En 2008, La Tengo Éditions a lancé une collection ayant pour héroïne Mona Cabriole, jeune journaliste pour Parisnews. Selon le principe du Poulpe, chacune de ses aventures sera écrite par un auteur différent. Ainsi que l’indique l’argument de ladite collection : “Mona Cabriole. 20 arrondissements. 20 auteurs. 20 romans. Une collection de polars rock au cœur de Paris”. Les deux premiers titres ont été : “Tournée d’adieu” de Pierre Mikaïloff et “Les fleurs du Marais” de Thomas Hédouin. Au printemps 2009, sont sortis deux nouveaux romans dans cette collection, signés Laurence Biberfeld et Marin Ledun. L’un est très réussi, l’autre laisse terriblement sceptique. Commençons par un aperçu de chacun de ces titres, avec des commentaires opposés.
Laurence Biberfeld : “La Bourse ou la vie”. La rédaction de Parisnews reçoit anonymement une série de
photos montrant un homme qui se débarrasse du cadavre d’une jeune chinoise. La scène se passe dans le 2e arrondissement de Paris, rue de la Lune. Ayant
reconnu la voiture vue sur les photos, Mona Cabriole ne tarde pas à en identifier le propriétaire. Surnommé Django, Alexeï Tchorniévitch est un séduisant trader, sans doute assez peu conformiste.
Un assassin ? Django répond à Mona qu’il a trouvé la jeune prostituée chinoise, morte sur son lit, en rentrant chez lui. Et qu’il n’était pas question d’avertir la police.
Jingyi est une clandestine, journaliste de formation. Sa sœur Yao a choisi le mariage avec un vieux français pour être régularisée. Jingyi enquête sur la filière de Li Wang Duo qui, associé à un français, fournit des filles à certains ateliers de confection du Sentier ou pour la prostitution. Dans tous les cas, il s’agit de véritables esclaves, sans aucun droit ni salaire, sans possibilité de se rebeller. Un sujet qui pourrait intéresser Parisnews, mais Jingyi doit prendre le risque d’infiltrer le milieu en question. Dans le même temps, Mona se renseigne sur le monde actuel de la finance, ses mécanismes et ses traders. Vivian est un expert en la matière, lucide sur l’argent, autant que sceptique envers son attrait malsain: “L’argent est ce qui fait de l’Homo Sapiens une impasse évolutive” conclut-il. Après une chaude nuit avec Mona et sa copine Clara, Django reprend ses activités de trader. Profitant de la virtualité du système financier, dont il maîtrise tous les rouages, Django lance un coup foireux de huit milliards, destiné à ruiner la banque qui l’emploie. Si les banquiers du groupe BT22 ne paniquent pas, ils leur faut réagir rapidement. Mais d’autres traders vont eux aussi lancer des coups pourris…
C’est dans un contexte d’actualité que s’inscrit ce très bon roman. La finance internationale “tient comme un château de cartes qui serait en même temps un coup de poker : à l’esbroufe.” Est-ce une utopie que de concevoir un retour à des méthodes simplifiées, humaines dans notre relation avec l’argent ? Pour le très sérieux monde des affaires, qui s’accommode aussi bien des trafics d’êtres humains que des opérations boursières les plus douteuses, cette version idéaliste n’a pas de sens. On doute que la crise économique que nous subissons change leurs mentalités… Ce roman comporte un aspect documentaire, avec des explications claires sur les systèmes boursiers, sans oublier d’être riche en noires péripéties. On aime la tonalité particulière de Laurence Biberfeld, son regard sur notre monde. Cette aventure de Mona Cabriole, rythmée par des chansons choisies, se lit avec grand plaisir.
Marin Ledun : “Le Cinquième clandestin”. La nouvelle enquête de Mona Cabriole l’amène dans le 5e arrondissement. Rue Mouffetard, une jeune Africaine s’est suicidée, se jetant du cinquième étage avec son bébé. Hassia était une Rwandaise de 24 ans, mal connue de ses voisins de l’immeuble. Il n’existe pas de traces officielles concernant son enfant. Mona interroge les commerçants du quartier. Hassia semble avoir été employée quelques temps au Marden’s Pub. Le patron du bistrot affirme ne pas la connaître. Ce Stéphane Dubois est un drôle de type, qui règne sur la rue Mouffetard. L’agence immobilière qui gère l’immeuble où logeait Hassia lui appartient, même s’il utilise un prête-nom comme propriétaire en titre. Mona n’est pas sûre de pouvoir faire confiance à Céline, la serveuse du Marden’s Pub. La journaliste pénètre en cachette dans le studio d’Hassia. Mais c’est en visitant les caves de l’immeuble que Mona fait de vraies découvertes.
Elle y trouve une dizaine de cellules vides, sommairement aménagées, qu’on a rapidement nettoyées après la mort d’Hassia. Néanmoins, Mona est certaine que des femmes y ont séjourné, et elle remarque des traces de sang. Directeur de Parisnews, Langlois réclame des preuves sérieuses à sa journaliste. Car, même si un juge enquête discrètement sur Stéphane Dubois, celui-ci bénéficie de nombreuses protections. Bien qu’elle se sache repérée par Dubois et ses sbires, Mona assiste (avec son ami Kamel) à une soirée punk au Théâtre de la Vieille Grille. Elle s’intéresse moins aux prestations des groupes qu’aux faits et gestes de Stéphane Dubois et de sa bande. Des filles Blacks les accompagnent, sans doute pas pour leur plaisir…
Le thème : la politique d’immigration sévère précarise les jeunes Africaines, contribue à leur exploitation sexuelle, favorisant les plus sordides formes d’esclavagisme, estime l’auteur. Il est vrai qu’on s’interroge toujours sur la réalité de ces trafics d’êtres humains et sur leurs bénéficiaires, qui profitent de l’impossibilité de se rebeller des clandestins. Peut-être la musique punk, par sa crudité, peut-être traduire cette désespérance.
Hélas, la pauvreté du style de l’auteur est réellement décevante. Mona Cabriole, ce nom suggère des aventures virevoltantes. Le récit est basique, plutôt insipide, rien de fiévreux dans la narration : “Elle ramasse ses affaires, laisse un billet sur la table et décide de commencer par interroger tous les commerçants de la rue” ou “Elle traverse une première salle, puis une deuxième. Le silence pour seul compagnon.” Notons encore cette bourde : “Deux des trois jeunes femmes (…) sont assises sur un canapé en cuir, entièrement nues. Leurs chevilles sont maintenues attachées au mur, au-dessus de leur tête, par des cordes.” Même nul en anatomie, on ne confond pas chevilles et poignets. Deux leitmotivs (“Tout le monde se connaît et tout le monde ment”, “Aide-moi, Hassia”) ne renforcent pas la plate tonalité du récit. Le seul moment plus intense est la fuite souterraine de Mona, autour de la Bièvre.
Qu’il s’agisse d’une héroïne de série ne justifie nullement ce manque d’écriture. Quand on sait que l’auteur doit être publié début 2010 dans la prestigieuse Série Noire, on s’interroge. Sur le même sujet, il vaut mieux lire “Quand la ville mord” de Marc Villard (Éd. La Branche, Suite Noire) que cette historiette pas du tout percutante.