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11 janvier 2014 6 11 /01 /janvier /2014 05:55

Parmi les nouveautés au format poche sortant en ce mois de janvier 2014, on peut en retenir deux publiés dans la collection Babel Noir. Qu'on apprécie les véritables histoires de “privés”, ou qu'on aime se plonger loin dans notre Histoire, deux suspenses de très belle qualité.

 

Walter Mosley : "Le vertige de la chute"

À New York en 2008, Leonid McGill est un détective privé Noir âgé de 53 ans. Il s’est débrouillé pour obtenir de vastes bureaux dans le luxueux Tesla Building. Aura Ullman, son amie de cœur et administratrice de l’immeuble, est protectrice à l’égard de McGill. Par ailleurs, la vie de famille du détective ressemble fort à un ratage complet. Bien que tous ne soient pas de lui, il aime ses enfants. Tout particulièrement ce futé qu’est Twill, dont il surveille la messagerie web. Car, aussi débrouillard soit-il, le jeune homme risque d’être impliqué dans une sale affaire. McGill pratique encore la boxe chez son ami Gordo, pour se défouler.

S’il s’est désormais assagi, le détective utilisa longtemps des méthodes violentes, au service de caïds locaux. L’un d’eux, le truand Tony le Costard, l’engage pour une histoire tordue. Il s’agit de cibler un comptable gênant pour le caïd. Bien que McGill ne puisse refuser, il jouera le coup à sa manière. Le détective a accepté une mission pour Thurman, un de ses confrères d’Albany. Quatre hommes à retrouver, dont il ne connaissait que les sobriquets d’ados des rues, datant d’une quinzaine d’années. Après avoir transmis ses infos à Thurman, ces types sont assassinés. McGill s’en veut, il n'aurait pas dû accepter juste pour rembourser ses dettes. Il se rend à Albany, afin de dénicher le prétendu Thurman, qui se nomme Norman Fell...

Sans doute parce qu’il ne cache pas ses ambiguïtés, ses imperfections passées et présentes, McGill est un personnage qu’on aime d’emblée, sans restriction. Qu’il rencontre le puissant conseiller occulte new-yorkais Rinaldo ou une petite frappe comme Eddie Jones, McGill utilise son expérience de la vie pour ne jamais se laisser déstabiliser. Discernement qui lui permet d’être parfois bienveillant, voire d’éprouver une part de tendresse pour certaines personnes. Vieilles méthodes et techniques actuelles se côtoient dans cette enquête agitée, non dénuée d’humour. Quel plaisir de savourer une authentique histoire de durs-à-cuire, riche en pugilats et en coups bas ! Walter Mosley s’inscrit dans la lignée des précurseurs du roman noir, Dashiell Hammett ou Raymond Chandler. Il respecte idéalement cette grande tradition. Mosley est aussi héritier de Chester Himes, évoquant la place des Noirs dans la société américaine actuelle. On peut retrouver McGill dans “Les griffes du passé” et “En bout de course”.

Walter Mosley et Olivier Barde-Cabuçon, en poches chez Babel Noir

Olivier Barde-Cabuçon : "Messe noire"

Décembre 1759, froid et neige sévissent sur Paris. Le lieutenant général de police Sartine veille à la tranquillité du règne de Louis XV. Ses “mouches” surveillent la population. Les hommes du guet patrouillent afin de rendre les rues plus sûres. Pourtant, on retrouve cette nuit-là deux corps dans un cimetière. L'un en est le gardien, qui semble être mort de peur. L'autre est celui d'une gamine de douze ans environ. Son cadavre nu gît sur une pierre tombale. Âgé de vingt-cinq ans, doté du titre de commissaire aux morts étranges, Volnay est un enquêteur déjà expérimenté. Il est assisté par une sorte de moine hérétique qui n'est autre que son père. Près de la fillette étranglée, le duo repère les traces d'une messe noire ayant réuni trois hommes et deux femmes. L'autopsie réalisée par le moine montrera que la jeune victime a été droguée, mais qu'elle est restée vierge. Piètre consolation, et ça n'explique guère comment l'enfant a été mêlée à une messe satanique.

Sartine suit de près l'enquête de Volnay. Il lui impose une femme masquée, surnommée Hélène de Troie, en laquelle le commissaire n'a pas confiance. Par contre, le moine ne paraît pas insensible au charme de l'espionne de Sartine. Certaines rues de Paris grouillent de nécromanciens, vendant de la sorcellerie sous toutes ses formes. Le moine y a gardé des contacts. La fillette est identifiée. Fille de M.Marly, astrologue, elle se prénommait Sophia. À part un chien crasseux, elle ne fréquentait pas grand monde. Elle fut impliquée dans une altercation avec un voisin, au sujet de ce chien. Cet animal suit aujourd'hui Volnay, avant que le moine ne le recueille chez lui. Une équipée nocturne amène le duo à croiser des déterreurs de cadavres, avant d'être pourchassés par des malfaisants, peut-être satanistes...

Après “Casanova et la femme sans visage” (déjà disponible chez Babel Noir), une affaire aussi troublante qu'énigmatique pour Volnay, commissaire aux morts étranges. Les pratiques de sorcellerie étaient très présentes dans le quotidien du 18e siècle. Simples amulettes ou appel à de prétendus magnétiseurs, c'était un commerce florissant, mais ordinaire. Le cas des messes noires, rituels macabres inversant les cérémonies chrétiennes, fut sans doute plus exceptionnel. L'ambiance de cette époque est restituée d'une belle façon imagée. On a plaisir à suivre Volnay, le moine et Hélène dans les sombres cimetières ou les ruelles mal famées de Paris. On sent aussi le poids des suspicieuses hautes sphères d'alors, via le personnage de Sartine. Érudit adepte des Lumières, préconisant l'utilisation des empreintes digitales et ayant compris l'importance de l'inconscient, le curieux moine vole presque la vedette à Volnay.

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10 janvier 2014 5 10 /01 /janvier /2014 05:55

Publié en 2010 aux Éditions Héloïse d’Ormesson, Le joli mois de mai est un bel exercice de style, plaisant à lire. La vie “elle en fait voir de toutes les couleurs, et surtout du noir et du foncé” se dit Aimé, narrateur malhabile du récit. Ce n’est pas qu’il explique mal, mais les souvenirs se mélangent aux faits du moment. Il faut pourtant bien qu’il évoque ce dont il fut témoin, et ce qu’il sait de ces gens aveuglés par l’héritage. Ici, l’écriture joue avec le langage, donnant sans en avoir l’air indices et révélations, au fil d’une intrigue criminelle de bon aloi. On sent pointer l’hécatombe.

Sans revenir sur l’impression favorable, il faut nuancer. La base du sujet n’a rien de novatrice, elle a servi à quantité de romans depuis qu’existe le genre policier. Il n’est pas inutile d’avoir quelques notions en la matière avant d’écrire un suspense. Éluder certaines précisions, c’est quelque peu tricher. En outre, aussi ciselé et littéraire soit-il, le style a ses limites. Tout lecteur tant soit peu exercé devinera très tôt les rouages et les connections, moteurs de l’affaire. Un roman d'Émilie de Turckheim à découvrir, néanmoins.

Émilie de Turckheim : Le joli mois de mai (Le Livre de poche, 2014)

Dans sa propriété de Saint-Benoît-sur-Leuze, au cœur d’une contrée giboyeuse, Louis Yoke reçoit des hôtes amateurs comme lui de chasse au sanglier. C’est ce qu’il faisait jusqu’au mois dernier, avant qu’on ne le retrouve mort par balle sous un arbre de son domaine. Ne restent plus ici que ses employés Aimé et Martial, pour nourrir les poules et les cochons, passer l’épuisette dans l’étang, ratisser les allées, s’occuper de la maison. C’est surtout Aimé, aussi simplet paraisse-t-il, qui s’occupe de tout. Car Martial, au temps où M.Louis était encore là, a subi un sévère choc qui lui a laminé la tête et l’esprit. Pour le réconforter, Aimé ne peut même plus compter sur la tendresse de Lucette. Cette prostituée quadragénaire fut une habituée de la propriété, une intime de M.Louis.

Mai, c’est pas la saison de la chasse. Pourtant, Aimé et Martial doivent recevoir cinq invités. S’ils sont réunis, “c’est parce que M.Louis qui avait ni femme ni enfant ni considération pour personne à part son chat Grin [les] a choisis par hasard dans la liste de ses clients pour [tout] leur léguer” explique Aimé, avec la maladresse qui le caractérise. Ils devront patienter ce soir : le notaire viendra le lendemain à onze heures pour régler la succession. Les dispositions testamentaires de M.Louis restent un document assez sommaire, peu officiel. La soirée débute mal, et sera émaillée d'incident fort perturbateurs. Le lendemain, la matinée risque d’être longue, voire mortelle, en attendant l’arrivée improbable d’un notaire…

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9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 05:50

1994, c'est l'année d'un mémorable tremblement de terre en Californie, qui causa des dizaines de morts, des milliers de blessés. C'est aussi l'année d'une guerre génocidaire au Rwanda, entre Hutus et Tutsis. Pendant ce temps-là, Fish, Soap et Bonds, vivent au jour le jour depuis trois ans dans la rue, à Los Angeles. Avant la dégringolade, Fish vendait des assurances. Il s'intéresse encore à l'actualité du monde, assiste parfois à une messe.

Soap a sûrement été une jolie femme, d'ailleurs elle a eu plusieurs maris. Son dernier divorce a précipité sa chute. “Fish et Soap se sont mariés dans la rue. Le garçon d'honneur, le témoin et le pasteur, c'était Bonds ─ à l'époque, dans son église, il était diacre... Le lendemain, ils ont voulu remplir les papiers à la mairie pour obtenir un certificat de mariage, mais ils se sont retrouvés coincés lorsqu'on leur a demandé leurs tests sanguins et divers documents.” Au gré de leurs disputes, ils forment néanmoins un vrai couple.

Bonds est un Noir. Autrefois, il avait un restaurant fort bien fréquenté, mais des impératifs économiques ont entraîné sa faillite. Lui si actif, il a glissé vers la mollesse. Il s'est engagé dans l'armée, pour rebondir. Bonds a fait la guerre, mais il est revenu au point de départ. En pire car, désormais à la rue, une sorte de paralysie l'empêche de remonter la pente.

Le trio n'est pas exactement sans argent. Faire la manche pour s'acheter un simple seau, une de leurs réalités basiques. Il leur arrive aussi de glaner une centaine de dollars. Se pose la question d'en faire quoi ? Plutôt se loger décemment durant quelques nuits. Ou en réserver une partie, la dèche n'empêchant pas la coquetterie, pour que Soap achète des produits de beauté May Company. Bien que propre, elle est repérée comme une clodo par le personnel, mais rien à refuser puisqu'elle a assez d'argent. La revoilà séduisante.

Le quotidien du SDF, c'est encore et toujours la violence, des agressions aux motivations quelquefois indéfinies : “C'est là qu'il y a eu les matraques, les menottes, les hurlements qui sortaient de nulle part. Bonds s'est pris ça dans la tronche, mais cette fois, pour la première fois, Bonds saignait, mais cette fois-là, Fish a reçu les pires coups...” À pieds, l'hosto n'est pas tout près, et ils n'ont aucune assurance médicale. Quand une bactérie rend malade l'un ou l'autre, pas le choix, faut y aller quand même.

Leur quartier général, c'est le Back Door. Une sorte de bar malfamé, un bouge, un boui-boui malpropre, dont les toilettes ne sont jamais récurées. Pourtant, ça compte dans la vie d'un SDF, les chiottes. En déménageant du centre-ville vers Crown Hill, juste un peu plus à l'ouest de la ville, le trio espère trouver un peu de ce soleil qui fait la réputation de Los Angeles. Quant aux boulevards d'Hollywood avec tout leur clinquant, pour eux, ça reste la rue...

Larry Fondation : Dans la dèche à Los Angeles (Éd.Fayard, 2014)

Avec “Sur les nerfs” et “Criminels ordinaires”, Larry Fondation avait entamé une série de romans restituant la brutalité que l'Amérique exerce contre sa population la plus démunie. S'agissant de textes très courts et frappants, de scènes rudes, d'un quotidien destructeur, d'un monde de non-droit où l'agressivité est la règle, ces premiers opus fascinaient. On ne pouvait qu'apprécier le ton exempt de fioritures. Pourtant, on n'était pas obligé d'adhérer totalement à ces puzzles éclatés, aussi cohérents que soit le récit, finalement.

Cette fois, “Dans la dèche à Los Angeles” présente une ligne directrice plus claire. Plaçant un trio de paumés au centre de l'histoire, l'auteur garde sa tonalité corrosive et mordante. Le lecteur peut identifier plus directement les protagonistes et leur contexte. On y gagne en limpidité, et ça permet à Larry Fondation une ironie plus caustique encore. Il n'est pas question de les juger, ni de les défendre. Via ce patchwork de courts moments, s'esquisse une facette de l'Amérique, dans le vif, dans le vrai.

Malgré la profusion de gros mots dans cette vulgarité ambiante, malgré une fatalité qui les accable, on comprend mieux que ces gens ne sont pas des perdants-nés, des losers congénitaux. En filigrane, apparaît leur profonde sensibilité : Soap raconte son voyage en Grèce avec son deuxième mari... “Soap se met à pleurer et puis elle se calme. Elle n'est ni sentimentale ni complaisante. Elle est forte. ─L'enculé, il est resté en Grèce, elle dit. Avec une nana de vingt ans. Je suis rentrée à Los Angeles avec que dalle. Il y avait ce putain de contrat. Eh Bonds, comment que ça s'appelle déjà ? ─ Un contrat de mariage. ─ Ouais, voilà.” Entre malchance et illusoire espoir d'un avenir ensoleillé, Fish, Soap et Bonds possèdent une forme personnelle de dignité, sans doute éloignée des codes américains. Une lecture hautement recommandable.

- “Dans la dèche à Los Angeles” est disponible dès le 15 janvier 2014 -

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8 janvier 2014 3 08 /01 /janvier /2014 05:55

Meryl Close est âgée de quarante-trois ans. Elle a toujours vécu dans l'ombre de sa mère, la directive Meredith. Employées dans la même entreprise, elles habitaient ensemble, ne sortaient guère, partageaient les mêmes vacances. Pas d'homme, ni la moindre fantaisie, dans leur isolement volontaire. Peu d'expérience des réalités. Au décès de sa mère, Meryl réalise combien elle a été frustrée dans ses choix de vie. La défunte laisse une jolie somme. Vendant leur petite propriété, Meryl achète un camping-car fonctionnel. Une idée qui eût fait bondir sa mère, sans nul doute. Elle a l'intention de sillonner en toute liberté les routes de la Grande-Bretagne. Bientôt, Meryl doit affronter la brutalité du monde.

Si la campagne anglaise est charmante, sa population villageoise reste parfois rustre. Tel ce fermier en train d'agresser sexuellement sa propre fille de douze ans, Mary-Ann. Meryl intervient, tue le pervers Culloughs. La gamine ne se montre guère coopérative. Éliminer Mary-Ann relève également de la légitime défense, estime Meryl. Elle fait halte dans un hébergement de plein air, à Manchester. Si elle est au courant de l'enquête sur le double meurtre, la police n'a pas de raison de la suspecter. Au début de son périple, elle eut une altercation avec le despotique maire du village d'Oakham. Il fut soupçonné d'avoir tué un routard et son chien, sans suite. Meryl considère comme juste de supprimer à son tour ce petit notable arrogant et violent. Elle n'a aucun mal à l'égorger, laissant peu de traces.

L'inspecteur Russel Milland est en poste au commissariat de Chester. Il appartenait à la police de Londres lors des attentats de 2005. Impliqué dans une enquête à ce sujet, il fut très marqué par la mort de son principal collègue. Ces images le tourmentent toujours. Il finit par accepter ce reclassement à Chester. Il est chargé de l'affaire d'Oakham. Le maire est décrit comme bon mari, n'ayant pas d'ennemi. La population locale s'avère farouche. On ne l'a pas tué pour le voler, c'est un fait. Russel Milland imagine un possible lien avec le meurtre du fermier et de sa fille. Certes, le camping-car d'une femme a été signalé, une piste qui lui apparaît toutefois incertaine... Meryl est retournée dans sa maison vendue à deux retraités. Négocier quoi que ce soit avec le couple est clairement impossible...

Maud Tabachnik : L'ordre et le chaos (Albin Michel, 2014)

Façon road-movie, Maud Tabachnik nous propose ici une histoire de tueuse en série, pour son huitième titre dans la collection Spécial-Suspense. Cette Meryl, que la police baptisera finalement “la Bouchère du Herefordshire”, est fatalement un singulier personnage.

Dans son enfance, on diagnostiqua son comportement asocial : “Une migraine vient de me tomber dessus. Je sais pourquoi. Le médecin de famille avait déclaré à ma mère que ça se produirait chaque fois que je serais en colère ou contrarié. ─ Ça vient du sang, avait-il précisé. Votre fille est une sanguine sous ses airs calmes. Quand elle se met en colère, le sang engorge ses artères et monde directement au cerveau.” Ayant trop longtemps végété dans un cocon, c'est sans conscience du réel qu'elle se réveille. Criminelle, ce n'est pas sa définition des faits : “Un crime est l'action de tuer un être vivant par cupidité, haine, jalousie, plaisir, cruauté, sadisme, sexualité perverse. Où suis-je là-dedans ?”. Meryl se protège en fixant sa version de la légitime défense, avant de glisser vers la démence.

L'autre héros de cette histoire, c'est le policier Russel Milland. S'il est inefficace, bien que menant une enquête correcte avec son jeune adjoint, c'est qu'il reste perturbé par son passé. Il se sent tel un coupable, qui en rechercherait d'autres... N'accordons pas trop d'importance à certains détails descriptifs, ni aux décors britanniques. On comprend que ce qui prime pour cette auteure chevronnée qu'est Maud Tabachnik, c'est la grande part psychologique du suspense. À travers le mental des protagonistes, elle maîtrise fort bien son sujet.

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7 janvier 2014 2 07 /01 /janvier /2014 05:55

En ce début 2014, paraît un format poche “double” qui rassemble deux aventures du juge Ti. Robert van Gulik (1910-1967) popularisa en Occident ce personnage, qui exista réellement et connut les plus hautes fonctions (Juge Ti, 630-700). Frédéric Lenormand est l'auteur d'une nouvelle série des enquêtes du Juge Ti, restituant avec justesse la Chine du 7e siècle, sous la dynastie T’ang. Dans ce volume “Panique sur la Grande muraille” se situe à l'automne 671. Le juge Ti dirige la ville de Lan-Fang, à l'ouest de l'empire, non loin du désert de Gobi. Dans la seconde histoire, “Le mystère du jardin chinois”, l’intrigue est délicieusement tarabiscotée, pleine d’humour, jusque dans sa conclusion. Les personnages sont vraiment savoureux. En ces lieux mystérieux où rôde la mort, le héros amnésique mène une enquête pleine de rebondissements. La fluidité narrative nous entraîne à partager ses mésaventures, d'une façon très agréable.

Frédéric Lenormand : Panique sur la Grande muraille + Le mystère du jardin chinois (Points, 2014)

Voici un survol du scénario de “Le mystère du jardin chinois”.

En l’an 669, sous le règne de l’impératrice Wu, le juge Ti (âgé de 39 ans) est sous-préfet de Pou-Yang, importante cité sur le Grand Canal impérial qui traverse la Chine du nord au sud. Une étrange “guerre du ciel” provoque la mort massive des volailles et des oiseaux migrateurs dans le district. Pris dans une attaque de canards fous, le juge Ti tombe au sol et perd la mémoire. Émissaire du Censorat, l’inspecteur Peng Shen l’envoie se reposer à la campagne avec ses trois épouses et ses enfants. Ils trouvent asile dans la luxueuse propriété d’un négociant en thé, Hu Nong. Le juge Ti s’y fait passer pour un médecin.

Le domaine se compose de quatre jardins, chacun symbolisant une saison, créés par le jardinier taoïste Ding Quon et son assistant eunuque Rossignol. Le juge Ti se pose bientôt des questions sur les invités de leur hôte, qui reste invisible : un militaire loyal et rigide, un moine bouddhiste plus ambitieux que religieux, un peintre célèbre, une voyante alcoolique parfois inspirée, une hautaine dame de cour, et tout un personnel qui ne voit jamais Hu Nong. Au centre des quatre jardins, un enclos difficile d’accès, doté d’une laide décoration. C’est là que le propriétaire semble se cacher, dans une tour vouée à la méditation. Quand le juge Ti explore l’endroit, il parait vide.

Les invités sont là pour voir éclore le mythique lotus bleu. L’improbable miracle se produit : les fleurs bleues sont remarquables. Le militaire est chargé de veiller à ce que personne n’y touche. Le juge est certain qu’il s’agit d’un trucage. Si la mort suspecte du moine bouddhiste ne les a guère affectés, l’empoisonnement de l’économe du domaine signifie que le danger se précise autour d’eux, qui restent prisonniers ici...

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6 janvier 2014 1 06 /01 /janvier /2014 05:55

On dit de Karl Kane que c'est le meilleur détective privé de Belfast, et le plus discret. Si ce n'étaient des tracas de santé, quelques impayés de longue date et une pension alimentaire à régler, Karl Kane pourrait exercer paisiblement son métier. Il est assisté de Naomi, sa secrétaire et jeune amante, native de Derrybeg dans le Donegal. Différence d'âge notable, car Kane approche de la cinquantaine. Un client, Bill Munday, l'engage pour s'informer sur un cadavre découvert au Jardin Botanique. Ce qui permet à Karl Kane d'apurer un peu ses dettes. Son ex-beau-frère Mark Wilson étant policier, le détective fréquente sans fraterniser son équipe de flics. C'est chez eux qu'il apprend que la victime avait trois impacts dans le crâne.

Selon Chris Brown, un des contacts de Kane, ce Wesley Milligan fut huissier avant une dégringolade sociale. Il devint simple gardien de prison. Il aurait organisé des partouzes avec des détenues junkies pour des gentlemen. Karl s'adresse à l'ancienne épouse de Milligan. Celle-ci a pour amant un jeune ex-taulard du genre agressif. À la fois Jekyll et Hyde, le plus souvent brutal, le défunt ne manquait pas d'ennemis, dit sa veuve. Après avoir rendu son rapport à M.Mundy, le client de Karl cherche des renseignements sur un second meurtre, très récent. Un certain Joseph Kerr est mort après avoir rencontré une femme séduisante et musclée, peut-être une prostituée. En effet, cette “Suzy” paraissait ne rien ignorer de la vie privée de Kerr, et désirait le faire longuement souffrir.

D'après le médecin légiste, ami d'enfance de Karl, la meurtrière a utilisé du phosgène, un produit mortel plutôt rare. Elle s'en est servie de façon aussi astucieuse que symbolique. Quand l'indic Chris Brown est abattu, malgré le passé chargé de celui-ci, Kane doute que ce soit une vengeance de dealers. Le détective visite l'appartement de Chris, récupérant le manuscrit de ses souvenirs, que la victime devait publier. Sentant une menace, Kane fuit précipitamment les lieux. Si le meurtre du petit cambrioleur Andy Fleming passe inaperçu, celui de l'agent immobilier McCully figure dans la même série criminelle. On trouvera trace de la mort d'un nommé Donaldson, qui n'est pas sans lien avec Milligan et Kerr. La piste de la tueuse, ressemblant à une actrice connue, se dessine finalement. Mais le principal coupable de cette affaire reste dangereux...

Sam Millar : Les chiens de Belfast (Éd.Seuil, 2014)

Après d'autres titres de Sam Millar, voici la première aventure de l'enquêteur Karl Kane. “Pour dire la vérité, je ne suis pas tout à fait un civil. Disons un borderline pseudo-flic. Ils n'ont pas encore trouvé exactement dans quoi me ranger.” C'est parmi les détectives de la meilleure tradition, qu'on peut le classer. Encore que ses références puissent étonner : “[Kojak] c'était un flic chauve qui avait toujours une sucette à la bouche et disait : Qui prend soin de toi, beauté... J'ai un noir secret que je vais te confier... J'ai toujours voulu être Telly Savalas, mais avec des cheveux.”

Toutefois, Humphrey Bogart en trench-coat mastic est aussi un de ses modèles : “Je peux faire un Bogart correct dans la pénombre d'un sept heures du soir.” Un détective digne de ce nom ne doit pas manquer d'ironie, se montrant narquois envers la police : “Qu'est-ce que tu as à toujours remonter les gens comme des pendules ? demanda Wilson. ─ Si je le fais, c'est qu'ils ont une clé dans le cul, répondit Karl du tac au tac.” Un personnage qui a de la répartie, on aime ça.

Le “privé” prend une bonne dose de coups, lorsqu'il va farfouiller dans les plus répugnants cas criminels, c'est la règle. Même si son client et sa rémunération disparaissent, il est déjà trop engagé pour stopper net. Vu le niveau de cruauté dont fait preuve l'assassin, nul doute qu'il s'agisse d'une vengeance. Outre le contexte autour de Karl Kane, l'efficace construction du scénario nous apporte, progressivement et en louvoyant, les éléments nécessaires du dossier. Les bonnes histoires de détectives sont toujours aussi excitantes, Sam Millar nous le prouve.

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5 janvier 2014 7 05 /01 /janvier /2014 05:55

Le n°24 de la revue Quinzinzinzili (Hiver 2013) est entièrement consacré à un auteur américain de science-fiction et de fantastique, David H.Keller (1880-1966). Écrivain et médecin, c'est un auteur auquel s'intéressa fortement Régis Messac. Diplômé de la faculté de la médecine de Pennsylvanie, David H. Keller fut médecin biologiste et neuropsychiatre. Au sein de l'armée américaine, il participa aux deux guerres mondiales en tant que neuropsychiatre. Entre-temps, il a exercé en Louisiane.

David H.Keller - auteur SF et fantastique - dans Quinzinzinzili n°24

Keller publie ses premiers textes dans les magazines pulps à partir de 1926. C'est en novembre 1928 que Régis Messac, sensible à la littérature mêlant fantastique et scientifique, découvre (dans Amazing Stories) David H. Keller. En 1932, il consacre un article à cet écrivain dans la revue Les Primaires, avant de publier, en 1936, un recueil de trois contes intitulé "La guerre du lierre". Messac lui consacre encore un court essai dans Les Primaires, en 1939. Pour lui, David H. Keller «eut toujours l'ambition d'être un auteur mais les nécessités de la vie l'obligèrent d'abord à se faire médecin. (...) Il eut ainsi l'occasion d'observer de près de singuliers échantillons d'humanité, et d'emmagasiner dans sa mémoire bien des incidents singuliers dont on retrouvera la trace plus tard dans ses écrits. Toutes les fois qu'il lui arrive de décrire un infirme, un fou, un dégénéré, on entrevoit derrière l'aisance et la vraisemblance du récit la solide documentation du psychiatre et du clinicien.»

David H.Keller - auteur SF et fantastique - dans Quinzinzinzili n°24

Dans ce numéro de Quinzinzinzili, après une présentation de l'auteur par Guibert Lejeune, on retrouve plusieurs articles bilingues, ainsi que des extraits de courriers échangés entre Régis Messac et David H.Keller. "La guerre du lierre" fut plutôt bien apprécié de la critique en 1936, on le vérifie dans ce numéro. La carrière française de D.H.Keller ne s'arrête pas en ces années d'avant-guerre. Cet écrivain sera publié aux éditions Fleuve Noir, un titre dans la collection Angoisse. Des romans à redécouvrir.

Deux adresses à retenir : Société des Amis de Régis Messac, 71 rue de Tolbiac, Paris 13e – Éditions Ex Nihilo, 42bis rue Poliveau, Paris 5e. "La chose dans la cave" de David H.Keller a été réédité aux éditions Arbre vengeur il y a quelques années.

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3 janvier 2014 5 03 /01 /janvier /2014 05:55

C'est un vallon sans charme, sinistre, masqué du soleil par une falaise. “Une terre d'ombre et rien d'autre, lui avait dit sa mère, qui soutenait qu'il n'y avait pas d'endroit plus lugubre dans toute la chaîne des Blue Ridge. Un lieu maudit, aussi, pensait la plupart des habitants du comté, maudit bien avant que le père de Laurel n'achète ces terres.” Laurel Shelton a environ vingt-cinq ans en cette dernière année de la première guerre mondiale. Amputé de la main gauche, son frère Hank est revenu du Front en Europe, pour s'occuper de la ferme de leurs défunts parents. Médaillé de la Purple Heart, il projette d'épouser Carolyn Weatherbee, avec qui Laurel pense qu'elle s'entendra bien. Recruteur de l'armée, Chauncey Feyt ne compte pas sur Hank. Par contre, il espère que le prochain retour au pays de Paul Clayton, héroïque grand blessé, va galvaniser le patriotisme local.

Durant l'absence de son frère, Laurel a végété dans ce vallon, tel un fantôme, quasiment seule. À part leur voisin septuagénaire Slidell, nul n'a jamais estimé les Shelton du côté de Mars Hill. D'autant que Laurel, avec sa disgracieuse tache de naissance sur le visage, possède une réputation de sorcière. Encore aujourd'hui, quand Slidell, Hank et elle vont au village, on l'évite car on la juge maléfique. Certaines rebuffades sont supportables, d'autres peuvent entraîner des altercations. Laurel a remarqué la présence d'un inconnu déguenillé dans un recoin du vallon, car il joue à merveille de sa flûte argentée. L'homme étant mal en point, Laurel le ramène chez eux. Il a avant tout besoin de soins et de repos. Un message écrit indique qu'il se prénomme Walter, qu'il est muet, et vient de New York. Laurel s'éprend bientôt de cet invité, apportant un peu de luminosité dans sa vie morne.

Quand Walter est requinqué, Hank l'engage pour l'aider durant quelques jours. Pour un musicien, il se débrouille fort bien dans les travaux de terrassement. À l'occasion d'une veillée avec Hank, Slidell et des amis, Walter montre son talent de professionnel à la flûte. Après un baiser d'adieu à Laurel, il rejoint la gare locale. Pourtant, Walter ne prend pas le train pour New York, car un agent de sécurité rôde dans la station. Il retourne à l'abri du vallon, ce qui ravit Laurel, qui ignore ce qui a contrarié son départ. Deux mois plus tard, Chaucey Feyt profite d'une fête patriotique pour lancer une pétition contre un professeur d'allemand de Mars Hill, suspect selon lui d'espionnage. Comme un “sortilège bienfaisant”, Laurel et Walter sont devenus intimes. C'est grâce à son ancienne institutrice, Mlle Calicut, que la jeune femme commence à découvrir les secrets de Walter...

Ron Rash : Une terre d'ombre (Éd.Seuil, 2014)

Il existe des auteurs qui rédigent de bonnes histoires mais se soucient peu de l'écriture, ou à l'inverse des stylistes qui négligent les intrigues. Avec “Un pied au paradis”, “Serena”, et “Le monde à l'endroit”, on a vérifié que Ron Rash concilie admirablement le littéraire et les thématiques fortes. Qu'importe l'étiquette “roman noir”, c'est un authentique écrivain, d'une rare puissance évocatrice. Il le prouve une fois de plus avec ce fascinant “Une terre d'ombre”.

Loin d'une aimable romance au cœur de la campagne américaine, voilà un récit d'une magnifique densité. Dans cette vallée encaissée et sombre, le drame couve malgré des instants de bonheur que la jeune héroïne a bien mérités. Omniprésente, l'émotion est ici courageuse, fière, affirmée, elle n'a rien de pleurnicharde. Les personnages centraux (Laurel, Hank, Slidell) ont connu déjà trop d'épreuves pour s'apitoyer sur eux-mêmes.

Une bourgade d'autrefois, il y a près de cent ans, dans les Appalaches. Une population qui pratique une sorte de mesquinerie naturelle, d'intolérance congénitale. Un patriotisme de façade exacerbé par le premier imbécile venu, le “sergent” Chaucey étant un planqué. De vieilles rumeurs calomnieuses de sorcellerie, savamment entretenues. Quelques rancunes comme celle de Jubel Parton, caïd d'opérette obligé de faire profil bas devant Hank. Des gens détestables, d'autres plus neutres dont la naïveté amène des problèmes. Et puis Walter, muet sur ses secrets. La lucidité du vieux Slidell, marqué tôt par la mort, risque de ne pas suffire. Un roman réaliste et crédible, poignant et humaniste, supérieur. De ceux qui vous hantent encore, une fois la lecture terminée.

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