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23 avril 2015 4 23 /04 /avril /2015 04:55

Un quartier familial et tranquille dans une banlieue d'Île-de-France, où l'on trouve la rue Edmond-Petit, bordée de maisons jumelles. Au n°26, habitent Sylvain et Tiphaine Geniot, avec leur fils adoptif Milo. Le mari est architecte, l'épouse est horticultrice. Voilà quelques années, ils ont perdu leur enfant de six ans, Maxime. Aujourd'hui âgé de quinze ans, Milo était le fils de leurs voisins décédés. Ayant obtenu la tutelle, Tiphaine et Sylvain élèvent ce jeune garçon depuis huit ans. Milo se montre quelque peu rebelle, comme tous les ados. Tiphaine reste marqué par l'épisode dramatique qu'ils ont traversé. Au n°28, une nouvelle famille vient de s'installer, après le décès de la vieille dame qui y habitait.

D'origine marocaine, Nora Amrani est une jolie femme de quarante-quatre ans. Après une crise de couple apparaissant sans solution, Nora a fini par rompre avec son mari, Alexis Renard. Ce dernier est avocat, passionné par son métier. Ils ont deux enfants. L'aînée, Inès, a treize ans. Elle a hérité du charme de sa mère. Ce que ne tardera pas à remarquer son nouveau voisin, Milo. L'ado est assez maladroit avec elle, alors qu'Inès ne cache pas être attirée, elle aussi. Son petit frère de huit ans se prénomme Nassim. Nora a réussi à se faire embaucher comme assistante-maternelle à l'école des Colibris. Un travail aussi passionnant qu'exigeant, y compris sur la question des horaires.

De Nassim à Maxime, des prénoms ayant la même consonance. Pour Tiphaine, c'est très perturbant, au point qu'elle sent dans un premier temps un rejet envers le petit Nassim : “Tiphaine, quant à elle, réalisa avec angoisse qu'elle allait tout simplement être incapable de supporter la présence de cet enfant.” Néanmoins, elle sympathise bientôt avec Nora. La voisine ne pouvant compter sur son amie Mathilde pour garder son fils quand elle rentre plus tard de l'école, Tiphaine accepte de s'en charger. À plusieurs reprises, c'est chez Nora qu'elle assure la garde du gamin. Gagnant une relative complicité avec Nassim, Tiphaine ressent un certain apaisement par rapport au drame auquel elle fut confrontée.

Alexis Renard se souvient d'une précédente affaire impliquant les défunts habitants de ces maisons mitoyennes. Il a toujours cru en l'innocence de David Brunelle, son client. Le fait que Sylvain Geniot semble jouer au séducteur avec Nora incite l'avocat à se renseigner davantage. Au bureau d'état-civil, il parvient à glaner des infos qui lui confirment que tout ça n'est pas clair. Car le fils adoptif des Geniot est, donc, celui de son ex-client Brunelle et de sa femme Laetitia, tous deux morts. En persévérant, Alexis Renard risque de se mettre en danger. Ce n'est pas le tandem de flics ressemblant à Laurel et Hardy qui sauront éclaircir les choses, le concernant. Assez rapidement, la situation va s'envenimer entre Nora et la possessive Tiphaine. Jusqu'au jour où la police est appelée à intervenir…

Barbara Abel : Après la fin (Pocket, 2015)

On retrouve ici le contexte tourmenté de “Derrière la haine”. Il ne s'agit pas strictement d'une suite, puisque cette seconde histoire peut se lire sans connaître la première. L'auteure est habile à suggérer quelques points de repère suffisants, relatifs au titre précédent. Le talent de Barbara Abel consiste à nous présenter, dans leur quotidien, des personnages conformes à la réalité. Rien de spectaculaire ni de criminel ne devrait se produire. Sans doute, des maladresses relationnelles et des petits incidents de voisinage ne sont pas à exclure. Bien sûr, le traumatisme de Tiphaine n'a pas été effacé avec les années. Toute à sa nouvelle vie, Nora ne perçoit pas forcément les problèmes à venir.

L'attirance entre les deux ados devrait même être facteur de bons rapports entre les deux familles. Pourtant, la tension est perceptible, pour nous qui (comme la mère Bourgeon) sommes témoins des faits. Et des pensées de Tiphaine, en particulier. Maîtrisant de A à Z cette intrigue en apparence limpide mais bien plus perverse, Barbara Abel réussit à nous fasciner. Peut-être parce qu'elle nous donne l'impression que ça se passe tout à côté, chez nos propres voisins.

Un excellent suspense.

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21 avril 2015 2 21 /04 /avril /2015 04:55

Âgé de vingt-six ans, Patrick Cusimano vit à Ratchetsburgh, dans la banlieue de Pittsburgh (Pennsylvanie). Célibataire, il est employé de nuit dans une station-service. Il est amateur de films d'horreur et de hard rock métal. Il habite avec son frère Mike et sa petite amie Carolyn dans la maison de leur père. John Cusimano est en prison après avoir, en état d'ébriété avancé, heurté et tué un enfant dans un accident de voiture. La population ne cache pas son hostilité envers ses fils Patrick et Mike, qui ont tardivement alerté la police. Sur Internet, on réclame la vengeance aussi à leur encontre. Troublé après un choc avec un cerf, Patrick ne veut plus conduire. Laisser sa voiture garée devant chez les voisins ne va guère leur plaire. Par ailleurs, au hasard d'une absence de Mike, Caro couche avec Patrick. Pour ce dernier, si proche de son frère, difficile d'effacer cette trahison.

Jeff Elshere est pasteur d'une communauté catholique radicale. Son épouse et lui ont deux filles. L'aînée, Layla, est une lycéenne âgée de dix-sept ans. Elle doit son prénom à une chanson célèbre d'Eric Clapton, avant que ses parents n'adhèrent à la religion. Son look gothique, Layla l'a choisi depuis l'an dernier, après un problème au lycée, polémique dans laquelle son père joua un certain rôle. Depuis, elle joue les rebelles avec une bande d'amis provocateurs. Entrant au lycée, sa jeune sœur Verna subit les conséquences de la pagaille semée par Layla. L'anonymat, elle ne doit pas y compter. Un groupe d'élèves imbéciles la surnomme Vénérienne, en raison de son prénom curieux. Il n'y a que le jeune Jared qui lui montre un peu de sympathie en cours de dessin. Au fond, Verna admet que Layla n'a pas tort de la traiter de "zombie obéissante", conforme à l'attente de leurs parents.

Tandis que Verna suit Layla et sa bande d'amis marginaux, allant jusqu'à se teindre les cheveux à l'exemple de sa sœur, la gothique Layla a fait irruption dans la vie de Patrick. Elle vient l'asticoter à la station-service, le relance ensuite pour qu'ils sortent ensemble. Le jeune homme sait que neuf années de différence, Layla étant mineure, ça risque de poser un sévère problème. Caro commence à vraiment s'inquiéter des menaces contre les frères Cusimano. La maison est toujours au nom de leur père : certains vengeurs pourraient bien faire pression pour qu'elle soit vendue. Se marier avec Mike, mener leur vie ailleurs, Caro ne sait si ce serait mieux. Pour l'heure, afin d'éviter un problème de voisinage, il faut vider le garage des affaires du père pour y ranger la voiture de Patrick.

Au lycée, Verna se forge une carapace pour résister : “Elle s'en fichait. Elle était coriace. Elle était du titane.” Après les saloperies des forums Internet, les graffitis sur son casier, et un "cadeau" de très mauvais goût, Verna est agressée et humiliée par le groupe de lycéen(ne)s hostile, qui filme la scène. La direction du lycée ne l'aidant pas, Verna rejoint sans complexe Justinien et les amis rebelles de Layla. La gothique et Patrick sont devenus de plus en plus intimes, même si le jeune homme ne sent pas de sentiment pour elle. Car il y a aussi Caro. Sans oublier tout le reste de leurs ennuis présents et à venir. Règlements de comptes et dérapages funestes sont à craindre…

Kelly Braffet : Sauve-toi ! (Rouergue Noir, 2015) – Coup de cœur –

Quelle place peuvent espérer les jeunes des classes moyennes modestes dans l'Amérique actuelle ? Le monde est-il si exemplaire, qu'il suffise de suivre un chemin tracé ? Est-il normal qu'on les confine dans des jobs sans intérêt, qu'on instrumentalise leurs esprits au nom d'une religion ou des codes traditionnels ? Pourquoi accable-t-on des fils pour la faute d'un père, pourquoi laisse-t-on l'impunité à des cadors de lycée persécutant les plus faibles ? Pourtant, ces jeunes gens sont simplement issus du quotidien et ne réclament que la paix, une vie tranquille. Qu'on leur accorde plus de confiance ou de liberté, face aux valeurs strictes en vigueur, est-ce si grave ? S'ils se marginalisent après avoir été montrés du doigt, n'est-ce pas la société qui risque d'en faire des monstres ?

Ces questions-là, Kelly Braffet ne les formule pas ouvertement. Néanmoins, c'est bien ce qu'elle illustre à travers cette histoire. Le regard qu'elle porte sur un aspect des États-Unis incite à la réflexion, non pas à juger les personnages. Leurs douleurs intimes, elle nous les transmet avec une belle empathie. C'est l'oppression "des autres" qui les perturbe, qui complique leur vie ordinaire. La force de se défendre, Layla l'a peut-être trouvée. Sa jeune sœur tente d'y parvenir. Patrick s'est replié sur lui-même, avec une part d'indifférence. Caro et Mike croient encore au futur. Une intrigue aussi sombre que fascinante de réalisme et de crédibilité, une sorte de témoignage sociologique, voilà ce que Kelly Braffet nous présente dans cet excellent roman noir humaniste.

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20 avril 2015 1 20 /04 /avril /2015 05:30
© photos Claude Le Nocher – Penmarch 2014

© photos Claude Le Nocher – Penmarch 2014

Le festival du Goéland Masqué est annoncé à Penmarch (salle Cap Caval) du 21 au 25 mai 2015. Les lecteurs pourront y rencontrer entre autres Sam Millar, Giancarlo de Cataldo, Graham Hurley, Martyn Waites, William McIlvanney, Joseph Incardona, Nadine Monfils, Marc Villard, Hervé Sard, Patrick Raynal, Stéphane Heurteau, Elsa Marpeau, Sophie Loubière, Anne Martinetti, Hugo Buan, Jean Failler, et bien d'autres auteurs.

Présidé par Jean-Bernard Pouy (qui succède à Jean-François Coatmeur), le jury du Goéland Masqué (Penmarc’h, Finistère) a attribué son Prix Littéraire 2015 à Nicolas Mathieu pour son roman noir “Aux animaux la guerre”, Ed. Actes Sud, mars 2014. Récemment récompensé par le Prix Mystère de la critique, l'auteur sera présent pour l'occasion.

Pour la bédé, le Prix Mor Vran 2015 du Goéland Masque est décerné à Briac et Arnaud Le Gouëfflec pour leur album "La nuit Mac Orlan" publié chez Sixto (2014).

Les Prix du Goéland Masqué 2015 à Penmarch
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19 avril 2015 7 19 /04 /avril /2015 04:55

Nicolás Sotanovsky est un Argentin approchant des trente ans, aspirant à devenir écrivain. Il vivote à Madrid depuis six mois, largué, désœuvré. Il a réussi à se loger chez une rousse nommée Noelia, actuellement absente, qu'il ne connaît pas. Quand débarque un costaud que Nicolás surnomme illico “Jambon calibre 45”, ce mastard exige qu'il lui indique où se trouve Noelia. S'il l'ignore, Nicolás n'a qu'à la trouver. L'Argentin hésite entre filer au plus tôt ou jouer au détective de roman façon Chandler. Intervient alors Nina, la meilleure amie de la disparue. “Je vais essayer de t'aider. Mais je ne te promets rien. Avec Noelia, tout est possible : elle peut retourner à la vie sauvage dans un hameau d'Andalousie ou s'envoyer des Arabes dans un hôtel cinq étoiles de Casablanca” déclare la sensuelle Nina.

Le couple est pris en filature par “Jambon calibre 45”, qui se nomme en fait Serrano et ne se cache pas. Dans l'appartement de Noelia, Nicolás cherche quelques éléments sur elle. Un DVD où elle apparaît nue prouve toute la grâce de cette jeune femme. Nina confirme, à travers ses souvenirs d'étudiante, que son amie a toujours attiré les hommes en affichant sa fragilité. Nicolás se rend dans le quartier de Lavapiés, où l'on trouve des Argentins en exil. Un de ses compatriotes montre une amertume et une fierté qui agacent Nicolás. C'est sa copine Lidia, avec laquelle il en resta à des amours platoniques, qu'il est venu voir. Par son contact dans la police, l'inspecteur Manolo Sáinz, elle peut obtenir des renseignements utiles sur Serrano et son patron Menéndez, qui se fait appeler La Momie.

Après avoir collé une sévère raclée à Nicolás, les deux truands lui accordent un peu plus de temps pour retrouver Noelia et le paquet. Faire une tournée dans les bars du quartier Malasaña n'aide guère Nicolás, si ce n'est qu'il y rencontre un chat qui dialogue avec lui. Il est de nouveau pisté, mais par un pitoyable détective privé, Felipe Mar López. Qu'il ne tarde pas à baptiser Philip, référence à Chandler oblige. Il a eu pour cliente Noelia, qui ne l'a pas payé. Il est lucide : “Je sais perdre, Sotanovsky. J'en ai l'habitude. Si c'était une discipline olympique, j'aurais toutes les médailles...” Ils sont faits pour s'entendre. De son côté, Lidia a glané des infos sur Nina et surtout sur La Momie, récemment sorti de prison après un coup fumeux et sans rentabilité visant la banque Financur.

Quand Nicolás arrive à son rendez-vous chez Felipe Mar López, le détective a été occis. Il tenait un journal intime confirmant ce qu'il avait dit. Le dimanche, au Marché aux puces, Nina et Nicolás rencontrent Violeta, une vendeuse de fringues qui croit avoir aperçu Noelia il y a peu de temps. Il est possible que, dans sa robe rouge, la belle rousse rôde en effet autour de Nicolás. Dès le lundi, il adopte l'allure Bogart version “privé”, émettant des hypothèses sur le lien entre Noelia, La Momie et la Financur. Jusqu'au vendredi suivant, ultime délai, il va au bout de ses investigations, non sans déception, ni victimes…

Carlos Salem : Un jambon calibre 45 (Babel Noir, 2015)

Lire un roman de Carlos Salem, c'est comme embarquer pour une croisière nocturne en pleine tempête sur un navire en mauvais état : si on fait confiance au capitaine pour que la traversée se passe aussi bien que possible, on ignore en permanence quelles surprises ce voyage nous réserve. Selon sa fantaisie, et même en gardant le cap, le commandant Salem suscite, par sa façon de piloter le bateau, un frisson d'excitation mêlé de crainte. Afin que l'on oublie tout le reste, il nous présente des personnages singuliers, bigarrés, improbables. Il nous fait beaucoup rire, aussi, à travers les déboires de son Nicolás, qui lui ressemble quelque peu. On espère qu'il a réellement croisé cette Nina nymphomane.

La narration est enjouée, entraînante. Avec des portraits précis, en peu de mots, tel celui de La Momie : “Un drôle d'oiseau, vols à main armée, spécialiste des coffres-fort, un type maigre et blafard, soupçonné de plusieurs crimes dont un seul a été prouvé il y a des années...” Bien sûr, le nom du costaud est une allusion au jambon, et Philip Marlowe n'est jamais loin, lui non plus. Qu'on ne s'y trompe pas, Carlos Salem est avant tout un auteur qui cultive avec talent son style personnel, une excentricité créative particulièrement séduisante. Chacun de ses romans est un bonheur de lecture.

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18 avril 2015 6 18 /04 /avril /2015 04:50
Cascade de polars supérieurs en format poche - 2015

Parmi les nouveautés de ces premiers mois de 2015 en format poche, présentons plusieurs titres qui se distinguent par leur qualité supérieure. Plutôt que d'en faire une compilation, voici les liens qui (en cliquant sur chacun) vous permettront de retrouver mes chroniques concernant ces titres.

Commençons par Le Livre de Poche, avec l'auteur canadien Matt Lennox, dont le roman "Rédemption" est puissant.

Adrian McKinty est natif de Belfast, en Irlande du Nord (Ulster). C'est dans ce décor qu'il place ses romans noirs, tel "Dans la rue j'entends les sirènes", disponible chez Le Livre de Poche.

On ne présente plus Didier Daeninckx. Les faits historiques sont souvent à l'origine de ses romans noirs. C'est un épisode méconnu de l'histoire de la Corse qu'il illustre dans son "Tête de Maure", disponible chez Folio Policier.

Chez Folio, ce sont généralement les romans de Science-Fiction signés Jack Vance qui sont à l'honneur. Pourtant, cet écrivain fut également récompensé pour "Méchant garçon", un des plus étonnants polars qu'on ait écrit. Un titre disponible en Folio Policier.

Pour conclure cette sélection, l'auteur gabonais Janis Otsiemi est à l'honneur en format poche chez Pocket. L'an dernier, fut réédité "Le chasseur de lucioles", toujours disponible. Avec "La bouche qui mange ne parle pas", c'est son deuxième titre repris au catalogue de cet éditeur. Une bonne manière de (re-)découvrir un véritable écrivain africain qui use merveillement du langage, sans négliger ses intrigues. Direction Libreville, sa population et ses sombres affaires criminelles.

Cliquez sur les liens pour retrouver chacune de ces chroniques.

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16 avril 2015 4 16 /04 /avril /2015 04:55

- Grand Prix de Littérature Policière 2015 -

Une autoroute longue de quelques dizaines de kilomètres, dans le Sud-Ouest de la France. Un axe routier avec son bitume, son béton, ses ponts appelés “ouvrages d'art”, ses aires de repos et ses aires de service, ses restaurants, ses parkings. Ce ne sont pas seulement des milliers de véhicules qui transitent par l'autoroute, ce sont des quantités de personnes qui passent ou qui y sont employées. Malgré tout, un ressenti d'anonymat, où des drames se produisent quelquefois, en plus des accidents de la circulation. Des gens disparaissent, des jeunes filles. Comme Catherine Mangin, en septembre dernier. Comme Lucie Castan, en janvier. Comme aujourd'hui, en ce week-end du 15 août, la petite Marie Mercier, âgée de douze ans, qui s'était éloignée de ses parents ayant une discussion d'adultes.

Pierre Castan, la cinquantaine, a été médecin légiste pendant dix-sept ans. Si la mort de sa fille est probable, ça ne lui fait pas peur. Voilà plusieurs mois qu'il erre, d'aire en aire, allant et venant sur ce ruban bitumé, à la recherche d'un indice, du prédateur. Pendant ce temps, son épouse Ingrid se morfond chez elle, confinée dans la solitude, mélangeant une flopée de sentiments. Pierre observe ceux qui passent, ceux qui restent. Une pute trans telle que Lola, car le sexe a toute sa place autour de l'autoroute. Une femme étrange, Tía Sonora, plus ou moins devineresse. Des tas de couples tous différents, bien sûr, dont un voyageant en side-car. Les gens qu'il remarque le moins, c'est le personnel de restaurants, évidemment. Il croit davantage en son instinct que dans un soutien psychologique.

Alerte-enlèvement pour Marie Mercier. C'est la capitaine de gendarmerie Julie Martinez qui est chargée de l'enquête. Avec son collègue Thierry Gaspard. Les parents, Sylvie et Marc Mercier, ils sont déboussolés, ils culpabilisent à mort. Déjà que leur couple battait de l'aile. Le duo de gendarmes n'obtient que peu de collaboration de Gérard Lucino, le directeur des restaurants de l'autoroute. Il a d'autres chats à fouetter, un peu de coulage dans le stock, et surtout un chiffre d'affaire en berne. Il y a un moment où Lucino risque de réaliser qu'il n'est qu'un rouage, pas à la hauteur, qui ferait aussi bien de foutre le camp. Les vidéos de surveillance, ça n'aidera pas vraiment les deux gendarmes. Il s'aperçoivent qu'il y a des caméras factices, et des angles morts permettant au ravisseur de sévir impunément.

Pascal Folier, trente-et-un ans, quasi-sourd mais lisant sur les lèvres, cuisinier et employé modèle des restaurants de Lucino. Il habite dans son combi Volkswagen aménagé, propret et mobile s'il doit changer d'aire de service pour son poste. À l'opposé de tant d'autre sur cette autoroute, Pascal n'est pas un sexuel. Parfois, ça devient confus dans sa tête, que l'on a réparée aussi bien que possible. Tandis que le journaliste Chacal bénit ce fait divers, la gendarme Julie Martinez fatigue de ne pas venir à bout de l'enquête. Quelqu'un qui connaît les leurres des caméras, c'est qu'il travaille ici, mais qui ? Pierre poursuit sa traque d'indices, sous la chaleur, et malgré une grève créant des embouteillages…

Joseph Incardona : Derrière les panneaux il y a des hommes (Éd.Finitude, 2015)

Dans son roman “Autoroute” (1977, Rivages/Noir n°165), Michel Lebrun nous montra déjà quel enfer pouvait devenir ces grands axes routiers. À sa manière, dans un style qui peut rappeler son titre “Trash Circus” (2012, Éd.Parigramme), Joseph Incardona nous invite à revisiter le sujet. Autour de ce qui, dans la fiction comme dans la vraie vie, attire un mélange de sentiments, l'enlèvement d'enfants. Avec sa dose de curiosité : “Pierre se faufile jusqu'au bar. Derrière lui, d'autres gens affluent. Les curieux. Ceux qui passent par là et ont su par la radio que c'est à l'aire des Lilas que se trouve le "spot". Au cœur de l'événement. Le centre du monde. Surfer sur le pli de la vague. L'attrait du morbide. Peut-être quelques bonnes âmes parmi eux. Des sincères, des généreux, des Mère Térésa. Ou alors ni l'un, ni l'autre. Une exception. Un exalté…”

Un polar métaphysique, dans le sens où il interroge sur les comportements humains, sur les réactions en lien ou sans rapport avec un drame ? Sans doute, oui. Si la tonalité du récit apparaît saccadée, c'est en partie pour extérioriser ce que chacun des protagonistes garde en soi-même. Ce qui se transformerait en hurlements, dans certains cas, si nous n'étions pas civilisés. Telle semble être l'ambition de l'auteur, montrer une noirceur intime. Nous connaissons le criminel, mais saurons-nous discerner son état d'esprit ? En suivant Pierre dans ses investigations, ou la gendarme Julie Martinez, plus quelques autres personnages, comprendrons-nous les tourments qui les agitent ? Tout cela dans un décor contradictoire, vivant et artificiel. Loin du simple cas de kidnapping, une intrigue singulière par sa narration, son écriture.

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15 avril 2015 3 15 /04 /avril /2015 05:20

La blogosphère est-elle juste virtuelle, se bornant à des échanges via Internet ? En ce qui concerne le petit univers du polar, il arrive que l'on se croise lors de festivals spécifiques. Ambiances sympathiques, avec une certaine excitation. Plus rares sont les rencontres en privé entre blogueurs. Il s'agit là d'occasions à ne pas louper. Nul n'ignore que le site des Unwalkers est un de mes favoris. Quand l'ami Holden, dit le Boss, est en vacances dans un petit coin de Bretagne chez un des chroniqueurs de ce site, Wollanup, une évidence s'impose : il faut que nous passions un peu de temps ensemble.

Holden, le Boss du site Unwalkers

Holden, le Boss du site Unwalkers

Rendez-vous est pris ce mardi 14 avril 2015.

On peut affirmer que ce fut une demie-journée passionnante autant que passionnée. Que ce soit dans la courette chez Wollanup, où il était prudent de s'abriter d'un ardent soleil printanier, ou au restaurant (merci Holden pour ton invitation), nous avons débattu tous les quatre, avec la compagne de Wollanup, elle aussi fervente lectrice (de Westlake, de Thomas H.Cook, et de bien d'autres).

Wollanup et sa compagne

Wollanup et sa compagne

Nous n'avons pas à 100 % les mêmes admirations, c'est logique, et c'est ce qui alimente notre conversation. Nous parlons aussi des États-Unis, que Wollanup aime énormément. Un peu de nos vies, un peu de nos sites Internet, un peu de l’Édition, beaucoup de nos z'amis les z'auteurs.

Wollanup aime l'Amérique, même son mug le prouve

Wollanup aime l'Amérique, même son mug le prouve

Bien sûr, nos sites vivent grâce à nos chroniques, à nos infos. Mais quoi de plus chaleureux que ces rencontres entre soi, entre amis. Internet, ce n'est pas que du virtuel, et c'est là que ça devient encore plus intéressant.

Holden sait aussi se montrer attentif, contrairement à sa légende.

Holden sait aussi se montrer attentif, contrairement à sa légende.

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14 avril 2015 2 14 /04 /avril /2015 04:55

Le périple de Bob débute une grosse vingtaine d'années plus tôt. Mouillé dans une affaire ayant causé la mort d'un flic, ce petit truand Marseillais a intérêt à quitter la métropole. Pour “se mettre au vert”, la Guyane et sa végétation tropicale lui semblent idéales. De la Côte d'Azur, Bob traverse l'océan Atlantique jusqu'en Martinique, y faisant une pause quelques temps avant de repartir vers la destination prévue. À Saint-Laurent-du-Maroni, il fait bientôt la connaissance d'un Bordelais, un blond aux yeux bleus, Guy Descombe. Avec l'aide de celui-ci, l'installation de Bob dans la contrée est fortement simplifiée. D'autant que les autorités y sont moins strictes à l'époque, sauf envers les orpailleurs clandestins.

Avec un guide métis indien, Bob et Guy partent sur le fleuve, à la découverte des beautés de la forêt guyanaise. Le trio tombe justement sur un camp de chercheurs d'or venus du Brésil, qui est détruit par la gendarmerie. Un des Caboclos clandestins a eu le temps de cacher un sac avec leurs réserves d'or. Guy n'hésite pas à l'abattre pour voler le sac, avant de supprimer également leur guide. Le duo ne s'éternise pas côté français, passant vite en face, au Surinam. Guy et Bob obtiennent un bon tarif pour l'or qu'ils échangent, leur fortune est faite. Le trajet vers le Guyana n'est pas sans danger. Prendre un avion pour le nord du Brésil semble le plus sûr. C'est ainsi qu'ils débarquent à Belém.

Si l'aventureux Guy cherche à s'enrichir davantage, Bob sait avoir trouvé ici son paradis. Surtout depuis qu'il a rencontré la belle Eduarda, jeune amatrice de francophonie, issue d'une famille aisée et respectable de Belém. Puisque même les parents d'Eduarda l'ont adopté, Bob veut évoluer vers un autre mode de vie, et s'installer en couple avec sa bien-aimée. Toutefois, Guy reste trop présent dans la vie de Bob, se montrant plutôt violent. Le Marseillais ne se pose pas bien longtemps la question, quand il est piégé dans l'affaire du meurtre d'un bijoutier. S'il est condamné à vingt ans de prison, c'est à Guy qu'il le doit. Ce dernier vient même le narguer au parloir de la prison, car il a “récupéré” Eduarda.

Pendant de nombreuses années, s'étant rapidement imposé dans son univers carcéral, Bob ne vise pas l'évasion. Ce n'est que douze ans plus tard, à l'occasion d'une épidémie de choléra, qu'il va saisir la bonne opportunité. Que serait la liberté sans une planque et des contacts ? À tous points de vue, Bob ne manque pas de ressource. Quand il rentre en Europe, avec étape à Barcelone, c'est avec l'intention de se venger de Guy. Les Catalans l'ont bien renseigné : son ancien complice est devenu un homme d'affaire dans le milieu médical. Ce n'est pas à Paris que Bob compte s'attaquer à Guy, mais sur son terrain à lui, à Marseille. En s'entourant de deux amies, Louise et Rita, pour préparer son coup…

© CLN photo Del Pappas, avril 2009 - et son roman 2015

© CLN photo Del Pappas, avril 2009 - et son roman 2015

Selon le dictionnaire Larousse, une péripétie est un “événement imprévu, un incident qui intervient dans le déroulement d'une action, marquant un changement.” Nul doute que Gilles Del Pappas connaisse cette définition. Péripéties et rebondissements se succèdent à un rythme soutenu dans cette histoire, en effet. Une grande partie de l'action se passe en Amérique Latine, un décor exotique aux règles alors encore relatives. Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane ? “Une ville western avec saloon et tout ce qui va avec. Forêt primaire, mecs lourdement armés, girelles de tous bords peu farouches, rhum coulant à flot, trafics variés...” Et Belém serait, nous dit-on, une version américano-lusitanienne de Marseille.

C'est un excellent roman d'aventure, avec des scènes mouvementées et meurtrières, mais aussi des moments bien plus nuancés, que nous a concocté Del Pappas. Cet auteur a une trentaine de titres à son actif, ce qui explique sa maestria narrative. Notons qu'en prison, son héros est l'ami d'un détenu politique Italien qui, avant d'être incarcéré au Brésil, vivait tranquillement en France avec sa famille dans sa loge de concierge, obligé de fuir à cause d'un politicien arriviste. Comme toujours, l'auteur nous promène dans sa ville, dans les quartiers moins criminogènes et les plus pittoresques, en tout cas. Un suspense vif, dans la meilleure tradition, un polar comme on les aime.

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