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31 août 2017 4 31 /08 /août /2017 09:30
Prix Transfuge 2017 du Meilleur polar français

Le magazine culturel Transfuge est un mensuel dont l’objectif est de couvrir l'actualité culturelle contemporaine, traitant en particulier de littérature et de cinéma. Il a été fondé en janvier 2004 par Vincent Jaury, directeur de la rédaction et de la publication, et Gaëtan Husson. Ce magazine attribue ses récompenses littéraires à la fin de l’été. C’est ainsi que le Prix Transfuge 2017 du Meilleur polar français est décerné à "Comme de longs échos" d'Eléna Piacentini (Fleuve Éditions). Voilà une info qui ira droit au cœur des lectrices et des lecteurs qui suivent cette romancière depuis quelques années déjà !

Bravo au magazine Transfuge d’avoir mis en valeur Elena Piacentini !

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30 août 2017 3 30 /08 /août /2017 04:55

En cette seconde moitié du 19e siècle, le commissaire William Monk dirige la police fluviale de la Tamise, à Londres. Dans un entrepôt du quartier de Shadwell, un meurtre singulier vient d’être découvert. La victime était le patron de sa petite entreprise, un Hongrois du nom d’Imrus Fodor. Il a été martyrisé, l’assassin laissant derrière lui une mise en scène macabre. Monk se demande immédiatement pourquoi dix-sept bougies ont été placées près du cadavre. Avec son adjoint Hooper, il effectue une enquête de voisinage. Le témoin ayant trouvé le corps, le pharmacien Dobokai, va leur servir d’interprète. Il connaît bien la petite communauté hongroise de Londres, dont il fait partie, qui ne compte que quelques centaines de personnes. Bien qu’appréciés pour leur courtoisie et pas si différents de la population anglaise, les Hongrois d’origine sont parfois mal vus de certains londoniens.

Adopté par le couple Monk, le jeune Scuff – dix-huit ans – continue à cultiver sa vocation médicale auprès du Dr Crow, qui soigne les gens modestes dans son dispensaire. Il ont du mal à stabiliser la santé d’un nommé Tibor, lui aussi Hongrois, qu’il a fallu amputer. Un des médecins du quartier, le Dr Fitzherbert (dit Fitz) leur apporte un peu d’aide. Celui-ci passa pour mort lors de la Guerre de Crimée, où il faisait partie des soignants. Avant de revenir en Grande-Bretagne, il vécut quelques années en Hongrie. Là-bas, il sympathisa avec les patients locaux, et soigne quelquefois aujourd’hui des exilés hongrois à Londres. Marqué profondément par le conflit en Crimée et le reste de son chaotique parcours, le Dr Fitz est sujet à des cauchemars, des états délirants. Hester, l’épouse du commissaire Monk, l’a bien connu à l’époque de la Guerre de Crimée, où elle était infirmière.

Pourquoi s’en prendre à des Hongrois ? s’interrogent Monk et Hooper. Les dix-sept bougies auraient-elles un sens ésotérique ? Évoquent-elles un rituel de leur pays d’origine, voire d’une société secrète ? Existe-t-il un rapport avec cette altercation entre un commerçant anglais caractériel et un jeune Hongrois ? Un deuxième crime est commis, exactement similaire au premier, visant un autre membre de cette communauté. Monk préfère avoir pour interprète Adel Haldane, le pharmacien Dobokai cherchant à s’imposer comme chef des expatriés hongrois, en profitant de ces affaires. Mais le mari de cette dame, Anglais de souche, reste peu coopératif, se sentant mal-aimé par les compatriotes de son épouse.

Scuff est admiratif devant les capacités du Dr Fitz, non sans être conscient que le médecin présente des aspects inquiétants. Quand il le retrouve tout ensanglanté dans la rue, Scuff vérifie que Fitz n’a été mêlé à aucun meurtre. Bien qu’appréciant aussi Fitz, Hester se sent désemparée, ne sachant comment lui venir en aide. Ayant connu naguère des troubles comparables, le commissaire Monk voudrait discerner la psychologie de Fitz. Deux autres crimes au processus identiques vont être commis, visant toujours des Hongrois. Les Monk auront besoin des services de leur ami le brillant avocat Oliver Rathbone, lorsque l’affaire arrivera devant la justice. Car l’accusation semble avoir tous les atouts en main…

Anne Perry : Meurtre en écho (Éditions 10-18, 2017) – Inédit –

Néanmoins, Monk n’était pas préparé à la scène qui s’offrit à lui dans la cuisine. Le médecin légiste était agenouillé à côté d’un cadavre ensanglanté, étendu sur le dos. Le manche d’une moitié de cisailles se dressait hors du torse. À première vue, Monk estima qu’il devait y avoir dix à douze pouces de lame enfoncés dans la poitrine.
Cependant, ce qui lui donna un haut-le-cœur, ce fut la série de bougies disposées sur les étagères et autres surfaces autour de la pièce, toutes rouges de sang. Il les compta machinalement. Exactement comme chez Fodor, il y en avait dix-sept (…) Il regarda Hyde [le légiste] puis les mains de Gazda. Un coup d’œil lui suffit pour s’apercevoir que l’homme avait eu les doigts écrasés. Ils présentaient des angles tels, qu’ils ne pouvaient pas avoir été simplement déformés par des œdèmes, si terribles fussent-ils. Du sang avait coulé de la bouche du mort, dont les dents avaient été arrachées.

C’est le vingt-troisième épisode de la saga consacrée par Anne Perry à William Monk. Fort productive et toujours inspirée, l’auteure continue par ailleurs sa série autour de Charlotte et Thomas Pitt. Celle ayant Monk pour héros possède ses qualités propres. On ne manque pas de nous rappeler que, le policier ayant perdu jadis la mémoire, le passé de Monk reste flou. Ce qui l’incite sûrement à faire preuve de compréhension envers les suspects, et à cerner le contexte aussi précisément que possible autour des victimes. Les réfugiés venus de Hongrie à l’époque subissent une part d’ostracisme, bien que se différenciant peu de la population anglaise. Ces catholiques font juste une meilleure cuisine que les anglicans.

Formée par Florence Nightingale, l’infirmière humanitaire Hester Monk participe à cette nouvelle affaire de façon indirecte. Outre le fait qu’elle souhaite se réconcilier avec son frère Charles, elle fut impliquée durant la Guerre de Crimée – dont elle peut témoigner autant que le Dr Fitzherbert, et suit également l’évolution de son jeune protégé Scuff. Ce dernier, entrant dans l’âge adulte, médecin en devenir, a décidé d’opter pour un nom plus sérieux que son sobriquet d’enfant des rues. Appartenant lui aussi à l’univers du couple Monk, sir Oliver aura son rôle à jouer dans le dénouement de cette série criminelle. Anne Perry montre une habileté certaine pour définir chacun des personnages récurrents, même si l’on n’a pas lu l’intégralité des aventures de William Monk. Énigmes et suspects sont, bien sûr, au rendez-vous pour cette enquête. On lit avec toujours autant de plaisir les suspenses historiques d’Anne Perry.

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28 août 2017 1 28 /08 /août /2017 04:55

La société de la famille Mahoudi est florissante, fournissant en produits divers beaucoup de points de vente à Paris et en Île-de-France. Ils sont d’origine kabyle. Kamel, le père, en a fait une entreprise commerciale prospère. Malik, le fils, gère au mieux leurs activités. Il s’associe à un copain passionné de moto pour d’autres livraisons plus illicites. Les mafieux russes paient bien, un apport financier à ne pas négliger. Quant à ses employés, Malik doit être vigilant. Ses fourgonnettes pourraient servir à certains trafics. La religion musulmane est prétexte à des comportements irréguliers, possiblement extrêmes. Affaibli, son père reste néanmoins de bon conseil, ayant un peu anticipé ces problèmes.

À Saint-Cloud, la clinique du docteur Bellefond est réputée pour la chirurgie esthétique. On y accueille une clientèle de haut niveau. Telle Isabelle Caillerai, épouse d’un politicien, ou Aïcha, princesse des émirats arabes. Future mariée, cette dernière a besoin de retrouver sa virginité. Elle est aussi là pour sa sœur, qui aurait besoin d’une intervention spécifique. Kyril Annaviev, partenaire en affaires du Dr Bellefond, s’occupe de ces aspects en marge de la chirurgie ordinaire. Il confie ces cas à un expert russe, Oleg, qui devient d’ailleurs de plus en plus exigeant sur sa rémunération. Kyril Annaviev dispose d’une équipe de voyous venus de Russie, prêts aux missions les plus glauques, parfois trop expéditifs.

Sammy est un jeune reporter-photographe qui peine à fournir des sujets vendeurs. Cette fois, il pense tenir de l’exceptionnel. Certes, les mafias russes sont un thème sensible, et la prudence s’impose. En contact avec une mannequin des pays de l’Est, Sammy rôde dans un bar interlope fréquenté par des hommes de main au service de cercles mafieux. Il finit par situer leur principal employeur, une clinique de Saint-Cloud. Aussi discret pense-t-il être, Sammy est bientôt intercepté par ces sbires brutaux. Vu leurs méthodes, voilà un tracas supplémentaire à régler rapidement pour Kyril Annaviev. Quant à se fournir pour répondre aux besoins chirurgicaux spéciaux, ça devient moins facile ces temps-ci.

Alain Dormeuil a longtemps été un baroudeur au sein de la police, évoluant dans certains milieux troubles. Quand son ami Didier, médecin humanitaire soignant en particulier des populations Roms, fait appel à lui, il y a de quoi hésiter. Bien sûr, plusieurs enfants de leurs clans ont été kidnappés ou même tués. Et ce ne sont pas leurs adversaires Gitans ou autres marginaux qui sont en cause. Mais avec des caïds Roms comme Ivo, pas simple de se sentir en confiance. Heureusement, la belle Marjiana Bromiscu va servir d’interprète, et aidera le policier à cerner l’affaire. D’un côté, Dormeuil n’est pas insensible au charme de Marjiana. De l’autre, la jeune femme de vingt-et-un ans veut quitter son univers, le clan.

Informé de pratiques médicales concernant les enfants Roms, Dormeuil tient une piste. Son ami Max, flic déclassé, est sans doute assez fiable pour l’aider. Mais la DGSI garde un œil sur tous ceux qui approchent le scabreux Kyril Annaviev ; y compris sur l’entreprise de Malik Mahoudi. Des dirigeants occultes décideront de "faire le ménage" le moment venu, et pas seulement dans les rangs des Russes mafieux…

Lionel Fintoni : Il ne faut jamais faire le mal à demi (Éd.l’Aube Noire, 2017)

Alain veut poser une question, mais Didier lui fait un signe de la main pour lui dire d’attendre. L’homme dans le coin le regarde toujours fixement.
Et puis récemment, deux enfants d’un autre camp ont été attaqués. Une fille a disparu et un garçon a été retrouvé mort sous des bâches et des cartons dans une traverse. Ils ont été tués par des professionnels, aucun doute là-dessus. Le gamin n’a eu aucune chance. Un Gitan a parlé de voitures noires, d’hommes qui ne parlent pas. Trois jours plus tard, des enfants sont allés dans un ancien camp que la préfecture avait fait évacuer, pour voir ce qu’il y avait à récupérer avant l’arrivée des bulldozers. Ils ont trouvé le corps de la petite. Ils sont revenus chercher les hommes. Ils ont ramené la petite dans son camp. Les femmes ont commencé à la laver pour l’enterrement rom et c’est là qu’elles se sont mises à hurler, à dire qu’il y avait un monstre autour des camps.

Lionel Fintoni nous présente ici un roman noir s’inscrivant dans un contexte actuel, autour de Paris. Sans être réellement un défaut, la construction sinueuse du récit exige que le lecteur soit très attentif. Le schéma correspond plutôt à un scénario cinéma ou téléfilm, où la succession de scènes et d’ambiances est visualisée par le spectateur. Dans un roman, on ne s’adapte pas forcément illico à ces brusques différences – entre les taudis des camps Roms, une chic clinique clodoaldienne et l’entreprise d’une famille kabyle, entre autres. Rien qui soit insurmontable, la lecture apparaît simplement moins fluide. Toutefois, on n’éprouve aucune difficulté à reconnaître les protagonistes, à suivre chacun dans les péripéties – souvent tendues ou même fort dangereuses – qu’ils vont traverser.

En filigrane, cette fiction pose des questions sociétales. Sur l’impossible intégration de la majorité des populations venues de Roumanie, tant que persiste un fonctionnement clanique. Sur les nervis venus des pays de l’Est, de la Russie jusqu’aux Balkans, évoluant en toute liberté dans nos pays, "terrain de jeu" sans loi et sans limite. Sur d’odieux trafics, auxquels s’associent sûrement des personnages issus de hautes sphères. Et sur le rôle de nos services de police, face à tout cela. L’enquête d’Alain Dormeuil n’est qu’officieuse. Au-dessus de lui, on manipule les faits : “…la vérité est arrangée, aseptisée et le mensonge est distillé avec précaution, mélange de faux messages et de judicieuse dissimulation.” La morale n’est pas sauve, mais on préserve un équilibre artificiel. Si la structure de cette histoire est complexe, c’est que notre monde l’est tout autant.

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26 août 2017 6 26 /08 /août /2017 04:55

En juin 1942, Léon Sadorski est un quadragénaire se présentant comme employé à la Préfecture de police de Paris. Époux d’Yvette, trente-sept ans, sans enfant, ce policier est moins ordinaire qu’il le laisse croire. L’inspecteur Sadorski est chef de brigade de la voie publique à la 3e section de la direction générale des Renseignements Généraux et des Jeux. Son poste n’apparaît pas haut-placé, mais il a toute la confiance de sa hiérarchie. On connaît le zèle patriotique de ce partisan du pétainisme. Quitte à utiliser des stratagèmes, Sadorski pourchasse les ennemis de l’intérieur, les opposants au Maréchal et au nazisme. En premier lieu, il déteste les bolcheviques. Depuis la fin du pacte germano-soviétique, la racaille communiste sème le trouble à Paris et en France. Les Rouges viennent encore de commettre un attentat contre le café Chez Moreau, souvent fréquenté par des policiers.

Heureusement, dans les cinémas, les Actualités informent correctement le public, même si les sources officielles sont pro-nazies ou pétainistes. Une nouvelle étape indispensable a été mise en place : le port obligatoire de l’étoile jaune pour les Juifs. Les contrôler, les empêcher de travailler était nettement insuffisant, pense lui aussi Sadorski. Ainsi, il est plus facile de procéder à des arrestations. Y compris contre les sympathisants arborant de fausses étoiles jaunes, de fantaisie, par solidarité. Direction le camp de Drancy, pour toute cette population hostile à la France amie de l’Allemagne hitlérienne. Les femmes, elles, sont emprisonnées aux Tourelles, où le régime est à peine moins dur. Par des voies détournées, l’inspecteur Sadorski y a fait enfermer sa voisine Mme Odwak. C’est la mère de la jeune Julie, quinze ans, que Léon trouve particulièrement excitante.

Aux yeux de la lycéenne et de sa mère, Sadorski semble un brave homme, plus ou moins en contact avec la Résistance. D’ailleurs, n’a-t-il pas été blessé lors d’une attaque le visant en personne ? Il profite de sa convalescence pour rendre visite avec Julie à Mme Odwak. Celle-ci lui demande de loger sa fille et d’en prendre soin. Ce qu’il accepte volontiers. Le policier en profite pour glaner des renseignements sur des amies de cette dame. À juste titre, il pense qu’il existe un réseau de Juifs originaires des pays de l’Est, menaçant pour la fragile situation actuelle. S’offrant un peu de détente avec Yvette du côté de Sucy-en-Brie, sur les bords de Marne, Sadorski dénonce anonymement un gaulliste par courrier. Peu après, il découvre le cadavre en putréfaction d’une femme, dans une forêt voisine. C’est une des affaires dont il va avoir à s’occuper dès son retour au service des RG.

Tandis que le port de l’étoile jaune accentue la pression sur les Juifs parisiens, et que les transferts vers Drancy augmentent sans cesse, Sadorski étudie les deux dossiers. Le même calibre 6.35 a servi pour le meurtre d’un communiste et pour l’inconnue dont il a trouvé le corps. Les exécuteurs appartiendrait à un "Détachement Valmy", groupe secret d’obédience communiste. Ils ont au moins cinq attentats à leur actif. On peut supposer que celui qui ciblait le café Chez Moreau est à leur attribuer. Les supérieurs de Sadorski y voient d’ailleurs un complot des Juifs alliés aux Staliniens. L’inspecteur contacte un témoin de cet attentat, Mlle Bonnet. Cette employée de Radio-Paris est une authentique patriote, une collabo exemplaire. Sur les lieux, se trouvait aussi Gisèle Rollin, une infirmière issue d’un milieu communiste. Une piste exploitable qui fait progresser l’enquête de Sadorski…

Romain Slocombe : L’étoile jaune de l’inspecteur Sadorski (Éd.Robert Laffont, 2017)

Sadorski ne discute pas. Il choisit de laisser la malheureuse à ses chimères – suspectes politiquement, qui plus est. Lui-même ayant visité la capitale allemande à deux occasions, peut témoigner de la puissance des nazis (…) Guidé par ses collègues gestapistes, il a admiré les grands ministères sur la Wilhelmstrasse, les autoroutes, les banlieues modernes, les usines Siemens. Ce Reich-là est installé pour longtemps ! L’Europe a pris sous sa direction des formes nouvelles, bâties sur des fondations d’acier et encadrées par la SS. La France est conviée à cette grande œuvre… Les Allemands sont là, on n’est pas obligé de les aimer mais de toutes façons il faudra bien s’arranger avec eux ! Ce n’est pas l’existence de toute la racaille judéo-bolchevique à l’Est qui pourra changer quelque chose à la situation. D’ailleurs l’Armée Rouge est en train de se faire ratatiner autour de Kharkov. Ce sont les jours de la dictature staliniste qui sont comptés !

C’est dans “L’affaire Léon Sadorski” que le lecteur a fait la connaissance de ce détestable policier du Rayon Juif, inspecteur des Renseignements Généraux traquant impitoyablement ceux qui refusent la domination nazie, l’Occupation du pays par les troupes d’Hitler. En raison de la paranoïa ambiante, il a coutume de feinter en minimisant son rôle. Mais, nous qui le suivons au quotidien en cette noire période de notre Histoire, nous constatons toute la bassesse de ses actions. Sadorski se déguise pour débusquer des suspects, il brusque les témoins, il transmet à ses collègues des infos faussées pour mieux accabler des "ennemis", etc. C’est plutôt une obsession pour ce pétainiste, s’estimant "vrai Français", qu’un respect des règlements en vigueur. Toutes les ruses sont admissibles, selon lui.

Certes, l’idéologie des collabos au pouvoir autorise les excès dans la répression. “…Staline est aux ordres des Juifs, le bolchevisme n’est pas autre chose qu’un essai de dictature juive. Croyez-moi, sans le soldat allemand, Staline serait à Paris ! Et donc, il ne faut pas que nous laissions ce brave soldat allemand assurer seul la défense de l’Europe. Collaborer, voyez-vous messieurs, ce n’est pas simplement prendre une position de principe, c’est donner une adhésion totale, organique, à l’acte constitutif de notre nouvelle Europe.” Ce qui justifie, selon les fidèles de Pétain, qu’on aille beaucoup plus loin que les demandes des nazis. C’est la police française qui emprisonna femmes et enfants juifs, qui remplit le camp de Drancy bien au-delà des exigences allemandes. Ne l’oublions jamais.

Loin des "versions" revisitées par certains historiens, Romain Slocombe s’appuie sur les témoignages, sur les faits historiques. Il restitue avec une très belle justesse la vie des Parisiens sous l’Occupation. Autant par de menus détails (il vaut mieux monter son vélo chez soi, à cause des vols) que par des situations plus générales (le sort des femmes aux Tourelles). Sans oublier la propagande d’alors, très présente. Quant aux réseaux secrets de résistance, ils sont déjà bien organisés en juin-juillet 1942. Ils montent en puissance, manquant encore de coordination ce qui les fragilise, sans doute. Pour l’essentiel, les Français restent passifs, ce qu’on ne peut leur reprocher : il s’agit pour eux de ne pas sombrer. D’autres, s’abritant derrière leur "patriotisme", ont choisi leur camp, s’engageant parfois dans la LVF ou militant politiquement. Ou dénonçant anonymement.

Des personnages tels que Léon Sadorski ont contribué à rendre plus pénibles, pour ne pas dire infernales, ces années d’Occupation. Par leurs comportements pernicieux, ou pervers quand on observe l’attirance sexuelle du policier envers une mineure juive, ils furent les responsables du climat extrêmement malsain, voire mortifère, qui sévissait. C’est cette troublante collaboration de base, que dessine une nouvelle fois Romain Slocombe. Il ne stigmatise pas, il montre les choses avec simplicité, et une précision indéniable. Une vérité qui dérange toujours, si longtemps après ? Probablement. L’Histoire a besoin de mémoire, afin de ne pas se répéter. Les sombres tribulations de l’inspecteur Sadorski y contribuent, la fiction étant au plus près de la réalité de ce temps-là. Excellent roman.

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24 août 2017 4 24 /08 /août /2017 04:55

Bientôt retraité, le commandant Albert Lazaret dirige une équipe de la Police Judiciaire de Lille. Il est assisté par Mathilde Sénéchal, trente-huit ans, dont la réputation de dureté n’est pas usurpée. Un caractère affirmé, certainement dû à un passé difficile. Il n’y a que sa jeune et singulière voisine Adèle qui trouve grâce aux yeux de Mathilde Sénéchal. Les lieutenants Delage et Sqalli complètent le groupe de la PJ, avec le brigadier Sylvie Muller, nouvelle venue. Ils sont appelés pour une affaire criminelle, quand Vincent Dussart trouve le cadavre de son épouse Chloé. Leur bébé Quentin a disparu. Le mari est en état de choc traumatique, et hospitalisé. Des traces de sang laissent penser qu’on a pu tuer Quentin.

La police est immédiatement entrée en action. Dans les cas de kidnapping d’enfant, nul n’ignore que le temps presse. Un des policiers rend visite à un pédophile fiché, pour ne rien négliger. On va vérifier également les alibis de la mère et de la tante du mari, tous les proches de la famille. “Si on se fie à la loi des nombres, les prédateurs que l’imaginaire se représente tapis dans l’ombre glauque d’un parking ou sous le couvert d’un bosquet ne sont pas les plus prolifiques. C’est à une armée de monstres ordinaires que s’attaque Mathilde. La voisine serviable, le brave tonton, la copine sympa, le collègue de travail attentionné. Ils sont dans la lumière. Installés dans le quotidien de la victime…”

Le domicile de Vincent Dussart est perquisitionné, car le père est en général le plus suspect dans ce type d’affaires. D’autant que la situation était particulière. Chloé et lui étaient provisoirement séparés, à l’amiable, depuis quelques semaines. Tout était censé rentrer dans l’ordre ce soir-là. Peut-être qu’un week-end à Londres, et l’obtention d’un meilleur poste à Nancy pour Vincent Dussart, pouvaient améliorer leur relation de couple. Néanmoins, des images de vidéosurveillance montrent un curieux comportement du mari de la victime. Et une jeune femme s’adresse à la police, hésitante ou apeurée. Par son témoignage, on s’aperçoit que Vincent Dussart est plus pervers qu’il y paraît.

Pierre Orsalhièr fut autrefois policier. Il s’est depuis longtemps réfugié dans la montagne ariégeoise. Pour fuir les plus noires réalités du monde, sans nul doute. Voilà vingt ans, il fut confronté à une affaire très similaire, le cas de la famille Laborde. Le rôle du mari n’y fut pas clarifié, pas plus que les véritables circonstances. Pierre Orsalhièr traverse la France jusqu’à Lille, où il prend contact avec Mathilde. Tous deux listent les comparaisons entre les dossiers en question. Adèle, la jeune voisine de la policière, y met son grain de sel, proposant quelques suggestions farfelues. Pas absolument absurdes, pourtant. Pierre n’excluant rien, il va dénicher un indice correspondant à une élucubration d’Adèle.

Rétabli, Vincent Dussart est interrogé chez les policiers. Il campe sur ses positions, niant avoir assassiné son épouse, ni fait le moindre mal à son bébé, refusant de commenter les détails extra-conjugaux malsains. Malgré tout, les policiers disposent d’une piste : Vincent a récemment acheté illégalement une arme à feu auprès d’un type louche. Associé aux enquêteurs, Pierre Orsalhièr va les mettre sur la bonne voie…

Elena Piacentini : Comme de longs échos (Fleuve Éditions, 2017)

L’enquêtrice enfourche sa moto et se compresse les tempes. Elle n’a plus les idées claires.
L’exécution sans bavure de la mère, la disparition de l’enfant, les traces de saignements, l’absence de cadavre, la coexistence de ces faits contradictoires défie son entendement. Elle ne parvient pas à tisser un canevas cohérent. S’il s’agit d’un enlèvement dont la mère est la victime collatérale, pourquoi ces traces de sang ? Si c’est un double meurtre, pourquoi n’a-t-on pas retrouvé le corps de l’enfant ? Si l’enfant est mort, pourquoi avoir escamoté son corps ? Si la mère était la seule cible, pourquoi s’en prendre à son fils ? L’enchaînement des "si" et des "pourquoi" réveille en elle une oppression diffuse et familière. Semblable à la menace que ferait peser la proximité d’un ennemi sans visage…

Cette fois, ce ne sont pas le policier Leoni – un Corse en poste à Lille, héros de sept titres d’Elena Piacentini – et son équipe qui sont à l’œuvre. On les retrouvera plus tard dans de nouvelles aventures. Néanmoins, c’est toujours la région lilloise qui sert de décor à cette intrigue. La tonalité est proche de celle des précédents romans, mais pas semblable. Bien sûr, il y a en plus le sentiment d’urgence, même si les policiers en arrivent à conclure avec logique que le bébé disparu est fatalement mort. Surtout, on est là dans un genre de faits divers en apparence peu énigmatique. Le principal suspect, c’est le survivant de la tuerie. Souvent, c’est vrai. On verra si c’est ici la bonne version.

Une enquête sur un acte criminel, cela consiste à disséquer la vie des protagonistes. Elena Piacentini s’inspire de la réalité, restituant l’ambiance qui peut régner dans un groupe de policiers. Elle n’oublie pas que ce sont avant tout des êtres humains : le lieutenant Delage et ses soucis de divorce, la novice Sylvie Muller ne voulant pas rater sa première enquête, pour ne citer qu’eux. Mathilde Sénéchal s’attache, quant à elle, à tous les aspects de cet épineux dossier. Les motivations du coupable sont tellement tortueuses, parfois ! Le coup de pouce de Pierre, exilé volontaire dans les splendides paysages de l’Ariège, s’avérera déterminant.

Certains auteurs possèdent un petit supplément de talent, une maîtrise de l’écriture alliant finesse et précision ; ainsi, on adhère sans hésiter à leurs romans. C’est le cas pour Elena Piacentini, qui ne déçoit jamais ses lecteurs.

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22 août 2017 2 22 /08 /août /2017 04:55

Mietek Breslauer est âgé de vingt-cinq ans en 1974. Même s’il vient de passer vingt-huit mois en prison, l’avenir lui apparaît plutôt encourageant. Il habite à Montreuil. Sa vieille voisine Madame Test est très agréable. Il possède une belle DS21. Il a ses habitudes au bar Le Ramdam. Il y retrouve ses copains kabyles, les deux Mohammed. Sa relation avec la prostituée Karine est quelque peu ambiguë, mais c’est quasiment involontaire. Il a un petit pactole de côté, grâce à son vieux pote Robert-le-mort. Ce dernier n’en a plus pour longtemps à vivre, d’ailleurs. Mietek est assez doué pour voler des voitures de luxe. Pour recadrer aussi des faux-durs, comme celui qui rackette Brigitte, une collègue de Karine. Il est généreux, car l’argent n’est pas une fin en soi pour Mietek.

Le hasard le fait rencontrer les frères Brun, François et Patrice. Issus de milieux bourgeois, ils ne semblent pas tellement équilibrés. Néanmoins, ce sont des associés convenables. En tous cas, François paraît un peu plus fiable que son frère. Ils ont un plan en Belgique, le vol d’une Cadillac dont se charge Mietek. De petites réparations chez ses amis Daniel et Babette, un coup de peinture rose, et voilà un client satisfait. Mais, afin d’avoir une façade officielle, Mietek prépare sa reconversion en tant que brocanteur. Max, ami de Robert, va lui donner un coup de pouce. Des amis, le défunt Robert en avait une poignée d’autres : Pierre Clément et son frère le Mataf, membres de la milice gaulliste, ainsi que le flic véreux Mireille. Celui-ci saura indiquer à Mietek les plus fructueux cambriolages.

Il n’y a pas beaucoup de séduisantes jeunes femmes qui résistent au charme crapuleux de Mietek. Telle la dessinatrice junkie Chimel, par exemple. Mais c’est avec la vietnamienne Ming qu’advient le coup de foudre. Amour mutuel, plus ou moins, car cette jeune prof est en couple avec une autre femme, Manu. Le petit univers de Ming, rue des Envierges, ne correspond guère à Mietek, même s’il essaie de s’en accommoder. Heureusement, il y a la petite Cora, la fille de Ming. Elle adopte très vite Mietek comme père, dans ce petit monde où ça manque de mâles. Quant à espérer des projets de couple avec Ming, il sent bien que c’est hautement improbable. Malgré la possessive Manu, il garde le contact. Mais il doit aussi avancer dans ses opérations de cambriolage-brocante.

Les deux Mohammed font des déménageurs crédibles, avec le spacieux fourgon récupéré par Mietek. Il va également les loger dans le local qu’il a dégoté pour entreposer leur butin. Bien qu’un peu "décalé" dans la bande, François Brun est de la partie. Mietek a échangé sa DS21 pour une Citroën SM, plus classieuse. Son bizness fonctionne. Ce qui n’est pas le cas pour son pote Daniel, bientôt HS. Outre son équipe, Mietek reste en relation avec Clément et le Mataf, et aussi avec le Vieux, qui tient une casse-auto. Malgré les années qui passent, une chose lui tient à cœur et cet objectif-là sera sa réussite…

Richard Morgiève : Les hommes (Joëlle Losfeld Éditions, 2017)

Les croque-morts avaient déjà sorti le cercueil dur corbillard. Un curé était là avec sa Bible, sans soutane, et peut-être qu’il ne croyait pas en Dieu. Il m’a salué, je lui ai rendu la politesse. Il a lu un passage de la Bible, il m’a regardé, m’invitant à parler, je n’avais rien à dire. J’ai pensé à Dédé. Il n’avait pas de tombe. Il avait été jeté dans le carré de l’oubli. Mort pauvre, on perdait la mémoire dans celle des autres, on était effacé. Le plus grand crime de l’humanité, c’était celui du riche qui empêchait le pauvre de vivre sa vie, puis sa mort.
J’ai entendu du bruit derrière moi. Deux hommes. Le plus âgé, la cinquantaine, m’a salué – l’autre, plus jeune, avait la tête comme un compteur à gaz. Il s’était pris une sévère branlée, et me dévisageait comme si je puais. J’ai rendu le salut au plus âgé. Il avait des rubans à la boutonnière de son costume noir – je n’y connaissais rien en décorations. J’ai pensé que c’était soit un flic, soit un militaire. Il s’est avancé vers la fosse…

Une quarantaine d’années en arrière, la décennie 1970, c’est si proche, c’est si différent. À cette époque, certains se placent en marge, leur rejet de la société étant naturel, juste un état d’esprit. Bien sûr, ils appartiennent au banditisme, mais pas à celui de la violence. À leur façon, ce sont des artisans de la cambriole, des bricoleurs du recel. Ils ne manquent jamais de fric, avec leurs combines bien moins risquées que les braquages et autres prises d’otages d’alors. Ils restent des durs-à-cuire, mais sont plus "réglo" que la moyenne. Leur rapport aux femmes s’avère sûrement complexe, dans beaucoup de cas. Peut-être sont-elles fascinées autant par leur dégaine d’aventuriers que par l’argent. Leurs sentiments et ceux des hommes ne sont pas si faciles à analyser, sinon via une idée de liberté.

Mietek Breslauer s’est forgé seul son parcours, tel un autodidacte de la combine. À ne pas confondre avec la voyoucratie de bas-étage, avec les vulgaires truands. “Classe tous risques” de José Giovanni est son roman préféré. D’ailleurs, il y a aussi une ambulance dans cette histoire, et un sens de la "solidarité entre hommes" rappelant cet écrivain. Encore qu’Oscar Wilde ne soit pas étranger à Mietek, non plus. "La ballade de la geôle de Reading", allusion à la dérision de l’existence. La vie, l’amour, la mort…

Non, ce n’est pas un polar, ni un roman noir, c’est l’évocation d’une époque. Avec une part de souvenirs personnels de Richard Morgiève, sûrement, son héros ayant à peu près le même âge que lui. Ne pas y voir une autobiographie, mais un regard sur les ambiances, les fréquentations et les comportements qu’un homme jeune d’alors pouvait côtoyer. En témoigne la brièveté de chaque chapitre, claire description d’un moment, d’une étape. On n’est ni dans l’énigmatique, ni dans le malsain absolu. C’est une expérience de la vie, avec ses choix, parfois ses excès, dont il est question. Et c’est diablement bien raconté.

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20 août 2017 7 20 /08 /août /2017 04:55

McComb est une petite ville de moins de quinze mille habitants, au sud du Mississippi, non loin de la frontière avec la Louisiane. Russell Gaines en est originaire. Débarquant d’un bus, il est de retour après avoir quitté la région depuis onze ans. Il est sorti de prison voilà quelques jours. Sans surprise pour lui, un "comité d’accueil" l’attend à son arrivée. Russell se fait cogner par Larry Tisdale et son frère Walt, simple avertissement. Sa maison et son pick-up ont été entretenus par Mitchell Gaines, son vieux père. C’est chez lui que se rend ensuite Russell. Des retrouvailles sans reproches. Veuf, Mitchell Gaines a une "compagne", Consuela, encore que leur relation soit confuse. La nuit, Russell reste hanté autant par ses noirs souvenirs de prison que par ses adversaires, les frères Tisdale.

Traînant dans un bar-club, Russell a une relation sexuelle éphémère avec Caroline, une femme moins jeune qu’elle ne paraît. Les bagarreurs Larry et Walt rôdent toujours dans les parages, Russell n’en doute pas. Circulant sans but dans le secteur, Russell tombe sur une scène de crime où la police est présente. C’est un flic qui a été abattu peu avant. À cette occasion, Russell renoue avec son copain de jeunesse, le policier local Boyd Wilson. Ayant une vie de famille tranquille, ce dernier est à l’opposé de Russell. Il lui recommande de faire profil bas, d’éviter de se balader avec une carabine chargée, comme c’est le cas. Néanmoins, les frères Tisdale poursuivent leurs provocations, allant jusqu’à saccager les fenêtres de la maison de Russell en son absence.

Maben arrive de Louisiane, à pied et en auto-stop. Cette jeune femme est accompagnée de sa fillette d’environ cinq ans, Annalee. Elle n’a que très peu d’argent. Si elle connut un peu de répit à l’époque de la naissance de son bébé, Maben a principalement traversé des périodes complexes ces dernières années. Aux abords de McComb, elle loue une chambre dans un motel afin qu’Annalee puisse se reposer. Mais elle se fait bientôt alpaguer par un flic vicelard qui a des exigences sexuelles odieuses. Maben abat le policier, et réussit à ne pas être inquiétée. Elle conserve cachée l’arme de sa victime. Le lendemain, Annalee et elle marchent jusqu’au centre de McComb, où elles trouvent un foyer d’accueil pour les héberger. Maben peut espérer une pause bienvenue dans leur vie tourmentée.

Entre son amante infidèle Heather, qu’il traite mal, et son ex-femme Dana, qu’il n’a plus le droit d’approcher, Larry Tisdale reste nerveux en permanence. L’essentiel de son excitation est désormais réservée à sa vengeance contre Russell. Ce dernier ne peut guère penser à reprendre la vie commune avec Sarah, son ancienne fiancée. Sans doute éprouve-t-elle encore des sentiments pour lui, mais elle a fondé une famille par ailleurs… Au foyer, Maben risque d’être dénoncée. Elle prend la fuite avec sa fille, braque un automobiliste. Il s’agit de Russell Gaines, qui ne voit aucune raison de ne pas l’aider. Quant à les protéger, Annalee et elle, pas si évident. Non pas qu’il craigne son bienveillant ami flic Boyd, mais Larry Tisdale représente un sérieux danger…  

Michael Farris Smith : Nulle part sur la terre (Éd.Sonatine, 2017)

Il pensa au flic assassiné. Se demanda si sa mort avait été clémente. Comme la mort clémente qu’il avait tant de fois appelée de ses vœux, la nuit, quand il n’arrivait pas à fermer l’œil, terrorisé à l’idée de ce qui l’attendait le lendemain. Lui ou le type d’à côté.
Rentre chez toi, avait dit Boyd. Il secoua la tête. Songea que Larry et Walt étaient peut-être en ce moment même en train de l’attendre sur le perron de sa maison. Ou derrière. Ou cachés dans un placard. Il continua à marcher et à boire et à gamberger. Parfois il s’adressait tout haut aux étoiles. Parfois il donnait des coups de pied dans l’herbe.
Il savait que tôt ou tard il se rendrait à cette adresse pour en avoir le cœur net, vérifier si elle était toujours là, et pourquoi pas maintenant après tout ? Il remonta dans le pick-up et fit demi-tour. Franchit la barrière défoncée et alluma une cigarette. Puis il reprit la 48 en direction du sud et se mit en route vers Magnolia.

La ville de McComb existe vraiment. Elle est située à moins de deux cent kilomètres au nord de La Nouvelle Orléans, à peine deux heures de route. Pour l’anecdote, c’est la ville natale de la chanteuse Britney Spears et de sa famille, ainsi que du bluesman Bo Diddley (1928-2008). Il s’agit d’une ville assez typique du Sud des États-Unis, ni déplaisante, ni attirante. Plus sûrement un endroit où l’on passe qu’un lieu où l’on s’installe. C’est ce que suggèrent les premières pages du roman, sur l’aire d’autoroute. Malgré tout, c’est bien là que – chacun de son côté – reviennent Russell et Maben.

Il est possible que “Nulle part sur la terre” ait pu se dérouler dans un autre décor. Mais le sud du pays semble propice à ce genre d’âpres romans noirs, comme l’ont démontré bon nombre d’auteurs américains. Question "d'identité", de racines et d’ambiance, on peut l’imaginer. Michael Farris Smith esquisse tout cela, sans imposer de clichés.

Aussi chaotique soit-il, c’est leur destin qui guide Maben et Russell. Dans le passé de ces deux-là, il s’est produit un point de non-retour, début des épreuves auxquelles l’un et l’autre ont été confrontés. Si Russell et Maben se sont marginalisés, l’auteur n’en fait pas des gens strictement fragiles. Dans le cas de Russell, il a été capable de résister à de longues années d’enfermement, puis à une conseillère en réinsertion antipathique, à l’idée que son père ait refait sa vie, et à la hargne du brutal Larry. Dans celui de Maben, quatre ans à errer de ville en ville à travers la Louisiane, vivotant avec une enfant en bas-âge, ça exige aussi de savoir se défendre afin de ne pas sombrer.

Aux yeux du monde, ils passent peut-être pour des perdants, des ratés, mais ce n’est pas la vérité. Car de la volonté, de l’opiniâtreté, ils en ont à revendre. Ce qui, pour Russell, n’est pas sans inquiéter son copain, le policier local Boyd Wilson. Ils eurent autrefois un coach qui les éduqua à la confiance, ça va jouer au cours de cette histoire. À propos de la petite Annalee, l’auteur a l’intelligence de ne pas tomber dans le pathos. Avec sa mère, leur vie est au comble de l’instabilité, c’est exact. Toutefois, une forme de résilience s’est certainement développée aussi chez l’enfant. Quant à Maben, jusqu’ici, ce ne sont pas les hommes qui lui ont permis d’améliorer son sort, au contraire. Voilà un remarquable roman, riche d’humanité.

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18 août 2017 5 18 /08 /août /2017 04:55

À Sylva, petite ville de Caroline du Nord, la famille Matney est favorablement connue de longue date. Ancien combattant de la Guerre de 14-18, le grand-père y fit toute sa carrière de médecin généraliste. Il contribua à l’éducation de ses petits-fils, Bill et Eugene, qui vivaient alors à Asheville, après le décès de leur père. Ils vinrent habiter avec leur mère à Sylva. Le grand-père était un homme intransigeant, voire tyrannique. Il décida tôt que l’aîné Bill deviendrait un brillant chirurgien. Eugene, lui, était un littéraire, possédant la même sensibilité que sa mère, issue d’un milieu ouvrier. Aujourd’hui sexagénaires, les deux frères ont évolué de manière différente. Bill est effectivement le meilleur chirurgien dans sa spécialité. Rentier par héritage, Eugene a cultivé son alcoolisme, et détruit sa vie de famille. Il fait peu d’efforts pour vaincre sa dépendance à la boisson.

Il y eut une date charnière dans leur existence, l’été 1969. Les Appalaches étaient bien loin de San Francisco où, depuis quelques années, se développait la mouvance hippie. Étant sous la férule de leur grand-père, Eugene et Bill en entendaient vaguement parler, mais ne se seraient pas risqués à ces excentricités. Cette année-là, Bill avait vingt-et-un ans, et Eugene était âgé de seize ans. Le dimanche, seule journée de libre, ils allaient pêcher dans les environs, à Panther Creek. Jusqu’au jour où une sirène leur apparut, se baignant tout à côté. La rousse Ligiea Mosely avait dix-sept ans. Elle était originaire de Daytona, en Floride. Elle avait été envoyée chez son oncle Hiram et sa tante Cazzie, afin de la surveiller, après qu’elle ait fugué pour rejoindre une communauté hippie. Très religieux, son oncle et sa tante pensaient la remettre dans le droit chemin.

Dès le premier contact entre les deux frères et la jeune fille, Eugene sent une attirance très forte envers Ligeia. “Sa longue chevelure rousse mettait en valeur ses yeux bleu-vert et son teint parfait… Elle a levé une main pour ramener ses cheveux dégoulinants derrière ses oreilles, et ainsi découvert le croissant pâle d’un sein. J’ai détourné le regard, sentant mes joues s’empourprer.” S’il est d’abord le plus timide, les boissons alcoolisées aidant, Eugene devient bientôt intime avec Ligeia. Il est vrai que Bill a une fiancée, et que ses rapports avec leur grand-père se font plus tendus depuis peu. Ce qui explique sa distance vis-à-vis de cette expérience estivale. Outre l’alcool qu’ils apportent, les frères dérobent quelques médicaments à leur grand-père, pour Ligeia. Drogues légères, qui participent à l’ambiance, à leurs moments de liberté dominicale.

Après l’été, les cours au lycée ayant repris, Ligeia disparut soudainement alors qu’elle était dans le même établissement. Quarante-six ans plus tard, on vient de retrouver des restes humains du côté de Panther Creek. Ce qui justifie une enquête du shérif Loudermilk, de la même génération que les frères Matney. Car la version supposant une mort accidentelle de Ligeia ne résiste pas à l’analyse. Quand Eugene s’adresse à son frère, Bill ne semble pas pressé de revenir sur cette affaire enfouie dans leur passé…

Ron Rash : Par le vent pleuré (Éd.Seuil, 2017)

Dites-moi, Matney, depuis que je suis arrivé, vous êtes agité comme un chat dans une salle pleine de rocking-chairs ; et votre journal est replié à la page qui parle d’elle. Ce n’est pas un rien bizarre, tout ça ? Écoutez, je ne suis pas venu vous accuser de quoi que ce soit, mais je dois à la famille Mosely de découvrir la vérité sur ce qui s’est passé.
— J’ai dit que je savais qui c’était.
— Vous êtes sûr de ne pas avoir besoin de boire un coup ? demande Loudermilk. Ça vous aiderait peut-être à vous rappeler certains détails. Moi, je ne bois pas, mais j’ai conscience qu’on boit bien souvent pour oublier. Non mais c’est vrai, regardez-vous donc, avec votre frère et votre grand-père, tous les deux médecins, et vous qui restez terré à vous noyer dans l’alcool. Il y a peut-être quelque chose que vous voulez oublier concernant Ligeia Mosely.
— Vous avez lu trop de bouquins de psycho à quatre sous, shérif…

La qualité supérieure de l’écriture de Ron Rash n’est plus à démontrer, il suffit d’avoir lu n’importe lequel de ses précédents titres pour s’en convaincre. Ici, elle s’exprime entre autres par la forme stylistique passé-présent : Eugene, le narrateur, revient sur l’épisode le plus marquant de leur jeunesse, avec son frère Bill. Naviguer aussi naturellement que possible entre aujourd’hui et hier n’est pas toujours convaincant. Eugene intériorise depuis longtemps tant d’images, d’instants, de bribes de son parcours de vie, qu’il est logique de les voir resurgir quand une trace de Ligeia réapparaît. Notons au passage que ce prénom fait référence à un personnage, de jeune femme morte, d’Edgar Allan Poe.

L’Amérique baigne encore dans un conformisme rigoureux à la toute fin des années 1960. La "contre-culture" hippie est un phénomène s’amplifiant, ne touchant que des jeunes. Pas tous, loin s’en faut, car il y a aussi la Guerre du Vietnam. La révolte joyeuse du flower-power, dans la fumée du cannabis ? Certes, mais cela n’est pas dénué d’une facette plus sombre : “En repensant maintenant à cet été-là, je me rends compte que les Doors était le groupe que j’aurais dû écouter avec le plus d’attention” admet Eugene. Au sein d’une famille comme la sienne, la fantaisie restait illusoire ou, au moins, de courte durée. Quant à la culpabilité, lorsqu’on a été élevé selon certains principes, elle ne s’éteint jamais. Tout cela est évoqué par Ron Rash avec une subtilité magistrale.

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