Chrysostome Gourio est l’auteur d’une aventure de Gabriel Lecouvreur, dit Le Poulpe “Le dolmen des dieux” (Éd.Baleine, 2010). Chez le même éditeur, il nous propose aujourd’hui “Le crépuscule des guignols”.
Dix ans plus tôt, Arthur Saint-Doth et Lazare Gauthier étaient agents spéciaux dans un service de police. On les chargea de réprimer des groupuscules prônant une révolte philosophique. Adeptes d’actions spectaculaires, ces rebelles furent bientôt matés. Félix, leur Guide, est emprisonné depuis cette époque. L’obscur mouvement s’est éteint rapidement. Reconverti dans la viticulture, Arthur habite en Touraine avec sa compagne et leurs jumeaux. Ce jour-là, un commando prend pour cible la maison d’Arthur. Sa famille périt dans cette opération explosive. Il ne lui est pas difficile de comprendre qui sont ses ennemis. En prison, Félix lui confirme que cette vengeance n’est pas la sienne. Que les disciples d’Heidegger ont choisi de radicaliser leur combat. Arthur se réfugie chez son ami Lazare. C’est à Paris qu’ils doivent rechercher les maîtres de ce nouvel activisme violent.
Facile à dire, mais le duo n’a pas de contacts dans la capitale. Une petite révolte estudiantine agite une fois de plus le quartier autour de la Sorbonne. Venu de Nice, David se fait appeler Le Prince. Adepte de Machiavel, c’est un Kantien qui désapprouve les excès des Heideggériens. Il est à la tête d’un réseau aussi discret qu’il peut être efficace. Pénétrer dans la Sorbonne bouclée, s’approcher du QG des rebelles, c’est jouable selon David. Son complice Phédon leur apporte la logistique technique. Passant par les égouts, puis les salles du sous-sol où sont remisés des trésors de livres endormis, le duo repère vite la cave servant de QG. L’homme aux cheveux blancs qui dirige les Heideggériens refuse d’expliquer le massacre de la famille d’Arthur. Mitraillé par ses adversaires, le duo doit fuir vaille que vaille.
Pendant la convalescence de son ami qui a été sérieusement blessé, Lazare veille sur Arthur dans une planque fournie par David. Ce dernier réalise que ce n’est plus de sédition philosophique dont il s’agit. Ce sont de véritables actes de guerre qui sont menés par leurs ennemis. Il réunit son réseau afin de contrer la stratégie des autres. Les données récupérées sont alarmantes : “Ajoutons à cela qu’ils possèdent un arsenal impressionnant, nous pouvons en conclure qu’ils ne sont pas là pour faire des pâtés de sable.” Un rendez-vous au Jardin du Luxembourg, pour une impossible concertation avec les radicaux, vire à la bataille meurtrière. Face à cette philosophie démente conduisant à une sanglante révolution, il est bon de connaître les plans des heideggériens avant de les combattre…
Nous vivons en des temps où la philo est nettement moins attrayante que les salaires absurdes des sportifs, la vie privée d’éphémères célébrités, ou les gains des financiers qui détruisent l’Économie. Beaucoup diront que les thèses de philo n’intéressent vraiment que leurs auteurs, plus une poignée de disserteurs adeptes de l’enculage de diptères. La Pensée ne suffit pas à remplir le réfrigérateur, selon les pragmatiques qu’on ne démentira pas.
Pourtant, les philosophes peuvent être utiles. Par exemple, lorsqu’ils servent de personnages à une fiction. D’autant qu’ils préfèrent tous le Grand Merdier plutôt que l’apathie générale. Chez eux, comme ailleurs et pour faire court, il y a des bons et des méchants. Partisans de l’influence positive sur la société, contre suppôts d’une évolution mortifère, pour mieux le dire.
C’est un autre état d’esprit qui guide les deux ex-baroudeurs. Celui de la vengeance, sous les auspices métalliques bruyants de James Hetfield. Ça va dézinguer à tour de bras. Y compris avec le soutien final de fringants cow-boys musiciens venus du Québec. Non sans un clin d’œil à Gabriel Lecouvreur et à son vieil ami Pedro. Avec des citations, dont on ne garantit pas qu’elles soient toutes authentiques. Puisqu’ils carburent au Saint Nicolas de Bourgueil et au Chinon, Arthur et Lazare ne peuvent pas être totalement condamnable. Quand la philo cesse d’être prise de tête, ça nous donne un savoureux roman d’action, très divertissant.