En 2009, Jean-Bernard Pouy a déjà publié
deux romans. Le premier, dans la collection Léo Tanguy, a pour titre “Rosbif saignant” (Coop Breizh).
Rappelons que les aventures de Léo Tanguy se déroulent dans un futur pas trop lointain. Elles constituent une série écrite par divers auteurs, chacun rédigeant son “épisode”. Selon un principe analogue à celui de la série Le Poulpe, dont Jean-Bernard Pouy fut le créateur.
Natif du Pays de Galles, Jeff Sullivan est découvert noyé dans un petit étang du Centre Bretagne. Depuis quelques années, il tenait un bistrot convivial dans le bourg de
Botmoal, le “Bif&Bif”. Le cyber-journaliste Léo Tanguy et son combi bariolé sont dans le secteur. La mort de Jeff apparaît vite suspecte. Ce qui n’est pas pour déplaire à Armand, le
correspondant local d’Ouest-France, un rockeux qui ne détesterait pas sortir de la routine. Léo sympathise immédiatement avec ce précieux allié, qui a ses sources gendarmesques. Le lendemain, le
bar de Jeff est détruit par un incendie, qui n’a rien d’accidentel. Dès que les parents du journaliste seront de retour, Léo leur confiera Miro, le perroquet de Jeff. À peine a-t-il le temps de
faire un détour par le Pays Bigouden, auprès de la belle surfeuse Nora, que le meurtre est confirmé.
Jeff Sullivan occupa naguère un poste important dans une banque de son pays, dont il démissionna cinq ans avant la grande crise. Il acheta une maison d’écluse à
Motreff, avant de la revendre des compatriotes, et d’ouvrir son bar à Botmoal. Pas de chance pour l’acheteur de sa maison, Alvin Brett, décédé peu après dans un accident de voiture. Les
incendiaires du bistrot sont vite identifiés par les gendarmes. Il ne faudrait pas que ce soit prétexte pour les enquêteurs de classer l’affaire sur le meurtre. La veuve d’Alvin Brett confirme
que Jeff Sullivan et son mari furent collègues dans la même banque, qu’ils démissionnèrent à quelques mois d’intervalle. Par contre, les questions financières ne l’ont jamais intéressée, elle.
Une rumeur affirme que Jeff était homo. Léo vérifie qu’il était inconnu de ce milieu dans la région.
Outre le nommé Gordon Plimsoul installé à Concarneau, quelques Anglais installés par ici intéressent Léo : la société Gènes Création (si discrète sur ses
activités), l’institut Shelley (mais les admirateurs du grand poète sont absents), la brocante Oldies (dont les patrons étaient ailleurs au moment des faits), le studio Loud Sky Records, ou le
journal The Central News. Sans doute la curiosité de Léo a-t-elle été repérée, car il est sévèrement tabassé par deux cogneurs. Il lui faudra bien trois jours de soins chez son amie et
informatrice quimpéroise Suzie pour se retaper. Petit détour par Concarneau, mais perte de temps, car Plimsoul n’est pas là. Pendant ce temps, le perroquet Miro s’est très bien adapté chez les
parents de Léo. Le bruyant volatile peut offrir à Léo la clé des secrets du défunt Jeff…
Pouy nous a concocté une intrigue solide et pleine de péripéties. Sans oublier, comme il se doit, une belle part d’humour. Ainsi décrit-il les suites d’une soirée
de beuverie : “En se réveillant, au petit matin, il a une vraie casquette en peau de locomotive. Armand roupille sur le divan de son salon, aplati sur le ventre, un vrai Airbus après un
atterrissage raté. Il le laisse cuver et, en buvant un café à réveiller un mafioso, il tente de se rappeler de tout ce qui s’est dit, en vrac, la veille au soir.” On peut donc confirmer que Léo
Tanguy et J.B.Pouy sont tous les deux en pleine forme.
Combien de milliers de fois Jean-Bernard Pouy a-t-il sans doute entendu cette question : “Quand est-ce que vous écrivez un autre Poulpe?” Pouy et Le Poulpe ne
s’étant jamais vraiment quittés, les voilà donc qui repartent ensemble pour une aventure inédite : “Cinq bières, deux rhums” (Éd. Baleine).
Pour Le Poulpe, l’apathie est un danger. Le sentant ramolli, son pote bistrotier Gérard envoie Gabriel Lecouvreur en mission. S’informer sur les bières originales produites entre Belgique et Nord de la France, ça l’occupera. Sur place, Gabriel tombe bientôt sous le charme de cette
région bordant l’Escaut. Il prend plaisir à observer la vie sur le canal, à s’immerger dans l’état d’esprit des bateliers, à naviguer en péniche. À tester (sans abuser) quelques bières locales aussi, puisque c’est Gérard qui finance la villégiature.
Gabriel retrouve sa sérénité.
Lors du déchargement d’une péniche remplie d’acier, on a découvert un cadavre en piteux état. La police a
identifié la victime, Daniel Vanbest, travailleur social à Mortagne-du-Nord. Gabriel suit l’affaire par les journaux, estimant un peu théâtral de balancer un corps de
cette façon. N’étant pas concerné, il poursuit son trajet en péniche vers Valenciennes, sur La Bounty. À l’écluse de Fresnes, un
cadavre bloque la manœuvre. Cette fois, c’est un jeune ingénieur japonais qui a été assassiné et jeté dans l’Escaut. Rien n’indique qu’il existe un lien avec la mort de Vanbest. Néanmoins, “ça y était, Le Poulpe était en chasse. Et content de l’être.
Il retrouvait ses réflexes. Se mettait à échafauder. Sentait enfin le sang cogner dans ses veines. Ses neurones s’agiter…”
Gabriel ruse pour interroger des employés du port où l’on stocke l’acier destiné à l’industrie automobile. Pour financier ses études, le Japonais faisait l’interprète, les documents des usines Toyota étant dans leur langue. Selon le
journal, aucun rapport entre Vanbest et cet étudiant n’est encore établi, sauf qu’ils habitaient tous deux Mortagne. Le Poulpe découvre cette
ville, endormie dans sa pauvreté. Il sympathise avec Éric, le meilleur ami de Vanbest. Si l’écharpe de la première victime se trouvait chez le second mort, c’est qu’ils se connaissaient. Si tous deux cultivaient des plants d’arabette, il y avait forcément une bonne raison. Éric montre
à Gabriel un champ metallicole, un terrain pourri de zinc et de métaux lourds, où l’on fait pousser l’arabette. Le témoignage du frère de
Vanbest et de son ami Le Grec vont permettre à Gabriel de mieux comprendre les dessous de l’affaire…
L’ombre des Habits noirs de Paul Féval accompagne Gabriel, dans ce décor qui rappelle autant le Simenon du nord et des canaux.
Mais, plutôt que Baron de l’écluse, Gabriel fait figure de Chevalier des coups tordus. Inutile de s’étendre sur la
qualité de l’intrigue : c’est du Poulpe pur jus, comme il se doit. Avec une petite dose de bière, pour mieux savourer.