On n’a quasiment pas d’information sur l’auteur signant Georges Tiffany dans la collection Spécial Suspense du Fleuve Noir d’antan. Tout juste dit-on qu’il s’agissait d’une femme. Georges Tiffany figure parmi les auteurs injustement oubliés des ouvrages consacrés au polar. Car, si elle créa le personnage du policier Raymond Sorgues, ses intrigues finement psychologiques ne sont pas de banales enquêtes. Certes, ces histoires ne manquent ni de mystère, ni de suspects. Mais c’est bien la relation entre les protagonistes qui prime ici, on le constatera à travers les résumés. Au fil des livres, la psychologie évolue même vers toujours plus de subtilité. C’est aussi vrai pour les décors. En outre, l’auteur ne dédaigne pas les crimes saignants, les situations sanglantes, les scènes dures. L’ambiance est largement noire dans l’œuvre de Georges Tiffany. Avec une narration parfaitement fluide et captivante. Tout cela rend ces suspenses extrêmement moderne, dignes de ceux qui sont publiés aujourd’hui, une quarantaine d’années plus tard. C’est peut-être la raison pour laquelle cet auteur n’apparaît pas parmi les piliers de cette collection, étant sans doute trop en avance dans son style. Ceux qui redécouvriront les livres de Georges Tiffany s’en apercevront rapidement.
Voici cinq exemples de ses romans.

"La main tranchée" (1965)
C’est un petit village de Lozère, une bourgade isolée où l’on n’aime pas beaucoup les étrangers. Même s’il s’agit de deux policiers venant enquêter sur une série de meurtres sanglants dont des jeunes femmes ont été les victimes. Même si la nouvelle institutrice, Georgia, est aimable et charmante. Le jeune médecin, installé depuis un certain temps et très compétent, n’est pas bien vu non plus (car natif de Bordeaux). Le commissaire Sorgues comprend qu’il doit immédiatement affirmer son autorité, quitte à se montrer dur. Il est accompagné de son adjoint, Demarien. Le brigadier Gibert les respecte sans doute. Mais s’opposerait-il à la population dont il est issu ? Il se montre très peu lors de l’enquête.
La châtelaine des lieux est un personnage qui impressionne les habitants. Pourtant, son manoir est plus sinistre qu’imposant. Une femme éprouvée par la vie, dit-on. Au fil des guerres, elle a perdu son père, puis son mari, et récemment son fils. C’est chez elle que logera la nouvelle institutrice, comme la précédente, faute de mieux. Les policiers s’inquiètent pour la jeune fille. Si Sorgues a vu en elle un appât, il ne veut pas qu’elle soit victime. Mais victime de qui ? D’un mystérieux animal, ainsi que le pense la population ? Une bête du Gévaudan moderne ?
Le boucher local, cousin du brigadier, n’est qu’un des hommes qui fréquentent Yvette, la prostituée du village. Vouloir ressembler à une fille de la ville, c’est un moyen d’attirer la clientèle. Mais çà peut donner de mauvaises idées à l’assassin… Pourquoi Georgia, rêvant comme tant d’autres à l’homme idéal, se déshabille-t-elle lascivement devant sa fenêtre sans rideaux ? Le docteur est-il impliqué dans ces affaires, ou a-t-il deviné quelque chose ? Quant à la châtelaine, sa manière de vivre est bien curieuse ! On l’imagine mal possédant des talents artistiques. Faudra-t-il traquer l’assassin comme une bête pour l’empêcher de nuire ?

"La tragédie du Viking" (1966)
Le Viking est un petit navire de luxe transportant une trentaine de riches clients qui viennent de passer des vacances sur une île écossaise. Le voyage de retour va tourner au drame quand le bateau s’échoue sur un banc de sable proche d’un îlot. Peu avant, un meurtre avait été commis. Si une enquête est lancée en Grande-Bretagne, l’organisateur s’adresse aussi à la police française car plusieurs clients sont des français. Bientôt, on retrouvera la plupart des corps, sauf quelques uns… dont un nommé Wolf, chef d’entreprise connu des services de police, qui pourrait avoir volontairement disparu.
Les commissaires Sorgues et Demarien apprennent que Jean-Lou Carrier, adjoint et homme à tout faire de Wolf, est absent depuis que son patron est parti en vacances. Un indice capital donne à penser qu’il a été assassiné par Wolf. Ce dernier a fait le vide dans ses comptes en banques et dans sa vie, avant de s’enfuir. Sorgues et Demarien vont enquêter dans les îles Orcades en Ecosse. Le policier de Scotland Yard et le superintendant de la police locale sympathisent peu avec ces français. Quand ils demandent à rencontrer la capitaine survivant du Viking, on les y autorise pourtant. Ce dernier en sait plus qu’il n’en dit. La jeune Nathalie, qui fait du charme aux deux policiers, est certainement concernée. N’a-t-elle pas vécu au Congo Belge avant l’indépendance ? Wolf et Carrier ont également passé quelques temps là-bas. Est-il souhaitable de l’associer à une enquête qui la touche de très près ?
La trace de Wolf et du capitaine du Viking mène les policiers anglais et français sur l’île où les victimes du naufrage ont séjourné. Seul le gardien, handicapé mental, y réside encore. Wolf se cache-t-il dans une des grottes ? N’est-il pas dangereux pour Nathalie de les avoir rejoints ? Sorgues sera-t-il plus malin que ses collègues anglais ?

"Le masque nègre" (1969)
Ariane, une jeune et jolie voisine du commissaire Raymond Sorgues, se prétend en danger. Mais le curieux comportement de cette femme incite le policier à ne pas trop la prendre au sérieux. D’autant que les semaines suivantes, tout semble bien se passer. Elle paraît même accepter désormais un futur mariage qu’elle refusait jusqu’à là. Pourtant, une nuit, on trouve le cadavre d’Ariane dans un parc. Une surprenante mise en scène entoure cette mort : la jeune femme au visage vitriolé porte un masque nègre.
Sorgues s’intéresse aux proches de la victime. À commencer par Domenica, la sœur aînée d’Ariane. Une femme hautaine, qui se veut encore jeune et belle. C’est chez elle que vivait Ariane.
Domenica est divorcée. Le snob Eric est-il vraiment son amant ? Ou plutôt une sorte de chevalier servant, utile à son standing ? Elle souhaitait qu’Ariane épouse Eric, combinaison qui l’arrangeait sans doute. Elle suppose que c’est son ex-mari qui a assassiné Ariane, et fait tout pour mettre la police sur sa piste (créant peut-être même des faux indices).
Ce Lionel est effectivement un personnage étrange. Il vit dans une propriété au milieu de ses collections aussi bizarres que coûteuses. Entre autres, il possède des masques africains. Il les a achetés à un certain Jo Querada. Ce dernier est une vieille connaissance du policier. Si Jo n’a pas de casier judiciaire, c’est quand même un truand connu de ses services. Son petit trafic d’œuvres d’arts – dont il fait le commerce avec l’aide de sa mère – ne doit pas faire oublier ses autres activités illégales. Mais le meurtre de Mme Querada, lié évidemment au premier, le met hors de cause. Arrêter Lionel, suite aux soupçons de son ex-femme, n’est pas une si bonne idée. Tandis que beaucoup de questions se posent, Sorgues et son équipe espèrent-ils vraiment une conclusion logique de cette affaire ?

"La dame aux corbeaux" (1970)
« Quel lien pouvait unir les deux meurtres, celui de Pussy Chamiraz dont la tête avait été découverte reposant sur une pile de boudins dans le frigo du boucher Vilmard, et celui du baronet Delamare aux restes partiels retrouvés dans un bois près de Soissons ? Et quels liens encore entre Vilmard et la « dame aux corbeaux » ? Quels liens toujours entre les six autres collégiens fortunés disparus, et Vilmard, et « la dame » ? Et puis Max Kyros, dans ce mic-mac ? » Telles sont les multiples interrogations qui intriguent Sorgues. L’enquête qu’il a entamée quand on trouva la tête du jeune Chamiraz dans un frigo ne pouvait être banale. Elle va le conduire en Suisse où, avant sa mort, étudiait la victime. Mais le trop discret directeur n’en dit pas assez. Et Reginald Delamare est lui aussi tombé sous le charme de la même femme plus très jeune qu’aimait Chamiraz. On aura déjà compris que cela ne lui porta pas chance. Ils auraient dû éviter de la revoir
On pourrait trop vite conclure que ce petit salopard d’Arthur, le commis renvoyé de la boucherie, serait mêlé à l’affaire. De même, l’étudiant grec Max Kyros connaît mieux la dame en question qu’il ne l’avoue. Tous deux sauraient découper un cadavre. Mais il est évident que c’est autour de la mûrissante, mais toujours séduisante, Marie-Hélène que tout se joue. Entourée de la pulpeuse employée de maison Clarissa, et du sinistre maître d’hôtel hongrois Mathias, cette femme dont la manie consiste à nourrir les corbeaux est plus qu’étrange. Reconnaît-elle avoir de jeunes amants ? Ni oui, ni non. A-t-elle quitté le beau Max, ou est-ce l’inverse ? Difficile à préciser. Qui est-elle réellement, la troublante Malène ? Sorgues ne mesure certainement pas les dangers qu’il court. La dernière étape de cette affaire sera sanguinaire, au seuil de la folie. Son adjoint Demarien parviendra-t-il à temps à le sauver ? Quand l’assassin devient monstre, reste-t-il un espoir ?

"Le bouillon d’araignées" (1972)
Gladys, une jeune femme de vingt-cinq ans, belle mais triste, sans doute incapable d’être heureuse, d’origine modeste mais vivant dans un monde huppé, provocatrice et capricieuse. Nathalie, quarante ans, encore très séduisante, journaliste mondaine, connaissant une vie aisée, souvent déçue par les hommes, faible et forte à la fois. Entre ces deux femmes si différentes, une relation perverse, trouble, intellectuellement sado-masochiste. Chacune veut dominer l’autre. Elles y parviennent à tour de rôle, agissant sur le caractère de leur amie/ennemie. Un jeu ambigu, malsain, que ne comprennent pas les hommes qu’elles côtoient. Une relation dure d’apparence amicale.
Domino de Rèze, un grand reporter, mais avant tout un séducteur issu d’une famille aristocratique plus ou moins désargentée. Pas mal de femmes dans sa vie superficielle. Une mère aussi. Infirme, Ida de Rèze n’a qu’un plaisir : faire le mal autour d’elle, en donnant l’impression d’être généreuse. Serge Valley a, comme lui, autour de trente ans. Mais cette arriviste n’a pas les mêmes moyens. S’il est très beau aussi, il semble avoir un problème physique avec les femmes. Tous deux sont les amants (parmi d’autres) de Nathalie. Mais elle n’a pas les mêmes rapports avec chacun : Amoureuse de Serge (elle le pense), pas de Domino qu’elle traite en étalon.
Matita de Ténériffe est une plantureuse strip-teaseuse, inconsciente de ce qu’elle provoque en parlant trop. Elle présente un ventriloque à Nathalie. Le grand Robert a participé à une méchante mise-en-scène, laquelle est à l’origine d’une série de meurtres. Nul ne peut sortir indemne de relations aussi étranges que celles vécues par chaque protagoniste de cette affaire. Le commissaire Sorgues et son adjoint Demarien ne sont finalement que des observateurs d’un jeu criminel dont tous les personnages sont trop cruels pour s’aimer vraiment…
Les autres romans de Georges Tiffany (coll. Spécial Suspense) : Le singe bleu - Un meurtre dans les yeux - La morte de la lagune - Êtes-vous Émilie ? - Le château du Margrave - La boutique aux pendules - Les papiers du mort - La cage de verre - La mort en chaîne - (Grands romans) Le nœud de Satan