En ce mois de juin 2015, la collection format poche Babel Noir propose deux suspenses de très belle qualité.
Bruce DeSilva : "Pyromanie"
Au nord-est des États-Unis, Rhodes Island est le plus petit État du pays. La seule métropole est Providence, sa capitale. Natif de cette ville, Liam Mulligan sera bientôt quadragénaire. Séparé de sa femme, il est journaliste pour le principal quotidien local. Ce métier est une vraie vocation pour Mulligan. Même si la presse est en crise, rien d'autre ne l'excite que l'investigation à l'ancienne, le reportage en profondeur. Dans un État où la corruption est omniprésente, où emplois fictifs et magouilles diverses sont monnaie courante, il y a tant de sujets à dénoncer. Parfois, il doit obéir au rédacteur en chef, et traiter des articles genre “la chienne qui a traversé le pays pour rejoindre ses maîtres”. Ou accepter d'être secondé par le fils du propriétaire du journal, jeune freluquet frais émoulu d'une école spécialisée. Sans lâcher ce qui l'intéresse vraiment.
En trois mois, neuf incendies ont causé cinq morts dans le quartier de Mount Hope. C'est là que Mulligan et Rosie, la chef des pompiers, vécurent leur enfance. Aujourd'hui, il n'y reste plus que des immeubles assez délabrés et de modestes maisons. Rosie s'investit au maximum pour sauver ce qui peut l'être, tandis que Mulligan veut comprendre ce qui se passe. Selon les enquêteurs d'incendie Polecki et Roselli, des sinistres dus à la malchance. Pour le journaliste, ils ne sont pas accidentels. S'il n'y a pas d'escroquerie apparente, il peut s'agir d'un pyromane. Sur les photos du public regardant les incendies, Mulligan repère un asiatique, qu'il baptise “M.Extase”. Le bookmaker Zerilli organise des groupes de vigiles volontaires pour surveiller le coin. Avec des battes de base-ball, d'où leur surnom, les DiMaggio. On n'est pas à l'abri d'une bavure. Si Gloria, photographe du journal, n'est pas insensible au charme de Mulligan, celui-ci débute une relation amoureuse avec la belle Veronica Tang. Jeune journaliste, elle dispose de sources sûres, y compris sur des cas ultra-confidentiels…
Voilà un polar qui s'inscrit dans la lignée du roman noir traditionnel. “À l'ancienne”, par certains aspects. Très probablement parce que Mulligan est un journaliste aux méthodes évoquant le temps passé de la grande presse d'investigation. C'était écrit dans le journal, donc c'était de l'info confirmée. Les reporters ne se fiaient qu'à leur expérience de terrain et à leurs contacts. Sans être âgé, Mulligan est un vétéran de la génération des purs et durs, avec ulcère à la clé. Un héros qui n'est pas sans rappeler les meilleurs détectives de la littérature policière. Y compris par sa rudesse, et parce qu'il est entouré de jolies femmes. Dessiné avec soin, son univers nous devient rapidement familier. Les portraits de tous les personnages apparaissent très crédibles, souvent subtils. Bon dosage entre humour et noirceur, dans cette intrigue à suspense de premier ordre. Un roman très excitant, à ne pas manquer !
Louise Penny : "Défense de tuer"
À la fin juin, le couple Gamache séjourne au Manoir Bellechasse, luxueuse auberge des Cantons-de-l'Est, au bord du lac Massawippi. C'est dans cette hôtellerie construite tout en bois qu'ils comptent célébrer leurs trente-cinq ans de mariage. Armand Gamache est un policier chevronné de la Sûreté du Québec. Son épouse Reine-Marie est bibliothécaire. Ils sont là pour se reposer, profiter de la baignade, et du service stylé du Manoir. Mme Dubois en est depuis longtemps la propriétaire. Entre la chef de cuisine Véronique Langlois et le maître d'hôtel Pierre Patenaude, les clients ne peuvent qu'être satisfaits. Certes, le jeune serveur Elliot joue au rebelle, mais ça trouble peu l'activité de l'auberge. Les Finney, une famille d'Anglos du Québec, est également réunie ici. Gamache s'interroge à leur sujet.
Bert et Irene Finney sont les parents âgés de ce groupe. Leur fils Thomas est l'aîné, marié à Sandra, tous deux sexagénaires. Sa sœur Julia Martin ne se joignait pas jusqu'à là à ces réunions familiales. Elle est l'épouse d'un homme d'affaires, en prison pour détournement de sommes conséquentes. La sœur cadette Marianna est présente avec son enfant, Bean. Curieux prénom pour un môme asexué de dix ans, mais sa mère garde quelques secrets vis-à-vis de sa famille. Arrivent bientôt ceux que les Finney nomment leur frère Spot et sa femme Claire. En réalité, ce sont de vieilles connaissances du couple Gamache. Il s'agit de Peter et Clara, les artistes peintres du village de Three Pines, où l'inspecteur-chef mena plusieurs enquêtes. Pas plus que Julia, Peter et Clara ne sont heureux d'être venus. Les Finney ont inauguré la statue de leur ancêtre Charles Morrow aux abords de l'auberge. Gamache note la tension régnant au sein de la famille. Le personnel est assez tendu, lui aussi. Par une nuit de tempête et d'orage, chutant de la stèle où elle est posée, la statue cause une victime parmi ses descendants. Gamache est convaincu qu'il y a meurtre. Il convoque ses collègues Jean-Guy Beauvoir et Isabelle Lacoste…
C'est le quatrième opus des aventures d'Armand Gamache, de l'anglo-québécoise Louise Penny. Peut-être faut-il le rappeler : plutôt que l'action brutale et rythmée, la romancière préfère les ambiances feutrées, les descriptions précises des décors autant que des faits et gestes, les portraits nuancés et la psychologie des personnages. Le meurtre ne se produit qu'après une grosse centaine de pages, ce qui indique que l'auteure a pris son temps pour installer son sujet. Et elle a eu parfaitement raison, car cette méthode offre une densité plus crédible ensuite. D'ailleurs, le lecteur est prévenu : “Ce n'est jamais bon signe dans une réunion familiale. Plus ils sont retors, plus ils sourient” confie Clara. Louise Penny nous présente une subtile histoire, pleine de raffinement et de beau suspense.