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17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 04:55

Les liens familiaux n'existent pas vraiment dans cette famille-là, vivant dans une maison au cœur d'un paysage campagnard. Ne parlons pas de la mère qui, hormis aux repas, n'a guère de contacts avec ses proches, et qui n'entretient rien dans son foyer. Le père, c'est un homme sévère et froid, qui semble aboyer sur ses fils plutôt qu'il ne leur parle, qui n'a que des reproches à leur adresser. Face à lui, autant que possible, il vaut mieux faire front ensemble, ses trois fils l'ont bien compris. L'aîné, Stanislas, est un lycéen de dix-huit ans. N'étant présent que pour les vacances, il observe cet univers familial glacé où ses frères expriment logiquement un besoin de liberté, peut-être une nécessité de fuite vitale.

C'est chez Matthias, âgé de quinze ans, que Stanislas sent le plus cette envie. D'ailleurs, l'adolescent disparaît parfois durant quelques jours. Que fait-il ? “Je marche parce que je n'ai rien à attendre de personne et parce que le jour où je foutrai le camp je veux pouvoir me débrouiller sans rien ni personne. C'est pour ça le fusil…” En effet, Matthias a dérobé le précieux fusil de Jimmy, un autre jeune du secteur. Ce dernier sait qui est son voleur, et va se bagarrer avec Matthias pour le récupérer. Stanislas calmera la tension, provisoirement. À chaque retour de fugue, le mépris de leur père est plus flagrant envers Matthias. Il n'est pas plus tolérant envers ses deux autres fils, il n'en supporte aucun.

Ladislas, le plus jeune frère, a treize ans. Si Matthias et Stanislas ont repéré une cabane des alentours où habitent une jeune fille et Samuel, son petit frère de neuf ans, c'est Ladislas qui a noué contact avec l'adolescente. Peut-être s'agit-il d'une amourette mais le garçon a besoin de cette tendresse, introuvable dans son monde. Veuf, le père de Samuel et de sa grande sœur déserte leur cabane. Sans doute profite-t-il des plaisirs de la ville située à une heure d'ici. “On vit comme des clochards” estime le petit Samuel. Sa sœur lui offrira une balade en car jusqu'en ville, et un appareil Polaroid. Croit-elle Ladislas capable de l'emmener loin de ce coin perdu, comme ils en ont formulé le projet ?

Le seul que Stanislas puisse apprécier, c'est leur oncle. Cet homme cultivé est impotent, et commence à perdre la vue. Sans doute lui donnerait-il d'utiles leçons de vie. Stanislas n'a pas la maturité pour les comprendre pleinement. L'oncle a prêté de l'argent à leur père, qui le rembourse avec ponctualité : bonne occasion pour Stanislas de rendre visite à ce parent diminué. Quand la situation va devenir complexe pour sa famille, c'est l'oncle que Stanislas consulte en premier. Mais il s'agit d'une agression ayant conduit au meurtre. Et le petit Samuel a pris en photo celui qu'on peut suspecter d'être l'assassin…

Stéphane Guyon : Ici meurent les loups (Éd.de la Différence, 2015)

Ça se passe dans un décor rural fantomatique, avec des petites collines boisées, à l'écart d'un village qu'on ne fréquente guère. Ça se situe plutôt en France, mais ce pourrait être aussi bien dans quelque contrée américaine, anglaise ou de n'importe quel pays. L'histoire de trois frères confrontés… à quoi ? À un père trop dur, telle est la réponse venant en tout premier à l'esprit. Pourtant, non, ce n'est pas si simple. Ne sont-ils pas plutôt confrontés à eux-mêmes, à leur solitude, à leur inexpérience ? Leur fatalité n'est pas de vivre dans ces paysages rustiques, que d'autres trouveraient idylliques. Leur aspiration ne consiste pas à "partir pour la ville". Quelles que soient les raisons de leur mal-être, quelle que soit la sensibilité de chacun d'eux, ils ont profondément besoin d'une autre vie.

─ “T'as bien fait de partir… T'as bien fait de t'obstiner. Je comprends ça en te voyant aujourd'hui. Je regarde tes frères, et je sais c'est toi qui a fait le bon choix. Je le sens. Tu as bien fait de t'éloigner. Parce qu'il y a dans l'air de cette maison quelque chose de pourri.” Par son regard pessimiste sur un petit groupe de personnes, par la lourdeur qui plane sur eux, par la sourde violence en filigrane, c'est assurément un roman noir qu'a écrit Stéphane Guyon. L'écriture elliptique, parfois déstabilisante, nous invite à aller au-delà du portrait des protagonistes, à illustrer ce qui est passé sous silence. Roman criminel, bien sûr, mis en valeur par une sombre psychologie. Un troublant troisième titre de la collection "Noire" des Éditions de la Différence.

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16 mai 2015 6 16 /05 /mai /2015 04:55

De 1999 à 2001, Roger Martin publia une trilogie (Une affaire pas très catholique, Un chien de sa chienne, Quai des désespoirs) intitulée "l'Agence du Dernier Recours". Basée à Avignon, c'est une agence créée par Héléna Rénal pour lutter contre les erreurs judiciaires. Cette femme d’environ quarante ans connaît bien le problème pour l’avoir vécu. Elle a fait vingt ans de prison suite au meurtre de son père – un magistrat respecté de la région – avant d’être reconnue innocente. Héléna est aujourd’hui une militante qui ne peut pas encore totalement effacer son passé de sa mémoire. Et ses rapports avec les hommes restent difficiles. Évoquons ici cette trilogie.

 

"Une affaire pas très catholique" (Éd.Seuil, 1999)

Le cas de Frédéric Richard, Héléna a du mal à l’accepter d’emblée. Un violeur récidiviste, selon la justice. Qui a admis un premier viol, mais en nie un second commis après sa libération. Sa mère croit qu’il dit la vérité. Le jeune homme a des accents de sincérité. Pourtant, Héléna préfère se renseigner sérieusement sur le dossier avant de s’engager. L’avocat d’office, proche des mouvements nationalistes, a-t-il vraiment défendu son client ? Quant à la police, elle considère l’affaire comme parfaitement limpide. Le policier Jean Carmona en est moins convaincu. Discrètement, il contacte Héléna et lui fait part de ses doutes. Pour ce qui est d’agir, ce sera moins évident. La jeune femme retrouve aussi Gilbert Boni, ancien gardien de prison, qui se dit prêt à lui venir en aide. L’un et l’autre lui seront fort utiles, en effet.

Sur ce dossier plane l’ombre de Pierre Rouault, un notable de la région très impliqué chez les ultra-cathos et dans la droite extrême. C’est sa fille qui aurait été violée par Frédéric. Pour lui, la cause est entendue. Héléna réussit à approcher la jeune fille, mais ne peut lui faire confirmer les aspects troublants ou incohérents de cette affaire. Pierre Rouault veille : c’est sûrement lui qui a envoyé des agresseurs pour effrayer, brutaliser Héléna. Initiative stupide car c'est ce qui la décide à aller jusqu’au bout. Sans craindre les appuis de Rouault, assistée par Boni et Jean, elle défendra les jeunes victimes de cette histoire…

On retrouvera Héléna dans "Un chien de sa chienne" (Éd.Seuil, 2000), où un militant de la protection de la nature est découvert mort en forêt, près d'un blockhaus de la Ligne Maginot. Le coupable idéal est un jeune Gitan, selon la police. Son clan n'y croit pas, et embauche Héléna afin de s'occuper de l'affaire. Elle rencontre d'abord un des fils de la victime, qui doute aussi de la culpabilité du jeune Gitan…

Roger Martin : Une affaire pas très catholique + Quai des désespoirs

"Quai des désespoirs" (Éd.Seuil, 2001)

Sans vouloir culpabiliser, Héléna Rénal aurait dû s'intéresser à ce Roumain venu la voir à "l'agence du Dernier Recours". Il s'agissait d'une affaire de clandestins, de compatriotes roumains suivant une filière pour émigrer au Canada, via Le Havre. Le frère de Mircea Stanku, Virgil, est accusé d'avoir tué plusieurs personnes, peut-être un coup de folie. C'est sans nul doute parce qu'il a voulu enquêter seul que Mircea Stanku est mort. Il a laissé des documents à Maïté Baradel, responsable au Havre de "Étrangers Solidarité", qui les a transmis à Héléna. Malgré la mise en garde de son compagnon, le policier Jean Carmona, Héléna va explorer cette affaire.

Se faisant passer pour une candidate au départ vers le Canada, elle va partager de Paris au Havre le sort d'un groupe d'hommes, pris en charge par des trafiquants. Avant qu'ils n'aient eu accès aux containers dans lesquels on les fait voyager, la police intervient sur dénonciation. Quand tous sont interrogés, Héléna ne révèle pas toute la vérité à Yvelise Bernard, compréhensive capitaine de la PAF. Elle va de nouveau s'exposer à un danger réel en tentant d'utiliser une autre filière. Cette dernière est dirigée par un vieux Roumain au passé extrêmement trouble, assisté de son fils Eugène. Tous les deux se méfient d'elle. Il faudra bien les efforts conjugués d'Héléna, rejointe par Jean Carmona, de Maïté Baradel et de son mari omniscient, de l'enquêteur d'origine roumaine Nastase, et de la capitaine Yvelise Bernard pour affronter la bande en question. Et pour démontrer le rôle de la Société Havraise de Protection…

(En 1997, Roger Martin publia aux Éditions de la Voûte un roman court d'environ soixante pages, "Mort Clandestine", qui sert de base à celui-ci, seconde version plus complète)

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15 mai 2015 5 15 /05 /mai /2015 06:30
Les Printemps meurtriers de Knowlton 2015 jusqu'au 17 mai

Au Québec, dans les Cantons de l'Est, la quatrième édition du festival international de littérature policière, Les Printemps meurtriers de Knowlton, se tient jusqu'au 17 mai 2015. Seize auteurs québécois et étrangers - dont Ian Manook (France), Jacqueline Landry (Vancouver) ainsi que Patrick Senécal, Chrystine Brouillet, Martin Michaud, Roxanne Bouchard, Ghislain Taschereau, Jean-Jacques Pelletier et Jean Lemieux (Québec) - fouleront les rues du pittoresque village de Knowlton.

Tables rondes, Killer martini quiz, course aux indices et classes de maîtres réuniront de nouveau festivaliers et romanciers. Près de vingt activités au programme, dont la classe de maître Du roman au film, une conférence donnée par Patrick Senécal, l'activité Off Printemps intitulé La forêt aux livres - où parents et enfants seront invités à déambuler parmi des arbres au feuillage étrange, en compagnie des deux auteurs jeunesse Martine Latulippe et Laurent Chabin - ainsi que l'activité Cadavre exquis où ? en compagnie de l'auteur Benoît Bouthillette, les festivaliers créeront la nouvelle des Printemps, qui sera lue à la cérémonie de clôture du dimanche. Enfin, soulignons la classe d'écriture de l'auteur Sylvain Meunier, lauréat du prix Tenebris 2012, ainsi que la Fête des Printemps du samedi soir, un happening en compagnie des auteurs invités, où tout peut arriver! Musique, danse, rires et délires garantis!

Le prix de la plupart des activités est fixé à 22 $ (taxes incluses), mais plusieurs forfaits seront disponibles, allant du forfait d'un jour au forfait week-end. Les billets sont en vente en ligne.

Pour contribuer au rayonnement de la littérature policière de langue française en général, et de la littérature policière québécoise en particulier, Les Printemps meurtriers ont créé les prix Tenebris, sous la direction de Richard Migneault ( http://lecturederichard.over-blog.com/ ). Ils récompensent en particulier le Meilleur roman, littérature policière de langue française, distribué au Québec. Le nom du lauréat(e) est dévoilé lors de la soirée qui clôture le festival. Le prix est accompagné d'une bourse.

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14 mai 2015 4 14 /05 /mai /2015 04:55

Une supérette ordinaire quelque part dans l'agglomération parisienne, rue des Termes. En ce vendredi de mai, le patron Gilbert Delcroix s'en va, laissant son employé âgé de vingt-quatre ans, Guillaume Vanderkeren, s'occuper de la clientèle. Le jeune homme remplace son amie Camille, qui a un rendez-vous urgent chez le gynéco.

Il n'y a pas foule cet après-midi. Léa Fronsac s'est absentée de chez elle, ayant besoin de couches pour son enfant de trois ans, Émile. Germaine Dethy, irascible octogénaire en fauteuil roulant, est accompagnée de son aide familiale pour faire quelques courses. Aline, quadragénaire, a bousculé son fils Théo, ado captivé par les jeux et les écrans, l'obligeant à la suivre pour aller voir le grand-père, en passant par la supérette. Comptable marié, Thomas vient de tromper sa femme avec Sophie, jeune réceptionniste ayant parié de le séduire. Ensemble, ils ont des achats à faire. Et puis, il y a Joachim Fallet.

Jo est un junkie de dix-neuf ans. Énervé, car il a besoin de drogue. Rageur, car il lui faut du fric pour en acheter. Déterminé, car il possède un petit flingue chargé. Braquer une supérette anonyme, ça lui paraît à sa portée. Effectivement, l'effet de surprise va jouer. L'employé Guillaume n'a pas de raison de résister, pour à peine deux cent Euros dans sa caisse. Arme en main, Jo réalise sa puissance, et la terreur qu'il inspire aux gens présents. Un instant de pouvoir excitant. Pas de motif de s'apitoyer sur la détresse de Léa qui pense à son petit garçon, ni d'avoir de sentiment charitable envers les autres clients. Chacun est solidement attaché, tandis que le rideau métallique de la supérette est baissé. Personne ne viendra ainsi perturber le braquage de Jo.

La corpulente aide familiale de Germaine est victime d'une attaque cardiaque fatale. Ce qui ne choque guère son employeuse, mais aggrave le cas du junkie. Un défibrillateur ne servirait pas davantage que les massages cardiaques prodigués par Aline pour sauver la victime. C'est alors qu'intervient Théo, l'adolescent attendant sa mère à l'extérieur, ayant compris qu'il y avait un problème. Ce qui va causer immédiatement une pagaille générale dans la boutique. La situation dégénère très vite. Il suffit d'un coup de feu pour devenir un assassin. D'autant moins excusable quand on tire dans le dos de quelqu'un qui ne vous met nullement en danger. La plus claire des conséquences, c'est que les clients-otages deviennent des témoins gênants. “Cinq ennemis à abattre” ?

L'un d'eux est sévèrement blessé d'une balle au genou, alors qu'il tentait de réagir. Germaine est emmenée par les fuyards : étant impotente en fauteuil roulant, elle ne risque pas de leur fausser compagnie. “La vieille dame ne se laisse pas démonter, au mépris des menaces qui pèsent sur elle. Elle est insupportable, mais sa gouaille et la verdeur de son tempérament forcent l'admiration.” Dans la supérette, une autre victime sera à déplorer. Quant au petit Félix, huit ans, il aura son rôle à tenir dans cette aventure. Il est probable que le pedigree de certains clients intéresse la police, le moment venu…

Barbara Abel : L'innocence des bourreaux (Éd.Belfond, 2015)

Grâce à cet excellent roman, voici une nouvelle occasion de saluer le talent de Barbara Abel. Plutôt que le qualificatif commercial de "thriller", supposant très souvent des effets morbides ou du grand spectacle, préférons-lui celui de "suspense". Notion plus mesurée, qui inclut autant de tension dans le récit. N'oublions pas que, chez cette auteure, point de super-héros : c'est à partir d'un quotidien absolument normal que se développe l'intrigue, afin de lui apporter toute son intensité. Un braquage virant à la prise d'otage, la routine bascule vers le drame. Évocateur et crédible, puisque personne ne peut se croire à l'abri d'un fait divers de ce genre.

Rares sont les réels actes de bravoure autour de nous, ils n'apparaissent donc pas indispensables dans la fiction. Par contre, les petites lâchetés ou les éventuels secrets de chacun, l'inquiétude d'une jeune mère ou un certain cynisme chez une mamie, une mère protectrice ou un mari infidèle, ce sont des faits ou des traits de caractères proches de l'authenticité. Barbara Abel sait nous faire partager l'état d'esprit de ses personnages, ne leur faisant "pas de cadeaux" si la suite des évènements en dépend. La vie n'est pas exempte d'ironie, parfois. Un suspense captivant à souhaits !

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13 mai 2015 3 13 /05 /mai /2015 04:55

Un romancier invente des histoires, généralement les plus crédibles possibles. Pourtant, la fiction se nourrit de réalité. Contexte social, géographique ou puisé dans le passé, héros proches de personnes vivantes ou défuntes, c'est ainsi que l'auteur apporte une véracité à ses récits. Quand Hervé Jaouen retrace la saga des “Filles de Roz-Kelenn” ou celle de la famille de “Gwaz-Ru”, des Bretons à travers le 20e siècle, on sait que ce sont des images pas si éloignées de ce que vécurent les habitants de Quimper et de toute la Bretagne.

Son inspiration est encore plus directe quand il écrit “L'adieu aux îles” (Éd.Mazarine 1986, Folio Gallimard 1999). Hervé Jaouen extrapole dans ce roman le parcours de la famille de son épouse, se servant des éléments biographiques dont ils disposent. Originaires de la Manche et des Côtes d'Armor, les Turgot firent souche à Saint-Pierre-et-Miquelon, au large des côtes du Canada. Français exilés, ils s'adaptèrent au rugueux climat et s'y marièrent. Parce qu'il s'agissait d'un cadre de vie qu'ils avaient choisi, et qu'ils y connurent un certain bonheur, leur attachement à ces îles resta intense.

Léopold Turgot et son frère Emmanuel étaient employés au Câble, liaison sous-marine transmetteuse de messages entre les États-Unis et l'Europe. À cause d'un accident sur ce câble, tous deux perdirent leur emploi autour de 1930. À part vivoter, ils n'avaient guère l'espoir de pouvoir rester sur place. Après tout, la France métropolitaine était leur pays, et on semblait y vivre plutôt correctement. C'est ainsi que se décida le "retour" vers ce qui n'était ni vraiment leur patrie, ni exactement un pays paradisiaque. Quelques errements, puis Léopold Turgot trouva de nouveau un emploi et fit venir Emmanuel avec les siens.

Voilà pour le trajet particulier de cette famille, celle de Mme Jaouen, dont Léopold Turgot était le grand-père. Toutefois, l'objet de “Si loin des îles” est ailleurs. Ce texte est un de ces documents rares qui ont failli se perdre : un témoignage sur la 2e Guerre Mondiale, telle que l'on vécue les Turgot dans le Finistère. Avant 1939, pour leur métier, ils se sont installés à Brest. Dès les premiers mois du conflit, Léopold Turgot raconte – comme dans une lettre à ses cousins de Saint-Pierre-et-Miquelon – ce qu'entraîne pour eux les débuts de cette guerre. Port stratégique, Brest fut pilonné par les avions anglais à partir de juin 1940. Les bombes commencèrent à détruire la ville, à la grande frayeur des habitants.

Hervé Jaouen–Léopold Turgot : Si loin des îles (Éd.Locus Solus, 2015)

Au rythme des alertes, des canonnages, des survols, chacun s'organise comme il peut, pour avoir assez de nourriture, pour se débrouiller sans gaz quand celui-ci est coupé, pour se procurer du charbon. Et même, bien plus banalement, pour circuler en ville et dans les environs. Désœuvrés puisque le Câble est désactivé, les frères Turgot bricolent. “Je fais le cordonnier et, ma foi, réussis très bien. Seulement, c'est le cuir qui manque le plus. Nous n'en sommes pas encore rendus à porter les boutoucoat [sabots de bois] mais ça viendra.” D'août 1941 à avril 1942, le travail de leur fille Germaine l'éloignant de Brest par sécurité, les Turgot vont se réfugier à Landivisiau. La situation reste précaire.

Puis Léopold et Emmanuel trouvent chacun une maison à Huelgoat, à plus de soixante-dix kilomètres de Brest. Après une longue interruption, Léopold reprend son témoignage en octobre 1944, se remémorant la dramatique période traversée. À Huelgoat, on ne subit pas les bombardements, mais la présence de l'armée hitlérienne est aussi importante. Leur fils militaire Léo étant revenu dans ses foyers, les Turgot vont créer dans les pièces disponibles de leur maison un atelier de tissage. Une manière de subsister, de gagner un peu d'argent. Par roulement, les hommes sont ici réquisitionnés par l'occupant, pour des travaux de bûcheronnage. Enfin, ce sont les débuts de la Libération, non sans risque de contre-attaque allemande…

Cet ouvrage comporte une première partie, où Hervé Jaouen évoque l'univers familial des aïeux de son épouse, et la découverte tardive de ce document. Le témoignage de Léopold Turgot dépasse son expérience personnelle et la vie de ses proches. Si l'oralité a permis à bien des gens de connaître leurs origines, un tel texte – écrit avec une certaine précision littéraire – dit avec force et vérité ce que fut le quotidien réel de nos récents ancêtres, en des temps perturbés. Excellente initiative de le partager, de le publier, d'en faire profiter le public. Un document historique à découvrir.

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12 mai 2015 2 12 /05 /mai /2015 04:55

Jarring est un lobbyiste quadragénaire carrément speedé. L'argent, il n'en manque pas, claquant de belles sommes pour s'acheter toutes sortes d'excitants, de drogues. Il en a besoin afin que son énergie ne retombe jamais. Son suivi chez un psy et les quelques antidépresseurs qu'on lui prescrit n'y suffiraient pas. D'autant que, quand il n'entend pas la voix de son défunt père, c'est celle de son chat qui lui parle. Ce qui est paradoxal chez lui, c'est qu'il est allergique aux félins au point de les maltraiter, mais qu'il ne peut s'en passer. Des problèmes auxquels il remédie grâce à l'alcool et aux substances illégales. Dans son job, il doit être shooté au maximum. Laissons-le expliquer son métier :

Je bricole des stratégies cyniques pour contrer les attaques permanentes des entreprises concurrentes de mes clients, je travaille aussi pour des politiques en manque d'image, ou tout simplement avec des petits soucis. J'adore mon job. Je bosse jour et nuit, vis à cent à l'heure […] Je suis le "Scarface" de la communication, "L'Inspecteur Harry" du lobbying. Je massacre, j'égorge, j'impose dans la douleur mes idées… enfin, celles de mes clients […] Ma réputation me précède. Des clients, j'en ai eu des milliers. Des stars, des gros poissons, des ministres. Mon carnet d'adresses est bourré à craquer de gens qui ne diront que du bien de mon travail. Que je sois défoncé, obsédé, pédé, drogué, complètement taré, ils s'en moquent. Je suis celui qui les a sortis de la merde…”

Sa nouvelle mission, pour laquelle son devis réclamera un budget conséquent, c'est de valoriser les OGM, de positiver autour de ces produits, peut-être de faire passer des lois qui les autoriseront sans restriction. Un tel projet tient sur un Post-It : “Une stratégie médiatique, un mouvement populaire, une réaction en chaîne sur les OGM. Une "réaction sociétale", faire entendre à la majorité d'un peuple que bouffer de la merde est vital, voire épanouissant.” Pour ça, il a besoin des méthodes de la communicante Catherine, une vraie tornade en contact perpétuel avec des tas de décideurs, et de son équipe affûtée. En plus, côté sexe, c'est aussi hyper chaud quand Catherine se déchaîne. Pour le défoulement, il se procure aussi un Magnum 357 digne de son héros, l'inspecteur Harry Callahan.

Trouver une personne charismatique qui incarnera les bienfaits des OGM, voilà la carte à jouer. Un casting, mille possibilités pour le staff de Catherine. Jarring pense que c'est un homme politique qu'il lui faut, pas trop connu donc malléable. Il repère le candidat idéal, député-maire dans un bled du Sud. Avec son dernier chaton et un stock de drogues, il file sur l'autoroute, trajet halluciné jusqu'à cette bourgade endormie. Hermétique aux réseaux Internet, ce trou perdu, ça ne va pas l'aider. À cause du chat, il est refoulé à l'hôtel local, et doit dormir dans sa voiture. À cause de sa désinvolture, n'ayant pas de rendez-vous, il est pareillement refoulé à la mairie. Il n'est pas coutumier de ces contretemps.

Difficile à joindre, le politicien lui donne finalement rendez-vous dans un garage de la commune. Pas de maire, mais des types patibulaires dans cet endroit louche. Le but est de le décourager, en employant la force sans hésiter, qu'il comprenne une fois pour toutes. Heureusement que, en état de choc, il va trouver un pharmacien compatissant. Le député-maire, il en a besoin pour l'opération OGM, mais il ne renonce pas à se venger des brutes qui l'ont tourmenté, non plus. Quitte à dépasser un point de non-retour…

Jérémy Bouquin : À mort le chat ! (Éd.Lajouanie, 2015) Coup de cœur

C'est un roman trash, agressif, décalé, provocant. Le premier chat-pitre est là pour nous donner la tonalité : sous amphétes et autres dopants type "pot belge", ça va zigouiller sec et remuer grave. Âmes sensibles et amis des chats s'abstenir. Le lobbying, ça ne fait pas dans la guimauve ultra-sucrée, ni dans la balade automobile respectueuse des limitations de vitesse. On charge la dose de stimulants sans modération, puis on secoue les idées et les gens, on force le passage et on impose son tempo d'enfer, dans ces milieux-là. Aucun sentiment, de l'efficacité. Tout est un produit, la politique venant en tête : “La politique est devenue un passe-temps. Les guerres de partis : ridicules ; depuis longtemps, j'ai compris que les valeurs, la vitrine, n'existent pas. Ces types sont des cannibales, des prédateurs juste bons à se massacrer... Escroqueries, abus, détournements, tout cela n'est que le triste background d'une caste qui préfère diriger à trouver des solutions.”

Dans la vie réelle, il semble que les carrières de lobbyistes ne soient pas tellement longues, ils tournent la page, trouvent une planque chez leurs relations. Ici, le héros aura-t-il cette sagesse ? À trop jouer avec le feu, à trop se prendre pour l'inspecteur Harry, les abus finissent par se payer, on s'en doute bien. Surtout si tout cela repose sur des bases plus tourmentées qu'il y paraît… Soyons clairs : la psychologie y étant brutale, il est plus que probable que ce roman noir déplaise à des lectrices et lecteurs habitués aux intrigues conventionnelles, aux histoires énigmatiques. Pour d'autres, ce rythme effréné, en sur-régime, avec ses moments sanglants et crasseux, c'est justement ce qui offre sa saveur acidulée à ce suspense. Voilà pourquoi “À mort le chat !” mérite un grand Coup de cœur.

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11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 04:55

L'avocat Perry Mason fut le principal héros créé par Erle Stanley Gardner (1889-1970), qui offrit la gloire à ce romancier. Mais il écrivit également d'autres histoires, une série sur le district attorney Doug Selby, et celle signée A.A.Fair racontant les aventures de Bertha Cool et Donald Lam. Il produisit encore des romans indépendants, tels “Le grand-père futé” ou “Ding Dong drogue”. Deux titres publiés dans la collection Un Mystère, en 1958. Le premier est une très bonne comédie policière, animée par un héros diablement sympathique. Le second est un suspense riche en mystères et en péripéties dangereuses pour Rob Trenton, le personnage central.

 

"Le grand-père futé" (The case of the smokey chimney, 1943) :

Grand-père voyageur, Gramps Wiggins vient s'installer pour quelques jours avec sa roulotte chez sa petite-fille Mildred, dont le mari Frank Duryea est district attorney. Gramps Wiggins est un spécialiste des cocktails d'alcools variés, il en en fera profiter son entourage durant ce séjour. “Gramps, dit [Frank], on dirait du nectar. Qu'avez-vous mis dedans ? Un peu de liqueur mexicaine ? ─ Pas du tout. La base du cocktail est un alcool de la région du Rio Grande, avec une touche d'un petit quelque chose pour le rendre moins râpeux. Vous n'aimeriez pas savoir de quoi il s'agit. Alors buvez tranquillement, sans poser de questions.” Passionné de suspenses policiers, Gramps compte bien se mêler d'affaires en cours, traitées par Frank. Initiative absolument désapprouvée par le district attorney. Avec le shérif Lassen, ils s'occupent de la mort brutale de Reedley, un habitant de Petrie, en Californie.

La victime s'appelle en réalité Ralph G.Pressman. Il semble que cet homme d'affaire, un filou selon certains, ait cherché à s'approprier des terrains pétrolifères de la région de Petrie. Un projet fédérant contre lui de nombreux opposants, qui se considéraient comme lésés par les transactions prévues. Si l'on peut soupçonner ces propriétaires terriens floués, en particulier le nommé Hugh Sonders, le grand-père réalise que la liste des suspects est plus vaste. On peut y ajouter Harvey Stanwood, le comptable de Pressman, car il a détourné une somme d'argent. Ainsi qu'Eva Raymond, la maîtresse de Stanwood. George Karper, adversaire de Pressman dans les affaires, figure encore en bonne place. De même que la jeune épouse de la victime, Sophie Pressman, et son amant Pelly Baxter. Sans oublier Jane Graven, la secrétaire du défunt, et puis le journaliste Everett True. En furetant autour de ces suspects, qui se soupçonnent mutuellement d'ailleurs, le vieux Gramps espère démontrer la vérité avant Frank…

Erle Stanley Gardner : Le grand-père futé + Ding Dong drogue

"Ding Dong drogue" (The case of the musical cow, 1950) : Américain éleveur de chiens, Rob Trenton passe des vacances en Europe. Sur le bateau en venant, il a remarqué Linda Caroll, jeune femme dont il est tombé amoureux. Toutefois, Rob n'est pas de caractère expansif. Quand il retrouve Linda à Paris, elle lui propose de poursuivre ensemble le voyage, en Suisse. Dans une auberge, ils rencontrent un autre Américain, Merton Ostrender. Cet homme sait charmer Linda, ce qui rend Rob jaloux. Plus tard, bien que souffrant, Rob a pris le bateau du retour avec Ostrender et Linda. Lorsqu'ils débarquent à New York, mauvaise surprise pour Rob : il est suspecté de passer de la drogue. Bientôt blanchi, il rentre chez lui, mais il ne tarde pas à s'apercevoir que la voiture de Linda a effectivement servi à un trafic de stupéfiants.

Dès le lendemain, Rob cherche à revoir la jeune femme. Mais la Linda Caroll qui le reçoit n'est pas celle qu'il connaît. Peu après, il est enlevé par des gangsters, qui entendent bien récupérer leur drogue. Il parvient à leur échapper en pleine nuit, fuyant le bateau dans lequel on l'a séquestré. Rob retourne à la seule adresse dont il dispose. Outre la vraie Linda, il y retrouve le mystérieux Ostrender. Malgré sa mésaventure, personne ne paraît pressé d'alerter la police. Le jour suivant, on apprend qu'un agent du Bureau des Narcotiques, Harvey Richmond, est décédé après la fuite de Rob. Pour la police, Rob est assurément le chef des trafiquants. Le docteur Herbert Nixon, que Rob a croisé en revenant aux États-Unis, estime qu'une expertise du cadavre de Richmond est nécessaire. Rob n'est pas certain que ça le sortira du pétrin, ni que son avocat soit de si bon conseil. Reste à savoir qui se cache derrière cette affaire ?…

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10 mai 2015 7 10 /05 /mai /2015 04:55

Mariée depuis treize ans à Henrik, médecin, Nora Linde est juriste de banque. Ils ont deux fils, Adam et Simon. L'ambiance dans leur couple se dégrade depuis quelques mois. C'est le clash quand Nora apprend que son mari a une jeune maîtresse infirmière. Cette fois, il est question de divorce. En cette fin février, Nora décide d'aller passer quelques jours dans sa maison sur l'île de Sandhamn, avec ses fils. La première chose à faire pour elle consiste à nettoyer toute trace d'Henrik dans cet endroit. Même si son voisin Pelle Forsberg lui témoigne de la sympathie, Nora reste perturbée. Jouant avec des copains dans une forêt de l'île, le petit Adam remarque un sac caché dans un trou. Simon ayant vendu la mèche, il indique à leur mère où se trouve l'objet. Il contient l'avant-bras et la main d'une jeune fille. Nora alerte immédiatement la police après cette sinistre découverte.

Ami d'enfance de Nora Linde, le policier Thomas Andreasson se charge des enquêtes qui ont pour décor leur île natale. À l'automne précédent, il avait dirigé les recherches quand avait disparu Lina Rosén, un soir où elle rentrait à vélo chez sa mère. Thomas dut relancer l'affaire dans une émission de télé spécialisée. Il ne doute pas que ce morceau de corps, d'ailleurs bientôt authentifié par sa montre, appartienne à Lina. La disparue culpabilisait depuis un accident de bateau ayant entraîné la mort de Sebastian Österman, un copain de dix-sept ans, selon son amie Louise. L'équipe de policiers ne peut pas négliger la piste d'un rituel lié à la mythologie nordique, car Lina s'intéressait au sujet via Internet. Un profileur vient épauler les enquêteurs. D'après lui, les dépeceurs de cadavres peuvent être aussi bien des pros, bouchers ou chirurgiens, que des chasseurs.

Au début du 20e siècle, le jeune douanier Gottfrid épousa la belle Vendela. À la naissance de leur fils Thorwald, sa femme sombra dans la morosité. Son fils fragile déçut Gottfrid, qui le brima souvent afin de l'endurcir. Plus tard, la venue de leur fille Kristina fut pour lui une aubaine. Ayant failli la perdre à cause d'une pneumonie, Gottfrid se tourna vers la religion, devenant pasteur local. Il ne fut pas plus tolérant envers Thorwald, maladroit à se faire aimer de son père. L'enfant se dépréciait lui-même, s'éloignant de sa famille si peu chaleureuse… Tout en se rapprochant de son ex-épouse Pernilla, Thomas Andreasson poursuit l'enquête avec sa dynamique collègue Margit. À part le cas d'une rupture entre Lina et un petit ami, Jakob, le duo de policiers dispose de rares éléments. Néanmoins, Thomas continue à chercher l'assassin parmi les cent-vingt habitants de l'île…

Viveca Sten : Les nuits de la Saint-Jean (Éd.Albin Michel, 2015)

Après “La reine de la Baltique” et “Du sang sur la Baltique”, c'est le troisième rendez-vous que Viveca Sten donne à ses lecteurs, dans cette île pittoresque de Sandhamn. Ambiance hivernale, puisque ça se passe en février. Mais la froideur s'exprime également à travers le cas de Nora, face à un mari infidèle. Et aussi, par l'histoire plus ancienne de Gottfrid le rude douanier et de ses proches. Il est si sévère avec son fils, non sans injustice. Paysage lumineux, au climat glacé pourtant, exacerbant parfois les contrariétés et les humeurs.

Ce n'est pas une enquête linéaire que nous raconte l'auteure. Certes, on trouvera çà et là quelques menus indices. Entre autres, il convient de s'informer sur ce qui se passa autour de la Toussaint de l'année précédente, époque de la disparition de Lina. Bien sûr, le chevronné Thomas mettra la main sur le meurtrier. Toutefois, c'est davantage le vécu des protagonistes et leur psychologie qui sont mis en avant. Nora doit garder une fermeté sans faille face à la trahison conjugale d'Henrik, tandis que Thomas se demande s'il n'est pas trop tôt pour renouer avec Pernilla. Même si la mort plane, la vie quotidienne continue pour chacun. On ne cherche pas ici un rythme trépidant, mais une tonalité véridique. Ce qui rend franchement séduisant ce nouveau roman de Viveca Sten.

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