Baptiste Chauvalet est un quadragénaire à l'allure sportive, aux yeux bleus, à la chevelure commençant à grisonner. Voilà plusieurs années qu'il est dessinateur judiciaire, illustrateur de procès. Baptiste est marié Julie. Ils sont les parents du petit Léo, dans ses sept ans. Du moins était-ce la vie de cet homme, avant que n'arrive le drame. Un jour, Baptiste est en retard, de sa propre faute, pour venir chercher Léo à l'école. Court laps de temps durant lequel l'enfant disparaît. Très vite, on se mobilise pour le retrouver, en vain. L'entourage de Baptiste subit les conséquences immédiates de la disparition, chacun perdant pied. Lui, il continue à chercher des pistes, à relancer la police. Bientôt, Baptiste se sent seul face à l'adversité. C'est grâce à une part de hasard qu'il retrouve Léo en piteux état. La police le suspecte d'avoir enlevé et maltraité son fils, car il y a des précédents.
Baptiste finit par retrouver le véritable kidnappeur. Il commet l'erreur de le tuer. Il ne peut rien nier. Vengeance avec préméditation, c'est sur ces bases que s'est déroulé son procès aux assises. La justice s'en tient froidement aux faits, clairement établis. “Pas d'émotion messieurs mesdames ! Surtout pas de grain de sable sentimental, les juges sont là pour appliquer la loi. Mais moi je suis là pour sauver ma peau, madame la présidente, pour faire comprendre aux jurés notre drame à Léo et à moi.” Le trio de juges plus les six jurés, cinq femmes et un homme, qu'il faut convaincre d'une certaine bonne foi. D'autant que Baptiste lui-même a toujours été hostile à la peine de mort. Or, il s'est permis de tuer, une ambiguïté qui ne plaide pas en sa faveur. Baptiste peut-il espérer la clémence d'un jury qui se compose en majorité de femmes ? Rien n'est écrit d'avance.
Les jurés délibèrent longuement, ce qui permet à Baptiste de se souvenir de tout ce qu'il a vécu. Les tribunaux, il les a beaucoup fréquentés pour son métier. D'Antonio Ferrara à Maurice Agnelet, en passant par Florence Rey ou Jacques Viguier, et tant d'autres. Il est à leur place, celle de l'accusé déjà coupable, déjà exclu de la société. Car le fait d'avoir eu plusieurs amantes ne peut certes pas l'aider. Aussi faux soit-il, le témoignage d'un ami du kidnappeur présent lors du meurtre reste accablant. Et le comité d'excités qui, à l'extérieur du tribunal prétend le soutenir, ça fait également mauvaise impression. Après l'expérience oppressante de la prison préventive, c'est d'une longue peine dont Baptiste risque d'écoper maintenant. Son sort ne lui appartient plus...
Christian Bindner a été chroniqueur judiciaire, relatant de grands procès d'assises pour la radio. Ce qui explique que ce premier roman n'évoque pas seulement le cas d'un homme qui a supprimé le kidnappeur de son jeune fils. C'est aussi un regard sur l'ensemble de la justice, alimenté par l'expérience de l'auteur. Le rôle de la présidente du tribunal, inflexible quant à son autorité. Celui de l'avocat général, avec un petit hommage mérité à Philippe Bilger. Celui des divers intervenants, dont les psys et les familles. On nous offre un rappel de quelques célèbres affaires, dont Jean-Marie Villemin meurtrier de Bernard Laroche, ou la repentance philosophique de François Besse. Véronique Courjault qui, comme toujours, bénéficie ici d'une regrettable complaisance, les médias ayant plaidé en sa faveur.
Équitablement, l'auteur souligne l'éternelle interrogation de notre époque, concernant la victimisation tous azimuts. Au moindre incident, chacun se proclame victime, se lamentant publiquement. S'agissant d'une affaire criminelle, même si le mort fut un sombre pervers, l'avocat de la partie civile attaque avec une exaltation qui peut s'avérer convaincante. Du côté de l'accusé, puisque c'est lui le narrateur, on se pose aussi en victime, au nom du petit Léo. Il est bon de s'interroger sur la valeur argumentaire autour de cette notion si galvaudée, souvent privée de tout sens. Ça fait partie des questions soulevées par chaque procès, évidemment. La justice reste un sujet très sensible, la plupart des gens estimant qu'elle est mal rendue. C'est une sorte d'exploration “de l'intérieur”, une fiction permettant d'approcher la réalité, que propose Christian Bindner. À chacun d'affiner sa réflexion.