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2 février 2019 6 02 /02 /février /2019 05:55

Le señor Luis Machi a bien raison d’être satisfait de sa réussite sociale. Marié à Mira, une emmerdeuse issue d’une vieille famille riche, il a eu deux enfants, Luciana et Alan. Sa fille est fiancée à un intellectuel, tandis que son fils est homo. C’est plutôt du côté professionnel que le señor Machi est fier de sa vie. Homme d’affaires aux diverses activités, il dirige le club L’Empire. Montres Rolex, briquet Dupont, stylo Mont-Blanc, chemises Armani ou Versace, cigares Cohiba ou Montechristo, BMW dernier modèle, le señor Machi ne vit que pour le luxe. Son défunt beau-père a souvent ironisé sur ses goûts de nouveau riche. Le regretté Alejandro Wilkinson, qui fut le mentor du señor Machi, répliquait qu’ils étaient des self made men, pas des nouveaux riches.

Le señor Luis Machi commença en reprenant une simple usine, début des années 1970. En ces temps de contestation, il balaya vite ces communistes qui faisaient du tapage. Il était bon d’avoir de solides relations politiques parmi les vainqueurs. Il développa aussi la Théorie de la Faveur, consistant à faire pression sur les gens, après leur avoir accordé de menus avantages. L’excitation du pouvoir entraîne toujours plus de puissance, le señor Machi l’a compris tôt. Qu’il s’agisse de boxe, de foot, ou d’établissements de loisirs, il faut imposer sa loi. Quitte à utiliser des hommes de mains, tel Pereyra (qu’il surnomme Cloaque). Son chef de la sécurité est un tueur rustre, mais efficace et même habile dans bien des cas. Moins il y a d’adversaires commerciaux, plus on profite du pouvoir.

Le luxe, ce sont aussi les femmes. Les prostituées de Mariela, dont certaines ont manigancé bassement pour devenir la maîtresse en titre du señor Machi. Qui, lui, ne considère toute fille que pour ses capacités sexuelles. Et puis, il y a la drogue. Indispensable, lorsqu’on mène une vie aussi effrénée que celle-là. Rails de coke et pilules soutiennent sa forme… Voilà que, rentrant vers son quartier sécurisé du Barrio, le señor Machi est victime d’une crevaison. Et il ne tarde pas à découvrir un cadavre inconnu au visage fracassé dans le coffre de sa BMW. Puis il se perd dans les quartiers pauvres de Buenos Aires. Avant de s’apercevoir que le cadavre est attaché par des menottes lui appartenant. Ce qui complique la solution pour se débarrasser du corps. Quant à savoir qui a placé là le cadavre, et pourquoi, le señor Machi risque de virer paranoïaque à chercher le coupable…

Kike Ferrari : De loin on dirait des mouches (Albin Michel, 2019)

L’air pestilentiel qu’agite l’éventail de doutes charrie des noms familiers, des possibilités insoupçonnées. Machi découvre effrayé qu’il existe des ennemis potentiels là où il ne voyait que des rivaux, des emmerdeurs, des subalternes.
Mais qu’importe, cela ne règle rien. Qui parmi ces éventuels ennemis de l’ombre a la capacité de planifier et, plus encore, d’exécuter un plan comme celui-ci : voler sa voiture, trafiquer le compteur, tirer sur un type en pleine face avec son Glock, et l’attacher ensuite avec les menottes dont il se sert pour assouvir sa fantaisie sexuelle ? Pereyra, qui du reste ne connaissait pas l’existence des menottes en fourrure, n’aurait jamais imaginé quelque chose d’aussi complexe ; il l’aurait flingué lui, et voilà tout. Et parmi les autres, qui a le pouvoir, les idées ?

Succès littéraire en Argentine, “De loin on dirait des mouches ne manque pas de saveur épicée. Par son fil conducteur, sur le classique thème “un cadavre encombrant et me voilà dans le pétrin”, cette intrigue se classe en effet parmi les romans noirs. Le problème du señor Machi n’est pas insurmontable, mais lui demande beaucoup d’efforts inhabituels.

Le plus intéressant, à travers les portraits du héros et de ses proches, c’est l’image que l’auteur donne de la société argentine. Les inégalités ne se sont guère résorbées depuis la fin de la dictature, et les combines ne profitent qu’aux plus forts. Sujet universel, que Kike Ferrari décrit avec toute l’ironie que méritent ces situations. Combats de boxe truqués, pression mortelle pour racheter un concurrent, nouveaux riches étalant leur fric, star éphémère devenue maquerelle, corruption policière, quartiers déshérités face aux parcs résidentiels protégés, et bien d’autres aspects de l’Argentine actuelle.

Ce pays donne le sentiment d’être hermétique à la mémoire, aux étapes qui ont jalonné son histoire. Fatalisme latino-américain ? On a du mal à saisir cet état d’esprit. Kike Ferrari ne prétend pas apporter des réponses, juste son regard caustique Si elle est grinçante, on ne sent pas une caricature exagérée de ces milieux, le scénario restant crédible. Ces supposés maîtres du pays sont, plus simplement, risibles. Un roman satirique réjouissant.

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30 janvier 2019 3 30 /01 /janvier /2019 05:55

Cette nuit-là, un détenu condamné à mort parvient à s’évader de la prison de la Santé, à Paris. Sous l’œil bienveillant du commissaire Maigret, en présence du juge Coméliau et du directeur de la prison, l’observant discrètement. C’est une initiative de Maigret, qui ne croit pas (ou plus) à la culpabilité de Joseph Heurtin, le détenu de vingt-sept ans pourtant condamné à la peine de mort. La peine capitale se justifiait par les dix-huit coups de couteau assénés aux victimes. Deux inspecteurs ont pris l’homme en filature, tandis que Maigret patiente toute la nuit dans son bureau, relisant le dossier. “Des rapports, des coupures de journaux, des procès-verbaux, des photographies, avaient glissé sur le bureau, et Maigret les regardait de loin, attirant parfois un document vers lui, moins pour le lire que pour fixer sa pensée.” Hurtin fut notamment trahi par ses chaussures.

Le commissaire espère que l’évadé va le mener sur la piste du véritable assassin. Heurtin ne semble trop savoir où se réfugier. C’est finalement à La Citanguette, un bistrot pour mariniers qui loue des chambres, qu’il va faire halte et se reposer. Quelques heures plus tard, le commissaire s’installe à son tour dans un hôtel face à La Citanguette, afin de surveiller l’homme. À l’origine, pour Maigret, l’affaire paraissait simple. À Saint-Cloud, Mme Henderson, riche veuve américaine, et sa femme de chambre, Élise Chatrier, ont été assassinées dans leur villa. Pas de vol. Un double meurtre sanglant. Il s’avère qu’Heurtin, livreur de son métier, était présent sur les lieux. Mais le policier comprit que le crime ne correspondait pas au suspect.

C’est presque par hasard que Maigret remarque, dans le quartier de Montparnasse, un jeune homme interpellé pour grivèlerie. Jean Radek, vingt-cinq ans, est un Tchèque né à Brno de père inconnu, d’une mère domestique. Il a beaucoup voyagé à travers l’Europe, suivi des études en France. Le commissaire réalise bientôt être face à personnage hors norme, un orgueilleux au cerveau complexe : “Vous connaissez comme moi la psychologie des différentes sortes de criminels. Eh bien ! Nous ne connaissions ni l’un ni l’autre celle d’un Radek. Voilà huit jours que je vis avec lui, que je l’observe, que j’essaie de pénétrer sa pensée. Huit jours que je vais de stupeur en stupeur et qu’il me déroute. Une mentalité qui échappe à toutes nos classifications. Et c’est pourquoi il n’aurait jamais été inquiété s’il n’avait éprouvé l’obscur besoin de se faire prendre.” Cerner ce Radek et son degré de responsabilité criminelle s’annonce compliqué, mais la tête d’un homme est en jeu…

Georges Simenon : La tête d’un homme (Omnibus, Tout Maigret 1 – 2019)

Georges Simenon (1903-1989) est l'auteur francophone le plus traduit à travers le monde, l'un des plus adaptés au cinéma et à la télévision. Il publia ses premiers romans sous pseudonyme dès 1921, acquit la notoriété grâce à Maigret dès 1931, publiant son dernier titre en 1972, cinquante ans durant lesquels il décrit la société en s’attachant aux personnages. “L'homme  en tête à tête avec son destin [qui] est, je pense, le ressort suprême du roman." ("Le romancier", 1945). Sous son nom, Simenon est l’auteur de 192 romans, 158 nouvelles, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages. Omnibus réédite en dix volumes "Tout Maigret", agrémenté de couvertures originales créées par Loustal. Biographe de Simenon, Pierre Assouline signe une préface inédite. Maigret, ce sont 75 romans et 28 nouvelles. Le tome 1 regroupe les huit premiers Maigret parus en 1931. La préface du Tome 2 est de Franck Bouysse, celle du Tome 3 de Philippe Claudel.

Le Dictionnaire des Littératures Policières (Ed.Joseph K, 2007) nous présente un portrait de ce policier ordinaire, né au château de Saint-Fiacre où son père était régisseur :“Sous son allure toujours plébéienne, le fis de paysan devient fonctionnaire et petit bourgeois. Les lecteurs le découvrent dans la quarantaine, pesant, massif sous son chapeau melon (il passera plus tard au feutre mou) et son gros pardessus noir, la pipe au bec, mains dans les poches…” On nous explique que Maigret, même s’il ne dédaigne pas les indices scientifiques, s’empreigne surtout des ambiances autant que des caractères qu’il discerne chez ses interlocuteurs. Plutôt avare de paroles, il ne s’affiche pas frontalement en adversaire, mais cherche la personnalité psychologique des suspects.

Les partisans du pur roman noir ou du thriller ont souvent ironisé sur Simenon. Pourtant, la sociologie est assez équivalente à celles des grands auteurs de ces catégories. Dans “Le polar pour les Nuls” (First Ed, 2018), Marie-Caroline Aubert et Natalie Beunat soulignent : “Si les enquêtes chez les aristocrates ou les grands bourgeois sont moins nombreuses, celles qui emmènent le lecteur dans les classes moyennes ou laborieuses couvrent un champ social considérable, justifiant la boutade de Marcel Aymé : "Un Balzac du 20e siècle, sans les longueurs." Pour autant, les mobiles changent peu d’une classe à l’autre : l’amour, la jalousie, l’argent, la vengeance.” Les auteures citent encore cette explication de sa manière, par Georges Simenon :“J’essaie de faire les phrases le plus simples avec les mots les plus simples. J’écris avec des mots-matière. Le mot vent, le mot chaud, le mot froid. Les mots-matière sont les équivalents des couleurs pures.” (in Le Monde, 1965)

Maigret reste un des héros incontournables de la littérature policière, témoin de son époque. C’est avec un infini plaisir que l’on redécouvre son œuvre.

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28 janvier 2019 1 28 /01 /janvier /2019 05:55

Fabien Lefèvre est un enfant de dix ans, habitant rue Berger à Paris. C’est le fis d’un chirurgien de l’Hôpital de la Pitié, et d’une mère d’allure souffreteuse qui est en fait une sacrée fêtarde. C’est l’employée de maison lusitanienne Flora qui s’occupe de lui. Le matin, elle l’accompagne à son école, non loin de chez eux. En ce 25 avril, c’est l’anniversaire de Fabien, important pour lui, mais il sent bien que ça n’intéresse guère ses proches. Alors qu’il arrive avec Flora devant l’école, Fabien est intercepté par deux hommes masqués de noir, qui le kidnappent. Marie-Claude Janvier, jeune agent de police chargée de sécuriser les abords de l’établissement, s’interpose avant d’être embarquée avec Fabien dans le véhicule volé des ravisseurs.

Un tel enlèvement au cœur de Paris ne peut qu’avoir de nombreux témoins. Les médias sont rapidement alertés. Les autorités se doivent de réagir vite. L’enquête va être confiée au commissaire Pascal Cros, policier chevronné de l’Office Central de Répression du Banditisme. Il sera assisté par l’inspecteur principal Amédée Vidalon. La hiérarchie exige des résultats, les médias sont à l’affût, la France entière est informée de l’affaire. Le commissaire Cros mène les investigations dans les règles de l’art. Il interroge les parents, surtout le père – médecin aisé, mais pas plus fortuné qu’un autre. Un couple mal assorti, il s’en aperçoit. Ce dernier prétendra que les ravisseurs ne l’ont pas contacté pour une rançon, mais le policier est bientôt convaincu du contraire. Par ailleurs, les enquêteurs cherchent à identifier les deux Noirs, bien que ce ne soit nullement leur couleur de peau.

L’équipe des ravisseurs se compose de quatre personnes, trois hommes et une femme. S’ils avaient aménagé un logement pour séquestrer le petit Fabien, la gardienne de la paix Marie-Claude Janvier n’était pas prévue au programme. L’enfant ne dramatise pas ce kidnapping. S’adaptant aux mieux, le duo passe le temps en attendant la suite. La cohabitation entre eux est heureusement harmonieuse. Marie-Claude commence à comprendre l’état d’esprit de Fabien. Pour les ravisseurs, tout se passe selon le plan prévu. Le commissaire Cros se demande toujours pourquoi on s’en est pris à ce médecin en particulier. Bien que sous surveillance policière, y compris à l’hôpital, le docteur Lefèvre réussit à transmettre la rançon qu’il a pu réunir.

Marie-Claude est consciente que, une fois versée la somme demandée pour le gamin, elle devient un élément gênant pour les ravisseurs – qui l’élimineront peut-être. Mais il se présente une occasion de s’évader. Au centre d’une pareille aventure donnant du piment à son dixième anniversaire, Fabien n’y tient pas vraiment. S’étant attaché à la jeune agent de police, il accepte néanmoins ce qu’elle a prévu pour fuir. Toutefois, les ravisseurs – toujours pas identifiés par les services du commissaire Cros – vont tenter de les en empêcher. Si elle ne manque ni de volonté ni de sang-froid, Marie-Claude maîtrisera-elle la situation jusqu’au bout ? Rien n’est moins sûr…

Pierre Nemours : Un môme sans illusion (Fleuve Noir, 1981)

Elle est consciente de vivre un drame, dans lequel sa vie est en jeu. Elle se sait au centre, avec Fabien, d’une tragédie qui doit résonner dans la France entière, mais l’inconscience du gamin la déconcerte. Se joue-t-il, pour lui-même, le rôle du fils de milliardaire aux mains de gangsters sans pitié comme dans tel feuilleton télé ? Non, car il aurait alors tendance à dramatiser le tragique de la situation. La vérité qui s’impose peu à peu à Marie-Claude est à la fois bien plus simple et plus effarante : Fabien n’est pas fâché de cette aventure, parce que c’est plus marrant que l’école et la maison, et qu’au surplus ça fait chier ses parents.
Mare-Claude a été une petite fille et une adolescente heureuse, entre un père et une mère modestes mais attentifs et chaleureux. Elle découvre soudain un gouffre dans les relations entre ce gosse de riche et ses auteurs. Et derrière la pseudo-inconscience, peut-être une infinie détresse.

Ce “Môme sans illusion” fut un des derniers romans publiés en 1981 par Pierre Nemours, décédé l’année suivante à l’âge de soixante-deux ans. Auteur de romans d’espionnage, de sujets historiques toujours parfaitement documentés, et d’histoires à suspense dans la collection Spécial-Police du Fleuve Noir, Pierre Nemours fut un des piliers de ces éditions. Peut-être cet artisan très productif fut-il moins "reconnu" dans les milieux du polar, injustement. Pourtant, ses intrigues bénéficient d’une narration agréablement fluide, et ses scénarios s’avèrent sans défauts. Aujourd’hui, quelques-uns de ses livres sont disponibles en version numérique chez French Pulp Éditions.

Si le thème des enlèvements d’enfants est un classique de la littérature policière, Pierre Nemours y ajoute ici une part psychologique non négligeable. Car le petit héros de ce rapt est un enfant intelligent et lucide. Et la gardienne de la paix qui se trouve entraînée avec lui analyse bientôt son caractère. Tout cela sans la moindre pesanteur bavarde, en suivant simplement les faits.

“Un môme sans illusion” fait partie des bons titres de Pierre Nemours, à redécouvrir.

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26 janvier 2019 6 26 /01 /janvier /2019 05:55

Âgé de quarante-cinq ans, Thomas Denning est un aviateur célèbre en Grande-Bretagne, fondateur et président du Consortium des constructions aéronautiques portant son nom, ce qui a fait sa fortune. Il est marié à Kay ; ils ont une fille de dix-neuf ans Liz. Ces temps derniers, Thomas Denning apparaît terriblement perturbé : crise de somnambulisme, cauchemars où il se voit condamné à mort par un tribunal. Kay et Liz ont de sérieuses raisons de s’interroger. Lui qui ne buvait pas abuse maintenant de l’alcool, mais c’est loin de tout expliquer. Cette pression pourrait le conduire au suicide, provoquer un accident d’avion étant facile pour lui. Mais Kay Denning, épouse attentive, de plus en plus anxieuse quant à son état, finit par susciter les confidences de son mari.

Liz s’était entichée d’un drôle de soupirant. Victor Mados, quadragénaire argentin, avait tout le profil de l’aventurier, escroquant les femmes riches et crédules. Afin que cesse leur relation, Denning prit rendez-vous avec lui à son hôtel. Il appliqua le plan qu’il avait établi afin d’écarter ce diable de Mados, tout se passant bien jusqu’à un certain point. Une petite bagarre entre eux provoqua accidentellement le décès de l’Argentin. Effacer ses traces, faire disparaître ce qui pouvait indiquer un lien avec Liz, ce n’était pas le plus difficile. Mais il y avait encore les bagages de Mados à évacuer de l’hôtel, et surtout le cadavre à faire disparaître. Homme de réflexion, Denning profita ce soir-là de l’absence de Kay et Liz pour cogiter sur la suite. Il plaça le corps dans la malle arrière de sa Rolls-Royce.

Se débarrasser du corps fut émaillé de menus incidents, telle l’intervention d’un motard de la police. Malgré tout, il finit par jeter la dépouille de Mados dans un fossé où – espérait-il – on mettrait un peu de temps à le retrouver, du côté de Ledstone. Quant à identifier l’Argentin, Denning avait fait en sorte que ce ne soit pas possible. Pendant les deux mois suivants, il bénéficia du plein soutien de son épouse Kay. Le cadavre n’ayant pas été découvert, il ne semblait pas y avoir de conséquences à redouter. Quand le couple retourna sur le lieu où Denning avait placé le cadavre, il avait disparu. Bien qu’ayant consulté les archives du journal local et tenté de se renseigner à la morgue, aucune info utile pour Denning. Se dessina seulement la piste d’un couple de bohémiens ayant peut-être campé non loin du fossé au cadavre.

Entre-temps, venu des États-Unis, ami de Denning, Chick Eddowes entra dans leur cercle familial. Avocat de trente-cinq ans, il ne tarda pas à plaire à Liz. Après avoir défendu le couple de Gitans, il entreprit de creuser davantage autour de l’affaire. Et c’est ainsi qu’il finit par tomber sur un cadavre dans un fossé, celui de Victor Mados. Ce qui lui permit d’élaborer de brillantes théories, d’ailleurs faussées par la version de Thomas Denning. Relancer l’affaire présenta-t-il un risque pour ce dernier ? Dans une affaire embrouillée, il faut s’attendre à tout…

Alec Coppel : L’assassin revient toujours (Série Noire, 1953)

Alec Coppel est un écrivain, dramaturge et scénariste né en 1907 en Australie, et mort en 1972 à Londres. Installé aux États-Unis, il collabore entre autres avec Alfred Hitchcock sur La main au collet” ou “Vertigo” (Sueurs froides, d'après un roman de Boileau-Narcejac). Il ne publia que six romans à suspense, dont seulement trois furent traduits en français : Scotland Yard en échec (1949, Albin Michel, coll.Le Limier) ; L'assassin revient toujours (Série Noire, 1953), qu’il transposa au cinéma, avec dans les principaux rôles John Mills, Phyllis Calvert, Sam Wanamaker, Herbert Lom, Bernard Lee) ; “Choc” (1966, Presses de la Cité, coll. Un mystère). Son œuvre d’auteur de pièces de théâtre et de scénariste pour le cinéma est bien plus conséquente.

On aura bien compris qu’Alec Coppel ne figure pas parmi les "auteurs mythiques" vénérés par les aficionados du roman noir. C’est le cas de beaucoup de romanciers dont les parutions furent trop épisodiques pour retenir l’attention, ou d’autres dont les intrigues – pourtant parfaitement construites et racontées – ont pu sembler trop basiques aux passionnés. La qualité première de ce type de roman était de disposer de scénarios malins. En reprenant des sujets solides – ici, un bel exemple de ce que l’on nomma un "cadavre cavaleur". Certes, comparée à l’intensité de beaucoup d’intrigues actuelles, la pression nous apparaîtra assez légère. Ce qui ne signifie pas qu’elle soit trop faible. Mais on est dans cette Angleterre où l’on conserve son self-control.

Ne nous bornons pas aux valeurs sûres, ne négligeons pas des romans oubliés. Ils nous offrent encore d’excellents moments de lecture. Avec L’assassin revient toujours”, on passe un très bon moment.

Alec Coppel : L’assassin revient toujours (Série Noire, 1953)
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24 janvier 2019 4 24 /01 /janvier /2019 05:55

L'excès d'enthousiasme et les superlatifs peuvent paraître exagérés à celles et ceux qui consultent les commentaires sur un livre. Pourtant, l’enthousiasme est de mise ici, “Les disparus du phare” méritant d'exprimer sans nuance le plaisir que l'on éprouve à sa lecture. "Excellentissime" n’est pas excessif. Auteur chevronné et productif, récompensé par plusieurs prix littéraires, Peter May nous présente une intrigue exemplaire. D'abord, on entre dès le départ dans le vif du sujet. L'amnésique qui doit retrouver son identité et va bientôt s'interroger pour savoir s'il est un assassin, c'est un postulat assez classique du roman policier. Encore faut-il ne pas embrouiller inutilement les faits, opacifier une énigme déjà complète. L'auteur fait preuve d'une parfaite maîtrise, d'une sacré habileté pour nous inviter à "accompagner" les découvertes de son personnage central. Et il y en aura énormément.

Évidemment, les décors jouent aussi un rôle certain dans le récit. Ces îles écossaises d'une rude beauté, ces villages et ces petits ports traditionnels, ces mystères et ces mythes d'antan (telle "la route du Cercueil") planant sur les populations, tout cela contribue à l'ambiance. Il est aussi question des lobbies de l'agrobizness, producteurs de pesticides et de tant de poisons, dont on n'ignore pas le poids politique et financier international. Que les abeilles soient indispensables à la vie, ils s'en moquent bien. Aspect sociétal qui s'ajoute en toute légitimité à cette histoire criminelle aux multiples péripéties captivantes, et aux dangers encourus par le héros. De la première à la dernière ligne, on se passionne pour ce remarquable suspense : un "coup de cœur" s'impose !

Peter May : Les disparus du phare (Babel Noir, 2019)

Gunn ne put s’empêcher de poser la question. "Vous pouvez me dire depuis combien de temps il est mort ?"
Le professeur lui lança un regard noir puis reprit l’examen du corps. Il souleva un bras et le plia au coude avant de le lever et de l’abaisser en faisant jouer l’articulation de l’épaule. Il se saisit ensuite de la mâchoire de l’homme qui était suffisamment lâche pour qu’il puisse ouvrir et fermer la bouche sans rencontrer de résistance. Les lèvres paraissaient vaguement enflées. Gunn l’observa ensuite défaire la ceinture du pantalon, descendre la braguette et remonter le pull ainsi que le tee-shirt qui se trouvait dessous pour exposer le ventre.
— L’abdomen présente une teinte verdâtre, annonça le légiste. Et il est légèrement ballonné, probablement des gaz. Ceci dit, il y a de la graisse par-là, et il se peut que le foie soit gonflé. Aidez-moi à le retourner.

Quand il reprend connaissance, il vient d'échouer sur une plage, rejeté par la mer. Il est amnésique, ignorant son identité, n'ayant gardé que des bribes de mémoire. Il regagne le cottage qu'il loue depuis dix-huit mois, retrouve son chien Bran. Une lettre lui apprend son nom et son adresse : Neal Maclean, au village de Luskentyre, sur l'île de Harris dans les Hébrides, archipel à l'ouest de l’Écosse. Un couple d'amis voisins en visite lui donnent de vagues éléments supplémentaires. Neal est ici pour écrire un livre sur la disparition de trois gardiens de phare, sur un îlot des environs, en décembre 1900. Un mystère local devenu mythe historique. Son ordinateur lui apprend qu'il n'écrit aucun livre, en réalité.

Neal se sent tel un fantôme. Sally n'est autre que sa maîtresse. Elle ajoute des précisions, qui ne réveillent en rien les souvenirs de Neal. Depuis qu'il est ici, il fréquente souvent "la route du Cercueil", correspondant à une carte qu'il a trouvée. Sally et lui s'y rendent, et y découvrent dix-huit ruches dissimulées, qui doivent appartenir à Neal. Si sa voiture est au port de Rodel où il l'a laissée, plus de traces de son bateau. Il a probablement coulé, ce qui expliquerait son retour houleux. Peu après, Neal est agressé dans son cottage. Une tierce personne inconnue intervient, chassant l'intrus. C'est sur une des îles Flannan, où se situe le phare des trois gardiens, que Neal pense dénicher des éléments utiles.

Dans la chapelle en ruine de cet îlot, il découvre le cadavre d'un homme tué récemment. Il est incapable de savoir de qui il s'agit, mais peut imaginer l'avoir tué avec violence. S'en retournant en urgence au cottage, Neal trouve une mallette cachée contenant des liasses de billets, des documents sur son passé et son adresse supposée à Édimbourg. Malgré les difficultés, car il va passer pour un fuyard, et payer en billets devient suspect, il se rend dans cette ville afin d'approcher son épouse et sa fille. Mais elles ne le reconnaissent pas. En s'adressant aux archives écossaises, il trouve l'explication : il n'est pas Neal Maclean, ne peut absolument pas être cet homme.

Par ailleurs, Karen est une jeune fille de dix-sept ans arborant un look "gothique". Depuis le suicide de son père, elle se heurte souvent avec sa mère. Celle-ci compte refaire sa vie, le nommé Derek étant déjà son amant avant la disparition de son mari. Karen ressent le besoin d'en savoir davantage sur son père, chercheur dans un institut spécialisé financé par la multinationale Ergo. Elle s'adresse à son parrain, perdu de vue, le meilleur ami de son père. Il étudiait les effets, apparemment sans conséquences sur la nature, de certains produits de l'agrochimie. Mais, peu avant son suicide, il fut viré de cet institut, à cause d'une étude pointue autour des abeilles.

Ayant lu une lettre posthume adressée par son père, Karen quitte son foyer afin de poursuivre ses investigations, de Londres à Glasgow, et plus loin encore. Le cadavre de la chapelle en ruine ayant été découvert, le policier Gunn mène l'enquête du côté de Luskentyre. Il s'intéresse rapidement à Neal Maclean, absent. La propriétaire du cottage, Sally et Jon, la postière, le loueur de bateau, confirment le comportement suspect de Neal ces derniers jours. Obtenir l'autorisation de perquisitionner n'est qu'une formalité, dans ces conditions. De retour sur l'île, "Neal" ne peut échapper aux questions du policier…

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22 janvier 2019 2 22 /01 /janvier /2019 05:55

En France, fin de l’année 2012. Trois exemples de personnes dont les vies ont sombré dans la noirceur. Les séparations parentales peuvent entraîner des conséquences bien plus insurmontables qu’on l’imagine. Si son frère aîné Rémy semble avoir plus facilement admis la situation, Matilda continue à en souffrir, bien qu’âgée désormais d’une petite trentaine d’années. Parce que, suite au départ brutal de son père quand elle était enfant, sa mère perdit tout repère, végétant en se réfugiant dans l’alcoolisme, hospitalisée quand se produisaient des crises. Matilda était bien seule pour endurer cette explosion familiale, et elle reste marquée – malgré ses tentatives de sociabilisation.

Boubacar Cissé fut "importé" d’Afrique par son père alors qu’il était enfant, pour former une nouvelle famille en France. Bouba subit bien vite les maltraitances de sa marâtre. Il tâcha de s’endurcir pour l’affronter en grandissant. Pour autant, le garçon fut livré à lui-même. À l’automne 2005, des émeutes éclatèrent à Clichy-sous-Bois, suite à la mort de deux ados, Bouna Traoré et Zyed Benna, électrocutés dans un poste électrique alors qu'ils cherchaient à échapper à la police. Bouba Cissé avait alors vingt-cinq ans. Ces faits, auxquels il était parfaitement étranger, furent l’occasion de se défouler pour lui. Mais on ne fit pas de cadeau aux délinquants : Bouba fut condamné à plusieurs années de prison.

Une chance se présenta quand il rencontra Louis, éducateur en centre de prévention. À sa sortie, Bouba fut engagé par une unité du Samu social. Si cela ne l’empêcha pas de continuer à fumer des joints, il admit devoir faire évoluer son comportement. Du moins en apparence, car il n’en avait rien à faire de ces clodos crasseux qu’il fallait bien traiter. Et puis l’atelier d’initiation informatique qu’il était censé animer n’intéressait personne. L’hypocrisie n’a qu’un temps, même s’il faisait bonne figure à la responsable de cette unité. Jusqu’au jour où arriva un SDF, muet après être devenu aphone, qui n’avait pas besoin d’être initié aux ordinateurs. Une drôle de relation s’installa entre eux.

Ce clochard particulier, c’était Franck. Lui-aussi fut, d’une certaine façon, victime des émeutes de 2005. Il était alors journaliste de presse, spécialiste des faits divers. Avec déjà une forte tendance à l’alcoolisme. Il essaya de poursuivre son métier, mais Franck ne maîtrisait plus grand-chose de sa vie. C’est là que débuta son errance. Selon les lieux où il prit ses habitudes, on le considéra comme un "clodo sympa" dont la passivité n’était guère dérangeante. Mitch, Nono, Karim, il se fit vaguement quelques amis dans la rue, tout en était conscient que ce n’était pas son univers de solitaire baignant dans l’ivresse. Quand Bouba lit la "confession" écrite sur ordinateur par Franck, cela pourrait l’émouvoir. Mais il y a longtemps qu’il n’éprouve plus aucun sentiment. Même si se croisent les chemins de Matilda, Franck et Bouba, peu d’espoir d’amélioration dans le parcours de chacun d’eux…

Jean-Christophe Perriau : Un monde trop petit (Éd.Inédits, 2018)

Avec ces trois cas, Jean-Christophe Perriau explore la déchéance sociale de personnes qui ont été, comme on le dit par commodité, victimes d’"accidents de la vie". En réalité, leurs problèmes prennent racine tôt pour Bouba ou Matida. Si Franck est tombé lui aussi, c’est pour d’autres causes. Que peut-on pour eux, puisque c’est le Destin qui est à l’œuvre ? Quand on décrit de tels personnages, on en vient vite à parler de "misérabilisme". Ce n’est pas ce que nous transmet l’auteur. Ces laissés-pour-compte, il ne les juge pas, et nous n’avons pas envie de le faire non plus.

Avec ses codes de banlieusard racaille, Bouba a-t-il la moindre chance de changer ? Si un léger mieux se produit pour la mère de Matilda, un autre drame viendra assombrir leurs vies. Quant à Franck, il n’y a plus d’envie en lui, un moteur qui l’a quitté depuis des années. Non, ces trois-là ne sont pas pitoyables.Ce qu’ils ont raté est largement dû aux circonstances. Voilà un roman noir psychologique de bon aloi, qui peut nous aider à réfléchir au sort des autres.

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20 janvier 2019 7 20 /01 /janvier /2019 05:55

Automne 1954 aux États-Unis. Le shérif Nick Corey est en poste dans le désertique comté de Garfield, dans l'Utah. Lors d’une ronde nocturne, il découvre une voiture abandonnée. On ne vient pas s’égarer dans cette contrée par le simple fait du hasard, il le sait bien. Dans le même temps, Nick Corey voit atterrir un avion de chasse Sabre, sans aucune lumière, ni pilote — ce qui apparaît impossible pour ce genre d’appareil. À moins d’imaginer une intervention des Martiens : si beaucoup de ses compatriotes croient à une invasion prochaine des OVNI, pas Nick Corey. L'armée et le FBI sont immédiatement informé de l’atterrissage improbable du chasseur Sabre vide. Des troupes et des moyens conséquents sont déployés sur le périmètre concerné.

L’agent du FBI qui va chapeauter l’affaire n’est pas le premier venu : Jack White est un conseiller spécial du Président. Simple shérif, observateur sans pouvoir dans le cas présent, Nick Corey n’a nullement l’intention d’entraver son enquête. Il ne doute pas que, vu la position de Jack White, celui-ci progresse assez rapidement. En effet, le pilote du Sabre est vite identifié, ce qui ne dit pas où il est passé. Le plus inquiétant, c’est que l’appareil transportait cent tonnes de TNT, de quoi commettre un sacré attentat. Peut-être dans le cadre d’un plan d’une plus vaste ampleur. Pour le shérif, ce qui importe, c’est cette voiture abandonnée. Les arômes d’un parfum sont subtils, mais il subsiste des fragrances de ce produit de luxe dans le véhicule. La victime est donc une femme.

L’assassin – car Corey est sûr qu’il y a meurtre – n’a pas cherché à masquer les indices. Au contraire, peut-être. Ce qui ramène le shérif à son propre vécu. Avant guerre, un tueur en série supprima ses parents. Pas encore adulte, Nick Corey fit un séjour en prison, accusé de ce crime. À l’époque du conflit mondial, il se comporta brillamment, en véritable héros, non sans séquelles. Mais une telle épreuve ne peut que laisser de profondes traces dans la vie d’un homme tel que lui, exacerber sa sensibilité. Depuis, il croit deviner des signes — comme les interventions de ce fantomatique indien Cherokee, dont il ne comprend pas les messages. Dans son comté, si cet autre indien qu’il a surnommé Stone est bien réel et sans agressivité, il ne l’aidera nullement, ne prononçant jamais un mot.

Nick Corey est convaincu que c’est bien l’assassin de ses parents qui est de retour, tant d’années après. Tandis que l’agent du FBI Jack White poursuit ses investigations, non sans risques, Nick Corey se met sur les pas de celui qu’il a surnommé Le Dindon. Toutefois, le tueur en série – par jeu ou par défi – garde en permanence plusieurs jours d’avance sur lui…

Richard Morgiève : Le Cherokee (Joëlle Losfeld Éditions, 2019) — Coup de cœur —

Il s’est souvenu d’une autre forêt, du Cherokee aux pommettes barrées de deux traits de peinture blanche, qui lui était apparu la nuit où ses parents avait été assassinés. Bien sûr qu’il avait pensé que ce gars pouvait être fin soûl ! Ou fou, fou et soûl, défoncé. Mais il ne pouvait s’interdire d’imaginer qu’il était venu le prévenir. Et il avait remis ça. Oui, il avait remis ça. Il était revenu le voir quand il était dans le coaltar à Guadalcanal, sur une civière avec une blessure à la tête, au ventre, avec une jambe brisée… Le Cherokee lui avait parlé et Corey n’avait rien compris, rien de rien.
Après cinq opérations, Corey s’était mis à voir de temps en temps en noir et blanc. On lui avait dit que c’était impossible et il n’avait pas insisté. C’était impossible d’être accusé du meurtre de ceux qu’on aimait. Impossible de voir simultanément un Sabre atterrir sans pilote et un puma blanc.
Corey avait connecté les deux histoires, celle du Cherokee au visage peint en blanc et celle du puma blanc. C’était interdit par le code de l’enquêteur : tant pis. Il les avaient connectées parce que c’était la même satanée histoire en vérité. La même histoire parce que c’était lui, Nick Corey, qui les vivait, lui le trait d’union.

Comment ne pas se montrer enthousiaste ? Il s’agit d’un roman policier d’excellence, comme seuls les meilleurs auteurs savent en écrire. Une histoire fluide qui ne cherche pas à embrouiller les lecteurs par des détours fallacieux. Pour autant, le scénario ne manque pas de péripéties, évoluant sur un rythme impeccable – qui n’a nul besoin d’ajouter des effets spectaculaires ou inutilement violents, une tension artificielle, des mystères s’imbriquant les uns dans les autres. Trois lignes narratives : l’énigme de l’avion de chasse Sabre, celle de la disparue au parfum français, et le meurtre jamais résolu des parents de Nick Corey. C’est bien ainsi que le fait Richard Morgiève qu’on raconte un tel roman, peaufinant le personnage central et son univers au fil des événements.

Le nom du héros l’indique : c’est un homonyme du shérif de Pottsville, bourgade de 1280 habitants, le shérif (faussement débonnaire) créé par Jim Thompson. Richard Morgiève connaît fort bien ses classiques : ce roman est également – ou avant tout – un hommage d’une belle intelligence aux intrigues d’autrefois, à leur contexte, écrit dans une tonalité actuelle personnelle. Même la présentation des femmes n’est ici pas éloignée de celle de l’époque, avec sa part de clichés. Il n’oublie pas que si perdure le mythe américain, les États-Unis d’alors n’ont pas que de bons côtés (soucoupes volantes ou communisme, c’est un peu la même menace d’invasion : parfait pour favoriser le maccarthysme). Ce n’est pas un hasard non plus s’il situe l’action dans un État désertique peuplé quasi-intégralement de Blancs. L’Amérique des grands espaces ne serait-elle qu’un grand vide ? Ce remarquable roman est, à l’inverse, riche de qualité supérieure.

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18 janvier 2019 5 18 /01 /janvier /2019 05:55

Bertram Wooster est un jeune aristocrate anglais. Dans son immeuble londonien, le voisinage est carrément excédé par la passion de Bertram, qui joue sans arrêt du banjo. Il est prié de quitter les lieux. Son indispensable majordome Jeeves, fatigué lui aussi par la musique de son maître, en profite pour démissionner. Bertram peut compter sur le baron Chuffnell, ancien camarade d’études qu’il surnomme Chuffny, pour lui prêter un cottage sur sa propriété campagnarde. Le temps de rénover l’habitation, il pourra loger à Chuffnell Hall, le château de son ami. C’est là qu’il retrouve bientôt le majordome Jeeves, que le baron s’est empressé d’engager. Au château, habitent aussi la tante Myrtle et son fils, le jeune Seabury, qui a l’esprit dérangé.

Le château de Chuffnell Hall et ses dépendances, Chuffny voudrait bien s’en débarrasser – ainsi que de la tante Myrtle et de son fils. Homme de loi, sir Roderick Glossop semble lui avoir trouvé un acheteur. Sir Roderick déteste profondément Bertram Wooster, au point d’avoir récemment fait capoter les fiançailles du jeune homme à New York – et d’avoir viré avec plaisir Bertram de son immeuble de Londres. Or, le client potentiel pour la propriété du baron Chuffnell n’est autre que le fortuné Washburn Stoker, père de Pauline Stoker, qui évinça Bertram il y a peu. M.Stoker, sa fille et sir Roderick arrivent au château. Bertram et Jeeves ne sont pas sans remarquer que Chuffny et Pauline formeraient un beau couple. D’ailleurs, l’attirance a été immédiate entre le baron et la jeune femme.

En partie à cause des élucubrations de Seabury, mais aussi parce que M.Stoker est un caractériel, la vente de Chuffnell Hall est bien vite compromise. Les fiançailles possibles entre Pauline et Chuffny aussi, par voie de conséquence. Jeeves va tenter d’arranger l’affaire. Mais lorsque Pauline débarque au cœur de la nuit dans la chambre de Bertram, ayant fui le yacht de son père, ça risque de compliquer la situation pour le jeune aristo et pour Chuffny. Et ce n’est pas Brinkley, le ténébreux majordome engagé à la place de Jeeves, qui aidera Bertram à solutionner les problèmes – au contraire. Quant à sir Roderick Glossop, on peut parier qu’il embrouillera lui aussi le cas de Bertram. Voilà une affaire qui risque fort de devenir incendiaire…

P.G.Wodehouse : Merci, Jeeves (Éditions 10-18)

— Bertie, es-ce que vous êtes ennuyé ?
— Ennuyé ?
— Vous avez l’air ennuyé. Et je ne peux pas voir pourquoi. Je pensais que vous seriez très heureux de la chance de pouvoir m’aider à rejoindre l’homme que j’aime, avec ce cœur d’or dont ont parle tant.
— La question n‘est pas de savoir si j’ai un cœur d’or ou non. Des tas de gens ont des cœurs d’or et seraient quand même ennuyés de trouver des jeunes filles dans leur chambre au petit matin. Ce dont vous n’avez pas l’air de vous rendre compte, vous et votre Jeeves, ce que vous avez omis de considérer dans vos calculs, c’est que j’ai une réputation à conserver, un nom sans tache à garder dans sa pureté originelle, ce qui ne peut pas être fait en accueillant les jeunes filles qui entrent au beau milieu de la nuit sans se demander du tout si cela vous convient, et qui vous fauchent froidement vos pyjamas héliotrope…
— Vous pensiez que j’allais dormir dans un costume de bain trempé… Et surtout dans votre lit ?

Il ne s’agit pas de roman policier, mais de pure comédie. C’est avec une sacrée maestria que P.G.Wodehouse mène son intrigue, chassé-croisé de scènes hilarantes. Si Bertram Wooster est un personnage sympathique, c’est l’intelligent et cultivé majordome Jeeves qui (plus ou moins dans l’ombre) fait évoluer les choses. Pour le meilleur et pour le pire, il faut bien l’avouer. Lire et sourire, ça fait diablement du bien. Avec les mésaventures de ce duo-là, on s’amuse énormément.

Puisque “Bonjour, Jeeves” et “Au secours, Jeeves” sont réédités en ce début 2019 chez 10-18, c’est sans doute le bon moment pour celles et ceux qui ne les connaissent pas encore de découvrir les romans de P.G.Wodehouse.

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