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12 septembre 2018 3 12 /09 /septembre /2018 04:55

Été 1992 à Heillange, en Lorraine, dans la vallée de la Henne. Anthony Casati a quatorze ans, âge où l’on aspire à une large liberté durant les vacances. Patrick et Hélène, ses parents – entamant une "crise de couple", essaient vainement de le garder à l’œil. Avec son cousin, Anthony fréquente des fêtes chez de vagues copains, où circulent des joints et autres substances. L’adolescent est fasciné par Stéphanie, une des plus belles filles de son bahut, qui ne semble qu’à peine le remarquer. Une nuit de fiesta, ayant emprunté la moto de son père sans autorisation, Anthony se la fait voler. C’est l’œuvre d’Hacine, dix-sept ans, fils d’un honnête ouvrier marocain, impliqué dans un trafic de drogues. Hacine, dont le problème actuel est la pénurie de shit dans la région.

Bien que leur ami adulte Manu lui procure une arme à feu, ce n’est pas ainsi que se réglera pour Anthony le vol de la moto. Alors que son couple se désagrège de plus en plus, Hélène va rencontrer le père d’Hacine. Ce dernier adopte une solution sévère envers son fils. Ce qui, finalement, n’empêchera nullement Hacine de récidiver dans les trafics dès qu’il en aura l’occasion. Quant aux amours espérées entre Steph et lui, Anthony devra patienter ou se résoudre à renoncer.

Été 1994. Anthony a décroché un job au club nautique local. Stéphanie étant toujours aussi fuyante, c’est avec l’étudiante Vanessa qu’il pratique ponctuellement le sexe, sans sentiment. Il vit entre sa mère et son père, désormais séparés. Patrick Casati connaît plus de bas que de hauts dans son existence, ces derniers temps. Hélène recherche un certain équilibre, mais reste plutôt névrosée. Si Anthony cultive son indépendance, la vie libre à laquelle il aspire n’est encore qu’un espoir.

Été 1996, c’est l’année du Bac pour Anthony, qui a dix-huit ans. Sans doute s’est-il rapproché de la belle Steph, mais de façon quasiment platonique. Le quotidien est toujours tourmenté autour de lui. Même un 14-juillet, jour de fête, les choses peuvent se compliquer bien vite… Vient l’été 1998, avec sa Coupe du Monde de football, où Anthony a des chances de s’éloigner de ce marigot dans lequel il se sent englué…

Nicolas Mathieu : Leurs enfants après eux (Actes Sud, 2018)

Il se tourna vers Steph. Tous deux ne représentaient rien dans cet espace qui n’était déjà pas grand-chose. Un affluent passait à travers une vallée où des hommes avaient construit six villes et des villages, des usines et des maisons, des familles et des habitudes. Dans cette vallée, des champs géométriques, de blé ou jaune colza, découpaient des patchworks méticuleux sur un relief d’ondes. Des reliquats de forêts couraient entre les parcelles, joignaient des hameaux, bordaient des routes grises où passaient dix mille poids-lourds par an. Parfois, sur le vert mordant d’un vallon, un chêne poussait tout seul, semblable à une tache d’encre soufflée.
Dans cette vallée, des hommes étaient devenus riches et avaient construit de hautes maisons qui dans chaque bled narguaient l’actualité. Des enfants avaient été dévorés, par des loups, des guerres, des fabriques ; à présent, Anthony et Steph étaient là, constatant les dégâts. Sous leur peau courait un frisson intact. De même que dans la ville éteinte se poursuivait une histoire souterraine qui finirait pas exiger des camps, des choix, des mouvements et des batailles.
— Tu voudrais pas sortir avec moi ?

Il suffisait de lire le multi-récompensé “Aux animaux la guerre” (Actes Noirs, 2014), premier roman de l’auteur, pour comprendre que Nicolas Mathieu était un écrivain de grand talent. Serait-ce, comme d’autres, l’homme d’un seul livre ? Non, impensable quand on s’inscrit dans la veine des "romans sociaux", ou plus exactement "humains". Car c’est bien de la véritable population, celle des régions touchées par les problèmes économiques, dont nous parle Nicolas Mathieu. Des laissés-pour-compte de la société, de ceux qui ne se résolvent pas à sombrer dans le marasme – y-a-t-il encore un avenir pour les plus jeunes ? – autant que de ceux qui coulent – tel le père d’Anthony. Présenter un contexte social à la façon des rapports officiels n’a qu’un intérêt limité. L’illustrer de manière vivante est bien plus crédible, ce qu’il fait avec intelligence, lucidité, fluidité.

L’adolescence d’Anthony s’inspire de celle de l’auteur, qui chercha lui aussi à fuir son monde trop étroit. Il retrace les émois sentimentaux, les bêtises et la part d’égoïsme de cet âge, témoigne de la fin des cellules parentales, montre la dérive délinquante de jeunes issus de l’immigration : on est dans le vrai. Toutefois, pas de misérabilisme dans les portraits, dans la situation de ces protagonistes. S’ils ont parfois besoin d’aide, ils ne doivent pas être regardés comme des "perdants" absolus sur lesquels on s’apitoie. Ces gens ne sont pas responsables de la fin de la Lorraine industrielle, ils en sont les victimes.

Faut-il le répéter ? Au-delà de la fiction, de la vie vécue par des ados ou des adultes, c’est de "l’humain" dont il s’agit dans cette histoire qui fait mouche. Nicolas Mathieu, confirmation dans l'excellence. 

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11 septembre 2018 2 11 /09 /septembre /2018 04:55

Les gangs de yakuzas sévissent partout à travers le Japon en 1988. Y compris à Kurehara, dans le région d’Hiroshima. Au commissariat, la police suit deux principaux axes : la lutte contre la délinquance en col blanc, et la traque des yakuzas. Le commandant Ôgami se montre le plus actif contre les gangs, avec ses méthodes : “...le style du commandant consistait à faire monter la pression pour pouvoir agiter l’arrestation comme une menace.” Veuf suite à un drame familial, âgé de quarante-quatre ans, Shôgo Ôgami n’est guère apprécié de la hiérarchie. Qui le soupçonne d’être trop proche de certains gangs. Mais, si son anti-conformisme dérange, nul ne peut contester une efficacité.

Âgé de vingt-cinq ans, le lieutenant Hioka devient l’adjoint d’Ôgami. Après ses études à l’université d’Hiroshima, il a préféré entrer dans la police plutôt qu’une carrière trop routinière dans le privé. Le premier contact avec Ôgami a été rude, mais Hioka a compris qu’il ne devait pas avoir de préjugés sur le commandant. L’essentiel pour le lieutenant, c’est de connaître à fond les dossiers et de mémoriser tout ce qu’il observe – ce dont il se sent capable. Quand Ôgami le présente favorablement à Moritaka, numéro 2 du gang de Kenji Odani, le jeune policier doit-il y voir un premier signe de confiance ? Ôgami et Hioka sont chargés d’une enquête, dont on ne sait si elle implique des yakuzas.

Junko Uesawa, comptable de Kurehara Finance – une société pas très fiable, a disparu depuis quelques semaines. Le passé d’Uesawa ne plaide pas en sa faveur ; il fit de la prison. Les deux policiers interrogent la sœur du disparu, afin de cerner le personnage. Selon elle, Uesawa était surtout trop influençable, ce qui lui causa beaucoup d’ennuis. Elle leur offre une piste, un certain Kubo, membre d’un des gangs de la région. Par ailleurs, une info amène le duo de policiers jusqu’à un love-hôtel. Ôgami obtient les archives de vidéo-surveillance de l’endroit, qu’Uesawa n’a pas quitté de son plein gré.

Ils doivent suspendre leur enquête quand un jeune yakuza est tué par un gang adverse. Peu après, le QG de Moritaka et du gang d’Odani est la cible d’une fusillade. Dont le gang Kakomura est sûrement responsable. Ôgami s’efforce de convaincre son ami Moritaka de ne pas immédiatement riposter, ce qui entraînerait une nouvelle guerre des gangs. Le lien entre l’enlèvement du comptable et les bandes rivales apparaît de plus en plus évident.

Piéger un des membres du gang Kakomura va-t-il suffire à le faire parler, même sous la menace ? Le jeu des alliances entre les bandes locales et des gangs puissants risque de se mettre en place très bientôt. Arrivera l’heure où Hioka devra prendre l’initiative. Amie d’Ôgami, Akiko – la mûre hôtesse du restaurant Les Petits Plats de Shino – a été témoin de la relation entre Hioka et Ôgami, et aura elle aussi son rôle à jouer…

Yûko Yuzuki : Le loup d’Hiroshima (Éd.Atelier akatombo, 2018)

Et Hioka n’avait pas oublié la réaction de Kubo, ramené en cellule après le dernier interrogatoire. Se démenant et crachant par terre, il avait une fois de plus insulté Ôgami : "Tu palpes ton pourcentage chez les yakuzas ! C’est comme ça qu’tu vis. On te nourris et tu nous trahis avec tes pièges dégueulasses. La honte ! Je lâcherai tout au tribunal. Prépare-toi !"
Le commandant se faisait-il arroser par des gangs ?
— Qu’est-ce que tu fabriques avec cet air endormi ? On y va !
Ses pensées venaient d’être interrompues par la voix criarde de son chef. Levant les yeux, il le vit déjà dehors et l’observant à travers la vitrine. Il salua Katsu d’un hochement de tête et sortit à son tour. De retour à la voiture, le commandant se cala dans le siège passager et sortit une cigarette du paquet qu’on venait de lui offrir. Son lieutenant la lui alluma.

Les yakuzas existent depuis plusieurs siècles au Japon. La plupart de ces gangs mafieux sont identifiés, leurs dirigeants parfois emprisonnés durant un moment. Leur réputation criminelle n’est pas usurpée. On peut douter que ces truands respectent réellement un Code de l’Honneur, hypocrite formule masquant leurs actes violents. S’ils se livrent à divers trafics lucratifs, il est souvent arrivé qu’ils se combattent entre eux, pour s’imposer sur le territoire (et les marchés) des autres. Telle est la toile de fond de cette histoire.

Au centre du récit, le commandant Shôgo Ôgami est un policier chevronné, mais hors-norme, incontrôlable. Les opérations "classiques" de ses collègues contre les yakuzas n’empêchent pas ceux-ci de prospérer, il le sait bien. Dans cette société japonaise tant basée sur le respect des règles, Ôgami affiche son indépendance avec froideur, dureté et ironie. Pour maintenir un équilibre social entre le rôle des policiers et celui des gangs, il a sa manière de procéder – fort différente de ce qu’on attend d’un flic japonais.

Shûichi Hioka n’est pas le premier jeune policier qu’Ôgami tente de former. S’il fait preuve d’une certaine naïveté quand il débarque à ses côtés, Hioka s’adapte bientôt – ayant trouvé en Ôgami le mentor idéal. Quant à en devenir le digne successeur, c’est l’avenir qui le dira. Néanmoins, plonger avec son singulier supérieur dans les arcanes du monde du crime, c’est affermir son caractère personnel et gagner en expérience. Une chance que Hioka ne laissera pas passer.  

Si les péripéties ne manquent pas, si la mort est au rendez-vous, on aura compris que “Le loup d’Hiroshima” n’est pas simplement une affaire de banditisme, mais peut-être avant tout une "initiation" avec tout ce que ça suppose d’humain. Un très bon roman, qui confirme que la Littérature Policière japonaise mérite d’être mieux connue chez nous.

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10 septembre 2018 1 10 /09 /septembre /2018 04:55

Début 1963. Jourdan est un ancien militaire ayant opéré en Indochine puis en Algérie. Ce baroudeur est devenu un paria, en se mettant du côté de l’OAS. Non par conviction, mais parce qu’il n’a aucun respect pour De Gaulle et le système gaulliste. Se cachant à Paris, il est finalement repéré et arrêté par la PJ. Non sans avoir sauvé entre-temps la vie d’un jeune policier, Norbert Lenz. La toute-puissante DST, les services secrets, prend en charge Jourdan. Mais un commando intervient durant son transfert pour le faire s’évader. C’est le colonel américain Hollyman qui dirige la récupération de Jourdan. Officiellement, Hollyman appartient à la CIA, c’est un officier expérimenté qui connaît déjà le baroudeur français.

Hollyman est un cynique, dans une sorte de tradition familiale qui remonte à loin. Le sexe pervers et le racisme basique, un mépris de la démocratie, telles sont les "valeurs" de l’impitoyable colonel. Il a besoin de Jourdan en tant que tireur d’élite, pour une mission à venir. Tous deux ayant passé la douane pour entrer en Allemagne, le Français ne tarde pas à accepter. Même si les conditions précises de la mission restent encore confuses. Toutefois, Jourdan a bien vite compris qu’on ne met pas en place une pareille opération pour abattre n’importe qui. C’est le politicien le plus symbolique de l’époque qui sera la cible du petit groupe qu’Hollyman est en train de monter.

Âgé de vingt-trois ans, Norbert Lenz est un jeune inspecteur à l’avenir prometteur, que son supérieur soutient avec bienveillance. Au sein de la police, quelques-uns jouent un trouble jeu, au service du gaullisme ou d’autres officines. Lenz et son épouse ont un bébé, ce qui n’empêche pas Denise Lenz de cocufier son policier de mari. Jusqu’au jour où la relation avec un de ses amants tourne mal. Il y aura une enquête, confiée à des flics qui ont (à peu près) la confiance de Lentz. Il se venge, avant de prendre quelques semaines de repos. À son retour au 36 quai des Orfèvres, ses collègues remarquent une dureté nouvelle chez Norbert Lenz. En effet, l’épreuve traversée l’a endurci, et il ne craint pas de grenouiller entre la DST, la PJ, le SAC, le parti UNR. Son but principal reste de faire toute la lumière sur Jourdan et ceux qui l’ont aidé.

Aux États-Unis, le projet meurtrier d’Hollyman commence à prendre tournure. C’est au Texas que se passera l’opération, territoire où les commanditaires du colonel bénéficient de faciles complicités. Jourdan est conscient de ne pas maîtriser tous les rouages de cette affaire et de devoir ne se fier qu’à lui-même. Au Parkland Memorial Hospital de Dallas, une certaine Marina Oswald a besoin de soins et de protection, car son mari Lee est un violent… Quant à Norbert Lenz, c’est avec froideur qu’il ira jusqu’au bout…

Stéphane Keller : Rouge parallèle (Toucan Noir, 2018) – Coup de cœur

Parce qu’il se déroule en 1963, on classerait trop vite ce roman dans la catégorie des polars historiques. Alors que “Rouge parallèle” est un authentique roman d’action, dans la meilleure tradition d’excellence. On trouve ici beaucoup d’atouts favorables. D’une belle limpidité, sans la moindre lourdeur, l’écriture adopte le tempo adéquat afin d’entraîner les lecteurs sur les pas des deux héros, Jourdan et Lentz. À première vue, des personnages opposés, autant par l’âge que par l’expérience de la vie. Pourtant, au cœur de la spirale des faits – marquants pour le monde entier – qui se produisent alors, chacun d’eux va devoir s’adapter. En ces années 1960, l’équilibre international est nettement plus instable qu’il y paraît : la Guerre froide, les tensions entre Cuba et les États-Unis…

Les USA, dont l’hégémonie risque d’être affaiblie par la présidence de JFK ? C’est ce que pensent les partisans d’une politique de fermeté, hostiles à tout changement. En France, le gaullisme règne, berçant d’illusion les citoyens sur "la grandeur" du pays sur la scène mondiale. Sans approuver les opposants (de droite ultra ou de gauche) au général de Gaulle, on sait depuis belle lurette que les arcanes du pouvoir étaient bien plus sombres. La pression sur les médias (par Alain Peyrefitte, ministre de l’information) et sur la police (via le ministre de l’intérieur) était fort peu digne d’une vraie démocratie. Le système mis en place incita sûrement des gens comme Jourdan à dévier vers d’autres voies.

Stéphane Keller s’est parfaitement documenté sur cette époque, restituant ses ambiances. C’est là un autre élément qui crédibilise l’histoire. Quant au suspense, il ne porte pas sur la cible de l’attentat à venir. Dans quelles conditions les faits avancent-ils, et quel sera le sort de Jourdan, celui de Lentz ? Soulignons que la narration n’inclut pas de digression : tout ce qui est décrit au fil du récit possède un sens (par exemple, le comportement de la jeune épouse de Lentz). Les amateurs de polars solides apprécieront ce roman d’aventure impeccable, rythmé par de multiples péripéties, non sans une approche humaine des protagonistes, dans un contexte historique connu. “Rouge parallèle” figure sans nul doute parmi les titres les plus réussis de l’année 2018.

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9 septembre 2018 7 09 /09 /septembre /2018 04:55

Aux États-Unis, le moustachu Jim Qwilleran est un journaliste âgé d’un peu plus de quarante-cinq ans. Son seul ami est le chat siamois Koko, doué d’une intelligence assez originale, avec lequel vit Jim. Celui-ci mérite un meilleur poste au journal Daily Fluxion, qui l’emploie. On lui confie la rédaction en chef du nouveau magazine, Le Gai Logis, dédié à la décoration et aux demeures de style. Un rôle que sa collègue Fran Unger aurait bien voulu assumer, mais Jim Qwilleran préfère l’écarter du projet. Il se sent à la hauteur pour lancer ce magazine spécialisé. Il obtient l’aide de David Lyke, trente-deux ans, qui tient un commerce (florissant) de décoration et connaît parfaitement les spécialistes de ce milieu.

Pourquoi ne pas consacrer le premier numéro du Gai Logis à la propriété des fortunés Mr et Mrs Tait ? Le mari est un passionné d’objet en jade, dont il possède une magnifique collection. D’origine suisse, Mrs Tait est invalide et acariâtre. Qwilleran et son photographe réalisent un reportage chez le couple. Au lendemain de la parution du premier numéro du Gai Logis, Jim apprend que la demeure des Tait a été cambriolée. Mrs Tait est décédée d’une attaque cardiaque. Un vol qui intervient bien tôt après la diffusion du reportage, ce qui disculpe le Daily Fluxion d’une quelconque complicité. Le principal suspect, c’est Paolo, le domestique mexicain des Tait. Il a disparu, retournant dans son pays avec son butin.

Lors d’une réception donnée chez David Lyke, Jim fait la connaissance du riche Harry Noyton. Peut-être y a-t-il là un bon sujet à venir. Noyton partant en voyage en Europe, il va prêter son appartement luxueux à Jim (et au siamois Koko). Pour le deuxième numéro, c’est un foyer de jeunes filles qui sera à l’honneur. C’est ainsi que Jim rencontre Cockey Wright, une belle architecte travaillant dans la décoration. Ils auront l’occasion de sortir ensemble plusieurs fois, mais Jim ne demande s’il ne doit pas s’en méfier – car le chat Koko a fait preuve d’hostilité envers elle. Dans l’appartement d’Harry Noyton où il a déménagé, Jim déniche de troublants indices. Noyton était en contact avec Mrs Tait.

Après le cambriolage des jades, deuxième scandale autour du magazine Le Gai Logis, à cause du foyer de jeunes filles. Jim Qwilleran ne peut qu’imaginer un complot, émanant d’un journal concurrent ou d’une personne qui lui en veut. David Lyke donne encore une soirée chez lui, à laquelle le chat Koko est invité – en tant que curiosité. C’est d’ailleurs Koko qui, peu après, découvre le cadavre de Lyke. Fin connaisseur des affaires criminelles, Jim tente de démêler ces derniers événements…

Lilian Jackson Brown : Le chat qui mangeait de la laine (1967 – Éd.10-18)

Écrit en 1967, ce roman est le deuxième de la trilogie initiale consacrée à Jim Qwilleran et au siamois Kao K'o Kung (dit Koko). Lilian Jackson Braun ne continuera la série qu’à partir de 1986. Au total, trente romans à son actif. Ici, Jim et son chat jouent fréquemment à un "jeu du dictionnaire", où il s’agit d’associer des mots – Koko gagnant souvent. Mais le siamois, fin gourmet par ailleurs, va avoir des embarras digestif à force de dévorer n’importe quoi. “Tu dois être complètement fou ! Manger du tissus ! Tu as perdu la tête. ― Koko toussa encore une fois et rejeta une boule verte humide…” À vrai dire , c’est là une manière d’offrir une piste au journaliste. Le monde des décorateurs américains des années 1960 et de leur riche clientèle est décrit avec une certaine ironie. La tonalité du récit est essentiellement souriante, même si des méfaits sont commis. L’intrigue est énigmatique, mais il suffit de suivre le héros et son chat (qui aurait bien besoin d’une compagne) pour apprécier leurs investigations. Un roman à savourer…

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8 septembre 2018 6 08 /09 /septembre /2018 04:55

Cinq ans plus tôt, Willie Madden organisa le braquage de la Kenmore Trust, un gros coup. Certains de ses complices sont morts, d’autres sont en prison. C’est ainsi que Willie Madden a gardé une grosse part du butin, dans les 500.000 $. Depuis, sous de fausses identités, il mène une vie oisive dans de luxueux hôtels (surtout ceux de Californie du Sud) et s’offre ponctuellement les services de prostituées. À Tropico Beach, Willie est reconnu par le maître-nageur de l’hôtel, il est temps pour lui de disparaître à nouveau. Il reste perpétuellement sur ses gardes, bien qu’affichant un comportement débonnaire.

La police est toujours à la recherche de Willie Madden, en particulier le lieutenant Art Kramer. Mais ils ne sont pas les seuls. Carl Benedict, un des complices de Willie, est censé être mort. Même si c’est un dingue dans son genre, qui a déjà claqué toute sa part du butin, il est assez futé pour éviter qu’on le sache bien vivant. John Quait (dit Le Boiteux) est un détective privé vieillissant, qui fut proche de Willie. Il n’a pas tout à fait renoncé à le retrouver, non pas pour le livrer aux flics, mais pour empocher le magot de Willie. Carl est en relation avec le policier Nick Fay. Tous les trois – Carl Benedict, John Quait et Nick Fay – profitent des dernières infos situant plus ou moins Willie pour se lancer sur sa piste.

Comparse emprisonné de Willie Madden, Joe Wicks espère négocier avec le Lt Kramer, en échange de tuyaux. John Quait en est prévenu, et s’arrange pour que Wicks reçoive un sévère avertissement afin qu’il continue à se taire. De leur côté, le flic Nick Fay et Carl Benedict cherchent Willie à San Francisco. Ils le ratent à trois jours près, car il a quitté l’hôtel où il résidait. Nick Fay étant en mauvaise santé, ça ralentit les investigations du duo. Même si Carl est un tocard, il finit par retrouver la trace de Willie.

Sous le nom de Lawrence Allen, Willie se rend chez un médecin car il souffre de vertiges. C’est là qu’il fait la connaissance de la jeune infirmière du praticien, Dorothy Velinsky. Il est immédiatement séduit par cette personne au caractère ambitieux, qui se moque de ce qu’on pense d’elle. De fortes affinités apparaissent entre Dorothy et lui, Willie en est conscient. Dans sa vie clandestine, il ne serait pourtant pas prudent de se lier avec une femme, surtout si jeune. Et puis, il y a Carl Benedict qui rôde autour de lui. Celui-ci le loupe encore une fois de peu, à l’hôtel Golden West.

Pour le vieux détective privé John Quait, il ne serait sans plus raisonnable de continuer à pourchasser Willie. Mais son assistant Cheev et le mystérieux Y, contact de Quait dans la pègre, poursuivent leurs recherches. Le Lt Kramer essaie vainement un arrangement avec Carl. Tandis que Willie et Dorothy se rapprochent, c’est du policier Alford – du FBI – dont le couple va devoir se méfier…

W.R.Burnett : Un homme à la coule (Série Noire, 1970)

Au moment où Willie grimpait en voiture, Carl fit feu et Willie ressentit une violente piqûre au mollet gauche, comme s’il s’était déchiré à un fil de fer barbelé ; il claqua la portière et démarra en direction de la route côtière.
Plein sud désormais, vers la jungle inextricable de Los Angeles, à plus de cent cinquante kilomètres d’ici. Finis, les petits patelins et le motels de luxe du bord de mer. Il était temps pour lui de se fondre dans la masse des millions de citoyens pauvres et anonymes.
Mais il n’avait pas parcouru cinq kilomètres qu’il s’aperçut que Carl avait réussi à le suivre. Et Carl était le dernier type au monde qu’il souhaitait avoir à ses trousses. Une fois lancé dans la bagarre, Carl ignorait le sens des mots "prudence" ou "peur". C’était l’être le plus follement dangereux que Willie ait jamais rencontré. Mais d’où diable était-il sorti ? Faisait-il équipe avec Nick ? Était-ce lui qui avait fouillé son bungalow ? C'était plus que probable.

Mis à part “Good bye Chicago” (Série Noire,1981), “Un homme à la coule” est le dernier roman policier écrit par William Riley Burnett, en 1969. Depuis ses débuts en 1929, il a acquis une grande expérience de romancier et de scénariste. Le style est ici nettement plus jovial que dans ses premiers titres (Little Caesar, High Sierra, Quand la ville dort…). Il ne s’agit peut-être pas d’un "grand" roman de cet excellent auteur, mais d’une histoire très divertissante, agitée et passionnante à souhaits.

C’est avec une sacrée virtuosité qu’il nous raconte les tribulations de Willie Madden et de ceux qui sont à ses trousses, ce qui donne lieu à une aventure riche en péripéties. Ni Carl, ni le vieux privé Quait ne veulent buter Willie – qu’ils admirent pour son intelligence, dans un certain sens – ils visent juste son argent. L’affaire ne remontant qu’à cinq ans, la police est toujours en action. Tout ça ne perturbe que modérément le sympathique Willie, qui se sait en mesure de redoubler de prudence. Tomber sous le charme d’une jeune fille pourrait lui compliquer les choses… Un roman très agréable à lire – ou à relire.

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6 septembre 2018 4 06 /09 /septembre /2018 04:55

Bérénice, l’épouse de Boris est morte à New York, le 11 septembre 2001. Quinze ans plus tard, en avril 2016, après avoir combattu les talibans en Afghanistan, Boris vit à Bordeaux, sur la dalle de Mériadeck, où il est détective privé. Même dans cette ville, plus bourgeoise que contestataire, on organise des Nuits Debout, des manifs contre la future Loi Travail. Une nuit, Boris sympathise avec Manuel, un Colombien au statut incertain. Alors qu’ils interviennent dans une ratonnade anti-homos, un homme est jeté dans le vide. C’était un policier qui infiltrait un mouvement de nazillons. Le coupable est un nommé Wolf, leader du Groupe Identitaire, l’ultra-droite.

Boris obtient quelques infos grâce au commissaire avec lequel il entretient de bonnes relations. Ce dernier montre à Boris et Manuel une vidéo de la bagarre mortelle, où ils figurent sans être suspects. Mais sur les mêmes images, on reconnaît aussi Julia, la fille de Boris, qui semble s’être acoquinée avec le Groupe Identitaire. Après le décès de Bérénice, Julia fut élevée par la belle-sœur de Boris, Monica. Sa mère était plutôt "de gauche" très convaincue, petite-fille d’anarchistes catalans, que va faire Julia chez les activistes d’extrême droite ?

Boris se fait une promesse : “Ce Wolf est un homme mort. Les terroristes ont pris ma femme ; le type de la droite ultra n’aura pas ma fille… Elle reviendra parmi les vivants, elle aura des enfants, ce Wolf restera une ombre perdue dans le noir de la nuit. Même si je dois mourir pour qu’il meure. S’il le faut, je l’accompagnerai en enfer…” Boris peut compter sur Manuel, ancien des FARC. Dans une vidéo, il voit que Julia a participé à un meeting du Groupe Identitaire. Elle lui adresse une lettre, dans laquelle elle reprend les thèmes de la propagande anti-musulmans. Un fanatisme décevant et surprenant pour son père.

Journaliste gauchiste, "Carole" peut-elle vraiment être utile au combat qu’entame Boris ? Quant à Monica, inquiète du silence de Julia, elle espère sans doute trop de la police, pense le père de la jeune fille. Ahmed, qui milita contre l’extrême droite, pourra offrir des infos de qualité à Boris. Le commissaire ne cache pas à Boris que ses amis et lui sont sous surveillance, de même que le téléphone de Julia. Ce qui n’empêche pas Manuel et Boris de tenter une opération commando contre une grange, un des QG du Groupe Identitaire. Ils ne sont pas les seuls à connaître cette adresse : la DGSI et le Stups interviennent.

Turan, agent de la DGSI, résume les choses pour Boris : tout en ciblant Wolf, les flics n’oublient pas que la sécurité publique reste une priorité. De son côté, Boris se renseigne sur les armes utilisées par les djihadistes lors des attentats. Ces "Tokarev" sont aussi les armes dont se sert le Groupe Identitaire. Trafic d’armes ou passerelles idéologiques ? Certaines réponses sur Julia, c’est Irène – la fille du commissaire – qui va les apporter à Boris, car elles ont été amies à la Fac. Le combat est encore loin d’être gagné pour le père de Julia…

Jean-Paul Chaumeil : Parfois c'est le diable qui vous sauve de l'enfer (Rouergue Noir, 2018)

Inscrire une fiction dans une actualité encore récente et sensible est un pari risqué. Les faits en question ont une portée politique. Chaque lecteur aborde ces sujets avec son opinion, forcément tant soit peu partisane. Jean-Paul Chaumeil en est assurément conscient. Aussi son héros – sans être neutre – reste dans son rôle d’ex-baroudeur. Il a une mission à accomplir : sauver sa fille, en la tirant des griffes d’un groupuscule prêt à répliquer aux attentats djihadistes en commettant des opérations violentes. Sachant que dans tous les camps, le banditisme va de pair avec le prétexte politico-religieux, voire racial.

Tout ça se passe dans un contexte où la tension monte au sein de la population – Nuits debout et manifs. Et où certains veulent faire croire que les forces de sécurité françaises (anti-terrorisme) ne seraient pas efficaces. C’est avec une belle maîtrise que l’auteur présente la situation, un bon exemple d’Histoire immédiate. Roman noir sociétal et roman d’action à la fois, après l’excellent “Ground Zero”, ce nouveau titre de Jean-Paul Chaumeil s’avère également très convaincant.

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4 septembre 2018 2 04 /09 /septembre /2018 04:55

En ce temps-là, au 19e siècle, deux jeunes Suédois, Håkan et son frère aîné Linus, font partie de la multitude des émigrants vers l’Amérique. Mais, entre deux embarquements, Håkan perd son frère de vue et se retrouve seul, ne parlant pas un mot d’anglais. Néanmoins, il monte à bord d’un navire en partance pour l’Amérique. Celui-ci ne va pas à "Nujårk" (New York) comme le croyait Håkan, mais sa destination est San Francisco. Sur le bateau, il se joint à un prospecteur d’or irlandais avec sa famille, les Brennan. Ils débarquent ensemble en Californie, avant que débute leur périple vers les régions supposées aurifères. Håkan pense pouvoir rejoindre Linus à New York, en traversant le pays. James Brennan a bientôt trouvé un filon, une mine qu’il s’agit de protéger.

À Clangston, bourgade voisine, Håkan va être longtemps prisonnier dans une chambre d’hôtel, à la merci d’une dame – chef du gang local. Il parvient finalement à s’évader, avant de devoir affronter à pied le désert. Au bout de quelque temps, Håkan est recueilli par John Lorimer. C’est un scientifique bienveillant, un naturaliste ayant ses théories sur l’évolution de l’être humain – proches de celles de Darwin. Il donne à Håkan une forme d’éducation, tous deux conversant dans un langage "bricolé" par Lorimer. Celui-ci et ses hommes avancent vers l’Est, jusqu’au lac salé de Saladillo. Grosse épreuve pour la petite troupe, au point que les hommes commencent à se rebeller contre Lorimer. Håkan et le scientifique vont s’occuper d’une tribu indienne ayant besoin de soins, avec l’aide du guérisseur de ce groupe. Håkan apprend ainsi à soigner les autres.

Le jeune Suédois, qui s’est déjà endurci, doit poursuivre sa route vers l’Est, bénéficiant avant son départ des conseils de John Lorimer. Il ne dispose que d’un poney malade pour progresser. Après le désert, vient la Prairie moins hostile. Håkan y croise des convois d’émigrants allant vers l’Ouest. Dont celui de Jarvis Pickett, qui est à la tête d’une "fraternité de colons", et s’avère un fieffé escroc. Avec bravoure, Håkan défend le convoi de Jarvis quand ils sont attaqués par une milice agissant au nom d’une secte. Il tue ceux qui les ont ciblés, soigne les blessés du convoi.

Sa réputation "d’impitoyable" gagne les autres émigrants. La légende de Hawk, le Faucon – ainsi qu’on le surnomme vite – débute à cette époque. Cap sur le Sud et l’Est pour Håkan qui continue seul son périple. C’est encore de cette façon qu’il s’en sort le mieux, se débrouillant avec ce qu’il trouve. D’ailleurs, dans la première petite ville où il arrive, il a de gros problèmes avec le shérif du coin. Grâce à un admirateur, Asa, il réussit une fois de plus à s’enfuir. Mais le chemin vers l’Est est toujours semé d’embûches…

Hernán Díaz : Au loin (Éd.Delcourt, 2018) – Coup de cœur –

Après un long moment à courir sans s’arrêter, Håkan se retourna vers les lueurs de la ville. À sa surprise, Clangston avait disparu. Et ce vent qui lui fouettait maintenant le visage, s’aperçut-il, charriait du sable. Dans un premier temps, les rafales le laissèrent discerner l’aura nocturne des gros rochers et des buissons qui se dressaient à un ou deux pas devant lui, mais bientôt il ne distingua plus rien. Le tourbillon de sable oblitérait jusqu’à l’obscurité. La puissance des bourrasques, combinée à la morsure du sable qu’elles transportaient, composait un nouvel élément qui, en dépit de sa texture sèche et rugueuse, avait plus de points communs avec l’eau qu’avec la terre et l’air. Håkan devait se tenir dos au vent pour respirer, mais il n’interrompit pas sa course , il se sentait protégé par cette tempête qui l’enveloppait et dont le grondement lui bouchait les oreilles…

Que cette histoire est captivante ! Il ne s’agit ni vraiment d’un western, ni d’une intrigue policière, mais d’un roman littéraire d’aventures. Si le postulat – traverser l’Amérique à rebours – paraît incroyable, on est très rapidement convaincus. Håkan est un jeune homme grand et tenace, méprisant la douleur, décidé à atteindre son but (aussi illusoire soit-il) : retrouver son frère aîné à New York. Outre sa force bien réelle, c’est avant tout un garçon intelligent, le naturaliste Lorimer ne s’y trompe pas. Håkan sait tirer des leçons de toutes choses, même si les étapes et les épreuves ne manquent pas sur son long parcours à travers des territoires souvent vides.

La notion du temps qui passe devient forcément aléatoire pour lui, qui se basera beaucoup sur le rythme des saisons. La principale conclusion qu’il en tire, c’est qu’il s’en sort toujours mieux seul qu’en groupe – la solitude ne lui pèse pas, au contraire c’est sa protection. La conquête de l’Ouest a attiré autant de malandrins que de gens honnêtes. Le récit est clair et parfaitement maîtrisé, un tableau très vivant de cette époque si contrastée – narration servie par une traduction française fine et précise, qu’il convient de saluer. On partage avec Håkan – sacré personnage – tout ce qu’il endure, en conservant comme lui un certain optimisme. Voilà un roman remarquable – l’évidence d’un coup de cœur s’impose ; un des meilleurs titres de l’année. À ne surtout pas manquer !

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3 septembre 2018 1 03 /09 /septembre /2018 04:55

À l’est des États-Unis, Rhodes Island est le plus petit État du pays. En 1992, Liam Mulligan est un journaliste (sportif) débutant du Providence Dispatch, le grand quotidien local. Bien que la criminalité ne l’intéresse guère, Mulligan est amené à enquêter sur un double meurtre – d’une jeune femme et de sa fillette, tuées de nombreux coups de couteau. Le policier Jennings et Mulligan ayant sympathisé, le journaliste obtient de meilleures infos que le reporter attitré du Dispatch. Deux ans plus tard, un triple crime similaire à celui de 1992 est commis. Mulligan va contribuer à l’arrestation du coupable – Kwame Diggs, qu’il avait déjà repéré auparavant. Il s’agit d’un Noir âgé alors de quinze ans. Il existe assez de preuves contre lui mais, en tant que mineur, il pourrait n’être emprisonné que pour une peine plutôt courte – ce dont il semble parfaitement conscient.

Près de vingt ans plus tard, en 2012, comme tant d’autres journaux américains, le Dispatch est à l’agonie. Mulligan en est devenu un des piliers, en particulier grâce à une affaire qui causa le décès de sa meilleure amie, Rosie Morelli, chef des pompiers de cette région. Edward Mason, fils du propriétaire du journal et reporter inexpérimenté, collabore avec Mulligan. Tandis qu’un autre psychopathe est sur le point d’être libéré pour raisons de santé, l’affaire Kwame Diggs est relancée. Âgée de soixante-six ans, la mère de Diggs croit toujours son fils innocent, malgré l’évidence. Mais, en effet, la Justice a accumulé de faux éléments pour maintenir Diggs en prison. Ce pervers ressassant ses "exploits" meurtriers récidivera certainement s’il est libéré. Edward Mason entreprend de revisiter l’affaire, de la traiter sous un angle favorable à Diggs. 

Tandis que Mason contacte une association de défense des Noirs, l’ex-avocat et la nouvelle avocate de Diggs, et d’anciens gardiens de prison, Mulligan cherche d’autres preuves. Il va être épaulé par Gloria Costa, son amie photographe du Dispatch. Avant les cinq meurtres pour lesquels Diggs a été condamné, ne fut-il pas celui qui agressa Sue Ashcroft ? Il n’avait que douze ans à l’époque, mais sa précocité criminelle n’est plus à démontrer. Si Jennings est désormais en retraite, les contacts qu’a gardés l’ancien policier peuvent s’avérer utiles pour en savoir davantage sur la détention de Diggs. En outre, Mulligan est un ami de Fiona McNerney, la gouverneure de l’État. Peut-être saura-t-elle faire comprendre à l’opinion publique que le cas de Diggs est très différent de celui de l’autre vieux psychopathe relâché, car n’ayant plus pour longtemps à vivre.

Bruce DeSilva : Dura Lex (Actes Noirs, 2018)

Assise au bord de sa chaise de bureau, Gloria se pencha vers la photo sur l’écran de son iMac 27 pouces et plissa son œil.
Le cliché montrait Kwame Diggs entrant dans le palais de justice de Providence, mains menottées dans le dos et jambes entravées par une courte chaîne métallique. Deux policiers d’État l’empoignaient par ses biceps bombés. Ils étaient du genre costaud, mais à côté de Diggs, ils ressemblaient à des nains. Avec son mètre quatre-vingt-dix-huit et ses cent cinquante kilos, il aurait pu jouer comme défenseur central dans l’équipe préférée de Gloria, les New England Patriots. Juste derrière lui se tenaient deux autres agents de la police d’État, armés d’un fusil d’assaut.
Gloria zooma sur le visage aussi expressif qu’un parpaing, ce regard vide. Elle se rappelait très précisément ce qu’elle avait ressenti en prenant cette photo l’année précédente.

Dans “Pyromanie” et “Jusqu’à l’os”, les lecteurs ont fait la connaissance de Liam Mulligan, pro du journalisme d’investigation, confronté à des affaires énigmatiques. Ce troisième opus permet de revenir sur le début de carrière du héros, qui n’envisageait nullement de s’occuper de cas criminels. L’auteur n’oublie pas quelques sourires, évoquant le bruyant perroquet ara de Mulligan, mais c’est bien autour de la personnalité du coupable que se joue cette intrigue très réussie, d’une superbe fluidité narrative.

Il est vrai qu’aux États-Unis, un grand nombre de Noirs sont soit accusés à tort, soit victimes de trop lourdes condamnations. Ce n’est pas vrai pour le jeune Diggs qui prit un réel plaisir à commettre ses crimes, du fantasme au passage à l’acte. Même les films pornographique (ah, Ginger Lynn !) ne suffisaient pas à l’exciter. Épier ses victimes, tuer sans se soucier de laisser des traces exploitables pour les enquêteurs, croire à une part d’impunité puisqu’il était mineur, tout ça indique son profond mépris des autres. Que faire de lui, alors qu’il recommencera forcément ? Tel est le principal thème de ce roman.

Bruce DeSilva décrit également un aspect sociétal, la fin des grands journaux américains entamée avec l’arrivée d’Internet, ainsi que les réactions de la population face à la libération annoncée d’un vieux criminel qui n’est pus dangereux. Mulligan est là dans un rôle de témoin de l’évolution de la société. Ce qui enrichit l’histoire racontée. Homme mûr, journaliste chevronné deux décennies après ses débuts, il conserve les rites qui ont construit ce qu’il est (il fréquente le même bar depuis tout ce temps, par exemple). Un personnage réglo face auquel on se sent en confiance, nous autres lecteurs.

Avec “Dura Lex” et les précédents titres de Bruce DeSilva, on est vraiment dans la meilleure tradition du roman noir, avec une enquête vivante et crédible (s’inspirant tant soit peu d’une véritable affaire). Voilà un auteur à lire sans hésiter.

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