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3 août 2017 4 03 /08 /août /2017 04:55

Matthew Scudder a longtemps été policier à New York, métier qu’il a abandonné : “Une balle perdue que j’avais tirée avait tué une fillette nommée Estrellita Rivera, mais je ne pense pas que ce soit le remords qui m’ait incité à quitter la police. En fait, cet incident avait transformé ma vision du monde, si bien que je n’avais plus envie d’être flic.” Matt Scudder a aussi quitté son épouse et ses enfants, pour loger dans une modeste chambre d’hôtel. Il a bientôt sombré dans l’alcoolisme le plus extrême, jusqu’au coma éthylique, frôlant la mort. Il suit sans conviction les réunions des Alcooliques Anonymes. Même s’il parvient à rester abstinent quelques jours, on ne peut pas le considérer comme repenti. Il est officieusement détective privé, sans licence, ni rentrées d’argent régulières.

Venue de sa cambrousse, Kim est une séduisante prostituée âgée de vingt-trois ans, qui exerce à New York depuis quatre années. Voulant décrocher, elle engage Matt Scudder afin qu’il serve d’intermédiaire avec son souteneur. C’est un Noir qu’on appelle Chance, dont on ne connaît pas l’adresse précise. Scudder le cherche vainement dans les clubs plus ou moins miteux de Harlem. Ils finissent par se rencontrer lors d’une soirée de boxe. Chance n’est pas un proxénète inculte et brutal. Il n’est pas opposé à ce que Kim reprenne sa liberté, d’autant que d’autres jeunes femmes travaillent pour lui. L’affaire se règle donc à l’amiable. Mais le surlendemain, Kim est retrouvée assassinée dans une chambre d’hôtel. Un meurtre sanglant, la prostituée ayant été massacrée avec une machette.

Difficile pour Scudder de surmonter son besoin d’alcool dans ces conditions. Il aurait bien besoin d’un sevrage sévère, mais refuse d’être soigné. Il s’est mis en contact avec le flic Joe Durkin, lui faisant part de ses soupçons contre Chance. Mais ce dernier possède un bon alibi. Policier désabusé quant à la criminalité new-yorkaise, quelque peu raciste, Joe Durkin pense qu’une enquête sur la mort d’une prostituée n’aboutirait pas à grand-chose. Peu après, Chance renoue avec Scudder, l’engageant pour découvrir l’assassin de Kim. Le proxénète lui accorde une certaine confiance, l’invitant dans sa maison du quartier de Greenpoint, lui montrant sa collection d’Art Africain. Scudder finit par accepter la mission. À part le faux nom utilisé par le client-assassin, il n’a quasiment aucun indice.

Espérant mieux cerner la défunte Kim, Matt Scudder rend visite aux autres prostituées de Chance. Mais chacune d’elles a son parcours personnel. Une vieille voisine de Kim résume l’individualisme ambiant : “Les New-yorkais sont comme ces lapins. Nous vivons ici pour profiter de ce que la ville peut nous procurer sous forme de culture, de possibilité d’emploi ou ce que vous voudrez. Et nous détournons les yeux quand la ville tue nos voisins ou nos amis. Oh bien sûr, nous lisons ça dans les journaux, nous en parlons pendant un jour ou deux, mais après nous nous empressons d’oublier. Parce qu’autrement, nous serions obligés de faire quelque chose contre ça, et nous en sommes incapables. Ou bien il nous faudrait aller vivre ailleurs, et nous n’avons pas envie de bouger.”

Avec le flic Durkin, Matt Scudder tente d’établir le scénario du crime, le comportement du tueur. Lapin ou vison ? Selon Chance, la veste en fourrure de Kim était en peau de lapin. Mais elle en possédait bien une en vison. Peut-être offerte par un petit-ami généreux, une piste à explorer pouvant conduire au tueur ? Ayant été agressé par un minable voyou à Harlem, Scudder le met hors d’état de nuire et récupère son arme. Un peu plus tard, c’est Sunny – une autre des prostituées de Chance – qui est retrouvée morte. Un suicide, qui ne fait pas de doute, ne causant pas d’ennuis supplémentaires à Scudder, ni à Chance. Le meurtre d’un autre personnage, entrevu autour de la mort de Kim, va relancer l’affaire. Et révéler bientôt les rouages de ces crimes…

Lawrence Block : Huit millions de façons de mourir [Huit millions de morts en sursis] – (Série Noire, 1985)

Le vent, à New York, a parfois un comportement curieux. Les hauts bâtiments semblent le casser, le diviser, puis le faire tourbillonner comme une boule de billard anglais, de sorte qu’il rebondit de façon imprévue et souffle dans des sens différents d’un pâté de maisons à l’autre. Ce matin et cet après-midi-là, où que je sois, il me soufflait dans la figure. Quand je tournais le coin d’une rue, il tournait avec moi, mais toujours face à moi pour mieux m’asperger de pluie. Il y avait des moments où cela me semblait revigorant, d’autres où je baissais la tête, remontais les épaules, maudissais les éléments et me traitais d’imbécile pour ne pas être resté chez moi.

Lawrence Block : Huit millions de façons de mourir [Huit millions de morts en sursis] – (Série Noire, 1985)

Bien que ce roman soit le 5e, sur dix-sept, de la série ayant pour héros Matthew Scudder, c’est le premier qui fut traduit en français, en 1985. Aux États-Unis aussi, c’est ce roman qui va vraiment faire connaître le personnage. Paru sous le titre Huit millions de morts en sursis”, cet intitulé changea pour Huit millions de façons de mourir” en 1986. Car c’était le titre d’un film de Hal Asby, avec Jeff Bridges, Rosanna Arquette, Andy Garcia, Randy Brooks, Alexandra Paul, adapté de ce livre cette année-là. Si Scudder y est un ex-flic en proie à la même dérive alcoolique, l’intrigue a pour décor Los Angeles. L’intrigue rythmée du film privilégie une bonne part de violence. Malgré les points communs, on est loin de l’esprit du récit. Où l’on trouve deux personnages principaux : Scudder et… New York.

En effet, c’est un portrait de cette métropole au début de la décennie 1980 que dessine Lawrence Block. Le détective sillonne les rues, les quartiers et des lieux tel Central Park, au cours de ses investigations. L’histoire est ponctuée de ces faits divers auxquels la population de New York s’est habituée. Des incivilités dans le métro jusqu’aux plus sanglants des crimes, cette ville est un concentré d’insécurité à l’époque. Cela explique le cynisme du policier Joe Durkin : “Vous êtes victime d’une agression en rentrant chez vous, mais vous ne subissez aucun dommage en dehors du fait que le type vous a volé votre argent ? Estimez-vous heureux d’être encore en vie. Rentrez chez vous et dites une Action de Grâce.” Il faut y voir un témoignage plutôt qu’une approbation.

Les aventures de Scudder sont plus sombres et dures que celles de Bernie Rhodenbarr, le libraire cambrioleur, autre série de Lawrence Block. Par exemple, le détective fait preuve de violence envers le braqueur qui l’a attaqué, réaction défensive conforme au contexte en question. Quant au singulier proxénète Chance, Scudder n’exprime aucun racisme à son égard. On souligne assez simplement la lucidité de Chance, qui rappelle que des cohortes de jeunes femmes débarquent quotidiennement à New York pour s’y prostituer. Toutes les situations décrites sont réalistes, communes, plausibles, fortes parfois.

Reste l’alcoolisme de Matthew Scudder, autre fil conducteur du roman. Le processus du recul de la dépendance aux boissons alcoolisées est en cours, mais le combat est loin d’être gagné. Scudder assiste irrégulièrement aux réunions de Alcooliques Anonymes, mais se tait sur son propre cas. Il écoute les conseils, notamment de son amie Jan, mais le climat n’est pas propice à la rémission. Par ailleurs, à chaque salaire reçu, il laisse une dîme de dix pour cent dans un tronc d’église, geste qu’il ne s’explique pas vraiment à lui-même, n’éprouvant aucun sentiment religieux.

Huit millions de façons de mourir” est un roman noir dense où, grâce à Matthew Scudder, l’individu compte autant que la masse des huit millions habitants de la ville. En 1983, il a été récompensé par le Prix Shamus (pour des romans dont le héros est un "privé", Shamus signifiant détective privé dans le langage populaire américain).

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1 août 2017 2 01 /08 /août /2017 04:55

Carthage, en Alabama, petite ville du sud des États-Unis. Âgé de trente-trois ans, John Duquesne Warren est un agent immobilier aisé, natif d’ici. Ses amis le surnomment Duke. Il est marié depuis moins de deux ans avec Frances, vingt-sept ans. Originaire de Miami, elle ouvrit à Carthage une boutique de mode avant d’épouser Warren. En ce moment, elle passe quelques jours à La Nouvelle Orléans. Dan Roberts, locataire d’un local commercial dont Warren est propriétaire, est mort dans un accident de chasse aux canards. Le shérif Scanlon y voit plus sûrement un meurtre. Et son adjoint Mulholland, hostile à Warren, est prêt à mettre l’agent immobilier en prison. Il est vrai que seuls les huit membres du club de chasse ont accès au lieu du crime, et que Warren s’y trouvait ce matin-là.

Warren reçoit un appel téléphonique anonyme, d’une femme affirmant que Roberts était l’amant de Frances. Ce qui n’est pas impossible, en effet. Frances rentre prématurément de La Nouvelle Orléans. Ayant matière à s’interroger sur son épouse, Warren se dispute avec elle, avant d’être à nouveau convoqué par le shérif Scanlon. Probablement suite aux révélations de cette correspondante anonyme. George Clement, le sémillant avocat quinquagénaire de Warren, lui recommande de se montrer coopératif avec la police. Même s’il a raison, l’agent immobilier ne tient pas à être soupçonné. De retour chez lui, Warren pense d’abord que Frances est repartie. Mais il découvre bientôt le cadavre de sa femme dans leur chambre, tuée par un coup violent. Pas question d’alerter la police.

Warren ne peut compter que sur sa secrétaire, Barbara Ryan. Il la contacte avant de filer à La Nouvelle Orléans. Quand la mort de Frances sera connue, autant qu’on pense qu’il est en fuite, s’éloignant de l’Alabama. Il engage des détectives privés, afin de retracer l’emploi du temps de Frances en Louisiane, où elle disposa de beaucoup d’argent. Des enquêteurs sont aussi chargés de se renseigner sur le passé de Frances en Floride, et sur Roberts. Warren revient très discrètement à Carthage, se cachant dans son bureau. Puisqu’on le croit loin, on ne l’y cherchera pas. Il se confie à Barbara Ryan, qui va volontiers l’aider, tout en faisant comme si elle collaborait sans hésiter avec le shérif Scanlon. Le duo ne tarde pas à identifier la femme qui passa le coup de téléphone anonyme.

Selon son CV, le passé de Dan Roberts fut assez chaotique. Celui de Frances est encore plus énigmatique. Lors de son dernier séjour à La Nouvelle Orléans, la jeune femme était prise en filature, semble-t-il. Et elle consacra ses après-midis aux champs de courses, pariant gros sur les chevaux. Warren ne pourra pas éternellement se cacher, et cette nuit du samedi au dimanche va être plutôt agitée, ponctuée de nouveaux éléments…

Charles Williams : Vivement dimanche ! (Série Noire, 1963)

Les seules lumières qui brûlaient étaient la liseuse voilée de rose, au fond, et celle du cabinet de toilette. Mais comme mon regard effleurait la glace, mon attention fut attirée par le reflet d’un objet sombre sur le parquet, de l’autre côté du lit. Je m’avançai dans la chambre, me penchai au coin du lit et je me trouvai nez à nez avec son visage, ou ce qu’il en restait.
Mes genoux se dérobèrent sous moi et je me laissai glisser au pied du lit ; je m’accrochai à l’édredon pour éviter de passer par-dessus et de tomber sur elle. J’ouvris et refermai plusieurs fois la bouche et avalai ma salive pour contenir la montée visqueuse de la nausée dans ma gorge, et j’enfonçai mon visage dans l’édredon, comme pour faire disparaître l’image en fermant énergiquement les paupières. Peut-être était-ce l’outil le pire – ou sa position : le chenêt malpropre, noirci au feu, qui reposait sur sa gorge, où l’assassin l’avait laissé choir ou jeté, une fois son forfait accompli.

Charles Williams : Vivement dimanche ! (Série Noire, 1963)

Dix-sept des vingt-deux titres écrits par Charles Williams (1909-1975) ont été publiés dans la Série Noire, et trois chez Rivages/Noir. Il a été récompensé par le Grand Prix de Littérature Policière en 1956 pour “Peaux de bananes”. Bon nombre de ses romans ont été adaptés au cinéma et à la télévision. En 1983, pour son dernier film, François Truffaut tourna une version de “Vivement dimanche”, avec Fanny Ardant, Jean-Louis Trintignant, Jean-Pierre Kalfon, Philippe Laudenbach, Caroline Sihol. Si ce film a été réalisé en noir et blanc, c’est pour rendre hommage aux productions des années 1950, grande époque des "films noirs". Transposée dans des décors français, l’intrigue joue sur les ambiances nocturnes. Si Jean-Louis Trintignant est le suspect tout désigné, c’est Fanny Ardant (Barbara) qui est amplement mise en valeur.

Il y a mille et une manières d’exploiter le thème de "l’homme traqué", sujet récurrent des intrigues à suspense. Le héros ne doit pas être préparé à ce qui lui arrive, mais Charles Williams ne nous présente pas un personnage complètement naïf. Certes, ce mariage avec une jeune femme venue de nulle part était une erreur. Et il aurait dû mieux se renseigner sur son locataire, Dan Roberts. Dans l’adversité, Warren est en mesure de se défendre, en rusant avec la complicité de sa secrétaire. Malgré la tension, il est conscient que les deux meurtres ont un lien direct. L’auteur nous offre progressivement des indices, comme il se doit, dans un récit où c’est bien Charles Williams qui impose son tempo sans précipitation. Un polar noir de très belle qualité !

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30 juillet 2017 7 30 /07 /juillet /2017 04:55

Dix ans plus tôt, Jacques Darnay a braqué un diamantaire, avec l’aide de son ami Pierre Mignot. La victime du vol a été abattue. Le butin s’élevait à huit millions de Francs en diamants, qui n’ont jamais été retrouvés. Arrêté et jugé, Darnay fut condamné à quinze ans de prison. Il n’avoua ni le meurtre, qu’il n’avait pas commis, ni l’endroit où il avait caché les pierres précieuses. Depuis l’affaire, Pierre Mignot est le patron d’une brasserie à Montparnasse. Dès que son complice sortira, il peut compter sur Mignot pour récupérer les diamants et partager. Ensuite, Darnay a prévu de s’expatrier en Amérique Latine. Mais une poignée de truands de la jeune génération met la pression sur Mignot, tandis que Darnay va être libéré sous peu. Ils semblent parfaitement renseignés. Réussissant à leur échapper, Mignot se met à l’abri chez son amie Suzanne.

Sorti de prison, le quadragénaire Jacques Darnay n’ignore pas qu’il sera pisté par les flics, autant que par le monde du banditisme. Si on le surnomma naguère "le Battant", il craint d’être moins percutant qu’avant son incarcération. De retour à Paris, il se réfugie chez son ex-amante Clarisse, barmaid de trente-trois ans. Mignot finit par le recontacter. Il avoue avoir peur des jeunes truands. D’ailleurs, il est bientôt éliminé par ceux-ci. Mesurant le danger, Darnay entraîne Clarisse dans sa cavale. Le plus urgent est de récupérer le butin, planqué dans un caveau du cimetière de Garches. C’est trop tôt, car il a compris qu’il est pris en filature. Et pas seulement par les hommes du policier Rouxel, qui fera le maximum pour l’alpaguer et pour dénicher les pierres précieuses volées.

Darnay renoue avec son vieil ami Ruggeri, ancien malfrat reconverti dans la restauration. Mais lui et les anciennes relations de Darnay sont hors-circuit, dix ans plus tard. Darnay parvient à choper Samatan, un des jeunes truands appartenant à la bande d’un nommé Sauvat. Il se confirme que ces types en savent beaucoup trop sur Darnay et ses proches. Ils savent même où se trouve Clarisse. Même s’il intervient sans tarder, Darnay ne peut empêcher l’élimination de la jeune femme. Le policier Rouxel est associé à l’enquête. Deux amis de Darnay ayant été exécutés en peu de temps, il l’invite à rendre le butin afin de classer le dossier. C’est à Soissons que Darnay espère retrouver le neveu du diamantaire, qui fut son autre complice. Il fait ainsi la connaissance de son ex-épouse, Sylviane Chabry, avec laquelle il devient rapidement très intime. Le couple revient à Paris, où vit le neveu.

Plus exactement, le mari alcoolique de Sylviane végétait dans un meublé. Quand Darnay trouve son adresse, il a été supprimé à son tour. Décidément, la bande de Sauvat fait le ménage autour de Darnay ! Celui-ci retourne chez Gino Ruggeri, seul capable de lui fournir du fric en quantité, une arme anonyme, des faux-papiers, ainsi qu’une charmante jeune femme pour meubler sa solitude. Darnay va très bien s’entendre avec cette Nathalie. Mais il n’oublie pas que les jeunes truands et le policier Rouxel sont encore des menaces…

André Caroff : Le battant (Fleuve Noir, 1973)

Il en avait ras le bol. Flic ou pas, il allait cravater son homme. Cette fois, il n’attendit pas. Il déclencha l’ouverture de la première porte qui se présenta, presque à l’angle de la rue, et se prépara à intervenir. L’autre plongea carrément dans le piège. Venant de prendre la suite de l’imperméable mastic, il s’imaginait blanc comme neige. Darnay le sonna d’un coup de crosse derrière la tête, l’attrapa sous les bras, le traîna rapidement sous le porche. Là, il referma la porte d’un coup de pied et respira un peu en écoutant les bruits ambiants. Ils étaient nuls.
Darnay gratta une allumette, fit les poches du type. Il était jeune, très brun. Il fallut cinq allumettes à Darnay pour acquérir la certitude que sa victime n’était pas de la police. À partir de cet instant, il n’hésita plus. Il chercha la porte de la cave, la trouva sous l’escalier, descendit le type au sous-sol après avoir manœuvré l’interrupteur. Là, ce n’était que béton et portes cadenassées…

Adapté par le scénariste Christopher Frank, produit et réalisé par Alain Delon, “Le battant” est un film qui connut un beau succès en 1983. Outre Alain Delon, les rôles principaux étaient tenus par François Périer, Pierre Mondy, Michel Beaune, Anne Parillaud, Andréa Ferréol, Marie-Christine Descouard, Gérard Hérold et Richard Anconina. Des comédiens pour la plupart chevronnés, un sujet solide, un héros intrépide entre froideur et cynisme, voilà un film destiné à conforter l’image d’Alain Delon. Il est certain que sans cette version cinéma, le roman d’André Caroff serait tombé dans les oubliettes du polar. Publié en 1973, il fut réédité en 1983, à l’occasion de la sortie du film. Dans cette nouvelle édition, les dates furent actualisées – aisément, puisque dix ans séparaient les deux parutions.

Une histoire d’homme pourchassé de tous bords tandis qu’il doit récupérer son butin, avec une poignée de belles jeunes femmes et un flic tenace, le sujet est assez classique. Mais on aurait tort de n’y voir qu’un petit polar. Car la tonalité est plus proche des romans de la Série Noire que des intrigues ordinaires, à énigmes. Ça canarde à tout-va, les cadavres tombent comme des mouches. Si Darnay n’est pas un tueur, il est bien obligé de répliquer. Comme nous l’indique l’auteur, le banditisme est en pleine mutation dans cette décennie 1970. Les structures codifiées du Milieu cèdent la place à une nouvelle génération de truands, plus violents, sans états d’âme. Le héros ne peut avoir confiance en personne, tous visant les fameux diamants. Reste à savoir s’il est capable de s’en sortir… Ambiance dure et sombre garantie !

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28 juillet 2017 5 28 /07 /juillet /2017 04:55

Mike Hammer est détective privé à New York. Sa belle assistante Velda part en mission en Floride afin de pourchasser un voleur de diamants. Ce soir-là, Mike Hammer est témoin de meurtre de William Decker à la sortie d’un bar. Le tueur est aussi mort dans l’opération. Le capitaine Pat Chambers, de la Criminelle, est chargé de l’affaire. C’est un ami de longue date du détective. Il pense qu’il peut s’agir d’un règlement de comptes entre truands, la victime ayant un passé de délinquant. Pourtant, Decker avait repris une vie normale ces derniers temps. Selon des témoins dignes de foi, c’était un "gars régulier". Mike Hammer l’avait remarqué peu avant sa mort, larmoyant, peut-être convaincu qu’on allait le tuer. Ce qui met en rage le détective, c’est que Decker était veuf, avec un bébé âgé de deux ans.

Le temps d’enquêter pour son propre compte, Mike Hammer confie le bébé à sa voisine infirmière. Decker semblait avoir fricoté avec le mafieux Lou Grindle, mais celui-ci nie être impliqué dans ce meurtre. Selon le policier Pat Chambers, la victime venait de commettre un cambriolage chez Marsha Lee, qu’il avait assommée. Le détective fait la connaissance de cette séduisante jeune ex-actrice d’Hollywood. Pour elle, Decker s’est trompé d’étage, visant probablement son riche voisin du dessus. Ce qui explique le maigre butin emporté par le voleur. Loin de la somme qu’il espérait, car Decker avait une dette de jeu de trois mille dollars. Le détective secoue Mel Hooker, le meilleur ami de Decker, qui lui apprend que c’est au bookmaker Dixie Cooper que la victime devait rembourser cette dette.

La priorité actuelle de Pat Chambers, c’est une enquête dirigée par le District Attorney, qui vise le caïd Ed Teen, soupçonné de diriger la mafia des paris et des jeux. Depuis la mort il y a quelques années de Charlie Fallon, le "parrain" new-yorkais régnant sur ce domaine, Ed Teen échappe aux investigations. Sans doute est-informé par un flic quand on risque de le coincer. À ce sujet, Mike Hammer garde un œil sur la ravissante Ellen Scobie, assistante du District Attorney. Une bonne initiative, car elle lui fournit un authentique alibi lorsque Mel Hooker est assassiné à son tour. Outre Dixie Cooper – qui a bien été remboursé par Decker, Lou Grindle et Ed Teen, le détective s’intéresse à un autre puissant bookmaker clandestin, Mr Link, dit Le Crapaud. Il emploie un duo d’hommes de mains.

Ce sont très certainement ces sbires qui ont supprimé Mel Hooker, et aussi agressé Mike Hammer un soir où il rentrait chez lui. À cause du détective, Ellen Scobie et sa collègue sont sur la sellette. Mike Hammer va devoir discuter ferme avec le District Attorney, pour que ce dernier comprenne que leurs enquêtes à tous deux convergent vers les mêmes milieux du banditisme. Grâce à son ami journaliste Cookie, le détective retrouve Georgia Lucas, un témoin de la plus haute importance pour dénouer l’affaire…

Mickey Spillane : Dans un fauteuil – Mike Hammer (1952)

— Celui que je veux, c’est le salaud qui a remis sur la mauvaise pente un type qui avait réussi à la remonter. Et je le veux entre quat’z-yeux, pour pouvoir lui casser la gueule tout à mon aise.
— Où est-il, Mike ?
— Si je le savais, je ne te le dirais pas, fiston. Je veux m’occuper de lui personnellement. Je veux pouvoir dire plus tard à ce môme quelle gueule il faisait quand je lui ai flanqué un pruneau dans les tripes.
— Bon Dieu, Mike, y a des moments où tu m’en demandes un peu trop.
— Mais non, Pat. En tant que citoyen de cette ville, je suis un peu responsable de ce qui s’y passe. Et si je suis un peu responsable de ce qui s’y passe, eh bien j’ai le droit de m’occuper moi-même d’un salopard de faiseur d’orphelin, si j’en rencontre un sur ma route.

Publié en 1952 dans la collection Un Mystère, “Dans un fauteuil” de Mickey Spillane (1918-2006) a été réédité chez Livre de poche en 1974, puis dans un Omnibus intitulé “Mon nom est Mike Hammer” en 1989 et dans la coll.Pulp Series en 1999. C’est la cinquième aventure du détective privé, sur une douzaine traduites en français, écrite en 1951. La célébrité de Mike Hammer reste constante depuis l’origine, sachant que de nombreux films et de séries-télé ont encore plus largement popularisé le personnage.

Bien sûr, les détectives privés appartiennent à la mythologie du polar. Mais Mike Hammer se distingue par ses méthodes assez violentes. Un dur-à-cuire, certes, mais c’est avant tout un adepte de la vengeance directe, de la Loi du Talion. Avec lui, on commence par se bagarrer ou échanger des coups de feux et on s’explique ensuite – si c’est encore possible. Comme il est confronté très souvent à des gangsters, il estime légitime de répliquer sans se poser de questions. Il évolue dans un monde où les gens honnêtes tiennent moins de place que les malfrats. Quant aux femmes, ce sont pour lui des objets à séduire, rares étant celles qu’il respecte tant soit peu. À part son assistante Velda, mais elle ne fait que de la figuration dans la présente aventure. Par contre, son ami policier Pat Chambers est fortement concerné dans cette histoire, traquant les mafieux.

L’intrigue est évidemment sinueuse, le principe voulant que le lecteur suive le détective au rythme imposé par l’auteur. Ne cherchons pas trop d’humour dans ces enquêtes. Même si Mike Hammer "hérite" d’un bébé, ce qui pourrait prêter à sourire, c’est le côté sombre de la situation qui est mis en avant par Mickey Spillane. Ces romans se basent sur une construction solide du récit, une narration vivante et une tonalité durement rugueuse.

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26 juillet 2017 3 26 /07 /juillet /2017 07:00

À vingt-six ans, Elizabeth Hampton est étudiante à Dover, sa ville natale, dans l’Ohio. Elle est célibataire, bien qu’ayant eu une relation avec Dan, un copain étudiant. Sa famille se résume à trois personnes, son père étant décédé voilà quelques années. Il y a sa mère, Leslie Hampton, âgée de soixante-neuf ans. Celle-ci s’occupe toujours de Ronnie, vingt-sept ans, le frère d’Elizabeth. Ronnie est trisomique, assez autonome pour avoir un petit boulot, et plutôt intelligent malgré son handicap. Il a parfois des crises d’agressivité, que sa mère sait globalement gérer. Il y a aussi l’oncle Paul McGrath, frère de Leslie Hampton, retraité de l’Enseignement. Il est très compréhensif envers Ronnie. Suite à une dispute, Elizabeth s’est éloignée depuis six semaines de sa mère, au caractère souvent exigeant.

La police alerte Elizabeth lorsque Leslie Hampton est retrouvée morte à son domicile. Elle présente des hématomes, ce qui rend le décès suspect. Quelques jours plus tard, il se confirme que la mère d’Elizabeth a été étranglée. La police embarque Ronnie, le plaçant dans un institut psychiatrique. Cette strangulation peut être le fait du jeune trisomique en crise. La pragmatique Mme Hampton avait préparé les documents nécessaires en vue de ses obsèques, ainsi qu’un testament. L’oncle Paul est désigné tuteur de Ronnie, Elizabeth et son frère héritant des quelques biens de leur mère. La jeune femme confie à son ami Dan son sentiment de culpabilité, et ses rapports un peu difficiles avec sa maigre famille. Elle reprend les cours à la Fac, tout en rendant visite à son frère à l’hôpital psychiatrique.

Une femme inconnue est aussi venue voir Ronnie, ce qui perturbé le jeune homme. Paul ne semble pas savoir qui est cette personne. De retour à son logement, Elizabeth croise un homme mûr et trapu qui est entré par effraction dans son studio. Un toxico, estiment les agents de police qui constatent les faits. C’est peu probable, selon Elizabeth et les enquêteurs. Par ailleurs, une femme a téléphoné à l’avocat de Mme Hampton, au sujet de son testament. En effet, la mère d’Elizabeth en avait rédigé un nouveau récemment. Avec certaines modifications, incluant cette inconnue. Le médecin suivant Ronnie se veut rassurant sur son état psychologique. Elizabeth se demande pourquoi, depuis peu, sa mère s’est intéressée aux traumatismes infantiles, commandant un livre sur ce sujet.

Lorsque Ronnie avoue finalement le meurtre de sa mère, Elizabeth ne comprend pas et n’y croit pas. La jeune femme s’entend bien avec le lycéen Neal Nelson, dont le père est une sorte de détective privé. Neal se sent également des talents en la matière. Peut-être saura-t-il trouver la trace de l’inconnue, qui paraît s’appeler Elizabeth Yarbrough ? Quand un homme prend contact avec la jeune femme, il lui révèle tout un pan de la vie de Leslie Hampton dont Elizabeth n’avait jamais entendu parler. Toutefois, l’oncle Paul n’accorde guère de confiance à cet homme. Il est désormais impératif pour Elizabeth d’explorer le passé et la personnalité de sa défunte mère…

David Bell : Ne reviens jamais (Actes Noirs, 2017)

J’avais supposé que Ronnie ne m’appréciait pas plus que ça, surtout parce que j’avais conscience d’avoir érigé un mur entre nous. Je l’avais laissé à la charge de ma mère ces dernières années, gardant mes distances, allant jusqu’à prendre le large chaque fois qu’il y avait des problèmes. J’imaginais qu’il s’en était aperçu- il était trop intelligent pour ne pas le faire – et qu’il avait décidé d’adopter la même approche avec moi.
"Il a chanté vos louanges aujourd’hui. Je crois qu’il se rend compte de ce qui est arrivé à votre famille, et de la position dans laquelle ça vous place tous les deux" a dit le médecin. Puis il a ajouté une phrase toute simple, peut-être celle que j’avais le plus besoin d’entendre. Et peut-être que je l’entendais d’autant mieux qu’elle venait d’une personne extérieure à la famille, une figure d’autorité indépendante : "Vous êtes sa plus proche parente"…

Il faut reconnaître que le "suspense psychologique" peut s’avérer d’un moindre intérêt, en particulier quand les ambiances nous apparaissent artificielles, alourdies par des mystères rendant le récit carrément pesant. Pourquoi ajouter une inutile noirceur énigmatique, alors qu’il est plus logique de camper naturellement les situations auxquelles sont confrontés les protagonistes ? C’est effectivement l’atout majeur de cet excellent roman de David Bell. Au centre, une jeune femme ordinaire, qui n’est pas encore sûre de ses choix de vie. Elle n’a que peu de famille, n’a jamais senti la nécessité de se faire beaucoup d’amis. Tant que sa mère s’en est chargée, le cas de son frère handicapé restait un peu abstrait, d’autant que sa trisomie n’est pas une pathologie extrême. Quantité de famille à travers le monde vivent la même chose dans la réalité, ce qui n’est pas un problème insurmontable.

Ce contexte est parfaitement suggéré par l’auteur, de façon crédible. Au décès de la mère, la vie continue avec les adaptations que cela suppose. Mais plusieurs "grains de sable" ne font que compliquer les faits. Les fameux secrets de famille ! Ils ne sont pas forcément honteux, scandaleux, mais dépendent souvent des époques où ils remontent. C’est ce que David Bell souligne, montrant notamment qu’environ quarante ans en arrière, c’est à la fois loin et proche. Sans être stricte de caractère, la mère d’Elizabeth éluda une part de son passé que ses enfants, il est vrai, n’avaient pas vraiment à connaître. L’image qu’elle donnait d’une femme tranquille n’avait pas a être ternie pour ces souvenirs.

David Bell ne cherche jamais le spectaculaire, les effets exagérés. C’est ce qui fait la force de cette histoire, racontée avec fluidité. Ce qui permet au lecteur de partager les états d’âme et les questions que se posent l’héroïne. Une intrigue absolument convaincante.

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24 juillet 2017 1 24 /07 /juillet /2017 04:55

À Chicago, vers 1960. Âgée de quasiment dix-huit ans, Dona Santos est la fille d’Estrella Santos, une chanteuse devenue célèbre. Après avoir fait carrière dans les clubs et à la télévision, Estrella part pour la Californie, où elle va faire du cinéma. Elle a récemment offert à Dona une Cadillac décapotable couleur crème. La jeune fille est fiancée avec le lieutenant de police Charles Mercer. Mais, dès le départ d’Estrella pour Hollywood, Dona rompt ses fiançailles avec le policier. Car sa mère vient de lui faire une révélation sur ses origines. Au volant de sa Cadillac, Dona part vers le "Deep South", le Sud Profond des États-Unis. Sa destination est Blairville, une bourgade campagnarde située entre Natchez (Mississippi) et Mobile (Alabama). Dans un premier temps, elle descend à l’hôtel.

Si Dona a parcouru mille cinq cent kilomètres en voiture, c’est dans le but de tuer Blair Sterling. À la tête d’une plantation exploitant le coton, c’est le plus gros propriétaire de la région. Riche célibataire, ce Sterling a toujours été un grand consommateur de femmes. Au temps où elle s’appelait encore Beth Wilbur, à l’âge de quinze ans, Estrella fut violée par Sterling. Par conséquent, il est le père de Dona. Prise d’un besoin de vengeance, celle-ci a acheté un revolver à Chicago. Bien que n’ayant aucun plan précis, si ce n’est d’éviter d’impliquer sa mère, Dona est déterminée à assassiner cet homme. Elle trouve l’occasion de louer au lieu-dit Loon Lake un bungalow appartenant à Sterling. C’est ainsi qu’elle fait sa connaissance, et que – séduit par la beauté de Dona – il l’invite à une soirée chez lui.

La jeune fille se familiarise rapidement avec l’ambiance locale. C’est une petite ville bien tranquille, mais où les traditions ségrégationnistes sont encore fortes. Ce que déplorent certains habitants, dont le shérif et son équipe. Ex-militaire en Corée, où il avait le grade de capitaine, Beau Jackson boite depuis qu’il a été blessé durant cette guerre. Ce Noir est désormais étudiant en Droit, assumant quelques jobs pour financer ses études. Il subit les préjugés de ses concitoyens les plus racistes, des petits Blancs moins intelligents que lui. Outre sa prise de contact avec le père Miller, prêtre de Blairville, Dona a surtout entamé une relation ambiguë avec l’avocat Jack Ames. Ce dernier est visiblement amoureux d’elle, mais Dona ne tient pas à l’y encourager. Dans son métier, Jack Ames défend tout le monde, y compris des Noirs.

Tandis qu’un journaliste local prépare un article sur Dona, "fille de star", Sterling continue à rôder autour de sa locataire. Il lui envoie sa jeune employée métisse Hattie pour faire le ménage au bungalow, et peut-être pour la sonder. En ville, un accident de voiture se produit entre Sterling et Beau Jackson. Parole contre parole, tous deux prétendent avoir eu la priorité à ce carrefour. Vu sa position sociale, Sterling entend bien qu’on lui donne raison. Les policiers de Blairville sont assez sceptiques, sachant les emportements de ce notable. Dona réalise l’inanité de son projet criminel. Tuer le hautain Sterling, typique de ces Sudistes détestables, ça ne servirait probablement à rien. Alors qu’elle songe à rentrer à Chicago, les choses vont s’accélérer dramatiquement pour elle… 

Day Keene : Le deuil dans les veines (Série Noire, 1966)

Dona reporta son attention sur Blair Sterling. Il faisait un fort bon maître de maison. Après le déjeuner, il avait insisté pour la conduire en ville à bord de l’une de ses voitures, et veiller au transfert de ses bagages de l’hôtel au bungalow. Quels qu’aient pu être ses mobiles secrets, il s’était conduit en gentleman. Elle étudia son visage, chercha à discerner les points faibles de sa cuirasse. Il en avait deux. D’abord, c’était un Sterling, d’une famille qui appartenait déjà à l’aristocratie terrienne cent ans avant la Guerre de Sécession. Il possédait plus de terres que n’importe qui à Blairville. C’était lui qui avait la plus grande maison, lui qui produisait le plus de coton, lui qui faisait travailler le plus de gens, blancs ou noirs. Et il tirait orgueil de sa qualité de Blanc, du fait qu’autrefois, sa famille avait possédé un nombre considérable d’esclaves.
Le second point faible de Blair Sterling : son exigeante sensualité.

Même si Day Keene (1904-1969) fut un auteur très productif, “Le deuil dans les veines” n’est vraiment pas un banal polar. Ce roman illustre une époque de l’Histoire des États-Unis. Nous sommes dans le Sud du pays, des régions longtemps esclavagistes, enrichies grâce aux plantations de coton. Dans ces contrées d’Alabama, de Géorgie, du Mississippi, la ségrégation raciale et sociale perdura, car elle était considérée comme légitime par les propriétaires terriens fortunés. Ceux-ci méprisaient les Blancs pauvres, mais c’étaient les Noirs qui subissaient les plus constantes humiliations.

Ce roman se passe au temps où furent votées les premières lois favorables aux Noirs. On ne les appliqua qu’avec réticence dans beaucoup de ces comtés, les contestant souvent. L’état d’esprit raciste ne s’éteignit jamais totalement pour une part de la population. “Pas par conviction profonde et raisonnée, d’ailleurs : ce serait plutôt qu’ils se conforment à ce qu’on attend de nous par tradition car, en dehors des vieux durs à cuire et des illettrés des coins perdus du marais, il y en a bien peu parmi nous qui croient que la couleur fait d’un individu l’inférieur d’un autre” explique l’avocat Jack Ames.

Malgré le poids des coutumes, ainsi que le montre Day Keene, la mentalité des habitants était parfois plus positive. Une commerçante, une serveuse, le prêtre, les policiers, en apportent la preuve. Pas de militantisme démonstratif dans cette fiction, mais un regard sur des comportements passéistes ou ayant évolué. Quant à l’épineuse question des mariages mixtes, s’il rappelle que la Reine de Saba fut intime avec Salomon, et que Moïse avait épousé une Éthiopienne, l’avocat avoue que le sujet est franchement compliqué. À travers le personnage de Beau Jackson, on nous rappelle les cas de soldats américains noirs qui ne manquèrent pas de bravoure.

L’intrigue criminelle proprement-dite est exemplaire. L’auteur ne cherche jamais à nous égarer avec de nébuleux mystères, à surcharger le suspense ou la noirceur. C’est un récit vivant et fluide qu’il livre aux lecteurs. Les descriptions, de la ville et de quelques-uns des protagonistes, sont d’une absolue clarté. Les scènes d’une nuit d’orage accréditent une certaine démence, en opposition avec l’aspect paisible de la région. Le moindre rôle, fut-il annexe, a sa fonction dans l’histoire. Un roman remarquable de Day Keene.

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23 juillet 2017 7 23 /07 /juillet /2017 04:55

Camille Magnin est l’épouse de Paul, officier de police au commissariat de Quimper. Ils ont deux jumelles âgées de dix ans, Nina et Pauline. Étant occupé par diverses enquêtes, Paul Magnin a organisé pour Camille un voyage à Londres. Il a réservé dans un hôtel de grand standing, sur Piccadilly. Il sait que Camille apprécie l’œuvre du peintre William Turner. Elle pourra ainsi visiter l’exposition qui lui est consacrée à la Tate Britain, célèbre musée londonien. Faire du shopping et flâner dans cette ville, aussi. Mais, peu après son arrivée, Camille ne répond plus aux appels téléphoniques de Paul. Selon les responsables de l’hôtel, il semble qu’elle n’ait pas passé la nuit précédente dans sa chambre. Paul ne tarde pas à contacter son collègue et ami John Adams, de Scotland Yard. Sans attendre un feu vert officiel, ce dernier entame l’enquête sur la disparition de Camille.

En effet, la jeune femme a été enlevée, sans doute droguée. Elle est séquestrée dans une pièce où est diffusée fortement une chanson agressive. De temps à autres, des personnes portant des sortes de scaphandres l’alimentent. Peu à peu, elle se remémore le début de son séjour à Londres. Elle a retrouvé des quartiers qu’elle connaissait, avant d’aller à la Clore Gallery. Devant les tableaux de Turner, Camille a croisé par hasard une journaliste, Deborah Keynes. Pour le reste, ses souvenirs sont très flous. Elle se demande la raison de son enlèvement, de cette musique, de ce crucifix dans la pièce. Pendant ce temps, John Adams est aussi occupé par une pollution mal explicable aux colorants dans la Tamise. On va bientôt découvrir dix gros rats d’égouts morts, exposés dans la Tate Britain. Mauvaise plaisanterie ou mise en scène à prétention artistique, ces faits ont évidemment un sens.

À l’hôtel, Paul s’est installé dans la chambre retenue pour Camille. Les traces du passage de sa femme ne lui offrent guère de piste sérieuse. Il apprend qu’à l’emplacement du musée, se trouvait au 19e siècle une vaste prison, destinée en particuliers aux déportés. Y a-t-il un lien avec la disparition de Camille, et avec les méfaits commis autour de la Tate Britain ? En ce qui concerne les rats morts, John Adams et lui découvrent la référence à un tableau connu de William Turner. La pollution peut également s’associer à cette toile. Alors que des vêtements de Camille apparaissent, étalés près du musée, le tableau en question de Turner est dérobé. À sa place, une sinistre photographie immense en noir et blanc, et un message indiquant une date. Une précision qu’Adams exploite, cherchant un événement ayant pu se produire le jour indiqué.

Même si Camille est libérée, elle n’aura pas pu voir les visages de ses ravisseurs, ni savoir ce qu’ils lui voulaient alors qu’ils n’ont pas exigé de rançon. Une mort suspecte – meurtre ou suicide – en rapport direct avec le musée relance les investigations de John Adams, et d’une jeune policière de ses services…

Marie Devois : Turner et ses ombres (Éd.Cohen & Cohen, 2017)

Le directeur marchait d’un pas d’automate. Il était blanc comme neige. Lequel de ses salariés s’était-il rendu complice de cette mise en scène ? Il avait visité à plusieurs occasions le blog des employés du musée pour connaître leur ressenti. La plupart de ceux qui s’y exprimaient confiaient qu’ils aimaient la Tate car on y travaillait dans une très bonne ambiance, et ils côtoyaient des artistes et des gens pleins de talent. Certains évoquaient l’extraordinaire et fort divertissant "jeu des questions". Andrew Pill avait soudain l’impression d’avoir été trompé. Humilié. Il était là depuis plusieurs mois et n’avait pas remarqué que le navire prenait l’eau de tous côtés.
Subtilement l’image de la femme qu’il avait vu à différentes reprises à la télévision et sur les clichés qu’on lui avait présentés s’imposa à lui. Était-elle morte quelque part dans une des réserves ? Au point où ils en étaient, il n’était plus convaincu que cela serait impossible. Seulement imprévisible. Il sentit son estomac se serrer…

Dans cette collection Art Noir, aux Éd.Cohen & Cohen, Marie Devois a utilisé en filigrane l’univers de plusieurs peintres : Van Gogh en 2014 (Van Gogh et ses juges), Velàsquez en 2015 (La jeune fille au marteau), Gauguin en 2016 (Gauguin mort ou vif). Cette fois, c’est l’artiste britannique Joseph Mallord William Turner (1775-1851) qui est à l’honneur. Sans doute est-il bon de souligner qu’il ne s’agit pas d’un polar historique, qui replacerait Turner en son époque. L’intrigue est contemporaine, dans le Londres actuel, tournant autour de la Tate Britain (que l’on appelait naguère la Tate Gallery) sur Millbank, face à la Tamise. Un haut-lieu de l’Art, qu’il faut avoir eu la chance de visiter au moins une fois dans sa vie.

Qui dit police, dit enquête. Et dès que c’est Scotland Yard qui s’en charge, cela ne peut qu’exciter notre imaginaire. La Metropolitan Police londonienne conserve une réputation d’efficacité. Toutefois, Marie Devois aime cultiver les ambiances où plane le mystère, non sans une dose de noirceur. C’est ainsi que nous observons Camille durant sa séquestration avec toutes les questions qu’elle se pose. Son mari Paul est loin de se montrer inactif, de même que son confrère anglais. Mais ne faut-il pas s’interroger sur le policier quimpérois, le mieux placé pour faire kidnapper son épouse ? Énigmatique et bien maîtrisée, cette histoire nous offre une très agréable lecture.

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21 juillet 2017 5 21 /07 /juillet /2017 04:55

En 1943, dans le sud de la Tunisie, la petite ville d’El Fétydja a été la proie de combats destructeurs. Une unité de l’Afrika Korps tient sa position, mais le capitaine Mercier et ses artilleurs disposent d’un canon, face aux Allemands. La mission des soldats français est de protéger la banque désertée, dont le coffre-fort contient trois milliards en lingots d’or. Mercier, militaire strict, ordonne de tirer sur quiconque s’approche de la banque, ennemi ou ami. Au milieu de ce chaos, cinq légionnaires se sont réfugiés dans un blockhaus, à une centaine de mètres de la banque. Au milieu des ruines, entre les tirs sporadiques, ces quelques rescapés rêvent de l’or, qui à portée de main. Bien qu’étant le plus gradé, ce n’est pas le capitaine Schotzer qui maîtrise leur petit groupe, mais le sergent Augagneur.

Originaire de Montrouge, Édouard Augagneur garde le fusil-mitrailleur et veille à ne pas gaspiller les munitions. Son copain Félix Boisseau, soldat de deuxième classe jusqu’à là employé au mess, est prêt à suivre le sergent Augagneur pour s’emparer des milliards en lingots d’or. Le caporal Béral, ancien comptable aux Halles, venait d’être enrôlé comme infirmier au lieu d’être exempté pour dysenterie ainsi qu’il l’espérait. Ce n’est pas que le projet d’Augagneur et Boisseau l’excite vraiment, car il est assez peu courageux, mais il ne s’y oppose pas. Contrairement, dans un premier temps, au lieutenant Mahuzard. Ce dernier est un authentique baroudeur. Étant quasiment sûr que l’idée des autres est vouée à l’échec, il s’y associe quand même, quitte à rendre sa part du butin à l’Armée.

Six cent millions chacun, ça mérite de tenter le coup, après tout. Ils ont des explosifs, qui permettront de faire sauter la porte du coffre-fort. Encore faut-il les transporter depuis le blockhaus jusqu’à la banque. Cent mètres sur un terrain parsemé de mines, sous les tirs de l’Afrika Korps, et sous la menace du canon du capitaine Mercier : pas une promenade de santé ! Ce sont Boisseau, Béral et Schotzer qui s’y collent, rampant vaille que vaille vers leur but. Même s’ils réussissent à atteindre la banque, Boisseau et Béral perdent les explosifs en chemin. Rien ne dit qu’ils soient en sécurité car, ayant aperçu du mouvement de ce côté-là, le capitaine Mercier a braqué son canon en direction de la banque. À leur tour, Augagneur et Mahuzard doivent essayer de rejoindre leurs complices.

Vu l’évolution de la situation, les soldats allemands ne tarderont plus à décamper. Il faut s’attendre à une contre-attaque des Alliés, dans un très proche délai. Faute d’explosif et, dans l’urgence, ça limite les possibilités pour les rescapés. Certes, les Allemands ont laissé sur place un Panzer qui pourrait leur servir. Du moins, s’ils peuvent approcher du coffre avec ce tank. Le sergent Augagneur n’a aucunement l’intention de renoncer…

Pierre Siniac : Les morfalous (Série Noire, 1968)

Sur la place, les trois hommes avaient gagné quelques mètres. Ils se déplaçaient avec une extrême prudence, imperceptiblement. Bientôt, ils se retournèrent et purent constater qu’ils étaient assez loin du blockhaus. Ils sentirent confusément leur éloignement, comprirent que, parvenus au point où ils se trouvaient, il ne leur était pratiquement plus possible de revenir en arrière. Le capitaine était toujours en tête. Il avait les mâchoires serrées, le regard extrêmement attentif. Plus loin, le caporal Béral suait à grosses gouttes, ses yeux étaient révulsés, presque fous. Boisseau, pour combattre sa peur, faisait mine de siffloter entre ses dents.
Le capitaine repartit en s’aidant des coudes. Il manqua de peu une mine, son coude se trouva à un centimètre à peine de l’engin presque totalement enterré. L’officier ne put réprimer un sursaut de surprise et se redressa légèrement. Il dut le regretter immédiatement…

Ce livre s’inscrit dans la lignée de romans comme “Un taxi pour Tobrouk” de René Havard, évoquant le destin de soldats perdus au cœur de la guerre en Afrique du Nord. L’intrigue est basée sur le vol des lingots d’or, suggérant qu’il serait presque plus facile d’effectuer un braquage à Paris que dans ces conditions : traverser la Concorde à une heure de pointe est moins dangereux que de faire cent mètres sur un terrain miné d’explosifs.

Un petit groupe d’intrépides s’y hasarde, des Légionnaires aux motivations et aux caractères assez divergents, définis avec soin par l’auteur : le lieutenant Mahuzard accepte par goût de l’aventure, Boisseau est un "suiveur" faisant confiance au sergent, le capitaine Schotzer espère les dissuader de continuer, Béral y va parce qu’il est là, et Augagneur y voit la chance de sa vie. On n’oublie pas le contexte : ponctuellement, on jette un coup d’œil chez les soldats allemands et au poste d’artillerie tenu par le capitaine Mercier. Ces hommes sont des parigots typiques de l’époque. Béral travaille aux Halles, Boisseau vient de la Butte aux Caillles. Ils utilisent le langage populaire, vif et ironique. Quasiment tout se passe dans un décor unique, le récit de leurs tribulations étant rythmé à souhaits. Un vrai roman d’action.

On se souvient sûrement davantage du film d’Henri Verneuil (1984), dialogué par Michel Audiard, avec Jean-Paul Belmondo (Augagneur), Michel Constantin (Mahuzard), Michel Creton (Boisseau), Jacques Villeret (Béral), Marie Laforêt et François Perrot. Précisons que le couple Laroche-Fréon (le banquier et son épouse) n’apparaît pas dans cette "histoire d'hommes", seulement dans l’adaptation cinéma. Néanmoins, quelqu’un va uriner sur un câble électrique, et s’électrocuter (mais pas de “C’est bien la première fois qu’il fait des étincelles avec sa bite”). Dans le livre, c’est le capitaine Schotzer qui déclare : “Les conneries, ça se fait avant d’entrer à la Légion. Pas pendant.” une formule reprise par le lieutenant Mahuzard dans le film, le rôle du capitaine étant occulté. On peut s’amuser à relever les différences entre le scénario et le roman de Pierre Siniac, dont le dénouement n’est pas identique.

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