? Chicaneries assez ridicules. Retenons plutôt que Pierre Lebedel, défenseur incontesté des littératures policières, apparaît sous les traits du journaliste-éponge Marc Covet, dans les adaptations de Tardi et de Moynot.

À propos de Pierre Lebedel, il examine ici un éventuel plagiat entre “L’Atlantide”, roman à succès de Pierre Benoît, et un titre de l’écrivain anglais Henry Rider Haggard, “Elle”. Les contextes similaires entre les deux ouvrages s’expliquent probablement par l’imaginaire exotique et colonial de l’époque… Plus près de nous, la science-fiction française s’inspira en partie de la guerre d’Algérie, territoire colonisé. De Francis Carsac, avec “Ce monde est nôtre” (1962) à Gérard Klein “Les seigneurs de la guerre” (1970), jusqu’où vont les métaphores, les allusions ? La planète Nécat, de Francis Carsac, fait-elle référence à l’Afrique du Nord (ce qu’il nia fermement) ? Gérard Klein eut-il un regard plus humaniste ou distancié que son confrère ? Entre fiction et réalité, la SF a aussi ses controverses.

Coup d’œil sur le n°34 de la revue Quinzinzinzili

Par ailleurs, ce n°34 présente diverses infos, dont un article concernant une thèse sur l’écrivain Jacques Spitz, auteur de romans appartenant au genre Fantastique. On lira aussi un double hommage au regretté Jean-Louis Touchant, membre actif des "Amis de Régis Messac", qui fut président de l’association "813". Le témoignage de Jean-Luc Buard nous éclaire sur l’implication de Jean-Louis Touchant dans la culture populaire.

Chaque numéro de la revue “Quinzinzinzili” coûte 7€. On peut s'y abonner en s'adressant à la Société des Amis de Régis Messac (71 rue de Tolbiac, Paris 13e). À Paris, cette revue est disponible chez plusieurs libraires. Les romans et autres écrits de Régis Messac sont réédités aux éditions Ex-Nihilo, 42bis rue Poliveau, Paris 5e. Il publia plusieurs livres dont "Quinzinzinzili" (réédité en 2017), "Le miroir flexible", "La cité des asphyxiés", "A bas le latin !", "Valcrétin", "La loi du Kampilan". Sans oublier sa thèse “Le «detective Novel» et l'influence de la pensée scientifique”, rééditée chez Les Belles Lettres, Prix Maurice Renault 2012 de l’association 813.

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