Parmi les nouveautés au format poche sortant en ce mois de janvier 2014, on peut en retenir deux publiés dans la collection Babel Noir. Qu'on apprécie les véritables histoires de “privés”, ou qu'on aime se plonger loin dans notre Histoire, deux suspenses de très belle qualité.
Walter Mosley : "Le vertige de la chute"
À New York en 2008, Leonid McGill est un détective privé Noir âgé de 53 ans. Il s’est débrouillé pour obtenir de vastes bureaux dans le luxueux Tesla Building. Aura Ullman, son amie de cœur et administratrice de l’immeuble, est protectrice à l’égard de McGill. Par ailleurs, la vie de famille du détective ressemble fort à un ratage complet. Bien que tous ne soient pas de lui, il aime ses enfants. Tout particulièrement ce futé qu’est Twill, dont il surveille la messagerie web. Car, aussi débrouillard soit-il, le jeune homme risque d’être impliqué dans une sale affaire. McGill pratique encore la boxe chez son ami Gordo, pour se défouler.
S’il s’est désormais assagi, le détective utilisa longtemps des méthodes violentes, au service de caïds locaux. L’un d’eux, le truand Tony le Costard, l’engage pour une histoire tordue. Il s’agit de cibler un comptable gênant pour le caïd. Bien que McGill ne puisse refuser, il jouera le coup à sa manière. Le détective a accepté une mission pour Thurman, un de ses confrères d’Albany. Quatre hommes à retrouver, dont il ne connaissait que les sobriquets d’ados des rues, datant d’une quinzaine d’années. Après avoir transmis ses infos à Thurman, ces types sont assassinés. McGill s’en veut, il n'aurait pas dû accepter juste pour rembourser ses dettes. Il se rend à Albany, afin de dénicher le prétendu Thurman, qui se nomme Norman Fell...
Sans doute parce qu’il ne cache pas ses ambiguïtés, ses imperfections passées et présentes, McGill est un personnage qu’on aime d’emblée, sans restriction. Qu’il rencontre le puissant conseiller occulte new-yorkais Rinaldo ou une petite frappe comme Eddie Jones, McGill utilise son expérience de la vie pour ne jamais se laisser déstabiliser. Discernement qui lui permet d’être parfois bienveillant, voire d’éprouver une part de tendresse pour certaines personnes. Vieilles méthodes et techniques actuelles se côtoient dans cette enquête agitée, non dénuée d’humour. Quel plaisir de savourer une authentique histoire de durs-à-cuire, riche en pugilats et en coups bas ! Walter Mosley s’inscrit dans la lignée des précurseurs du roman noir, Dashiell Hammett ou Raymond Chandler. Il respecte idéalement cette grande tradition. Mosley est aussi héritier de Chester Himes, évoquant la place des Noirs dans la société américaine actuelle. On peut retrouver McGill dans “Les griffes du passé” et “En bout de course”.
Olivier Barde-Cabuçon : "Messe noire"
Décembre 1759, froid et neige sévissent sur Paris. Le lieutenant général de police Sartine veille à la tranquillité du règne de Louis XV. Ses “mouches” surveillent la population. Les hommes du guet patrouillent afin de rendre les rues plus sûres. Pourtant, on retrouve cette nuit-là deux corps dans un cimetière. L'un en est le gardien, qui semble être mort de peur. L'autre est celui d'une gamine de douze ans environ. Son cadavre nu gît sur une pierre tombale. Âgé de vingt-cinq ans, doté du titre de commissaire aux morts étranges, Volnay est un enquêteur déjà expérimenté. Il est assisté par une sorte de moine hérétique qui n'est autre que son père. Près de la fillette étranglée, le duo repère les traces d'une messe noire ayant réuni trois hommes et deux femmes. L'autopsie réalisée par le moine montrera que la jeune victime a été droguée, mais qu'elle est restée vierge. Piètre consolation, et ça n'explique guère comment l'enfant a été mêlée à une messe satanique.
Sartine suit de près l'enquête de Volnay. Il lui impose une femme masquée, surnommée Hélène de Troie, en laquelle le commissaire n'a pas confiance. Par contre, le moine ne paraît pas insensible au charme de l'espionne de Sartine. Certaines rues de Paris grouillent de nécromanciens, vendant de la sorcellerie sous toutes ses formes. Le moine y a gardé des contacts. La fillette est identifiée. Fille de M.Marly, astrologue, elle se prénommait Sophia. À part un chien crasseux, elle ne fréquentait pas grand monde. Elle fut impliquée dans une altercation avec un voisin, au sujet de ce chien. Cet animal suit aujourd'hui Volnay, avant que le moine ne le recueille chez lui. Une équipée nocturne amène le duo à croiser des déterreurs de cadavres, avant d'être pourchassés par des malfaisants, peut-être satanistes...
Après “Casanova et la femme sans visage” (déjà disponible chez Babel Noir), une affaire aussi troublante qu'énigmatique pour Volnay, commissaire aux morts étranges. Les pratiques de sorcellerie étaient très présentes dans le quotidien du 18e siècle. Simples amulettes ou appel à de prétendus magnétiseurs, c'était un commerce florissant, mais ordinaire. Le cas des messes noires, rituels macabres inversant les cérémonies chrétiennes, fut sans doute plus exceptionnel. L'ambiance de cette époque est restituée d'une belle façon imagée. On a plaisir à suivre Volnay, le moine et Hélène dans les sombres cimetières ou les ruelles mal famées de Paris. On sent aussi le poids des suspicieuses hautes sphères d'alors, via le personnage de Sartine. Érudit adepte des Lumières, préconisant l'utilisation des empreintes digitales et ayant compris l'importance de l'inconscient, le curieux moine vole presque la vedette à Volnay.