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16 août 2017 3 16 /08 /août /2017 04:55

Avec ses vastes étendues rurales boisées, Trickum County est un coin tranquille dans le sud de la Géorgie, au sud-est des États-Unis. C’est bien pour ça que Willie et Javon ont été chargés d’éliminer Maya par ici, après l’avoir enlevée. Âgée de dix-huit ans, Maya est une jolie Black, prostituée depuis déjà quelques années. Encore mineure, elle fut achetée par Mexico, mafieux de la grande ville de la région. Celui-là ne risque aucun problème, car il transforme le pactole de la prostitution en activités légales, de façade. Et puis Mexico est très proche du Maire, presque son alter-ego. Le Maire, il est aussi populaire que carrément véreux. Et pervers avec les jeunes femmes. C’est ainsi que, tout en restant sous la coupe de Mexico, Maya fut conditionnée pour devenir la soumise du Maire, sa "favorite".

Trop confiant ou trop excité, le Maire confia à la prostituée un de ses projets secrets, espérant qu’elle l’oublierait bien vite. Sauf que Maya possède une mémoire d’éléphant, un vrai disque-dur qui retient tout. Alors, il est préférable de la supprimer, mission qui échoit au duo de sbires, Willie et Javon. Leur erreur, c’est de s’être introduits sur les terres de Leonard Moye pour faire disparaître Maya. Ancien bouilleur de cru clandestin, Leonard est un vieux misanthrope excentrique. Il vit seul avec un mannequin de cire, représentant Marjean, qui fut son épouse. À l’orée de sa propriété, un champ peuplé d’épouvantails est censé effrayer la population. Jamais aucun enquêteur ne trouva sur ses terrains la trace de son activité de bootlegger, ni de la fortune que ça lui rapporta.

Leonard supprime Javon, tandis que Willie parvient à fuir, en état de catatonie. Le policier local Jack Chalmers ne peut rien retenir contre lui, malgré l’allure pitoyable de Willie. Le sbire ne tarde pas à faire son rapport à son patron, Mexico. Ce dernier a l’adjoint qu’il faut pour l’aider à résoudre la question, Rodney Grimes. Et ils peuvent compter sur Prance, un flic véreux de Trickum County, pour avoir des infos concernant Leonard Moye. Pendant ce temps, Maya et le vieux bonhomme ont sympathisé. Il lui a acheté des produits d’hygiène et des vêtements ; elle a découvert le domaine partiellement sauvage de Leonard. Il lui a montré un tunnel sous la maison, pour se cacher ou fuir en cas de danger. Comme elle lui a raconté sa vie, Leonard se doute que les salopards vont revenir à la charge.

Le commando composé de Grimes, Willie et Mexico sera reçu sans pitié par Leonard. Seul Mexico s’en sort et retourne en ville. Lambert, le principal conseiller du Maire, sera son meilleur atout pour la suite, pense-t-il. Pendant ce temps, depuis qu’il n’a plus Maya à sa disposition, le Maire commence à filer un mauvais coton. Le brave policier Jack Chalmers est intervenu chez Leonard, lors des derniers événements. Malgré la réputation détestable du vieil homme, il ne voit pas de raison de l’enquiquiner, surtout que tout est redevenu calme. Bien que des indices le laissent à penser, Chalmers n’a pas encore de preuve que Leonard héberge la jeune prostituée. Au besoin, le policier prendra plutôt le parti du vieux marginal que celui de son collègue véreux, Prance. Car rien n’est terminé…

Peter Farris : Le Diable en personne (Éd.Gallmeister 2017) – Coup de cœur –

— Je sais pas ce que fait ce Javon, ou ce qu’il faisait, dit Leonard, désignant le monde au-delà de son terrain comme s’il lui était aussi étranger qu’un autre système solaire, mais personne se pointe par ici sans ma permission. Et, foi de Leonard, on fait pas de mal à une femme sur mes terres. Tu comprends ? Ma loi ici. Ma justice.
Maya faisait jouer ses orteils sur la terre, prenant conscience des marques laissées par les piqûres de fourmis sur sa cheville, ses pieds rougis par la terre battue et zébrés de coupures ou de bleus. Elle leva la tête, balaya la ferme du regard avant de reporter ses yeux sur Leonard malgré elle, mettant en balance l’hospitalité d’un psychopathe d’un côté et la vie cruelle à laquelle elle avait provisoirement échappé de l’autre. Chassée par un mac du nom de Mexico et chargée d’un lourd secret de son client le plus puissant…

Il est intéressant de connaître la "culture polar" de certains auteurs. Ça explique souvent les influences ou, plus précisément, la ligne dans laquelle ils s’inscrivent. Pour une interview de mai 2012 à mybookishways.com, Peter Farris cite quelques-uns de ses livres et écrivains préférés. Parmi eux, Harry Crews (La foire aux serpents), Larry Brown, Flannery O'Connor… “Je suis également un grand admirateur de Jack London, Cormac McCarthy, Ron Rash, Tom Franklin, William Gay (RIP), Dorothy Allison, Chris Offutt, Rick Bass, Daniel Woodrell, Joseph Wambaugh et James Ellroy pour n'en nommer que quelques-uns.” Pour les romans noirs "sudistes", il recommande la lecture de “Sanctuaire” de William Faulkner, de la “Nuit du chasseur” de Davis Grubb, de “L’assassin qui est en moi” de Jim Thompson, évoquant aussi des titres de James Lee Burke, Tom Franklin, Tim Gautreaux, Joe Lansdale… Il est clair que Peter Farris a lu la fine fleur des auteurs.

Le contexte, c’est cette Amérique profonde, si loin de l’image de perfection affichée dans ce pays. D’un côté, une ville gangrenée par le bizness du mafieux Mexico, dont les prostituées généralement mineures sont prisonnières, et par les magouilles du politicien qui dirige si mal sa petite métropole. Un duo qui défend âprement ses intérêts. De l’autre côté, un comté campagnard, avec un hurluberlu comme Leonard Moye, un peu inquiétant pour ses concitoyens, mais “tous les comtés en ont un comme ça”. Avec un bon flic et un autre, carrément pourri. Avec des relations entre habitants quelque peu complexes, dans certains cas. Et c’est ici que débarque une jeune paumée, que l’on aurait grand tort de prendre pour une imbécile. Leonard vient de trouver une fille digne de lui.

Considérant que la fiction criminelle n’est jamais trop sombre, ni excessive, Peter Farris ne s’interdit rien. Sans doute est-ce ce qui fait la force des meilleurs polars noirs. Puisqu’il y aura des cadavres, autant que ça soit spectaculaire et décomplexé. Ce qui, pour le lecteur, inclut une forme d’humour, dans la dérision de la mort : les victimes ne sont-elles pas venues la chercher ? De l’action, oui, mais l’auteur nous réserve çà et là des révélations, de petites surprises.

Un roman impeccable, franchement jouissif, à ne pas manquer !

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14 août 2017 1 14 /08 /août /2017 04:55

Paris, 1959. Norbert Chevalier est un homme jeune et séduisant, ressemblant un peu à Cary Grant. Expert en comptabilité, il est aujourd’hui fondé de pouvoir de la société de son ami Claude Leduc. Tous deux furent employés par une grosse compagnie. Quand Leduc fit un bel héritage, il fonda son entreprise de bijoux fantaisie, commercialisant en gros et en demi-gros. Naturellement, il engagea Norbert Chevalier comme comptable. D’autant que Claude Leduc voyage à travers l’Europe pour trouver des fournisseurs, laissant la gestion à son ami. Et quand il est à Paris, Leduc s’ennuie quelque peu. Sa solitude lui pèse parfois. Possédant un physique très ordinaire, à l’inverse de Norbert, il a peu de succès avec les femmes. Il a ses habitudes auprès de Christine, une prostituée.

Outre son métier, Norbert ambitionne de devenir auteur de théâtre. Il a écrit une pièce, dans laquelle jouera son amante Yanka Renaldi. C’est son idéal féminin, cette rousse de trente-cinq ans, aux yeux violets, au regard étrange, au visage félin. Faute de trouver un théâtre pour monter sa pièce, Norbert a décidé de produire lui-même le spectacle. Débuts à Bruxelles d’ici peu, puis tournée sont prévus. Pour la rendre plus attractive, la pièce aura une intrigue criminelle. Toutefois, le coupable ne sera pas puni, pour changer. Afin de se financer, Norbert a détourné quelques millions des comptes de la société de Claude Leduc. Il ne craint pas tant la réaction de son ami, mais c’est la banque qui risque de bientôt faire pression, car le prétexte qu’avance Norbert ne tiendra plus longtemps.

À ses yeux, le plus simple est d’éliminer Claude Leduc, en commettant un crime parfait. Il lui suffit de reprendre le plan prévu dans sa pièce de théâtre. La blonde Suzanne Tassigni – qui aime bien être surnommée Suzette – est une jeune femme très attirée par Norbert, qui lui ne la traite qu’en amie. Célibataire de condition modeste, Suzanne souhaiterait que Norbert comprenne ses sentiments. Pour la mise en œuvre de son projet, il faut d’abord que Claude et Suzanne se rencontrent. Le rusé Norbert s’arrange pour ça. Sans être une femme intéressée par l’argent, Suzanne n’est pas mécontente que Claude lui offre des cadeaux, ce qu’elle n’aurait pu payer elle-même. Amoureuse ? Sans doute pas. D’ailleurs, quand Claude lui propose de l’épouser, Suzanne refuse.

De nouveau, c’est l’occasion pour Norbert de jouer au conseiller matrimonial, pour tous les deux. Son meilleur atout, c’est qu’il cerne le caractère de Claude et Suzanne : “Jusqu’à présent, dans la réalité, tout ne s’est-il pas passé comme si j’avais écrit le scénario moi-même ? Un auteur ne connaît jamais ses personnages à fond, car il y a toujours un côté de leur personnalité à laquelle il n’a pas pu penser et qui lui échappe. Un côté flou. Moi, je connais ces deux-là par cœur.” La soirée du crime peut commencer, Norbert continuant à manipuler ses deux amis…

Fred Kassak : Crêpe-Suzette (1959 – Le Masque, 2003)

Ainsi cette fois, après avoir aspiré quelques profondes bouffées de sa cigarette, [Yanka] recouvra son sang-froid, se repoudra le nez et déclara que tuer un homme pour ne pas se faire accuser d’escroquerie et risquer ainsi la peine de mort pour éviter dix ans de prison, correspondait à peu près à faire une plaie pour guérir une bosse.
Norbert représenta que le problème se posait autrement : il s’agissait d’éviter dix ans de prison certains en risquant une peine de mort possible. Il évoqua le jeu de quitte ou double et le pari de Pascal. Il savait qu’elle serait sensible à cet argument : elle aimait comme lui le jeu et le risque. Elle lui reprocha pourtant de défier le sort en commettant simultanément un crime parfait dans sa pièce et dans sa vie. C’était attirer le soupçon.

Ce roman fut initialement publié aux Éditions L’Arabesque en 1959, dans la collection "Crime Parfait ?". Il fut réédité en octobre 1990 aux Éditions du Masque, en format poche, dans la collection Les Maîtres du roman policier. En mars 2003, “Crêpe-Suzette” fit partie de l’ouvrage rassemblant plusieurs polars souriants de Fred Kassak, dans la collection "Les Intégrales du Masque". Cet auteur, qui fut par ailleurs récompensé par le Grand Prix de Littérature Policière et par le Prix Mystère de la critique, a beaucoup compté dans l’histoire du polar. Également en tant que scénariste pour la télévision et pour la radio.

S’il a écrit des titres plus sombres, “Crêpe-Suzette” est une comédie à suspense. On pourrait le qualifier de "roman malin qui fait mouche". Car l’intrigue, très vivante, n’est pas présentée de façon ordinaire. Ce diable de Norbert ne cache nullement son but, il en discute ponctuellement avec son amie Yanka. Mais comment les choses vont-elles se passer concrètement ? Y aura-t-il vraiment meurtre ? Être insoupçonnable n’est jamais si facile, même si l’on a tout planifié. Évidemment, on peut y voir aussi l’ambiance de la fin des années 1950, ce qui ne gâte rien. Un roman et un auteur à redécouvrir.

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12 août 2017 6 12 /08 /août /2017 04:55

Vaste renouvellement des députés à l’Assemblée Nationale, en ce début de mandature parlementaire. Chacun prend ses repères, et le doyen des élus prononce le traditionnel discours inaugural à la tribune. Âgé de quatre-vingt-sept ans, Constantin Reverdion n’est plus aussi vaillant qu’il l’a été : il est victime d’un infarctus en public. La mort naturelle ne fait pas de doute. Pourtant peu après, l’AFP reçoit un courrier annonçant qu’il s’agit d’un meurtre, que l’on doit attribuer à un mouvement terroriste. Les élus s’interrogent sur le risque d’attentat visant ainsi l’autorité de l’État, au cœur même de l’Assemblée. Le député Raoul Talpin, habitué à se faire réélire, s’émeut peu de l’affaire. Comme chaque week-end, il retourne dans sa circonscription, auprès de sa population électorale.

Arlette Lecoin est une petite chanteuse locale âgée d’une vingtaine d’années. Même si elle est fiancée à Henri, mécanicien et gardien de but, c’est à sa carrière potentielle qu’Arlette pense en priorité. N’a-t-elle pas connu un vague succès grâce à un passage à la télé ? Elle fait la connaissance de Raoul Talpin et de son suppléant Pierre Valabray. Chef d’entreprise, ce dernier est moins passionné par la politique que le député Talpin. Arlette sait qu’elle a là une carte à jouer. Elle s’arrange pour emprunter le même TGV, quand l’élu retourne à Paris. Talpin promet de s’occuper d’elle, de l’aider pour sa carrière, non sans compensation intime. Il lui loue un studio pour la semaine dès leur arrivée. De son côté, Arlette reprend contact avec des amis de la télé, dont Hugues Malou, qui semble de bon conseil.

Arlette a accès à l’Assemblée Nationale, où Valabray la guide. Mais elle n’est pas venue en touriste, et se moque bien de la politique. Pour avoir des chances d’avancer, Arlette doit d’abord produire un disque. Comment le financer ? En privé, elle évoque avec le député le budget nécessaire, mais il diffère cette question. Hugues Malou a une idée : si Arlette filme en caméra cachée ses ébats avec Raoul Talpin, elle pourra faire pression sur lui grâce à cette vidéo. Cette péronnelle arriviste ne se choque pas d’en arriver à ce genre de chantage. De passage à Paris, son jaloux fiancé Henri a facilement trouvé l’adresse du studio d’Arlette. Elle le rassure sur sa fidélité, insistant sur son ambition de carrière. Mais Henri découvre la vidéo très intime d’Arlette et du député. Il est capable de se venger.

Face au chantage, Raoul Talpin consulte son suppléant Valabray. Il convient de régler le problème en évitant tout scandale. Sur ses deniers personnels, il paie une belle somme, donnant l’argent à Arlette qui sert d’intermédiaire avec le maître-chanteur supposé. Quand un colis piégé explose dans le bureau du député, comment ne pas y voir un lien avec la mort du doyen de l’Assemblée ? Vu le matériel utilisé, c’est plutôt du boulot d’amateur que l’œuvre de pros du terrorisme. La police déniche rapidement la piste d’Arlette, et c’est son fiancé Henri qui fait figure de principal suspect…

Gilbert Picard : Meurtre à l’Assemblée (Fleuve Noir, 1986)

Raoul voulut plaisanter. Mais son rire sonnait faux. Et il se souvint de son ami, le docteur Rami, un éminent cardiologue, qui lui avait conseillé d’éviter les émotions fortes. Il entendait encore dans son oreille ses sages paroles : "Pour ce qui est des émotions, contente-toi de celles que t’occasionne la politique. Laisse les autres aux jeunes. Il y a un âge où il faut savoir regarder les desserts sans les consommer." Pour conjurer le sort, et peut-être fuir une pointe d’angoisse, Raoul Talpin but une nouvelle coupe et prit une autre tranche du gâteau dont parlait le praticien […]
Prétextant qu’il avait des rendez-vous très tôt dans la matinée, il décida de partir en promettant à sa maîtresse de l’inviter le lendemain à déjeuner à l’Assemblée Nationale. Chacun y trouverait son compte. Elle découvrirait cet endroit prestigieux. Quant à lui, il est toujours flatteur à son âge de se montrer en compagnie de jeunes et jolies filles.

En tant qu’auteur de polars, Gilbert Picard a eu un palmarès plutôt prestigieux : Prix du Roman d’aventures 1977, Prix du roman policier de Royan 1979, Prix Moncey 1984, Prix de la Ville d’Antibes 1986. De 1975 à 1983, ses livres furent publiés dans la collection Le Masque, puis ils parurent chez Fleuve Noir. Il y publia des romans d’espionnage et d’anticipation, la majorité de ses titres figurant dans la collection Spécial-Police jusqu’en 1987. Notons encore deux livres parus chez cet éditeur, dans la coll.Crime Story en 1993 : “Spaggiari, ou le Casse du siècle” et “Waco, la secte en feu”. Il s’agit de romans s’inspirant directement de ces affaires spectaculaires.

Le Palais Bourbon et l’activité parlementaire servent de toile de fond à l’intrigue de ce “Meurtre à l’Assemblée”. Rien de comparable avec ce que nous connaissons aujourd’hui ? Si, quand même ! Voilà une trentaine d’années, les 577 députés étaient aussi dissipés que nos actuels élus. Et les professionnels de la politique s’arrangeaient pour ne pas être trahis par leur électorat, apparaissant ponctuellement dans leurs circonscriptions. Il existait déjà un contexte terroriste, sans doute un peu différent de celui des années 2010, mais pas si éloigné. Pour l’essentiel, l’aspect criminel concerne ici davantage des faits privés qu’une affaire publique ou politique. Encore que, parfois, les frontières soient minces. Une solide petite intrigue policière, racontée avec clarté par un auteur confirmé de l’époque.

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11 août 2017 5 11 /08 /août /2017 04:55

À Los Angeles, Bertha Cool a créé une agence de détectives privés, prenant pour associé Donald Lam. Directe et même irascible, Bertha Cool est une femme de poids, qui nourrit sans doute trop sa carrure d’obèse. Toutefois, on ne peut nier un certain dynamisme chez elle. L’allure de Donald Lam, pesant une soixantaine de kilos, est plus souple. C’est un ancien avocat qui s’est reconverti en tant que détective privé. Il n’est jamais à court de ruses et d’initiatives pour mener à bien ses tortueuses enquêtes. En cette année 1942, après l’attaque de Pearl Harbor, les États-Unis sont en guerre. Mais la vie continue dans le pays, et le duo de détectives poursuit ses activités.

C’est à La Nouvelle Orléans que se situe la nouvelle mission de Donald Lam et de Bertha Cool. Un avoué new-yorkais, M.Hale, les a engagés pour retrouver Roberta Fenn. Âgée de vingt-trois ans, elle a disparu trois ans plus tôt, alors qu’elle logeait dans un appartement du Vieux Carré, le quartier français traditionnel de la ville. Elle semble avoir utilisé un faux nom, Edna Cutler, à cette époque. Donald Lam ayant interrogé plusieurs témoins dans le secteur, il apparaît que Roberta Fenn serait toujours dans les parages. En effet, la jeune femme est devenue employée de banque. Elle habite dans un immeuble de Saint Charles Avenue. Le détective n’aurait pas de raison d’aller plus loin dans sa mission.

Pourtant, plusieurs éléments restent curieux. Roberta a été en contact avec un nommé Archibald Smith, de Chicago, qui ressemble fort à leur client, M.Hale. Donald Lam se demande pourquoi leur agence, basée en Californie, a été choisie pour retrouver Roberta Fenn, en Louisiane. Entre-temps, M.Cutler arrive de Los Angeles, recherchant son ex-épouse Edna. Leur divorce devrait être clos, mais un incident fâcheux pose problème. Un cadavre est découvert au domicile de Roberta. Le détective avait aperçu peu avant ce Paul Nostrander, avocat de trente-trois ans, aux abords de chez la jeune femme. Roberta a disparu, suite au meurtre. Quant à Cutler, il est toujours en ville, cherchant Edna.

Dans l’appartement du Vieux Carré, Donald Lam et M.Hale découvrent une cachette dans un meuble, contenant un revolver et des documents. Selon ces articles de presse, Roberta a été impliquée cinq ans plus tôt dans une affaire criminelle. Elle en fut une des victimes, ou peut-être la coupable. Donald Lam avait une piste au sujet d’Edna Cutler, du côté de Little Rock (Arkansas). Grâce à un de ces subterfuges dont il a le secret, le détective trouve l’adresse actuelle d’Edna, à Shreveport (Louisiane). Il quitte La Nouvelle Orléans, où le meurtre de l’avocat Nostrander reste non-élucidé pour la police. Il va tirer au clair les combines d’Edna Cutler, avant de se rapatrier avec Roberta Fenn en Californie. Malgré tout, il reste bon nombre de questions à éclaircir sur le rôle des protagonistes. Dont très peu sont vraiment innocents…

A.A.Fair : Des yeux de chouette (Le Masque, 1985)

Elle gravit les dernières marches en soufflant comme un phoque, suivit le couloir d’un pas de grenadier et levait la main pour frapper à la porte lorsqu’elle s’aperçut que celle-ci était entrebâillée…
— Attendez une minute, lui dis-je en l’empoignant précipitamment par le bras.
Je venais d’apercevoir, au milieu de la pièce, deux pieds d’homme dans une position insolite. Puis la porte, en achevant de s’ouvrir, découvrit le corps tout entier, affalé moitié sur un fauteuil moité par terre, la tête sur le plancher, une jambe repliée sur le bras du fauteuil. Un filet rouge sombre partait du sein gauche, avait traversé l’étoffe de la veste et s’était répandu sur le plancher en formant une mare d’aspect sinistre. Un coussin légèrement roussi, dont on avait dû se servir pour assourdir la détonation, gisait au milieu de la pièce.

Auteur de plus de quatre-vingt intrigues consacrées à l’avocat Perry Mason, Erle Stanley Gardner signa cette autre série sous le pseudonyme de A.A.Fair. De 1939 à 1970, Bertha Cool et Donald Lam furent les héros de vingt-neuf titres. La plupart furent publiés aux Presses de la Cité, coll.Un Mystère. “Des yeux de chouette” (Owls Don't Blink) date de 1942, c’est le sixième roman de cette série. Il a été publié en français dès 1950 dans les collections Détective-Club de l’éditeur Ditis. En 1985, ce roman fut réédité dans la coll. Le Masque. Le duo Bertha Cool-Donald Lam n’est pas sans faire penser à celui imaginé par Rex Stout, composé de Nero Wolfe (cent trente kilos) et de son assistant Archie Goodwin, qui mène effectivement les enquêtes – que la série d’A.A.Fair était censée concurrencer.

Racontées par Donald Lam, les investigations du détective privé sont fertiles en énigmes, en péripéties, en pistes à suivre, en suspects hypothétiques. Des enquêtes embrouillées, où l’on comprend bien vite qu’il suffit de suivre les pas du "privé". La caractérielle Bertha apporte une touche d’humour : cette fois, ce n’est pas en goûtant les spécialités culinaires de La Nouvelle Orléans qu’elle risque de maigrir. Mais elle n’a pas que des défauts, elle est patriote. Car c’est justement ce qui fait l’intérêt de cet épisode de leurs aventures.

L’action se déroule peu après l’entrée en guerre des Américains. Sur leur territoire, le quotidien change peu, mais le contexte est déjà présent. Ce qui n’empêche pas de continuer à faire la fête dans le Vieux Carré, entre Bourbon Street, Royal Street et autres rues fourmillant de bars-clubs avec entraîneuses. Esprit festif mais sans équivoque : Vous savez ce que c’est, à La Nouvelle Orléans. Il suffit qu’une femme aille s’asseoir dans un bar, et il y a aussitôt deux ou trois hommes autour d’elle. Mais ça ne tire pas à conséquence. Ce serait dans une autre ville, on vous prendrait tout de suite pour une grue. Là, non. Enfin, c’est La Nouvelle Orléans…” La description de l’ambiance contribue à rendre vivante cette histoire, témoignant de l’époque. Une série à redécouvrir.

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10 août 2017 4 10 /08 /août /2017 04:55

Le village de Monteperdido se trouve sur le versant espagnol des Pyrénées, pas très loin du Cirque de Gavarnie ou du Pic d’Aneto. Dans la province d’Huesca, il est situé au cœur de la vallée entre Barbastro et Posets, au bord de la rivière Èsera. À l’ouest comme à l’est, la bourgade est dominée par deux parcs naturels montagneux et forestiers. Une région rude et isolée en hiver, touristique aux beaux jours. Cinq ans plus tôt, deux fillettes âgées de onze ans y ont été enlevées, Lucía et Ana. L’affaire bénéficia d’un large écho, on forma un comité – en grande partie basé sur une puissante association locale, la Confrérie. On ne retrouva jamais les gamines, malgré les efforts des habitants et de la garde civile.

Joaquín, le père de Lucía, reste très mobilisé malgré le temps passé, laissant son frère se charger de sa petite entreprise de transport. Son épouse Montserrat est toujours désemparée depuis. Quim, le frère de Lucía, essaie de mener sa propre vie dans ce contexte chargé. Il peut compter sur la bienveillance amoureuse de Ximenia, surnommée la Colombienne, la fille du singulier vétérinaire Nicolás, qui fut l’amie des disparues. Pour Raquel, à peine quarante ans, la mère d’Ana, cet enlèvement a eu pour conséquence la fin de son couple. En effet, son mari Álvaro fut sérieusement soupçonné d’être le ravisseur. Contre son gré, le père d’Ana s’est quelque peu éloigné de Monteperdido. Mais il n’est pas indifférent au sort de sa fille disparue, et éprouve toujours des sentiments pour Raquel.

Suite à un accident de voiture, Ana est retrouvée vivante et hospitalisée. Simón Herrera, le conducteur, est mort quand son véhicule est tombé dans un ravin. Dépanneur de son métier, il fut par le passé suspecté de pédophilie. Simplette d’esprit, son épouse Pilar ne croit pas que Simón ait mal agi. Mais ce couple est vu tels des marginaux, et la vindicte populaire risque d’amener Pilar à un geste fatal. Une nouvelle enquête est entamée, par trois personnes. Le quadragénaire Víctor Gamero est le chef de la garde civile locale. C’est un authentique natif de Monteperdido. Les deux autres policiers viennent de l’extérieur. Santiago Baín a environ soixante ans. La sous-inspectrice Sara Campos est une jeune femme compétente, mais cherchant encore son équilibre personnel.

Álvaro a rejoint Raquel, auprès de leur fille Ana. À l’hôpital, celle-ci est interrogée par Sara. Elle aurait été libérée par Simón, avant l’accident. Elle décrit le lieu de leur captivité, un refuge de montagne délabré, où Lucía et elle étaient généralement enfermées au sous-sol. Ana affirme ne pas connaître leur ravisseur, qui était masqué. La policière Sara pense que la jeune fille ne confie qu’une version édulcorée de sa séquestration. Avec Víctor, elle va bientôt retrouver l’endroit où l’on cacha les deux filles. Mais le ravisseur a tout incendié afin de ne pas laisser de traces. Pas de cadavre de Lucía, on peut en conclure qu’elle est encore en vie. Néanmoins, le père de celle-ci reste hostile envers la police. Santiago Baín cherche de son côté des indices, essayant de discerner le caractère des habitants.

Une piste se dessine quand sont découverts des casques de paintball. Ce qui pourrait bien rendre de nouveau suspect Álvaro, le père d’Ana. Celle-ci est de retour chez sa mère. Elle ne paraît pas se sentir en danger. Même si Raquel et elle se rapprochent de leur voisine et amie Montserrat, elles ne sauraient améliorer l’atmosphère autodestructrice régnant dans la famille de Lucía. Tandis que Sara et Víctor poursuivent seuls l’enquête, un indice prouve que le kidnappeur fait partie de la population de Monteperdido. Si Lucía est vivante, il est de plus en plus urgent de la retrouver. Mais d’autres drames ne sont pas à exclure…

Agustín Martínez : Monteperdido (Actes Noirs, 2017) – Coup de cœur –

Après le départ de Víctor, Sara feuilleta quelques papiers. Elle feignait de consulter un dossier, mais en réalité son attention était tournée vers ces gardes civils qui mangeaient des brioches et buvaient du vin. Ils riaient et plaisantaient en s’envoyant des coups de coude. Víctor faisait partie de cette famille.
Comment pourrait-elle encourager les soupçons dans un groupe aussi uni ? Les habitants de Monteperdido étaient tous liés. Parrains des enfants, au même pupitre à l’école, sœurs et copines qui avaient élevé leur progéniture ensemble, promenades communes, fêtes et hivers coupés du monde où ils avaient été privés de lumière, sans télévision, sans autre compagnie que celle des voisins, des montagnes et des animaux que celles-ci recelaient. Des cerfs, des sangliers et des chevreuils. Víctor lui en avait parlé. Quelques rares renards aussi. Ils vivaient dans les forêts des monts Ármos, l’Ixeia. À la fois, aimés et chassés. Animaux, hommes et femmes dont les vies s’imbriquaient. Pour devenir une seule et même vie. Celle de Monteperdido.
Un de ces hommes, sous ce casque noir, avait enlevé les petites…

Une intrigue située dans des paysages isolés, comme des îles ou des bourgades rurales mal desservies, c’est un décor classique pour une histoire policière. Parfois, le résultat est théâtral, jouant sur le confinement d’une poignée de protagonistes, victimes et assassins se côtoyant forcément. La réelle habileté d’Agustín Martínez consiste à ne pas se contenter d’une "liste de suspects", ni d’enquêteurs stéréotypés. Ici, à proximité des Monts Maudits, dans le magnifique paysage de la haute montagne pyrénéenne, les habitants forment une communauté avec ses codes, y compris par un patois spécifique : “Coupés du reste du monde, ils avaient fini par parler une langue comprise d’eux seuls, et ils avaient grandi à l’ombre de légendes que peu de gens connaissaient encore”.

On imagine aisément cette vallée, ces splendides décors naturels. On comprend que ces endroits restent en partie sauvages, d’autant plus isolés par la neige hivernale. Tout cela alimentant un climat où, malgré une certaine solidarité locale, se mêlent malédictions et rivalités. La vieille Caridad, qui pourrait passer pour la sorcière de Monteperdido avec sa démarche chancelante et son allure peut-être inquiétante, initie quelque peu Sara à cet état d’esprit qui anime les gens du village, dont beaucoup sont des chasseurs. Se fondre parmi eux serait illusoire, mais – après un début désastreux – l’enquêtrice est épaulée par Víctor, le garde civil. C’est sur ce duo que va reposer l’enquête.

Une double disparition de mineures, une affaire non-élucidée, le sujet criminel possède un impact plus fort dans ces conditions. Car les proches des kidnappées sont aussi victimes de la situation : ils ont chacun une réaction personnelle, résignée ou virulente, soulagée ou anxieuse. Pour ne prendre qu’un exemple, Álvaro, le père d’Ana, peut-il espérer un "retour à la normale" quand sa fille est sauvée ? Agustín Martínez explore avec subtilité le ressenti de tous, famille et villageois, dans un récit fluide et convaincant. L’ambiance ne tarde pas à captiver. Toutefois, si le paysage bucolique est empreint de poésie, les faits sont nettement plus sombres, malsains et même mortels. Excellent suspense.

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8 août 2017 2 08 /08 /août /2017 04:55

Il s’agit d’un avocat d’une trentaine d’années. Après des missions internationales, il a intégré un cabinet d’avocats, où il ne joue qu’un rôle assez modeste. Il est contacté par une dame âgée appartenant à la haute société. L’activité caritative de celle-ci consiste en une "correspondance de prison" avec un détenu de la centrale de Clairvaux, Ahmet. Elle souhaite que l’avocat intervienne en faveur de ce Kurde originaire d’Anatolie, en Turquie. Voilà seize ans qu’il est incarcéré, ayant été condamné à trente ans de prison.

Son crime remonte à 1994. Originaire d’Alsace, Annie B. était une aide-soignante de vingt-cinq ans. Elle était la petite-amie d’un jeune Turc, ce qui déplaisait à la famille de ce dernier. Avec Unwer K., membre de ce clan, Ahmet fut chargé de "donner une leçon" à la jeune femme. Au-delà des brutales maltraitances, cela se termina par la mort d’Annie B. Toutefois, elle eut le temps de citer les noms de ses agresseurs. Le jugement fut logique : prison à vie pour Unwer K., même si Ahmet endossa plus que sa responsabilité.

N’ayant plus de titre de séjour en France, suite à sa condamnation, Ahmet risque d’être expulsé dès la fin de sa peine de prison. En Turquie, la famille K. l’attendra le temps qu’il faudra, estimant qu’il a une "dette de sang" envers eux. C’est donc la mort qui lui est promise s’il retourne en Anatolie. Même si Ahmet est un prisonnier modèle à Clairvaux, tous les recours lui ont été refusés à ce jour. L’avocat se rend sur place, afin d’étudier la situation en rencontrant l’intéressé. Il obtiendra une audience, plaidant un aménagement de peine, qui sera accordé à Ahmet. Néanmoins, il lui reste encore quelques années de prison. À l’issue desquelles, il sera expulsé comme prévu, faute de titre de séjour.

L’avocat a fait ce qu’il pouvait pour Ahmet. Au fil des ans, son parcours de défenseur a légèrement évolué, s’installant à son compte. Il s’est occupé de dossiers concernant des étrangers et de "délinquance minimale". Il a acquis un certain équilibre qui lui manquait, même s’il avoue encore une fragilité personnelle. Cinq ans après avoir été saisi du cas d’Ahmet, il apprend que c’est l’échéance pour le Kurde : il a été réexpédié dans son pays, peu après sa sortie de prison. En contact avec une interprète, l’avocat est bientôt informé des nouveaux choix de vie d’Ahmet. Il va même s’en rendre discrètement complice, ce qui risque de tourmenter à nouveau sa conscience…

Antoine Brea : Récit d'un avocat (Éd.Seuil, 2017)

Lorsqu’on l’avait fait entrer au parloir, Ahmet avait souri d’une rangée de dents très blanches et de tout l’entretien ne s’était plus départi de ce sourire. Cela lui donnait un air perturbant, voire dérangé. Les thèmes abordés et mes explications n’avaient du reste rien pour le réjouir. Mais je crois qu’il était juste heureux de parler, que quelqu’un d’extérieur ait fait la route pour le connaître, fût-ce un professionnel mandaté par un tiers. Physiquement, il avait l’air en bonne forme. C’était un individu très brun, coupé au bol, de taille médiocre et de complexion émaciée, encore que musculeuse […] Nous avons échangé des politesses, quelques paroles insignifiantes pour mieux s’introduire l’un à l’autre. Son français était difficile, et il s’est ébloui de voir que je savais des mots de sa langue, appris au cours de mon séjour en Anatolie…

Même s’agissant d’un court roman comme celui-ci, il y a souvent plusieurs manières de l’aborder, plusieurs "lectures". Le narrateur et personnage central est un avocat, anonyme quant à son nom, mais qui nous fait partager son état d’esprit. Ce n’est nullement un de ces "ténors du barreau", avocats brillants à la carrière rectiligne et ascendante. Il admet l’instabilité de son caractère, ses sentiments malaisés. Son parcours compte comme un des éléments de l’affaire. Un deuxième regard porte ici sur ce qu’on appelle encore parfois la double peine : l’expulsion d’étrangers condamnés en France. Les décisions judiciaires en la matière se conçoivent. Il est assez habituel que ces prisonniers d’origine étrangère se disent en danger si on les renvoie chez eux. Dans certains cas, c’est sûrement la vérité.

Quoi qu’il en soit, une expulsion n’est pas sans conséquences pour ces repris de justice étrangers. Elle peut entraîner une "radicalisation", quelle qu’en soit la forme. En France, Ahmet ne fait preuve d’aucune agressivité, mais si le destin l’emporte ailleurs… L’actualité de ces dernières années nous a montré la complexité du monde arabo-musulman, y compris en Turquie et face au cas particulier du peuple kurde. C’est là le troisième aspect de cette histoire. Si l’on est ici aux limites du roman noir ou du polar, voilà pourtant un livre qui souligne avec justesse la dimension humaine dans un monde actuel compliqué.

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6 août 2017 7 06 /08 /août /2017 04:55

Le détective privé Nestor Burma se rend à la Gare de Lyon, où sa secrétaire Hélène est censée rentrer de Cannes. Mais elle n’est pas dans le train en provenance de Marseille. La Foire du Trône n’est pas loin, place de la Nation. Il y a de l’animation, des attractions en tous genres, et des jolies femmes. Nestor en suit une sur le Super-Grand-Huit. C’est alors qu’il est attaqué par derrière, se bagarrant avec un inconnu sur le scenic-railway. Nestor a failli passer par-dessus bord, mais c’est l’autre qui s’est tué en tombant. Possédant une arme, le détective est obligé de s’expliquer avec les policiers du 12e arrondissement. Heureusement qu’il est un ami du commissaire Florimond Faroux, de la Criminelle. Celui-ci arrive bientôt à la rescousse, garantissant l’honnêteté de Burma.

La jolie femme remarquée par le détective a été choquée par l’accident car elle se trouvait dans le wagonnet juste devant, sur le scenic-railway. Elle s’appelle Simone Blanchet. Quant à l’agresseur, il se nommait Roger Lancelin. Soit il s’agissait d’un dingue, soit il y a eu méprise concernant Nestor Burma. L’année précédente, un accident similaire s’était produit sur le même Super-Grand-Huit. Le détective recueille le témoignage de la jeune victime, Geneviève Lissert, restée gravement handicapée depuis. Il n’aime pas ce genre de coïncidences. Il prend ensuite contacte avec Simone Blanchet. Elle ne connaît pas non plus l’agresseur, ce Lancelin. Toujours sensible au charme féminin, Burma accompagne la jeune femme pour une nouvelle balade à la Foire du Trône.

Simone y est importunée par un groupe de petits frimeurs. Comme ils sont trop insistants, ça se termine en pugilat. Heureusement qu’un lutteur de foire intervient en faveur de Burma. Selon le commissaire Faroux, le défunt Lancelin (dont ce n’est pas le vrai nom) aurait été impliqué huit mois plus tôt dans le vol de cent cinquante kilos d’or, en gare de Montpellier. Un de ses complices vient d’être arrêté. L’entreprise victime du vol versera une belle prime à qui retrouvera l’or. Certes, ça peut motiver le détective, mais il a surtout envie de comprendre. Qu’on l’ait pris pour un flic alors qu’il attendait Hélène en Gare de Lyon, soit. La suite s’avère moins explicable. Peut-être que le nommé Albert Millot, petit chef des bagarreurs avec lesquels s’il s’est colleté, savait quelque chose ?

Le jeune Bébert, “c’est un mariole de fête foraine, un caïd en simili-imitation, un corniaud qui voudrait bien bouffer un mur pour cracher des briques, mais dont le ciboulot n’est pas organisé pour imaginer quoi que ce soit.” Par contre, la fille qui vit depuis quelques jours avec lui, elle a sûrement des choses à cacher. Cette Christine s’enfuit bien vite, même si on ne tarde pas à la retrouver. Entre-temps, un négociant en vins de Bercy s’est adressé au détective, requérant ses services. Il risque fort d’y avoir d’autres cadavres dans cette affaire. C’est dans une maison de Saint-Mandé, près de chez Mme Parmentier (une lectrice d’histoires policières), que Nestor Burma va dénicher les clés de tous ces mystères…

Léo Malet : Casse-pipe à la Nation – Nestor Burma (1957)

Elle ne se le fait pas répéter. Elle se pelotonne dans un coin, comme un chat frileux. Hop. Je volte rapidement et balance un coup de crosse sur la main de Bébert. Je ne sais pas ce qu’elle était en train de manigancer, si ses intentions étaient bonnes ou mauvaises, mais enfin elle s’approchait un peu trop près de moi, à mon gré. La gouape pâlit sous le coup et agite sa main, pour lui donner de l’air, puis se la prend dans l’autre, en dansant de douleur. De toutes mes forces, je catapulte le zigue. Il perd l’équilibre et tombe sur une caisse, qu’il écrase sous son poids. Il reste assis parmi les débris de bois. Je souhaite qu’une écharde lui ravage les fesses. Sans cesser de frictionner sa pogne endolorie, qui vire lentement au technicolor, il me regarde et dit :
— Ça va. C’est régulier. Vous voulez votre revanche, hein ? À moins que ça vous suffise comme ça. Mais si vous voulez une vraie revanche, j’aimerais autant qu’on aille ailleurs.

Nestor Burma est une des grandes figures de la littérature policière française. Son agence de détective est basée rue des Petits-Champs où, généralement, il est assisté par Hélène, sa dévouée secrétaire. Dans la série “les nouveaux mystères de Paris”, Burma va explorer une quinzaine d’arrondissements, en cette fin des années 1950. On retiendra les intrigues énigmatiques à souhaits, fort bien construites, évidemment. Les péripéties ne manquent pas, et le détective a souvent l’occasion de se bagarrer, ou de prendre un coup sur la tête qui va l’assommer. Mais ses aventures sont également un témoignage sur le Paris d’alors.

Le voici dans le 12e arrondissement : “Ça ne manque pas d’arbres, dans le 12e… Et des beaux. Pourvu que ça dure. Avec leur urbanisme et leurs problèmes de la circulation, ils sont bien capables d’abattre tout ça, un de ces quatre.” Léo Malet, l’auteur, est lucide quant aux transformations de la ville. En ce temps-là, Bercy était synonyme des entrepôts de vins qui irriguaient la consommation des Parisiens, et non d’un puissant ministère. Une activité traditionnelle qui périclitera une vingtaine d’années plus tard. En mai, place de la Nation, se tenait la Foire du Trône. Avec des attractions beaucoup plus typiques que les manèges, aussi sensationnels soient-ils aujourd’hui. Les forains avaient leurs baraques où le public était convié, des cracheurs de feu aux lutteurs en passant par les voyantes et tant d’autres animations. Époque révolue, mais il n’est pas interdit de s’en souvenir.

Damnée modernité, estime Nestor Burma ! En 1957, circulent encore des locomotives à vapeur, nettement plus attirantes que les nouvelles machines : “C’est un de ces trains à traction électrique, à qui il manquera toujours la poésie spéciale qui s’attache aux locomotives puissantes, rugissant, crachant, et enveloppées de fumée.” On notera au passage une référence à l’abbé Pierre : “On est couverts par les types d’à côté, ceux qui crèchent dans le baraquement. Ce sont des ménages de boulots que l’abbé Pierre a placés là, en attendant mieux.” Les enquêtes et le suspense, oui. Mais c’est aussi le témoignage historique qui séduit dans ces aventures.

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4 août 2017 5 04 /08 /août /2017 04:55

Dans les services secrets britanniques, il y a les "costards" de Regent’s Park, le gratin des agents, tels Diana Taverner ou Spider Webb. Dans un immeuble plus modeste, on trouve une équipe dirigée par Jackson Lamb, naguère espion expérimenté. C’est le "Placard des Tocards", où l’on a exilé des agents déclassés. Ils ne sont pas incompétents, mais ils ont commis au moins une grosse erreur. Jackson Lamb s’amuse à les malmener, histoire de passer son ennui. La plupart du temps, ces espions-là végètent dans ces bureaux oubliés. Webb vient de faire appel à deux d’entre eux, Louisa Guy et Min Harper, pour encadrer un oligarque russe lors de sa prochaine visite. Une sorte de baby-sitting pour milliardaire, car un duo de sbires slaves assurera déjà l’essentiel de la sécurité pour ce Pachkine.

Dickie Bow était un espion de la génération de Jackson Lamb. Tous deux furent autrefois agents à Berlin, qu’on surnommait alors le Zoo des Barbouzes. Ce Bow était largué depuis un certain temps déjà. Il vient de mourir dans un bus, au fin fond de l’Oxfordshire. Simple crise cardiaque, ou poison indécelable ? Jackson Lamb estime que ça mérite une enquête, à l’insu de ses services. Dans le fameux bus, il retrouve le portable de Bow et un chapeau égaré par un voyageur, des indices très vagues. Le défunt a laissé un ultime message sur son téléphone, "cigales". Un mot de code qui ravive quelques souvenirs chez Lamb. Ça remonte à la fin de la Guerre Froide. Le maître-espion russe Alexandre Popov aurait mis sur pied un réseau "d’agents dormants" en Angleterre, en vue de futures opérations.

Jackson Lamb n’ignore pas que c’était de l’intox, que ce Popov était une invention du KGB pour exciter l’espionnage britannique. Jeu de dupes, qui marchait dans les deux sens. Il imagine mal que le FSB, qui a succédé au KGB, lance une improbable offensive. Encore qu’il soit difficile de prévoir les projets de Poutine. C’est d’ailleurs pourquoi, de son côté, Webb (de Regent’s Park) espère que de bonnes relations avec l’oligarque Pachkine, futur chef d’État russe potentiel, soit un atout favorable. L’équipe de Jackson Lamb tient une piste, en la personne d’un chauve qui serait l’assassin de Dickie Bow. On sait qu’il est allé à Upshott, un petit village sans grand intérêt, si ce n’est qu’il y eût une base d’aviation américaine là-bas. Lamb y envoie son jeune agent River Cartwright, en immersion.

Il s’est produit un contre-temps dramatique : l’agent qui pistait les sbires de Pahckine est mort dans un accident de la circulation. Il était ivre, et la conductrice qui l’a heurté semble sans reproche. Quand arrivera l’oligarque russe, l’autre agent poursuivra néanmoins leur mission. Jackson Lamb a compris que ce n’était pas un simple accident. Avec Catherine Standish, sa collaboratrice, ils étudient le profil des habitants d’Upshott. Peu en sont originaires, beaucoup de semi-retraités, quelques-uns font partie du club d’aviation. Des suspects ou pas ? Tout cela ne serait-il pas un leurre, Lamb estimant avoir remonté trop aisément certaines pistes ? Pourtant, la situation va devenir réellement explosive…

Mick Herron : Les lions sont morts (Actes Noirs, 2017)

Katinsky est un sous-fifre, reprit [Diana] Taverner. Un agent de chiffrage qui ne nous a apporté aucune information que nous n’ayons pas obtenue d’autres sources mieux informées. Nous l’avons seulement gardé au cas où nous aurions eu besoin de monnaie d’échange. Tu veux vraiment me faire croire qu’il t’intéresse ?
— Alors, tu t’es renseignée sur lui ?
— Quand j’ai appris que tu chassais les pions des âges sombres, bien sûr que je me suis renseignée. C’est parce qu’il a parlé d’Alexandre Popov, hein ? Bon sang, Jackson, tu t’ennuies au point de déterrer de vieux mythes ? Quelle que soit l’opération que Moscou ait eu en tête à l’époque, elle est aussi pertinente aujourd’hui qu’une cassette audio. Nous avons gagné cette guerre, et nous sommes trop occupés à perdre la suivante pour la rejouer. Retourne au Placard et remercie le ciel de ne plus être sur la ligne de front.

Pour les autorités anglaises, la Guerre Froide est restée un épouvantail jusqu’à la chute du Mur de Berlin (novembre 1989). Il est vrai que plusieurs affaires d’espionnages causèrent des scandales au sein de l’élite du pays, dont les Cinq de Cambridge. La Grande-Bretagne a-t-elle continué à être un “terrain de jeu” par la suite pour les services secrets russes. On le pense sérieusement chez les Anglais, d’autant que des empoisonnements suspects et des cas “d’agents dormants” ont été établis jusque dans les années 2010. Un fantasme entretenu par des services secrets anglais, en parallèle de l’anti-terrorisme islamique dont les résultats sont moyennement convaincants ? Possible, mais les incertitudes planant sur les objectifs du pouvoir russe actuel font qu’ils entendent rester vigilants.

Bien sûr, ce roman n’est pas un documentaire, c’est une fiction se basant sur un contexte d’espionnage traditionnel. Après “La maison des tocards” (disponible en format poche chez Babel Noir), c’est le deuxième volet des aventures de Jackson Lamb et de son équipe. Des agents secrets probablement plus efficaces que ne le pense leur hiérarchie. L’instinct de Lamb et sa lucidité ne sont pas émoussés, les souvenirs du grand-père ex-espion de River Cartwright ont une valeur certaine, les qualités de Louisa Guy, de Catherine Standish et des autres font que l’enquête est bien plus cohérente qu’il y paraît. Qui manipule qui, et dans quel but ? Telle a toujours été la principale question des affaires d’espionnage.

En suivant tour à tour chacun des agents du "Placard des Tocards", le récit n’a rien de linéaire, alternant les scènes avec une belle logique. Et avec de l’humour, grinçant de la part de Jackson Lamb, souriant quelquefois autour de ses agents. Malgré tout, le danger existe même confusément, et cette équipe y est directement confrontée. Excellent roman qui a été, à juste titre, récompensé en 2013 par un Gold Dagger Award, prix littéraire britannique de grand prestige. Un suspense très réussi.

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