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4 octobre 2017 3 04 /10 /octobre /2017 04:55

Quadragénaire, le capitaine Gérard Bastide est le chef d’un groupe de la PJ parisienne. Rue de l’Échiquier, un meurtre a été commis. La victime est Frédéric Lagarde, soixante-huit ans, ancien grand patron du 36, retraité depuis quelques années. Le mot "Trahison" a été inscrit près du cadavre. On situe facilement l’heure du crime puisque peu avant, ce matin-là, il est passé à la boulangerie avant de revenir à son domicile. Bien que l’équipe de Gérard Bastide soit immédiatement mobilisée, force est de constater que le criminel n’a pas laissé de traces. L’épouse de M.Lagarde ne lui connaissait pas d’ennemis, d’autant qu’il n’était plus en poste depuis longtemps. D’ailleurs, en tant que directeur, il ne traitait pas directement les dossiers. Donc difficile d’imaginer la vengeance d’un condamné.

Quand le juge Yann Kerguelec est mortellement agressé dans un parking, Bastide pense que ce peut être l’œuvre du même tueur. Néanmoins, aucun lien apparent entre les deux crimes, si ce n’est que le même genre de couteau a été utilisé. Selon sa greffière, le juge Kerguelec ne s’occupait pas d’affaires sensibles. Pour ne rien négliger, les policiers arrêtent une bande de proxénètes roumains, ainsi qu’un médiocre voleur togolais – trop repérable pour être l’assassin, impliqués dans les deux derniers procès en cours du juge. Bastide se doute bien que ces voies-là sont sans issue. La troisième victime est Aldo Mazan, gardien de la paix retraité. Sur le lieu du meurtre, outre le roman "Maigret a peur" de Simenon, certains indices peuvent évoquer d’éventuels rites sataniques.

Un flic de base tel que Mazan n’avait assurément aucun rapport avec un chef de la police comme Frédéric Lagarde. Ni l’un ni l’autre ne furent en relation avec le juge Kerguelec. L’équipe de Bastide situe bientôt un suspect. Ce bibliothécaire féru de polars, ce qui était aussi la passion d’Aldo Mazan, entraîne les enquêteurs dans les catacombes. L’homme, qui a suivi l’affaire du triple crime, a son hypothèse. Un point commun quelque peu relatif, car M.Lagarde ou le juge ne s’intéressaient que peu aux récents polars ayant été récompensés par des prix littéraires. Malgré tout, Bastide ne veut écarter aucune possibilité. Capucine Lafargue, de l’Identité Judiciaire, a déniché un ADN surprenant. Très improbable, puisqu’il correspond à celui d’un détenu qui s’est suicidé en prison voilà peu de temps.

Lorsqu’il reçoit un cercueil miniature, Gérard Bastide n’a pas tort d’y voir une menace et d’éprouver des craintes. Pour le moins, l’assassin paraît ainsi le défier. Le policier retourne rue de l’Échiquier. Peut-être que certains éléments y ont été trop vite occultés. Tandis que le tueur potentiel quitte la France pour le Québec, l’enquête progresse quand même…

Patrick Caujolle : Le prix de la mort (Éd.De Borée, 2017)

Tous se regardaient maintenant, unis dans un mutisme qui en disait long sur la situation. Et comme eux, les mots, les techniques et les hypothèses paraissaient groggy à force de heurter le mur de l’impasse. Un sport, un cheval, un avion, ça a un but, ça sait où aller. Mais là, le brouillard était épais, la visibilité nulle et les orientations limitées. Désabusés, surtout pas ! Décontenancés, un peu ! Un point positif, le rapport du légiste. Et encore, on en avait vu d’autres qui s’étaient trompés. Mais admettons. Deux assassinats, une arme, et rien, pas de lien. Ils le savaient tous : les bases du crime étaient l’argent, le sexe, la jalousie, l’arrivisme parfois. Mais là pas de vol, pas de maîtresses connues, un retraité et un magistrat sans prestige manifeste. Là le terrain était sec, peu propice aux odeurs pour les chiens d’arrêts qu’ils étaient. Si un trop-plein de pistes éparpille, la disette ankylose. Et là, pas le choix. Une professionnelle du joufflu et son client d’un côté, un Mesrine de supérette de l’autre, faute de mieux, c’est là-dessus qu’il leur fallait gratter.

Comme dans son roman “Beau temps pour les couleuvres” (Éd.du caïman, 2014), Patrick Caujolle nous raconte une enquête policière dans “Le prix de la mort”. Logique, puisque ce fut longtemps le métier de cet auteur. Si les investigations de la police permettent parfois de cibler rapidement un suspect principal, dans l’entourage de la victime ou parmi des individus fichés, d’autres cas sont bien plus énigmatiques. L’aspect scientifique est un bon atout, mais croiser des témoignages ou se souvenir d’affaires comparables, vérifier dans les archives et comparer des états-civils, ça fait partie de l’activité des enquêteurs. Ceux-ci agissent en équipe, ce que souligne Patrick Caujolle, même si c’est Gérard Bastide qui dirige les opérations. Le boulot de flic est clairement au cœur de cette histoire.

Il s’agit d’une fiction ponctuée de faits se rapprochant de la réalité, côté délinquants en particulier. On notera de franches allusions à l’univers du polar, ainsi qu’au mythe du 36 Quai des Orfèvres. Une intrigue se nourrit de péripéties variées, de questions ne trouvant pas d’évidentes réponses, de pistes même incertaines à explorer, avec l’ombre d’un assassin obéissant à ses propres motivations. Autant de situations fort bien exploitées par Patrick Caujolle, dans ce roman policier très sympathique.

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2 octobre 2017 1 02 /10 /octobre /2017 04:55

Au sein de la police de Toulouse, la section "courses et jeux" est presque inexistante, juste un duo de flics en marge des autres services. Le lieutenant Jérôme Cussac, surnommé Six, n’a guère brillé dans sa courte carrière. Il reste obnubilé par un gros ratage avec une agente de la DGSE, Juliette, disparue depuis. Quand il aura des nouvelles d’elle, ça fera empirer son état moral. Cussac ne se sent guère "chef", son adjoint étant plus efficace que lui. Renato Donatelli est logiquement appelé le Kanak, puisque originaire de l’Île des Pins, en Nouvelle-Calédonie. Costaud de grande taille, il montre une sympathie rugueuse envers son entourage professionnel. Il n’affiche pas ses soucis bien que la santé de Grand-Mama, sa seule famille, l’inquiète. Certes, il pourrait placer la vieille dame en maison de retraite, mais serait contraint de vendre le manoir de celle-ci, dont il est l’héritier.

La brigade des Jeux n’est pas inactive, traquant les paris illégaux, même au cœur de la cambrousse, vérifiant si tout est en règle au casino. Par contre, s’attaquer au cercle de jeux clandestin du mafieux Samuel Ghotti est plus épineux. Il est trop bien renseigné pour se faire prendre. On ne peut espérer que sa maîtresse, la sculpturale Fang, ou son homme de main Abel le trahiront. L’intervention du duo chez Ghotti est un échec, premier round perdu mais qui suppose une revanche. Cussac et le Kanak trouvent bientôt du renfort. Le jeune Jules, futur policier, est un magicien hors pair. Et Serge, retraité expert en trucage des paris, ex-mathématicien, s’avère fort compétent en matière d’analyses statistiques.

On a découvert un cadavre dans un bloc compacté de déchets plastiques. Le mort s’est introduit la nuit dans le centre de tri, avant d’aller se jeter dans la broyeuse. Une façon horrible de se suicider, mais la vidéo-surveillance confirme que personne autour ne l’y a obligé. Pour le policier Marc Trichet, c’est une affaire rapidement close. La jeune May est employée dans ce même centre de tri des poubelles. Avec l’aval de son directeur, elle se garde bien de révéler qu’elle a trouvé la sacoche du suicidé. Outre son goût pour les tatouages, May exerce en toute discrétion sa passion : le street art. Les peintures murales dont elle est l’auteure ne sont pas autorisées, sont parfois gâchées par des tagueurs, mais l’essentiel pour May est d’agir en toute liberté. La photo du suicidé l’inspire, pour en tirer un portrait, une fresque destinée à un mur citadin.

N’étant pas concerné par le dossier géré par Marc Trichet, le Kanak reconnaît quand même le visage du suicidé peint par May. Il compte bien la retrouver, pour y voir plus clair. Par ailleurs, son équipe s’aperçoit que la quantité de suicides de parieurs intensifs a explosé depuis six mois. Avec quelques cas de morts très singulières. Établir un point commun ne paraît pas simple. La mort du suicidé au centre de tri des poubelles crée des remous. C’est ainsi qu’un tueur va se charger du nettoyage, supprimant des gens trop curieux. Peut-être qu’une intervention de la BRI chez Samuel Ghotti, avec la brigade des Jeux, pourra faire avancer l’enquête. Ne serait-ce que pour situer les complicités…

Christophe Guillaumot : La chance du perdant (Éd.Liana Levi, 2017)

— Il faut bien connaître le site pour atteindre le compacteur, commente l’enquêteur. Il faut, je suppose, savoir déclencher la machine, éviter de faire sonner une alarme.
— Oui, c’est la première fois que ça arrive. Mais des visites pour les particuliers sont organisées sur le site. Cet homme a pu avoir l’idée de se suicider de cette manière atroce en profitant des explications du guide. Ce que je ne comprends pas, c’est comment on peut mettre fin à ses jours en ajoutant de la souffrance. C’est terrible d’être désespéré à ce point.
Trichet ne commente pas. Ce qu’il voit, lui, c’est que l’homme broyé dans les bouteilles de plastique s’est suicidé. Et qu’un suicide n’est pas un crime. Affaire classée.

L’addiction aux jeux n’est pas un phénomène anodin. Un parieur ne dit pas "J’ai perdu cinq cent Euros", mais "Je me suis fait avoir de cinq cent Euros". Ça n’a pas du tout le même sens, dans son esprit : cet argent, il aurait dû le gagner en jouant. Fièrement, il cite la belle somme de ses gains du dernier semestre. Oubliant qu’il a misé, et perdu, cinq à dix fois plus. Troublant exemple de déni. Il est au-delà de l’excitation du jeu, il se persuade d’être un gagnant permanent. Certaines mises sont relativement faibles, mais atteignent des totaux conséquents en les multipliant. Le joueur addictif ne veut pas entendre ce raisonnement, croyant faussement qu’il fait un bénéfice. Or, dans la quasi-totalité des cas, il s’endette. Parfois lourdement, au point que ça détruit sa vie.

Les moyens de lutter contre les jeux illégaux semblent dérisoires. Parce que "ce n’est pas si grave" d’organiser localement des paris ; parce qu’un cercle de jeux reste un lieu privé où le flagrant délit est difficile à constater. Dans la hiérarchie des crimes et délits, ce n’est évidemment pas une priorité pour les autorités. Pourtant, le jeu d’argent s’est mondialisé comme tant d’activités. À qui profite-t-il vraiment aujourd’hui, quand Internet permet de miser sur tout et son contraire ? L’image du casino traditionnel, avec ses tables de black jack ou de baccara, ses tournois de poker, la roulette et ses rituels, les machines à sous crachant la monnaie, tout un univers mythifié. Plutôt sympathique, puisqu’on n’évoque jamais les perdants. Mais la réalité actuelle est probablement plus glauque.

Policier toulousain expert en ce domaine des jeux, Christophe Guillaumot ne se contente heureusement pas d’une intrigue où primerait l’aspect documentaire. On espère que son équipe ne ressemble pas exactement à celle qu’il présente. Avec un jeune flic mal dans sa tête, un aspirant policier doué comme illusionniste, un retraité matheux ex-tricheur, et un géant bienveillant et réactif venu de lointaines îles du Pacifique. Chacun son vécu et ses tracas, voire ses déséquilibres dans la gestion du quotidien, principalement pour le Kanak et son collègue lieutenant de police. On éprouve vite de l’empathie à leur égard.

Bien que n’appartenant pas à la Criminelle, ni aux Stups envers lesquels existe une rivalité, cette équipe va s’impliquer dans l’enquête sur la mort de parieurs. S’impliquer, c’est le mot. Y compris pour les beaux yeux d’une graffeuse sauvage, peut-être un peu trop curieuse. Une histoire fort bien construire où, malgré un chassé-croisé de situations offrant une sacrée densité au scénario, on suit avec grand plaisir les péripéties. Un polar noir franchement convaincant…

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1 octobre 2017 7 01 /10 /octobre /2017 04:55

Le boxeur Eugène Criqui, un de nos grands champions.

Gégène de Ménilmuche, c’était pas un gabarit impressionnant. N’empêche que le petit gars de Belleville né en 1893, qui avait débuté dans la vie comme arpète tourneur ajusteur à treize ans, il avait la boxe dans le sang. Champion de France poids-mouche en 1912, c’était pas rien. Ça le plaçait parmi les pros dans sa catégorie. Mais le noble art pugilistique céda la priorité à d’autres combats, ceux de la Guerre de 1914-1918. On s’y attendait, alors les soldats patriotes se voyaient déjà repoussant les boches jusqu’à Berlin. Dans un premier temps, Eugène fut entraîneur pour les militaires impréparés, que la boxe était censée endurcir.

Ça lui procura un délai à l’arrière du Front, mais Gégène restait une forte tête, et puis le conflit réclamait de la chair-à-canons. Il rejoignit en première ligne son ami Antonin Marcinel, un intello pacifiste pétri de contradictions, et les autres poilus pataugeant dans la boue des tranchées avec les rats. Avec ses communiqués officiels positifs, l’état-major était bien loin des sinistres réalités du terrain. Aucun des soldats embourbés ne manquait de courage, ou plutôt d’instinct de survie. Ce n’étaient pas des mauviettes, ces types-là. Néanmoins, beaucoup passèrent de vie à trépas. En 1915, Eugène frôla la mort… une formule qui ne reflète pas l’insupportable situation.

Blessé gravement à la mâchoire, on le rafistolera aussi proprement que possible. Malgré sa face ravagée, Eugène va retrouver figure humaine et pouvoir progressivement parler de nouveau. Grâce à des médecins, autant que par son volontarisme de sportif. À force de remise en forme, Eugène récupère son niveau physique. En 1917, la sale guerre est finie pour lui : la boucherie, il lui a donné sa part. Retour à la boxe, avec sa gueule cassée, sa mâchoire métallique et sa musculation à peu près requinquée. N’en déplaise aux fâcheux, revoilà le champion. D’octobre 1917 à septembre 1920, Eugène lamine ses adversaires, la plupart avant la limite. La force est en lui, poings de granit et mental d’airain.

Luce, sa fiancée, elle devra l’attendre ou l’oublier. Eugène n’a jamais trop su y faire avec les femmes, il l’admet. Il part pour de victorieux combats de boxe en Australie. Eugène a soif de revanche, de prouver que son destin est sur le ring, et que le titre mondial est un objectif à portée de mains. À Paris ou ailleurs, le puncheur ne fait qu’une bouchée de tous les autres. Durant sa carrière, il totalisera cent victoires bien nettes sur cent trente-deux combat. En juin 1923, c’est en Amérique qu’Eugène Criqui va devenir une sorte de demi-dieu. Certes, le boxeur Johnny Kilbane était déclinant, mais Gégène n’a pas volé son titre de champion du monde des poids-plume. Un vrai événement pour des Français…

Pierre Hanot : Gueule de fer (Éd.La Manufacture de Livres, 2017)

Après cette intervention, ils lui ont déballé le paquet-cadeau et dépiauté de ses bandages, il a dû affronter l’épreuve du miroir. Le reflet dans la glace, ce n’était pas lui, un crapaud, gonflé, tubéreux, de guingois, une caricature.
Jet de l’éponge, adieu la vie, adieu la boxe. Il a pensé au suicide, réussir ce que les boches avaient loupé. Seul réconfort, la confraternité qui s’est instaurée avec ses camarades les plus amochés.
Au stand des monstres de foire, dans le cénacle des gueules cassées, au sommet de l’échelle des abominations, les cicatrices hideuses recouvrent le souvenir d’un œil, d’un nez, d’une arcade, d’un pariétal, d’un pan complet de visage. A contrario, les éclopés, les manchots et les culs-de-jatte peuvent toujours cacher leurs moignons sous leurs vêtements. Hors concours, il y a cependant les maboules, les fêlés du ciboulot traumatisés par les combats…

Il fut un temps où la gloire se méritait, par le talent ou par l’obstination. Par une capacité inouïe à surmonter les plus terribles obstacles. Des personnages tels qu’Eugène Criqui en fournissent un magnifique exemple. Rendre hommage à des gens exceptionnels, ayant marqué leur époque, c’est absolument légitime. Encore faut-il restituer bien davantage que leur parcours glorieux. Ici, c’est en dessinant un portrait vivant de ce boxeur que l’on peut mesurer quelles furent les marches de son destin. Ce n’est pas un freluquet, ce jeune parigot issu d’un milieu populaire. Sûrement pas un prétentieux, non plus. Un esprit de gagnant, dirait-on de lui aujourd’hui. On imagine la force de caractère qu’il lui a fallu pour dépasser les épreuves mortifères, pour ne jamais renoncer et redevenir le meilleur.

Dans ses romans, Pierre Hanot a prouvé son inventivité, sa fantaisie. On peut lui faire confiance quand, au-delà des péripéties, il s’agit de transmettre le vécu autant que la psychologie des protagonistes. Cette fois, présentant un sportif ayant réellement existé, il nous fait partager avec justesse le sort singulier d’Eugène Criqui. S’il y eut des boxeurs hargneux, agressifs, violents, celui-ci est plus proche des passionnés de leur sport, à la démarche sincère. En outre, cette reconstitution respecte la mémoire des Poilus, nos aïeux valeureux. Même si tout cela remonte à plus ou moins cent ans, c’est notre Histoire. Les rappels du passé ne sont jamais inutiles, surtout quand ils sont servis par un auteur tel que l’excellent Pierre Hanot.

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29 septembre 2017 5 29 /09 /septembre /2017 04:55

Gryon est un village suisse du canton de Vaud, implanté sur un flanc sud de la montagne, près de la rivière Avançon et du massif des Diablerets. Situé à une dizaine de kilomètres de Bex, dans la vallée du Rhône, Gryon est accessible par la route ou par le train. De nos jours, la grande majorité des habitations sont des résidences secondaires. Néanmoins, il reste une population locale. Et des paroissiens fréquentant le temple protestant, dont la pasteure est Erica Ferraud, native d’ici. C’est aussi dans un chalet de Gryon que se sont installés Andreas Auer et son compagnon Mikaël Achard, avec leur saint-bernard Minus. Âgé de trente-neuf ans, d’allure virile, Andreas est inspecteur de police. Mikaël, trente-cinq ans, est aujourd’hui journaliste indépendant.

Peu avant l’office dominical, Erica découvre un cadavre nu, poignardé, allongé sur la table sainte à l’image du Christ crucifié. Le tueur a laissé un message sur le corps : "Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, combien seront grandes les ténèbres." La victime est Alain Gautier, un agent immobilier quinquagénaire de Gryon. Toujours à l’affût, le reporter Fabien Berset est bien vite venu se mêler aux habitants du cru. Il ne peut attendre aucune révélation de la part d’Andreas, ni même de Mikaël. La policière Karine Joubert n’a pas tardé à rejoindre le village, afin d’enquêter avec son collègue et ami Andreas. Luxueux, l’appartement de la victime témoigne que Gautier avait probablement un train de vie au-dessus de ses moyens. Qu’il ait été malhonnête en affaires ne serait pas surprenant.

Si la vie privée de l’agent immobilier comportait de douteux aspects sexuels, son associée ne paraît pas être au courant. Gautier avait quand même un casier judiciaire, pour un cas de viol. Le message biblique sur le cadavre laisse augurer un mobile mystique, bien que le policier Andreas n’en soit pas encore absolument convaincu. L’autopsie montre que du chloroforme et du curare, produits fort rares, ont été utilisés par l’assassin. Dans la liste des suspects, figure un élu local qui est aussi entrepreneur en bâtiment. Celui-ci sera bien obligé d’admettre qu’il avait des arrangements illégaux avec l’agent immobilier. Et s’il y a un problème côté mœurs, cela ne fait pas de lui un tueur. D’ailleurs, bien qu’indifférente, son épouse ne le croit pas coupable de meurtre.

Outre le bizness immobilier et un nombre symbolique du Mal, une bouteille de vin produit dans la région de Bex pourrait également s’avérer une piste exploitable. À travers son message issu de la Bible qui évoque les maltraités et les opprimés, l’assassin semble trouver une légitimité divine à son crime. Ce qu’il confirme bientôt en adressant à Fabien Berset un message par mail, dont le reporter fait part aux enquêteurs. Entre obsessions et prétextes pour justifier ce crime, Andreas hésite à se prononcer. Il redoute que le tueur, peut-être délirant, fasse d’autres victimes. Tandis que la police continue à interroger des villageois, c’est sans doute dans le passé de Gryon qu’on dénicherait des indices. Mais c’est loin du canton de Vaud que la police pourrait découvrir des éléments cruciaux…

Marc Voltenauer : Le dragon du Muveran (Éd.Pocket, 2017)

— Tuer de manière impulsive, c’est une chose. Tuer avec préméditation en est une autre. Tuer avec une telle violence et avec une prise de risque pareille en est encore une troisième. Je vois notre meurtrier comme un être marqué par un fort trouble de la personnalité et qui fait preuve d’un comportement déviant, un être dont les actes ne sont subordonnés à aucune norme sociale.
— Tu es en train de faire la description d’un psychopathe.
— Exact. C’est un sadique. Il tire du plaisir de ses actes. Il n’a aucun remords. La culpabilité et les interdits ne font pas partie de son monde. Il fait preuve d’une absence complète d’empathie et les émotions humaines lui sont étrangères. Il éprouve un sentiment de supériorité […] Le meurtrier ne s’est pas contenté de tuer sa victime d’un coup de pistolet dans la tempe. Il a pris le soin de lui ôter les yeux de son vivant. Si ça, ce n’est pas du sadisme, je n’y comprends rien. Imaginez-le avec son scalpel en train de lui découper les yeux… Il a dû ressentir un plaisir très intense. Probablement encore mieux qu’un orgasme.

Avant tout, il convient de préciser que la commune de Gryon existe réellement, charmant village touristique des Alpes vaudoises, non loin du Grand Muveran, sommet culminant à plus de 3000 mètres. Ainsi l’auteur tient-il un décor dans lequel il fait évoluer aisément les protagonistes et les événements. Ce n’est pas sans importance, car ça permet de cultiver une authenticité qui rend crédible l’histoire qui nous est racontée. Essentiel pour un roman policier s’inscrivant dans la grande tradition du genre. Que Marc Voltenauer respecte avec soin, en particulier dans la construction de l’enquête. Non sans intercaler des passages qui évoquent des épisodes passés, potentiellement explicatifs — ou en faisant apparaître de temps à autre un énigmatique témoin, qui ne pense pas être un tueur.

Le format, près de six cent pages, l’indique clairement : c’est une affaire dans laquelle on va complètement s’installer, presque s’immerger, en suivant l’inspecteur Andreas Auer et son entourage. Ce policier est un pur professionnel, un homme bien dans sa peau : “Il avait un charisme certain. Et il le savait… Il était sûr de lui, ce dont témoignait sa démarche et son allure.” Les motivations de l’assassin, il est capable de les cerner : une vengeance par quelqu’un qui connaît fort bien Gryon, ayant subi un traumatisme et qui a étudié la Bible. Malgré tout, il va devoir explorer plus largement le contexte pour arriver jusqu’au dénouement. Un récit fluide et maîtrisé, pour une intrigue très convaincante.

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28 septembre 2017 4 28 /09 /septembre /2017 04:55

Paris, juin 2016. Homme mûr, Oxymor Baulay est un journaliste culturel, héritier d’une tradition familiale dans ce domaine. Une question le taraude, concernant son aïeule qui fut proche du poète Robert Desnos. Sans que cela perturbe ses activités actuelles, autour du monde littéraire. Ce jour-là, Oxy a rendez-vous chez Edmond de Rohan-Soubise, éminent membre de l’Académie Française. Bien qu’Immortel, le comte a été assassiné dans son bureau. Macabre mise en scène, le criminel ayant décapité Rohan-Soubise et lacéré une toile du peintre Chaïm Soutine. C’est le policier Bertrand Cathala et son équipe qui vont se charger de l’enquête. Oxymor l’a déjà rencontré dans une affaire de "Mortelles voyelles".

Si cet académicien radin, vivant aux frais de l’Académie, avait dans les soixante-quinze ans, il était marié à une séduisante quadragénaire, Christine. Toutefois, l’écrivain préférait depuis longtemps les jeunes mâles. Ce qui ne manquait pas d’ironie, car cet adepte de la Droite chrétienne ultra affichait des positions hostiles au Mariage pour tous. Sans doute la police devra-t-elle s’intéresser aux amants de Rohan-Soubise. Néanmoins, c’est plutôt la piste terroriste qui serait privilégiée par les autorités. En effet, la victime a récemment publié un livre polémique attaquant la religion musulmane. Et la mort par décapitation ne peut que rappeler les méthodes des barbares se proclamant combattant de l’Islam.

Parmi les suspects, on ne peut laisser de côté Jean Mareuil, auteur de best-sellers qui a eu une altercation publique violente avec l’académicien. D’ailleurs, le soir de sa mort, Rohan-Soubise a bien eu rendez-vous chez lui avec Mareuil. À vrai dire, l’écrivain n’écrivait plus, laissant la rédaction de ses livres à Lazare Assayas, ami d’Oxymor Baulay et admirateur d’Alfred Jarry. Question absurdité, ce drôle de zozo qu’est Lazare ne va pas simplifier les vérifications autour de son alibi. Quant à celui de Mareuil, c’est un classique adultérin. S’il peut faire le buzz une fois encore en étant soupçonné, ça favorisera ses ventes de livres. Selon Lazare, ce meurtre spectaculaire peut aussi bien avoir un rapport avec Soutine.

Le policier Cathala interroge le chauffeur de Rohan-Soubise, dont l’un des rôles principaux consistait à jouer au rabatteur de beaux gays pour l’académicien. Il y en a bientôt un qui fait figure de coupable potentiel, au cas où décapiter sa victime ne l’eût pas dégoûté. Mais les autorités misent sur un autre suspect, un islamiste fiché S qui est arrêté et interrogé. Il a pu vouloir viser un symbole de la France, à travers un membre de l’Académie. Tandis que Cathala persévère dans son enquête, Oxymor mène d’autres recherches, toujours sur les traces du passé et de son aïeule. Des investigations qui vont l’amener jusqu’à Richelieu… 

Gilles Schlesser : Mort d’un académicien sans tête (City Éditions, 2017)

Après avoir pris connaissance de ses mails, parcouru l’édition numérique du Monde et les dernières investigations de Mediapart, Oxymor se rend dans la salle d’eau, prend une douche rapide. Il allume la petite radio portative, se branche sur Europe1.
-"… On en sait un peu plus sur les circonstances du meurtre de l’académicien Rohan-Soubise, rue Bellini, dans la soirée du vendredi 17 juin. D’après l’autopsie, Edmond de Rohan-Soubise serait mort avant d’être décapité. Du sang et quelques cheveux ont été retrouvés sur l’angle d’une table basse, ce qui donne à penser qu’il se serait assommé en tombant, au cours d’une dispute ou dans le cadre d’une agression. Il aurait ensuite été tiré par les pieds vers le milieu de la pièce, puis décapité à l’aide d’un couteau de sa collection d’armes mayas. Des empreintes multiples ont été relevées sur le manche. La toile que l’assassin a lacérée représente un portrait de femme du peintre russe Soutine. Pour l’instant, aucune revendication ou diffusion de l’exécution sur les réseaux sociaux, signature habituelle en vigueur chez Daech."
Oxymor coupe la radio. Combien de temps va durer ce pilonnage médiatique ?

Gilles Schlesser a consacré plusieurs romans aux enquêtes du commissaire Louis Gardel, se déroulant dans le Paris artistique de la première moitié du 20e siècle. Des histoires où le policier partage la vedette avec Camille Baulay, puis Paul Baulay, la grand-mère et le père d’Oxymor Baulay. Ce dernier, personnage contemporain, était le héros de “Mortelles voyelles” (Éd.Parigramme, 2010 – Éd.Points, 2012). On le retrouve au cœur d’une intrigue absolument actuelle, puisque se déroulant à la fin du printemps 2016. L’actualité y tient une part certaine, encore qu’Oxymor Baulay avoue qu’il déteste les médias putassiers qui cultivent un voyeurisme malsain en exploitant des drames, tels les attentats.

Certes, le très parisien Oxymor nous soûle quelque peu en détaillant les moindres recoins de sa ville, jusqu’aux lignes de bus, plaques d’immeubles et autres Jardins du Sénat. Bien plus intéressantes sont les anecdotes au sujet des grands artistes d’autrefois qui firent la réputation culturelle de Paris. Belle occasion de se souvenir du peintre Soutine, dont l’œuvre semble empreinte de folie. Évidemment, l’univers littéraire de notre époque est aussi de la partie, dans un grand écart entre les écrivains best-sellers et les Immortels du Quai de Conti. Il paraît même qu’Alain Finkielkraut serait plus aimable et drôle que son image le laisse supposer. Mais il ne figure heureusement pas parmi les suspects.

Les suspenses de Gilles Schlesser possèdent une tonalité qui leur est propre. Le crime et l’énigme y côtoient l’intelligence et le sens artistique. La fantaisie n’est jamais éloignée de plus sombres aspects, non plus. Et si les investigations sont sinueuses, c’est pour le plus grand plaisir des lecteurs.

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26 septembre 2017 2 26 /09 /septembre /2017 04:55

Ça se passe entre les dunes de la côte atlantique et les forêts de pins, dans un site naturel en grande partie préservé. Des lieux menacés depuis qu’un groupe industriel a lancé le projet d’une unité de stockage de matières dangereuses. Des zadistes se sont installés sur le secteur visé par cette destruction annoncée, génératrice de pollution. C’est à un autre niveau que certains, comme le nommé Pépé, cherchent des arguments pour contrer le désastre écologique. Par ici, on trouve encore une libellule très rare, espèce à protéger. Un atout pour le rapport des experts évaluant l’impact négatif du futur stockage. Pourtant, les initiateurs du projet ne renoncent évidemment pas. Une équipe de scientifiques a été engagée, afin que la contre-expertise leur soit favorable. Leurs bureaux provisoires se situent dans une ancienne école de la région.

Âgé de trente-six ans, Boris est naturaliste de profession. Logeant chez Florent et Jeanne, dans un gîte des environs, il appartient à cette équipe de contre-expertise. Il éprouve une sympathie certaine pour son confrère Pépé, amateur d’huîtres comme lui. Qu’une libellule contrarie l’envahissant projet de stockage, ça ne lui déplaît pas. Entouré de personnes qui aiment sincèrement la nature, appréciant la faune et les décors locaux, Boris glisse peu à peu du côté des défenseurs de l’environnement. L’homme qui rôde dans le coin, il l’a vite reconnu, bien que l’ayant jusqu’alors peu fréquenté. C’est son oncle Clément, qui a une réputation de révolté. S’il a disparu depuis quelques temps, il n’est pas mort. Sa présence dans la région ne doit sûrement rien au hasard. Quand il entre en contact avec Boris, c’est pour lui expliquer son but… meurtrier.

Il existe une verrue dans le paysage dunaire. Cette villa construite par le riche Raphaël est délibérément destinée à gâcher la beauté de la côte. Le propriétaire s’est assuré le soutien d’Horace, le maire, pour bâtir cette horreur. Certes, au nom du respect de la Loi Littoral, une plainte n’est pas exclue. Ce dont se fiche éperdument Raphaël. Il a fait venir deux de ses amis. Émeric est un escroc poursuivi pour avoir monté une pyramide financière qui a ruiné les plus crédules. Pas tellement moins cynique, Alexis est exportateur de bois : un farouche partisan de la mondialisation, grâce à laquelle il s’enrichit toujours davantage. Il reste l’ami des deux autres, partageant le même mépris envers le commun des mortels. Mais le service que lui demande aujourd’hui Raphaël dépasse les normes de l’amitié. Il va devoir louvoyer pour limiter sa complicité, car il pourrait y avoir mort d’homme…

Pascal Dessaint : Un homme doit mourir (Éd.Rivages, 2017)

Raphaël avait posé sa villa sur le trait de côte, à plusieurs kilomètres de la station balnéaire, dernier lieu reconnu par mon GPS. Si j’avais encore douté de l’influence de mon ami, il m’aurait suffi d’essayer de répondre à cette question : comment donc, pour l’utilité ou plutôt le plaisir d’un seul individu, avait-on pu permettre de bitumer ce qui pendant longtemps s’était révélé une simple piste serpentant au petit bonheur à travers les dunes ? Quelle pression l’homme avait-il exercée ? Quelle réglementation avait-il contournée ? Quelles mains avait-il graissées ? Raphaël, sans aucun doute, avait encore beaucoup à m’apprendre sur les libertés que l’on peut s’accorder […]
La piste bitumée s’arrêtait tout net, comme un nappage de caramel qu’on aurait coupé grossièrement à la roulette. Une route qui se terminait nulle part me donnait toujours l’impression d’avoir été tracée par le Diable ou un de ses suppôts, et de conduire malgré les apparences à un précipice.

C’est "sous le signe de la nature" que s’inscrit cette histoire. Pascal Dessaint ne cache pas ses sympathies pour la défense de l’environnement. Plusieurs de ses romans évoquent des questions sur ce thème, notre monde industrialisé semblant incompatible avec le respect des éléments naturels. Certes, les autorités promettent une "transition" vers des pratiques moins dévastatrices et moins polluantes, mais on ne le constate guère au quotidien. L’avis des scientifiques s’avérant souvent contradictoire, certains étant soumis à des lobbies, ça ne paraît plus guère compter aujourd’hui. D’aucuns pensent que la solution, c’est de créer des ZAD, Zones À Défendre, dès qu’est envisagé un nouveau projet potentiellement nocif. Au risque de friser la caricature, il faut l’admettre, quand des "pros de la contestation" se joignent à ces combats, aussi justifiés soient-ils.

Pascal Dessaint n’est pas un homme sombre, un pessimiste grincheux. Au contraire, il se montre toujours assez souriant, dans la vie comme dans ses écrits. Il ne servirait à rien, il le sait évidemment, d’aligner un argumentaire démonstratif contre l’ultralibéralisme qui s’attaque sans complexe aux sites naturels. Néanmoins, en décrivant (non sans ironie) la misanthropie et les bassesses de certains fortunés, est-il loin de la réalité ? On peut croire que de tels personnages réagissent ainsi qu’il montre le trio de cyniques. Quant à Boris, le naturaliste, de quel côté basculera-t-il finalement ? C’est à travers une double narration, celles d’Alexis et de Boris, qu’évolue cette intrigue. Avec un aspect criminel, mais surtout une large part d’humanisme. Un suspense très réussi, d’autant que Pascal Dessaint est un auteur chevronné, récompensé par plusieurs prix littéraires incontestés.

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24 septembre 2017 7 24 /09 /septembre /2017 04:55

Chanterelle est une petite ville de Lorraine, dans les environs de Bar-le-Duc, préfecture de la Meuse. La raffinerie de sucre, que l’on surnommait la Reine Noire, constitua longtemps la principale activité industrielle locale. L’usine était dirigée par l’austère M.Durand, qui prenait à cœur sa fonction, employant quantité d’habitants de Chanterelle. Quand M.Spätz hérita de la raffinerie, il en ferma très bientôt les locaux, délocalisant la production en Indonésie. Ce qui n’avait pas empêché pas M.Spätz de devenir maire, poste qu’il occupe toujours. Débarqué, M.Durand ne survécut pas au transfert de l’usine. Ces dernières années, Chanterelle ressemble à une ville-fantôme. Il n’y a guère qu’au Bar du Centre que l’on croise des natifs d’ici. Ils y sont servis par la jeune Marjolaine, une enfant du pays.

En ce mois de juin 2017, deux hommes originaires de la commune sont de retour. L’un se présente, pipe à la bouche, comme psychiatre. D’allure distinguée, ne buvant rien qui soit alcoolisé, il est vite reconnu par les habitants restés vivre à Chanterelle. Il s’agit de Michel Durant, le fils de l’ancien directeur de la raffinerie. Il va loger à l’auberge de Joe, vieux bonhomme qui détestait M.Durant et vécut d’autres revenus. C’est la mère Lacroix, bonne du curé tant qu’il y en eût un, qui assure le ménage à l’auberge, avec sa fille handicapée mentale. Ni la mère Lacroix, ni les autres ne semblent hostiles envers Michel Durant. Sans doute parce qu’ils ignorent le véritable métier de celui-ci. Il est policier pour Interpol. Son retour à Chanterelle concerne une enquête, mais avec quelques aspects personnels.

L’autre revenant fait autant penser à un fantôme qu’à un vampire. Tout vêtu de noir, il s’est installé dans la maison la plus singulière de la commune. Certains l’appellent Mata, un nom dont il a hérité en Indonésie. Mais il se nomme Thomas Wotjek, qu’autrefois tout le monde surnomma Toto. La réputation de sa famille, Polonaise d’origine, était exécrable. Le père de Wotjek était un alcoolique, qui connut une mort très particulière à l’usine. Sa mère ne valait pas grand-chose, si l’on en croit les rumeurs. Si Wotjek respecte les chats et admire les pylônes, chacun sent qu’il reste un homme dangereux. Cela n’a pas échappé à Marjolaine, pas fâchée de rencontrer un personnage aussi insolite. Le vécu de la jeune fille n’a pas toujours été facile à ce jour, peut-être peut-il lui procurer un certain bonheur.

Bien que le maire, M.Spätz, ait décidé de faire raser les ruines de l’ancienne usine, est-ce vraiment pour en bâtir une nouvelle ? Des poules ont été égorgée à Chanterelle, puis c’est le cimetière qui est profané. Ce sont là des signes inquiétants pour les habitués, au Bar du Centre. Voilà déjà quelques temps que la folie a touché plusieurs personnes ici, et pas seulement la fille de la mère Lacroix. En adversaires affichés, Michel Durant et Thomas Wotjek se jaugent, l’un sachant pertinemment ce que fait l’autre et inversement. Quand un double meurtre est commis, ça paraît être un suicide…

Pascal Martin : La Reine Noire (Éd.Jigal, 2017)

Le soleil s’éteignait doucement à l’horizon, découpant dans la campagne des ombres grises. Mata sortit de la maison du fada. Il était entièrement nu et, curieusement, alors que la peau de son visage était pâle, le reste de son corps était hâlé. Il portait toujours ses petites lunettes opaques sur le nez. Il se dirigea vers le pont […]
Mata porta les mains à son visage et, lentement, prenant soin de ne pas blesser l’arête de son nez, il ôta ses lunettes. Ses yeux étaient d’un bleu opalescent, presque translucides, au milieu d’une cornée diaphane. Ses pupilles semblaient baigner dans une lumière d’aquarium céruléenne. Il plongea son regard dans les eaux limoneuses du canal avec une telle intensité que ses prunelles elle-mêmes prirent la couleur de la tourbe.
Un grand sourire éclaira brusquement son visage. Que voyait-il sous la surface des eaux boueuses ? De grosses larmes, claires et limpides, virent rouler sur ses joues empourprées. À ce moment-là, son visage était d’une beauté lumineuse…

Une bourgade et ses secrets, un thème en apparence classique dans le polar et le roman noir. Pour peu que le contexte économique ait eu de sévères conséquences sur l’emploi, entraînant son lot de rancœurs, le climat se prête à une intrigue criminelle bien sombre. Toutefois, Pascal Martin n’est nullement un néophyte en matière de noir suspense. Deux de ses précédents titres ont été récompensés par le Prix Charles Exbrayat (2005) et le Prix Intramuros (2009). Il est l’auteur d’histoires pleines de singularité, d’une part d’étrangeté, énigmatiques à souhaits. Voilà pourquoi, si Chanterelle est effectivement une petite ville traversant une crise durable, le décor n’est pas le seul élément apportant de l’intensité.

Au centre du sujet, nous avons un duo de héros fort originaux. Tous deux ont de bonnes raisons de revenir dans cette commune. Le policier est sur les pas du tueur ? Certes, mais le lien entre eux est fatalement plus complexe. Beaucoup de nuances également dans les descriptions du vieux Joe, de la mère Lacroix, de la jeune Marjolaine, de Milos Spätz, et de l’ensemble des protagonistes. On ne cherche pas à nous imposer une ambiance stressante à l’excès : les faits parlent d’eux-mêmes, dévoilant des drames masqués, des projets de vengeance. À travers des chapitres courts et une narration claire, Pascal Martin fait preuve d’une très belle subtilité, entretenant le mystère et la noirceur. Un vrai polar de qualité.

© Photo Claude Le Nocher

© Photo Claude Le Nocher

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22 septembre 2017 5 22 /09 /septembre /2017 04:55

Le policier Franck Bostik est depuis peu en poste à Autun, sous-préfecture de Saône-et-Loire. Venu de Paris, il connaissait déjà bien cette petite ville de quatorze mille habitants. À cause d’une affaire trouble, Bostik a été suspendu de son grade d’OPJ, se retrouvant quasiment flic de base. Par ailleurs, ça ne fonctionnait plus vraiment avec sa compagne Cécile. Néanmoins, il reste proche de leur amie Anaïs, une ex-junkie qui garde un mode de vie quelque peu marginal. Ici, dans le Morvan, on est au cœur des vestiges remontant à l’époque gallo-romaine. Autun fut jadis la capitale des Ẻduens, non loin du Mont-Beuvray et du site archéologique de Bibracte, métropole à l’époque des Romains. L’endroit se visite et on continue à effectuer des fouilles dans ses environs.

La disparition inquiétante d’une adolescente de quinze ans a été signalée lors d’un voyage organisé à Bibracte. Originaire de Tchéquie, installée avec sa famille à Calais, Kamilla n’a pas le profil d’une fugueuse. Sa sœur jumelle Hana est restée dans la région, avec une accompagnatrice de leur groupe. Par manque d’effectifs, c’est Franck Bostik qui est chargé de démêler cette histoire. Dès le lendemain, il se rend à Bibracte. Une des archéologues présentes sur le chantier de fouilles n’est autre qu’Olivia, qu’il a connu naguère. Elle va lui faciliter les constatations, le directeur du site se montrant assez hostile car la disparition perturbe les activités autour de Bibracte. C’est dans la forêt proche que le policier trouve le cadavre de la jeune Kamilla. Le SRPJ de Dijon s’occupera de l’enquête technique.

Il n’est pas absurde de supposer que la mort de l’ado ait un rapport avec trois cas de viols s’étant produits récemment dans le secteur. Bostik contacte une institutrice qui fut ainsi agressée, mais qui réussit à éviter le pire. Il fait bientôt la connaissance de Jeff, un ancien baroudeur belge. Il s’avère très coopératif, même si son environnement incite à se poser des questions. Il n’est pas exactement archéologue fouilleur amateur comme on le pense, mais possède des raisons personnelles d’examiner les terrains près de Bibracte. Bien qu’un suspect soit signalé, il ne correspond pas dans le cas de Kamilla. Par contre, son avocat a un autre nom de pervers à proposer.

Toujours très recherchés par des collectionneurs, les vestiges datant de l’ère gallo-romaine font l’objet d’un trafic difficile à contrôler. Ce que confirme un expert, déplorant que peu d’efforts soient faits pour traquer les pilleurs. Un casque gaulois a même été volé au musée de Bibracte, les jours derniers. Le policier se rend dans une foire réunissant des numismates, présentant peut-être une majorité de pièces sans valeur. Un vendeur de détecteurs de métaux s’y trouvant pourrait figurer parmi les suspects. Quand se produit une nouvelle disparition, ça signifie probablement que le criminel veut éliminer les témoins éventuels. Obstiné, Bostik persévère dans ses investigations…

Laurent Rivière : La diagonale du loup (Éd.du Toucan, 2017) — Coup de cœur —

Il suffit d’un quart d’heure aux archéologues pour déterminer l’origine sociale d’un squelette découvert dans une fosse. Le travail aux champs explique l’usure des rotules et des hanches, l’état des dents détermine la nature des aliments absorbés, riches ou pauvres en viande. Moi, il m’a fallu moins d’une minute pour retracer le calvaire de Kamilla. Sa langue avait gonflé et ne trouvait plus de place dans la bouche. Ses lèvres s’étaient mordues. La jeune fille avait été étranglée. Sur son cou, le sillon laissé par une corde était facilement reconnaissable, plus bas que lors d’une pendaison, il était moins marqué également, un étranglement étant plus bref. Des ecchymoses cervicales digitiformes prouvaient que l’homme avait d’abord essayé de l’étrangler à mains nues…

Il est probable que les charmes du Parc naturel régional du Morvan soient mal connus de beaucoup de nos compatriotes. “Ici, si tu ne possèdes pas un minimum de connaissances sur la culture celte, tu ne vois rien d’autre qu’une forêt” explique l’archéologue Olivia, qui ressent un certain aura de mystère planant sur la région de Bibracte. S’il s’agit là d’un territoire moins peuplé que la moyenne nationale, il reste caractéristique des régions françaises. Entre ruralité et petites villes, c’est la vie normale qui inspire l’ambiance de ce roman. Non sans évoquer le riche aspect historique de ce secteur géographique, bien sûr. On y croisera de gens plus ou moins ordinaires, y compris dans l’entourage du héros, mais également quelques personnages carrément singuliers.

Les facettes sociologiques ou documentées peuvent se rapprocher du roman noir. La forme choisie est celle du roman d’enquête. Au-delà de la fluidité du récit, atout déjà essentiel, c’est le réalisme naturel des protagonistes et des lieux qui offre une magnifique crédibilité à cette intrigue. Tout semble issu du quotidien, les réactions de chacun sont justes, ainsi que l’état d’esprit du policier Franck Bostik. Sa vie privée est esquissée, mais l’affaire en cours est prioritaire. Sur le terrain, il cherche des éléments, avance à bon rythme mais sans précipitation inutile. Il ne s’attarde pas sur les hypothèses, s’en tenant aux faits. Ce genre d’enquête policière, d’une lecture extrêmement agréable, s’inscrit dans la plus belle des traditions du polar. Laurent Rivière ne manque pas de talent.

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