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12 février 2015 4 12 /02 /février /2015 05:55

Recueil de nouvelles de Marc Villard, en majorité inédites.

"Le dernier combat" – Précaire, la vie d'Hakim Kosta, de sa femme Nina et de leur fillette de trois ans, dans ce coin de Belgique. Hakim est un boxeur de quartier, sans gloire. Nina chante dans des bars, selon la générosité de quelques clients. Elle possède une vraie voix, et s'accompagne à la guitare. Mais leur avenir est plus terre-à-terre que leurs espoirs.

"Mama-San" – À Bruxelles, Daniel et deux amis forment un groupe musical qui s'inspire de Crosby, Still, Nash & Young. Ils ont décroché un contrat à Ostende, pour une soirée au club Mama-San. C'est un tout autre genre de contrat que M.Vorenkamp propose à Daniel. Le comptable Benitez s'est mal comporté. Il faut sévir avant qu'il quitte la capitale belge.

"L'harmonica" – À Saint-Quentin, Paul Declerck est un VRP en électroménager et un virtuose de l'harmonica. Divorcé de Sylvia, il est aussi le père du petit Gérôme. Même à bord d'une Cadillac bleu lagon, les balades trop rares avec son fils s'avèrent déprimantes, sujettes à boire quelques verres de trop. Quant à imaginer un hypothétique départ, est-ce illusoire ?

"Hallucinex" – Elle est mal dans sa tête et dans sa vie, Brigitte. Ce n'était pas le chanteur Alan qui pouvait lui apporter un quelconque équilibre, ni une réponse aux médicaments dont elle abusait. Fuir une clinique psy pour se retrouver sur le trottoir parisien n'était pas de nature à l'aider, non plus. Il n'y aurait qu'un repos forcé qui puisse la soulager.

"Le stade Jean Carillon" – C'est dans ce modeste stade de Lamberville que s'entraînent Fabien et ses copains d'une douzaine d'années. Avec les frères Masnaghetti, des graines de pros, peut-être ? Âgé de dix-huit ans, Freddy traîne souvent dans le tribunes, chantonnant des standards du rock. Sa disparition va finir par perturber la vie de Fabien.

"La rivière argentée" – C'est dans un décor forestier que le jeune Belge Alex, ouvrier pour l'été dans une scierie, et la belle Eva, dix-sept ans, se sentent mutuellement attirés. Ensemble, ils chantent le répertoire emprunté aux Everly Brothers, et font de promenades en barque. Alex compte suivre des études de cinéma, tandis qu'Eva espère poursuivre dans la musique.

"Le voyageur immobile" – Thierry est originaire de Roubaix. Pas vraiment majeur, il squatte dans la Gare du Nord avec sa copine d'infortune Stella. Tous deux se prostituent afin de s'offrir quand c'est possible une modeste chambre d'hôtel, pour un peu d'hygiène. Un jeu sale qui peut devenir dangereux. Car ils ne sont pas les seuls déclassés à rôder dans cette gare, à hanter les wagons vides isolés.

Marc Villard : Harmonicas et chiens fous (Cohen & Cohen Éd., 2015)

"Né dans le bayou" – Natif de la région de Lafayette, en Louisiane, Tim a trouvé l'occasion d'étudier le français en Europe. Très habile joueur d'accordéon sudiste, il se produit dans des animations "square dance" en pays wallon. De la country pour des cow-boys de pacotille. Sur leurs motos, certains d'entre eux apparaissent menaçants, quand même. Jusqu'à se croire des héritiers du Klan et de ses méthodes ? Tim se demande s'il faut les dénoncer ou rester prudent.

"Jaurès-Stalingrad" – Employé des Assurances réunies, Martin est surtout un passionné de musique. Un vendeur de partitions rares, inédites, lui a fixé rendez-vous dans le métro parisien. Le nommé Silver n'est pas venu, cas de force majeure. Néanmoins, Martin va réussir à s'emparer desdites partitions. Tant pis s'il faut supprimer l'intermédiaire.

"Beauduc" – Le parcours d'Ulrike, trente-six ans, a été chaotique depuis son Allemagne natale jusqu'à cette plage de Beauduc. Sans doute était-ce une chanteuse possédant un certain talent. Maintenant, elle vit avec sa fille dans son bus échoué là, non loin d'autres marginaux. Nina, sa fille de dix ans, semble avoir disparu. Elle ne doit pas trop compter sur la solidarité de ses voisins, passifs de nature.

La réputation de Marc Villard n'est plus à faire : c'est un maestro de la nouvelle, un prince du texte court. Tel un rockeur inspiré donnant le maximum dans chacun des morceaux qu'il a créé et qu'il interprète, il nous entraîne sur les pas de ses personnages. Des anti-héros ? La formule serait trop facile, et inexacte. Ce sont des “esquintés”, malmenés par leurs choix personnels de vie, où parce que le hasard néfaste s'en mêle. Ça s'arrangera ou bien ça empirera pour eux ? Allez savoir ! Ils ont perdu leur capacité de résilience, mais subsiste peut-être une lueur en eux. À part sur la plage de Beauduc, près de l'Etang du Vaccarès, c'est par temps de grisaille en Belgique et dans le Nord de la France que nous fait cette fois voyager Marc Villard. Des nouvelles à savourer !

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10 février 2015 2 10 /02 /février /2015 16:20

Pour la 44e année, le Prix Mystère de la Critique a désigné ses vainqueurs 2015, auteur français et auteur étranger. Le jury était composé de : Mmes Christine Ferniot Jeanne Guyon, Corinne Naidet, Marie-Caroline Aubert, Catherine Fruchon-Toussaint, Cécile Lecoultre, Alexandra Schwartzbrod - et MM. Jean-Claude Alizet, Olivier Ancel Jean-Baptiste Baronian, Philippe Blanchet, Bernard Chappuis, Dominique Choquet, Bruno Corty, Bernard Daguerre, Hervé Delouche, Jean-Pierre Dionnet, Christophe Dupuis, François Guérif, Jean-Paul Guéry, Jean-Marc Laherrère, Pierre Lebedel, Claude Le Nocher, Paul Maugendre, Gérard Meudal, Yann Plougastel, Alain Regnault,  Georges Rieben, Samuel Schwiegelhofer, Jean-Louis Touchant, Julien Védrenne et Jean-Claude Zylbertstein.

Prix Mystère de la Critique 2015 :

Nicolas MATHIEU – Aux Animaux, la guerre (Actes Sud)

Prix Mystère 2015 du meilleur roman étranger :

Shannon BURKE –« 911 » (Sonatine)

Prix Mystère de la critique 2015 : les vainqueurs !
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10 février 2015 2 10 /02 /février /2015 05:55

À Bucarest (Roumanie), Andreï Mladin est un journaliste âgé de vingt-sept ans vivant avec son chat Mécène. Mal réveillé ce jour-là, il découvre un corps étalé au milieu de ses livres, tué à coups d'haltères. Il se souvient mal de la soirée de la veille. Le plus urgent reste de faire disparaître le cadavre, sans que sa curieuse voisine Madame Margareta s'interpose. Après avoir caché le mort à la cave, il nettoie son appartement…

Tout a commencé par l'interview de la jeune et belle violoniste Mihaela Comnoiu. Coup de foudre entre le journaliste et la virtuose. Certes, le père de la jeune femme, le Dr Paul Comnoiu se montre plutôt méprisant envers Andreï Mladin. Et le journaliste peut craindre que des rivaux, tel l'acteur beau-gosse Marian Sulcer, entravent leur idylle. Pourtant, l'enjôleuse Mihaela apparaît vraiment amoureuse de lui. Le journaliste reçoit des lettres de menaces, avant d'être agressé dans la rue. Puis au téléphone, des gens semblent prêts à payer cher pour qu'il cesse sa relation avec Mihaela.

Le cadavre est celui du vieux Valentin Meranu, qui est au service de la famille Comnoiu. La veille, lors d'une soirée chez le père de Mihaela, on a cru Andreï Mladin ivre parce qu'il était victime d'un malaise. Valentin et l'acteur Marian Sulcer l'ont raccompagné chez lui. Il semble que Sulcer ne soit pas monté à l'appartement du journaliste. Si l'acteur a un alibi, celui-ci est bientôt informé par sa concierge. Le Dr Paul Comnoiu n'apprécie guère quand le journaliste l'interroge sur son emploi du temps de la nuit en question. Et, inquiète pour le vieux Valentin, Mihaela lui reproche son comportement d'alcoolique.

Une inondation a envahi la cave de l'immeuble d'Andreï Mladin. Le corps de Valentin ne s'y trouve plus, on l'a ramené à l'appartement. Le journaliste s'arrange pour s'en débarrasser, malgré sa voisine curieuse, Madame Margareta. Dès le lendemain, la police découvre le cadavre sur un terrain vague voisin. Andreï Mladin poursuit son enquête, sur la piste d'une Ford Capri rouge. S'ensuivent de multiples péripéties, indiquant qu'il est personnellement visé par une complexe machination. Les bienveillants policiers Buduru et Pahonţu vont discrètement suivre l'affaire, et ne seront pas loin pour arrêter les coupables…

George Arion : Qui veut la peau d’Andreï Mladin ? (Genèse Éd., 2015) — Coup de cœur —

Préfacée par Claude Mesplède, cette excellente comédie policière nous est racontée par le héros, Andreï Mladin, ce qui donne comme toujours une belle vivacité à l'histoire. D'autant que les chapitres courts relancent le récit. Parmi les éléments souriants, il utilise de nombreuses fois l'expression “fin de citation” après avoir évoqué des paroles venues de son grand-père, par exemple. On nous l'explique : “Pendant le régime autoritaire, l’expression «fin de citation» était employée par tout orateur reprenant les propos du Conducator. La redondance de cette rhétorique est bien entendu tournée ici en dérision par l’auteur.”

Car c'est bien dans la Roumanie du temps de Nicolae Ceaușescu, que se déroule cette affaire. On le constate aussi par certains détails : la nourriture provient des pays frères et amis : “En route vers mon appartement, je prends mon courage à deux mains et entre dans un magasin pour y faire quelques courses : une boîte de haricots chinois, un pot de poivrons bulgares, une boîte de sardines soviétiques et une bouteille de vin albanais...”

Un petit journaliste face à la bourgeoisie communiste, telle est la place d'Andreï Mladin : “– J’ai élevé Mihaela loin de toute vulgarité. Je lui ai appris à résister, à ne pas être engloutie par l’anonymat, à monter aussi haut possible, parmi les élus, les génies. Ce sont eux les véritables maîtres du monde (…) Toi aussi, tu as voulu rejoindre cette sphère, Mladin ! En vain ! Il est impossible à un vagabond de prendre la place d’un roi ! Tu auras beau porter les vêtements les plus élégants, fréquenter les salons les plus huppés, tu resteras un insecte rampant qui n’habitera jamais qu’une grotte sordide.”

Entre cadavre encombrant et innocent persécuté, l'histoire est racontée avec une bonne part d'humour. C'est ainsi que George Arion s'inscrit dans la meilleure tradition du polar. On a hâte de lire d'autres romans de cet auteur.

 

- Disponible dès le 13 février 2015 -

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9 février 2015 1 09 /02 /février /2015 05:55

Élève au collège Valdelosa, Soledad est âgée de douze ans. Une sortie scolaire conduit sa classe, sous la surveillance de sœur Esther, dans un ermitage à l'allure sinistre. Se sentant la trente-septième sur les trente-six enfants présents, Soledad s'imagine volontiers tel un fantôme. Elle s'éclipse du groupe, passe une porte, emprunte un escalier tortueux, arrive jusqu'à une pièce secrète et exiguë. Quatre étranges personnes sont réunies là assises, deux hommes et deux femmes. Soledad est acceptée comme témoin, tandis que chacun d'eux narre des histoires insolites.

C'est l'irritable M.Formes qui commence avec deux récits. Le premier raconte le cas de Gertrude Webber, une dame qui se pensait investie de l'esprit de Marie Curie. Cette dame consultait un psychanalyste de renom, Alfred Dobbin, qu'elle entraîna dans sa croisade contre une force qu'elle estimait maléfique. Le chaos qui s'ensuivit leur fit rencontrer l'Être qu'ils pourchassaient. Mais qu'ils ne pouvaient détruire, car il faisait partie de la nature. Dans le second récit, M.Formes évoque ses recherches archéologiques en Méditerranée avec le riche Grigori Fasev. Vénus ou Aphrodite, Astarté, Ishtar, Astaroth, le mythe de la beauté absolue les fascinait. Si M.Formes trouva un idéal en la personne de la belle Sophia, Grigori découvrit un vestige qu'il associa à la naissance de Vénus. Drôles ou émouvants, Soledad n'est pas sûre d'avoir compris ces deux contes.

Puis, c'est Mme Lefo qui entame une troisième histoire. Dans une soirée mondaine parisienne, entre art et orgie, on pouvait alors croiser un certain Roberto Lupino. Ce facétieux dandy avait un jeu favori, voler les petites culottes des dames dans les toilettes. Ce qui eut pour conséquence de causer la fureur de Mme Katharina Karsova. En effet, cette simple culotte cachait des secrets. Quand elle voulut la récupérer, le farfelu Lupino trouva l'occasion d'un chantage d'une perversité très particulière. Mme Lefo raconte encore l'histoire du jeune Lustucru, seize ans, adolescent sympathique mais un brin arriéré, vivant dans un petit village. Il semble être tombé amoureux d'une photo, celle de Jennifer Budoski, que l'on suppose être une star de Hollywood. Le pauvre est poursuivi dans ses rêves par cette obsession, qui finit par toucher toute la famille.

Ces deux contes ont-ils un point commun, Soledad n'en est pas sûre. C'est maintenant au tour de M.l’Évêque de Godorna de détailler une soirée entre actionnaires d'une florissante entreprise, à laquelle ce prélat fut convié. L'idée d'abandonner leur fortune pourrait-elle les effleurer un instant ? Ou restent-ils férocement jouisseurs ?… L’Évêque raconte aussi l'exotique aventure de Frances Fresh, américaine de treize ans. Puis vient la dame en blanc, Mme Win ou Mme Güín, qui narre ses propres contes. La pure Soledad pourra-t-elle le moment venu franchir le pas, et raconter aussi une histoire quelque peu malsaine ?…

José Carlos Somoza : Tétraméron (Actes Sud, 2015)

Il ne s'agit ni d'un polar, ni d'un roman noir. L'auteur reprend le principe du “Décaméron” de Boccace, célèbre œuvre allégorique présentant des récits de débauche entre érotisme et drame. Dans une ambiance énigmatique, face à une ado, quatre protagonistes narrent des scènes déroutantes. À son âge, Soledad est sensible aux contes, s'avouant que “dans un conte, je suis qui je veux.” Faut-il tirer une leçon, une morale, de ces récits ? Ce serait comme créer son propre labyrinthe, dans lequel on risque fort de se perdre : “De son point de vue, chercher des explications aux contes est une autre énigme en soi. Elle s'est creusée la cervelle avec les histoires, elle s'en aperçoit maintenant et se trouve ridicule. "Nous créons parfois nous-mêmes les problèmes que nous tentons de résoudre", se rappelle-t-elle...”

En effet, chacun peut interpréter une anecdote, un récit authentique ou plus fantasmé, à sa manière. En tirer expérience à long terme, ou se contenter de sa réaction instinctive. Il y a quelque chose d'hallucinatoire, d'onirique, d'outré, dans tous les contes. On verra ici qu'un second récit peut s'insérer au milieu d'une histoire. La lecture permet d'exciter notre imagination, d'illustrer la fiction par nos images personnelles, d'éprouver des émotions. Le jeu, non dénué de philosophie, que propose José Carlos Somoza est bien celui-là. Qu'il soit sous doute un peu complexe n'empêche nullement d'y adhérer, avec un certain plaisir.

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7 février 2015 6 07 /02 /février /2015 17:37
Charlie, un mois plus tard...
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7 février 2015 6 07 /02 /février /2015 05:55

Ce livre recense d'abord quatre affaires criminelles s'étant déroulées à New York, autant de cas fort différents. Ayant comme décor le quartier du Queens, “Pour l'amour d'une femme” remonte à l'année 1927. Ruth et Albert Snyder sont mariés, mais les querelles sont permanentes dans le couple car ils ont des caractères très différents. Quand elle fait la connaissance de Judd Cray, marié de son côté, Ruth Snyder devient sa maîtresse. Elle ne tarde pas à imaginer des projets de meurtre, avec des débuts de passage à l'acte. Elle finit par souscrire des assurances-vie, qu'elle fait frauduleusement signer à son mari. À la première date prévue pour supprimer Albert Snyder, Ruth n'a pas réussi à lui faire avaler du produit pour l'endormir. C'est un samedi soir, au retour d'une fête chez des amis, que le mari devra être supprimé par le couple d'amants. Si tout est prêt, Judd Cray n'a sans doute pas le sang-froid nécessaire pour opérer proprement.

C'est en 1940-41 que “Le fou à la bombe” commença à faire parler de lui à New York. Il se manifesta à plusieurs reprises, déposant des bombes artisanales dans des lieux publics. Il cessa ce petit jeu durant dix ans, avant de le reprendre en 1951. Sa dix-septième bombe explosa en mars 1954 dans les toilettes pour hommes de la gare de Grand Central. Puis il y en eut une autre au Radio City Music Hall, causant à chaque fois des blessés légers. En février 1956, il recommença à la gare de Pennsylvanie, puis en fin d'année dans un grand cinéma new-yorkais et en d'autres lieux. La police n'était pas inactive depuis ses premiers méfaits. Grâce à ses écrits, on savait où il postait ses lettres, on supposait qu'il avait été employé de la Consolidated Edison. Plusieurs pistes furent explorées, plusieurs suspects arrêtés. Les comparaisons d'écritures aidèrent peu les enquêteurs. L'affaire virait à la paranoïa dans la population. L'homme fut identifié fin janvier 1957.

Paru en 2012 chez Actes Noirs, le remarquable roman “De bons voisins” de Ryan David Jahn s'inspire de l'affaire intitulée ici “Les trente-huit assassins de Kitty Genovese”. En mars 1964, Kitty est une jeune femme de vingt-huit ans. Cette rousse serveuse rentre généralement chez elle tard dans la nuit. Elle habite le tranquille quartier de Kew Gardens, logeant dans un coquet immeuble double. À trois heures-vingt du matin, à peine sortie de sa voiture, Kitty est poignardée à plusieurs reprises par un agresseur. Elle appelle à l'aide, sans réaction du voisinage. Le tueur revient lui asséner des coups de couteau. Kitty se traîne vers son immeuble, alertant encore faiblement les voisins. Ils sont quelques-uns à l'avoir entendue, mais quasiment aucun n'est intervenu. Kitty est décédée, les secours arrivant trop tard. Face à ce cruel manque de civisme, une campagne tenta se sensibiliser les habitants. Mais le quartier ne voulait déjà plus entendre parler de l'affaire.

Dans “Je l'ai tuée, pardonnez-moi”, le procès d'Alice Crimmins s'est tenu en 1969, pour un odieux double crime commis trois ans plus tôt. Elle était alors séparée depuis un an et demi de son mari Edmund Crimmins, qui avait entamé une procédure pour avoir la garde de ses enfants en bas âge. Il est vrai qu'Alice était une femme dénuée de moralité, qui collectionnait les amants. Elle savait aussi séduire, et même fasciner, des hommes tels que Joseph Rorech. Lui parla-t-elle vraiment du projet d'assassiner ses enfants ? Peut-être par allusion. Quand on retrouva les corps de sa fille et de son fils, les explications d'Alice furent embrouillées, peu plausibles. D'autant que la voisine, Sophie Earomirski, fut témoin d'une partie des faits, cette nuit-là. L'autopsie ne donnait que des réponses imprécises, ce dont se servit la défense d'Alice. Certes, on n'était pas là pour juger la réputation de cette femme, mais cela pesait lourdement sur le dossier.

J.Craig & R.Posner : New York crime blues (Série Noire, 1973)

La deuxième partie du livre traite de la mafia new-yorkaise, retraçant plusieurs épisodes de la vie de Vito Genovese (1897-1968). Dans son célèbre roman “Le parrain”, Mario Puzo s'inspira largement du personnage, avant qu'il soit incarné au cinéma par Marlon Brando. Il est aussi le héros du film “Cosa Nostra” de Terence Young (1972). “À sa mort, Genovese était le chef de Mafia de New York, position qu'il avait obtenue au prix d'un dur labeur...” Si, sur la fin de sa vie, il se comportait avec bonhomie, ce gangster restait quand même le successeur de Lucky Luciano. Après avoir écarté sans états d'âme d'autres caïds concurrents, Vito Genovese est un “capo di tutti capi” fort contesté. Même lorsqu'il est emprisonné, il reste toutefois le Boss. Avec lui, le bizness fructueux et le crime sanglant vont de pair. À New York, l'emprise de la Mafia ne faiblit pas à cette époque, rendant la violence omniprésente.

Ce “New York crime blues” fait suite à un premier tome, “Le bled aux méchants”, traitant de l'histoire du crime à New York dans l'Entre-deux-guerres. Second titre où Jonathan Craig et Richard Posner évoquent de façon vivante la mafia contemporaine d'alors. Ainsi que ces quatre dossiers criminels plutôt singuliers, typiquement américains pourrait-on dire car ils eurent peu d'écho ailleurs. C'est un des rares cas où la Série Noire publia des livres qui n'étaient pas des fictions. Mais leur parenté avec le roman noir est indéniable.

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6 février 2015 5 06 /02 /février /2015 05:55

Elspeth Howell vient de passer quatre mois en ville, exerçant son métier de sage-femme. En ce neigeux hiver 1897, elle rentre dans sa ferme isolée du nord de l’État de New York. Son mari Jora et leurs enfants (Mary, Emma, Jesse et Amos) ont été massacrés. Cinq ou six jours plus tôt, trois hommes portant des foulards rouges ont débarqué ici, tuant sans pitié toute la famille. Sauf Caleb, douze ans, fils solitaire des Howell. Il a tout vu depuis le fenil, dans la grange où il passait son temps. Bien que possédant un fusil Ithaca, il n'a pas pu intervenir. Sans le vouloir, Caleb blesse sérieusement sa mère à son arrivée. Fiévreuse, Elspeth reste semi-inconsciente durant plusieurs jours. Son esprit lui restitue des images de leur vie passée, entre la pieuse dureté de Jora et leur histoire familiale. C'est le feu qui va intégralement purifier le décor meurtrier. Caleb et sa mère se réfugient dans la grange.

Le garçon réfléchit à la suite : “Ils auraient besoin d'un plan, et pour la première de fois depuis le drame, il envisagea la possibilité d'un avenir. La seule chose qu'il révélerait à sa mère, c'est qu'il prévoyait de tuer ces hommes. Sans doute le voudrait-elle aussi.” Après quelques jours de répit, Elspeth affaiblie et Caleb partent à pied dans la neige et le brouillard. Un long chemin de croix dans les campagnes sans vie. Ils échouent finalement dans la maison d'un couple de vieux, William H.Wood et sa femme Margaret. Ceux-ci leur procurent chaleur et réconfort. Quatre jours plus tôt, le trio de tueurs a brutalisé William, dérobant ce qu'ils pouvaient. Ils sont partis en direction de Watersbridge. Elspeth connaît la ville, près du lac Erié, car c'est là que naquit Caleb. William et Margaret ne peuvent retenir la mère et son fils, pressés de rester sur les pas du trio criminel.

Tandis qu'ils se logent dans un hôtel, Caleb découvre la civilisation. Déguisée avec les vêtements de son défunt mari, Elspeth se voit offrir un job d'homme à la Compagnie des Grands Lacs. Un boulot difficile où elle fait équipe avec Charles Heather, au caractère plutôt bienveillant. Elle ne peut rien lui révéler dans l'immédiat. Caleb ayant entendu parler de la Taverne de l'Orme, un lieu mal famé, il a été engagé pour un petit job de service par le patron, London White. Il est convaincu que c'est là qu'il trouvera la trace des trois tueurs. Caleb s'est acheté un Colt, qui ne le quitte pas. À l'Orme, il croise des types comme Owen Trachte, qu'il sent animé d'une sourde colère, ou Martin Shane, un habitué paraissant énervé de nature. Mais il y a également la jeune Ellabelle, qui l'impressionne quelque peu. Tandis qu'Elspeth reste hantée par son passé, il n'est pas question pour Caleb de renoncer à sa vengeance…

James Scott : Retour à Watersbridge (Éd.Seuil, 2015)

À la toute fin du 19e siècle, l'Amérique reste largement un décor de western, la ruralité s'appliquant toujours à de petites villes comme Watersbridge. C'est une époque rude, où le confort reste relatif pour la population modeste, gens ordinaires menant une vie sans luxe, chacun défendant ses maigres biens ou sa tranquillité. Non sans utiliser des armes, au besoin. Des notables de la classe un peu plus aisée, tels ceux qui employèrent Elspeth Howell, il en existe. Ces conditions de vie engendrent une sélection naturelle au détriment des plus faibles, y compris des bébés. On se raccroche dans certains cas aux préceptes bibliques, comme le fit Jora Howell. Ou on traîne sa peine et ses secrets, telle Elspeth.

Ce que l'on retient en priorité, c'est l'écriture de James Scott, capable de faire passer cette âpreté de l'ambiance d'alors. Certes, il y a des règlements de comptes dans l'air. Au-delà de ça, c'est l'ensemble des rapports entre tous les protagonistes qui sont sous perpétuelle tension. Beaucoup de méfiance, assurément une dose de rancœur. Néanmoins, l'auteur parvient à nuancer, à travers des personnages plus modérés : William et Margaret Wood, le patron de l'hôtel Frank, l'ouvrier Charles Heather, et d'autres encore. Quelques lueurs humanistes percent dans toute cette noirceur.

Quant à l'intrigue, le massacre initial en est le moteur, bien sûr. Toutefois, c'est dans l'histoire d'Elspeth et de ses proches que l'affaire prend sa source. Bien que de style personnel, ce roman puissant n'est pas sans rappeler ceux de Ron Rash. C'est avec une très belle maîtrise que James Scott nous raconte ces destins tourmentés.

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4 février 2015 3 04 /02 /février /2015 05:55

Drôle d'expérience d'être une pute bon marché au club Gran Madam's, côté espagnol de la frontière, à La Jonquera. Ex-étudiante, Virginie Lupesco devenue Bégonia Mars, “apprécie” les plaisirs du job. Y a qu'à se faire secouer dans tous les sens par une succession de clients, qui paient via une sorte de parcmètre. Pour le reste, Ludovic le Boss s'occupe de tout : lui tirer son fric, lui claquer des baffes, ingurgiter des chocolats et picoler. Et puis organiser un mauvais coup avec son assistant le Chinois et elle : buter salement le Catalan, patron du club où elle est employée. Dès le lendemain, le trio s'offre une virée côté France sous la chaleur de l'été, avec le chien de Bégonia, dans la Dacia pourrie du Boss conduite par le Chinois. Pinard à volonté pour un pique-nique en bord de mer près de Leucate, sur une plage polluée où la baignade est interdite. L'ombre du Catalan plane encore sur eux.

Le hasard fait qu'ils embarquent une gamine d'une douzaine d'années, Marielle, traînant dans les dunes. Elle a tendance à l'embonpoint, la petite. Quand elle a envie de voir les lions au zoo de Sigean, Ludovic le Boss est d'accord pour cette balade chez les fauves. Il n'empêche qu'une mineure, ça peut finir par attirer les embrouilles avec les flics. Ramener Marielle à ses parents, Jean-Louis et Sylvie, couple de garagistes à Capendu, un village du coin ? Bien que la fillette fugueuse ait disparu depuis plusieurs jours, ils ont l'air modérément perturbés, ces deux-là. Ce n'est pas sa première fugue, il est vrai. Quand même, ils sont très heureux que Marielle soit retrouvée, et invitent le trio à rester. Le Chinois étant tombé malade, ils sont obligés de prolonger leur séjour. L'occasion pour Bégonia Mars de se remémorer son parcours du Puy-de-Dôme jusqu'à la prostitution.

La jeune femme s'entend bien avec Marielle, qu'elle a envie de protéger. Surtout, Bégonia est très attirée par Ali Talib, le beau gardien de nuit de la station. Ludovic le Boss ne parle plus de ses projets parisiens. Globalement, une agréable pause vacances, dans la bonne humeur. Tandis que le farniente s'éternise à Capendu sous la canicule, les habitants du village masquent mal une certaine désapprobation envers le trio, suspect à leurs yeux. Le Chinois, issu d'un étonnant métissage, les intrigue sûrement. Par ailleurs, il y a la famille de Sylvie, au sujet de laquelle Bégonia ressent un malaise certain. Faut-il protéger Marielle contre tout cet environnement, finalement pas si calme, avec ses secrets et sa nervosité ? Quand les gens du village lancent les hostilités, il est temps pour le trio de réagir…

Anne Bourrel : Gran Madam's (La Manufacture de Livres, 2015)

Cet excellent roman s'inscrit dans la lignée de ce que l'on appela le “néo-polar” voilà une trentaine d'années. On y mêlait réalisme et marginalité, la narration fluide compensant un climat tendu. À l'époque, il eût trouvé sa place aux côtés de ceux de Pierre Pelot, Thierry Jonquet, Michel Quint, et autres ténors de la collection Engrenage du Fleuve Noir. Par son écriture vive et inspirée, l'auteure réussit instantanément à nous fasciner. Sacré “tour de force”, car elle n'est pas la première à nous raconter les déboires d'une prostituée.

Cette jeune femme acceptant le sexe tarifé à la chaîne, assumant sa soumission à un proxénète, on n'a vraiment aucune raison de la trouver émouvante. Probablement est-ce sa franchise qui la rend bien plus sympathique. Par exemple, elle n'a pas l'hypocrisie de se dire escort-girl, qualificatif plus noble (mais c'est la même chose) que celui de pute. Elle ne nie pas que, en plusieurs occasions, elle pourrait certainement fuir cet univers malsain. Franche ou sincère, oui, mais pas peut-être pas complètement lucide.

Elle semble accro au dégoût, comme bon nombre de ces femmes, qui jureraient mordicus qu'elles sont libres de leur vie, heureuses. Elles sont au service de faux-caïds : “Ils se ressemblent tous : visages fermés, lunettes noires, costume chemise blanche, chapeau de cuir, ou survêt, médaille, casquette. Aucun ne révèle jamais son véritable nom. Ils s'entre-tuent et sont interchangeables.” Les maquereaux d'antan n'ont guère évolué, des gagne-petits qui se donnent des airs de chefs, de businessmen.

Anne Bourrel confronte son trio à un monde normal et quotidien, en apparence équilibré, mais peut-être pas tant. Sous le soleil du Languedoc-Roussillon, un noir polar de haute qualité, nettement plus sombre qu'il y paraît.

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Spécial Roland Sadaune

Roland Sadaune est romancier, peintre de talent, et un ami fidèle.

http://www.polaroland-sadaune.com/

ClaudeBySadauneClaude Le Nocher, by R.Sadaune

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