Quand on est un lecteur intensif, lisant jusqu'à trois livres par semaine, il peut arriver que l'on se trompe. Pas tant sur la qualité d'un roman. En général, on sent très rapidement ce qui fait la force d'un texte, son originalité ou bien sa solidité. Et puis, les vraies daubes sont heureusement fort rares. Par contre, c'est sur l'auteur lui-même qu'on s'illusionne quelque peu, parfois. On se dit qu'il possède un beau potentiel, voire déjà une maturité d'écriture, qu'il sera en mesure d'exploiter dans ses futurs romans. Hélas, soit parce qu'il tient à garder un certain dilettantisme amateur, soit parce qu'il n'est pas en mesure de poursuivre – faute d'inspiration ou de méthode, l'auteur déçoit. Le lecteur intensif s'en veut, de temps à autre, de lui avoir accordé sa confiance.
C'est l'inverse qui s'est produit avec l'excellent Janis Otsiemi. Dès ses débuts, cet auteur gabonais affichait non seulement un grand potentiel, mais une réelle volonté de continuer. Janis a voulu parler du Gabon, à travers le polar. C'est un genre apprécié dans son pays, où il est souvent compliqué pour la population de se procurer des romans. L'éditeur Jimmy Gallier a vite compris les ressources de cet auteur, n'hésitant pas à le soutenir en publiant “La vie est un sale boulot”, “La bouche qui mange ne parle pas”, puis “Le chasseur de lucioles” avant “African Tabloïd”. Les médias nationaux ont fini par découvrir à leur tour le talent de Janis. Sa créativité linguistique, car le langage fleuri ne manque pas d'attrait, mais aussi les qualités de ses intrigues gabonaises.
Être publié en poche, c'est une nouvelle consécration méritée pour Janis Otsiemi. D'autant que ce polar est encore plus corsé que les précédents. Croisant plusieurs niveaux d’intrigues, il gagne en densité. Les portraits sont affinés, eux aussi. On différencie par exemple un truand sans règles, et ses complices agissant par besoin financier. Côté flics, même présentation nuancée. Tout cela permet à l’auteur de nous raconter en finesse le contexte criminel de son pays. Et de souligner que Libreville est très cosmopolite, avec des gens venus de divers pays africains.
Outre l’aspect purement policier, en témoigne la question du SIDA, c’est un roman comportant une bonne part de chronique sociale. Et puis, il y a toujours ce délicieux langage (un deuxième-bureau, c'est la femme clandestine d'un mari; la rompée, c'est la fin de la journée de travail; partager la bouche d’un autre, c’est être du même avis; le bouya-bouya, ce sont les embrouilles). Ce qui ajoute une belle authenticité à l’histoire, bien sûr. Chaque chapitre est même assorti de proverbes locaux. Janis Otisemi nous offre ici un sacré voyage à Libreville !
Dans la capitale gabonaise, il y a des flics consciencieux tels Boukinda et Evame, de la Direction Générale des Recherches. Et d’autres comme Koumba et Owoula, toujours prêts à accepter un bakchich pour fermer les yeux, qui fréquentent assidûment les bordels locaux. Joseph Obiang ne devait pas être un flic tellement honnête non plus, lui qui fut mêlé à la disparition d’armes à feu. On a trouvé son cadavre sur la plage du Tropicana. Boukinda et son collègue enquêtent, tout en sachant qu’ils ont peu de chance d’attraper celui qui a abattu ce Obiang.
À Libreville, il y a toutes sortes de bandes, souvent des malfrats d’occasion. C’est le cas de Marco, qui ne gagne guère sa vie en balayant les rues. Quand Bosco lui propose un braquage, avec le garagiste Tom pour complice, Marco hésite car c’est un coup préparé par Sisco. C’est un caïd douteux, que l’on surnomme Lucky Luke, l’homme qui se tire avec le pognon plus vite que son ombre. Et Sisco a été mêlé à de sales affaires, où il y a eu des morts. D’ailleurs, il se garde bien de dire d’où viennent les armes à feu qui serviront au braquage. Marco et ses amis se laissent tenter. Ils peuvent penser qu’ils ont eu raison, car il n’y a pas eu de victimes et le butin se chiffre en millions. L’opération agite quand même les polices de la ville, alors il est préférable qu’ils restent très prudents.
Des prostituées ont été martyrisées et tuées dans des chambres miteuses au motel Le Labyrinthe ou au motel La Semence. Même s’il garde un œil sur le spectaculaire braquage, c’est une enquête pour le flic véreux Koumba. Une bonne occasion de faire raquer les responsables de motels, afin de leur éviter des poursuites. De leur côté, Boukinda et Evame font bientôt le lien entre le meurtre de Obiang et le braquage fructueux. Grâce à leur ami journaliste Gaspard Mondjo, aussi bien informé que la police, ils sont sur les traces de Sisco. Au sein de la bande, la tension monte vite entre Sisco et Marco...