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6 juillet 2015 1 06 /07 /juillet /2015 04:55

C'est grâce à Toinet, son fils adoptif âgé de douze ans, que le commissaire San-Antonio repère un suborneur d'enfants nommé René-Louis Blérot. Ce littérateur écrit des scénarios et romans pornographiques, racolant des mômes. San-Antonio ne tarde pas à agrafer le type en question. Celui-ci ayant trouvé la mort lorsqu'il est transféré à la PJ, San-Antonio culpabilise un poil. En compagnie de l'inénarrable Bérurier, le commissaire se rend chez le défunt Blérot. Dans l'appartement, ils découvrent une pièce dédiée au sexe et à l'horreur. Dans un réfrigérateur, se cachent les restes d'un gamin mutilé. San-Antonio regrette de ne pas avoir été plus violent avec ce Blérot, maintenant. La concierge collabore avec le duo de policiers, évoquant les visites mensuelles d'une dame et d'un jeune garçon. San-A est convaincu qu'elle ne venait jamais avec le même môme.

Un portrait-robot ressemblant est dessiné. Un dispositif de surveillance de l'appartement est mis en place, avec le vieil inspecteur César Pinaud, vu qu'on estime qu'il y a eu au moins huit victimes passées en ces lieux. C'est du côté de Montmartre que San-Antonio cherche la dame en question. Grâce à une pharmacienne de la rue Caulaincourt, qui se fait culbuter sans façons par San-A et Béru, ils apprennent le nom de leur cible. Catherine Mahékian est une artiste peintre du quartier. En partie à cause d'une bévue, cette dame réalise être dans le viseur des flics, et prend la fuite. San-Antonio et Béru le Mastard disposent d'une adresse, un chenil de Mériflour-le-Bas, dans les Yvelines. C'est chez Laura Manzardin, sœur de Catherine Mahékian, et son mari Louis, ancien para. Ils prétendent ne pas être en bons termes avec la fuyarde.

Quand la suspecte approche de chez eux, le couple l'alerte néanmoins de la présence des policiers. San-Antonio imagine que le chenil fait bien partie d'une sale organisation, dont il découvre bientôt un nouveau partenaire figurant dans le carnet d'adresses de la fugitive. Le docteur Quentin Skinézi s'occupe, dans un château des Yvelines, d'une maison de repos pour personnes âgées friquées, le Val Chanté. C'est plutôt à son domicile, où il dispose d'un laboratoire (et d'une fidèle assistante) que San-Antonio et Béru espèrent en savoir davantage. Mais le médecin se fait la malle, poursuivi par la Maserati du commissaire. En fait, il va lui falloir un avion, et l'aide du pilote Stanislas Gude, pour continuer la chasse jusque chez les britiches. Si la jeune Mary est charmante, son père le docteur Barnes inspire bien moins confiance à San-Antonio. Quitte à finir à l'hosto, le vaillant commissaire ira au bout de son enquête…

San-Antonio : Fais pas dans le porno (Pocket, 2015)

Cette aventure est répertoriée comme la 127e de la série, initialement parue en 1986. Il s'agit d'une de ces affaires où San-A ne prend guère le temps de se reposer, se contentant de furtifs moments de sommeil. Le scénario nous étant raconté en continu, ça offre un rythme trépidant et mouvementé au récit. On y retrouve avec joie les complices du héros, Bérurier dit Le Gravos et autres sobriquets flatteurs, le brave César Pinaud, et des figurants ponctuels, tels le rouquin Mathias ou le brigadier Poilala. Et même le petit Toinet, nul en orthographe, fils adoptif de San-A.

Si l'on nous gratifie de plusieurs scènes grivoises très épicées, Frédéric Dard n'abuse pas ici de ces logorrhées langagières, typiques chez lui dans les décennies précédentes. “─ Zéro, zéro, un ! fait Béru. Zéro, zéro, deux ! Et ensuite, il faut que je continue comme ça jusqu'à la saint trou de balle ?… Le con ! L'énorme et fantastique con ! Le suprême con ! Le con poussé jusque dans l'arrière-salle du cosmos !” S'il y a de l'humour à chaque page, inutile de le préciser, l'intrigue criminelle tient une place à part entière, avec un véritable suspense. Est-il vraiment besoin de vanter les mérites d'un San-Antonio ? Celles et ceux qui ont fait l'impasse sur ces romans se privent d'un immense plaisir.

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5 juillet 2015 7 05 /07 /juillet /2015 04:55

On est entre le 17e arrondissement de Paris et la banlieue avoisinante. Raphaël Darmont approche de la cinquantaine. Avec sa femme quadragénaire Véronique, hôtesse à l'accueil d'un hypermarché, ils forment un couple quelque peu orageux. Plusieurs raisons à ça, la principale étant les épreuves que Darmont a traversées, dont il a du mal à se remettre. Il fut impliqué, et blessé, dans un grave incident. “Le lieutenant Darmont ne se sortait pas trop mal du lynchage. Mais sitôt écoulés les mois d'hôpital et de rééducation, il se trouvait débarqué de la police. Les prétextes ne manquaient pas.” Il est désormais employé par la Sécuritex, un job lui laissant une certaine autonomie. Les humeurs de Véronique viennent aussi de ses soupçons envers la fidélité de son mari. Elle n'a pas forcément tort.

Sur le parking de l'hypermarché, Darmont a fait la connaissance d'une jolie brune. Il a été immédiatement fasciné par cette Malika Métoussi. Ils se sont donnés rendez-vous dans un restaurant, avant qu'il la suive chez elle. Face à la jeune femme décomplexée, Darmont s'est montré maladroit, gêné sans doute par la différence d'âge. Il admet ne pas avoir été à la hauteur. Lors de leur rencontre suivante, même s'il n'est toujours pas décontracté vis-à-vis d'elle, Darmont s'avère un peu plus performant. Dans l'entourage de Malika, il y a le jeune Kevin Danjoux, archétype de son époque et de son milieu. Et le nommé Cheb Brami, probablement bien plus inquiétant, qui se prétend le "frère" de Malika. Darmont comprend que c'est le bon moment pour décider de ne plus revoir l'excitante brune.

Néanmoins, il rend une visite clandestine à l'appartement de Malika. L'endroit n'est pas aussi déserté qu'il paraît : la jeune femme gît nue dans la douche, morte, tuée par balles. Elle a dissimulé un message posthume écrit pour Darmont, ce qui démontre que Malika se sentait en danger. Il considère cela comme un ultime cri d'amour de sa part. Il aura besoin de bien plus d'infos s'il veut mener son enquête parallèle. Darmont peut compter sur son ex-collègue Franck Limon, à condition que ses suspects personnels soit fichés. Malika a un peu menti concernant sa famille. C'est du côté d'un pavillon de Gennevilliers que Darmont espère découvrir une piste. Ce qui le mènera autour d'une manif en faveur des mal-logés, où il va se faire assommer. Le téméraire Darmont n'a pas dit son dernier mot…

Roland Sadaune : Un caddie nommé désir (Val d'Oise Éditions, 2015)

Ne nous y trompons pas : un ancien flic déglingué reconverti dans la sécurité qui se lance dans des investigations, ça ne signifie nullement qu'il s'agisse ici d'un roman d'enquête. Non, c'est dans un polar noir que nous entraîne Roland Sadaune. Si l'on observe Darmont en planque, on comprend la tonalité du récit : “Au fil de l'attente, les douleurs physiques s'étaient réveillées et, maintenant, elles irradiaient son corps. Il enleva le Mauser de sous sa ceinture, se résigna à s'asseoir sur la première marche de l'escalier, et posa le pistolet près de lui. La lumière s'éteignit. Il se mit à penser, les yeux dans l'obscurité, le cul rafraîchi au contact du béton.” C'est une ambiance sous tension qui attend le lecteur.

Même sa troublante relation extra-conjugale avec Malika reste insatisfaisante aux yeux du héros de cette affaire, pourtant fortement entiché. Parce qu'il est marié, mais également parce qu'il sent une aura particulière, certainement énigmatique, autour de la jolie brune. Si Darmont écoute le rap de son époque, c'est plutôt la mélancolie de Léonard Cohen qui l'habite. Certes, il a des comptes à régler, et peut-être est-il encore temps de sauver son couple. Mais son existence est déjà marquée par certains froids échecs, ce qui ne laisse pas augurer d'un avenir radieux. “La confrontation s'éternisait, et Darmont en avait assez. Il avait envie de faire peur. De faire mal.” L'écriture de Roland Sadaune est aussi vive que sombre, ce qui nous offre comme toujours un très bon roman noir.

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4 juillet 2015 6 04 /07 /juillet /2015 04:55

Quelques années plus tôt, les trente-sept wagons rescapés de l'Orient-Express de la grande époque pourrissaient dans un champ, promis à la ferraille. James Sherwood et Colin Bather, hommes d'affaires britanniques dirigeant la société Sea-Container, eurent l'idée de relancer ce train de légende. Lourd investissement, mais en ce milieu des années 1980, le nouvel Orient-Express est enfin sur les rails après une minutieuse rénovation. Journaliste à "L'Investisseur immobilier", Gérard Dutheil participe au voyage inaugural. Il reste un besogneux, au milieu de collègues de la presse nettement plus prestigieux. C'est pourtant Dutheil que la belle Lise Claire-Arnault, directrice du magazine "F News", choisit pour une chaude nuit d'amour. Ce qui oblige Pierre Chaulieu, unique rédacteur d'une revue confidentielle de modélisme, qui partageait ce compartiment, à aller dormir ailleurs. Au matin, Chaulieu ne semble nullement en vouloir à Dutheil.

Personne n'était censé savoir que l'ancien colonel Fred Dawns était mort empoisonné peu après le départ du train. Sauf son assassin, et Gérard Dutheil qui avait rencontré Dawns auparavant. Les rumeurs circulent rapidement dans un espace clos tel qu'un train, surtout entre journalistes. L'inspecteur principal Duchemin, de la Brigade Criminelle, ne cache pas sa fonction à Dutheil. Il a besoin de sa complicité : “J'ai l'intention de me présenter comme un de vos confrères. Ça justifiera mes investigations dans certaines limites… Pour le moment, cette enquête doit demeurer discrète. Un confrère de la presse locale, qui a profité de l'escale de Dijon pour monter…” Dutheil va être vaguement associé à l'enquête, sans vraiment savoir quelle sorte de scoop il peut espérer. Le journaliste pourrait s'interroger sur Chaulieu, qui possède une arme chargée, et dont le magazine "Jet Trains" n'existe peut-être pas.

Déjeuner à la table du promoteur immobilier Bernardin n'enchante pas Dutheil. Certes, il y côtoie Jean-Yves Gonnot, ami hôtelier de Bernardin, qui a connu la grande époque de l'Orient-Express, au temps où il était serveur. L'assassinat de Fred Dawns aurait-il un rapport avec ce temps-là, en 1939 ? Un nouveau décès est à déplorer : “On a allongé Chaulieu sur son lit. Son visage a dû heurter le ballast de plein fouet. Pas beau à voir. Je détourne la tête, réprimant ma nausée. L'attitude glaciale de Duchemin m'incite à garder le silence. Le pistolet, voisin de cabine, dernier témoin à l'avoir vu en vie, ça commence à faire beaucoup.” Dutheil est attentif au récit d'un témoin concernant une vieille affaire. Il en existe plusieurs versions, où il est question de cocu, de meurtre, de chantage. Les transmettre au policier Duchemin ? Publier ces informations ? Dutheil a probablement mieux à faire…

Gérard Delteil : Le nouveau crime de l'Orient-Express (Fleuve Noir, 1985)

Tout le monde connaît “Le crime de l'Orient-Express” publié en 1934 par Agatha Christie. Évidemment, Gérard Delteil se démarque de l'intrigue de la "Reine du crime". Néanmoins, l'ambiance de ce prestigieux train reste en toile de fond de ce roman de 1985. L'auteur traite l'énigme avec une certaine légèreté, offrant un roman plus souriant que l'original. Il ne néglige pas pour autant le suspense, et sème des indices, propose des pistes, donne à suspecter quelques personnages, jusqu'à la révélation de la vérité. Le dénouement est aimablement amoral, ce qui correspond fort bien à l'esprit. Un sympathique petit polar !

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3 juillet 2015 5 03 /07 /juillet /2015 04:55

Venus d'Alsace depuis longtemps, Lazare et Sylvia Vorstein ont implanté leur famille de Gitans à Marseille. Ils ont quatre enfants adultes. Ari, l'aîné, possessif avec les femmes, seconde son père pour leurs trafics. Puis viennent Ivo et Toni, avant la dernière, Dolora. Tous s'impliquent dans les affaires du clan Vorstein, y compris quand il faut supprimer des gêneurs. Toni a déjà séjourné en prison. Il ne fera désormais plus de mal à quiconque : la mère de la fillette qu'il avait violée vient de le tuer, avant de l'enterrer. Elle doit bander ses mains blessées suite à ce funeste règlement de comptes, mais justice est faite. Le plus urgent, c'est que sa fille de douze ans et elle-même s'éloignent de la région marseillaise. En ce mois de juillet, parmi la foule des vacanciers, la Corse est une destination propice.

Anorexique depuis le viol, la fillette s'est isolée en se passionnant pour les livres. Sa mère est médecin urgentiste. Son père les a quittées depuis quelques temps, leur préférant sa maîtresse Lila. L'ambiance était lourde entre eux, la mère étant obsédée par Toni Vorstein. Le père reste en contact avec sa fille par SMS… Pour la mère et la fillette, embarquement à Nice, direction Bastia. Puis elles roulent en 4x4 vers le Cap Corse, où un hôtel d'Ersa les attend. Sur le ferry, elles avaient remarqué deux hommes plutôt typés en BMW. Le même duo apparaît à l'hôtel où elles se croyaient tranquilles. Elles doivent fuir au plus vite. Ari et Ivo maltraitent le réceptionniste afin de savoir vers où ont filé la femme et sa gamine. Ils n'hésitent pas à éliminer l'employé, ni à incendier l'hôtel avant leur départ.

Mère et fille roulent jusqu'à Corte. La mère a besoin d'une pause, d'un peu de confort et d'un véritable repas. Plutôt mutique, sa gamine n'exprime guère ses sentiments, suivant le mouvement sans trop broncher… Ari et son frère sont allés du côté de Bastia, espérant prendre contact avec un ami dans un bar, le SiouXie. C'est un club où, pour peu qu'on paie bien, les prostituées sont à disposition. Pour Ivo, pas de problème, mais Ari s'avère très violent avec une des putes, la blessant gravement. Au Siouxie, on s'en souviendra. Ça ne les empêchent pas de poursuivre leur périple à travers la Corse.

La mère a été victime d'un sérieux incident, à cause d'un piège à renard, sur les terres de la bergerie d'Orsanto Biancarelli. Ex-repris de justice, celui-ci vit à l'abri des regards avec sa chienne Chica. Il la soigne sommairement, avant qu'un discret ami médecin s'occupe de la jeune femme. Convalescente à l'hôtel, elle garde un flingue à portée de main. Quand sa fille remarque la voiture d'Ari et Ivo, un nouveau départ rapide s'impose, malgré son handicap. Le meilleur endroit où trouver refuge, c'est évidemment chez Orsanto. Si, à son tour, Dolora Vorstein se lance dans la traque, ça promet des étincelles…

Marie van Moere : Petite louve (Pocket, 2015)

Il y a certainement deux lectures possibles de ce roman. La plus claire, c'est la course-poursuite entre le duo de fugitives et les deux hommes à leurs trousses. Mère et fille se précipitent-elles dans un piège, sachant qu'une île est sans issue ? Malgré les embûches, elles conservent la tête froide. Les Gitans sont plus sanguins, venant venger leur jeune frère violeur, supprimé par la mère. Dont il connaissent l'identité, car elle les menaça avant son passage à l'acte. Au fur et à mesure, on apprendra des détails sur chaque camp en présence. Œil pour œil, dent pour dent, le talion est la règle de part et d'autre. Les frères Vorstein sont assez bien renseignés, on verra pourquoi. C'est un destin chanceux qui permet à la mère et à sa fille de croiser Orsanto Biancarelli.

Une autre lecture, plus obscure, peut suggérer le drame (incontestable) du viol, avec ses conséquences familiales. La relation mère-fille est incertaine, un séjour en forme de fuite n'aidant pas à gommer les séquelles de l'agression sexuelle. Le bienveillant Orsanto peut, selon cette approche, représenter une embellie, voire l'espoir d'un nouveau départ. Faut-il vraiment privilégier la psychologie dans cette histoire ? Sans doute pas, même si c'est inclus dans le scénario. Car ce sont les tribulations des unes et des autres que l'on suit réellement avec passion. Le suspense prime, l'action est présente, voilà ce qu'on demande à un bon polar comme celui-ci.

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2 juillet 2015 4 02 /07 /juillet /2015 04:55

Il existe une vraie tradition littéraire des journaux d’écrivains où, généralement en marge de leur œuvre, ils se racontent à travers des propos personnels. C'est ce qu'a fait Hervé Jaouen depuis 1977, transmettant sa passion pour l'Irlande à travers plusieurs ouvrages : Journal d'Irlande (de 1977 à 1989), Chroniques irlandaises (de 1990 à 1995), La cocaïne des tourbières (2002), Suite irlandaise (2008). L'intégrale de ces quatre livres est réunie maintenant en un seul volume, publié aux Éditions Ouest-France.

Quand Hervé Jaouen débarque pour la première fois en Irlande, il n'a encore guère de repères. Mais c'est un pays où se nouent vite les contacts, pour peu qu'on aime causer, que l'on ne refuse pas de boire, et qu'on soit attentif à leur parler anglais avec l'accent local. À cette époque, les Irlandais ne peuvent être insensibles à la situation en Ulster. Sur ce point, il faut qu'un continental soit clair à leur égard. D'ailleurs, la franchise est toujours la plus payante avec ces farouches îliens. Observer, aussi bien les châteaux que chacun des paysages traversés, et surtout la population qui reste souvent typique, c'est ainsi que le voyageur s'acclimate lors de ses premières virées dans ce pays.

Mille anecdotes, comme celle-ci dans un pub de Galway : “Aux murs en pierres apparentes sont accrochés des cadres de tailles variées… Il y a une grande huile d'un jeune homme qui tient sa canne à mouche comme un sauvage sa sagaie. En cinq heures, un jour de juin 1947, il a pris onze saumons. Ses bottes sont au centre de l'éventail arrangé par le peintre… À gauche du comptoir est épinglée une carte : l'Europe vue par les Irlandais. Rayée de la carte, l'Angleterre. J'ai pensé à ce bistrot de Quimper autrefois : "Interdit aux chiens et aux Français".” C'est en sillonnant de manière aléatoire l'Irlande, non sans profiter du plaisir de la pêche dès que l'occasion s'en présentera, qu'Hervé Jaouen s'initie (le mot n'est pas trop fort) à l'esprit irlandais.

Ces périples sont aussi source d'inspiration pour le romancier : “Comment ne pas terminer cette glorification de la fishing widow par l'évocation de son contraire, je veux parler de la pécheresse, la veuve de pêche, infidèle, qui mouche son chagrin dans l'adultère. Sauf à mon insu, je n'en ai fréquenté que de littéraires […] J'ai moi-même, dans "Histoires d'ombres", créé un personnage de fishing widow, adultère et maléfique, inspirée d'une certaine réalité. Par la toute-puissance du narrateur, elle sera précipitée du haut d'un rocher, dans une rivière.” Tant de rencontres inopinées ou devenant plus courantes, de situations parfois insolites, dont Jaouen pourra se servir dans ses romans irlandais, tel "Le testament des McGovern" (pour n'en citer qu'un).

Hervé Jaouen : Carnets irlandais (Éd.Ouest-France, 2015)

Passent les années, le couple Jaouen continue à découvrir les multiples facettes d'un pays, que l'écrivain retrace dans les trois premiers tomes. Dans "Suite irlandaise", l'Irlande change en ces années 2000, et la population accepte cette évolution. Craignant un peu de ne plus trouver autant de personnages attachants ou particuliers, et de lieux de pêche satisfaisants, Jaouen constate la modernisation. Avec sa coutumière lucidité, sans porter de jugement. Joséphine, qui les accueillait depuis dix-huit ans à Cushlough House va prendre une retraite méritée. D’autres farmhouses n’intéresse le couple que s’il y sent une ambiance amicale, sincèrement chaleureuse. Peut-être chez Mary Lydon ? À Ballrinrobe, le pub de J.J.Gannon où ils avaient leurs habitudes a été refait à neuf. Pas si mal. L’important est d’éviter le tourisme friqué, de traquer l’authenticité.

La pêche est toujours le prétexte de leur voyage. Même si certaines sorties sur les lacs, en baie de Ballynalty ou sur la Cong River, sont parfois risquées. Même si truites et saumons se font rares. Même si les tarifs des droits de pêche frisent l’escroquerie (l’Irlande change). L’essentiel, c’est la population : “Je ne sais pas si c’est une question de chance. Plutôt une question de résonance magnétique entre l’Irlande et le voyageur. Mais bon, pour ne pas assassiner les rêves de ceux qui poursuivent les cerfs-volants avec des semelles de plombs, disons, oui, que la chance me sourit”. Hommages aux écrivains, aussi, y compris ceux du roman noir : “Le Galway que décrit Ken Bruen dans ses polars serait-il une réalité ? Un Galway hanté par une population de marginaux, alcooliques, junkies, trafiquants en tous genres, au milieu desquels son personnage Jack Taylor ex-flic viré de la Garda, consommateur lui-même d’un tas de substances vénéneuses, mène des enquêtes déjantées… Le roman noir est un roman de légère anticipation.”

On connaît les romans d'Hervé Jaouen. Son œuvre littéraire comporte également cet aspect-là, ces souvenirs qu'on ne saurait qualifier de "touristiques". Du vécu, des récits où l'on retrouve la tonalité fluide, amusée, lucide, tendre, de l'auteur. Grâce à cette intégrale des quatre titres, c'est un regard ethnologique (et vivant) sur l'Irlande depuis près de quarante ans qui nous est proposé.

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1 juillet 2015 3 01 /07 /juillet /2015 04:55

Jessica Ferrera est aujourd'hui âgée de plus de seize ans. Elle habite Paris, avec sa mère Sophie, en mauvaise santé. Jessica est une jeune fille autonome, au caractère volontaire, qui n'a pas besoin de beaucoup de sommeil. Elle aura pu faire une carrière sportive. Elle a été goal dans une équipe de foot féminin. Peut-être parce que ça lui provoquait de noirs cauchemars, Jessica n'a pas poursuivi. Lola, sa meilleure amie, un peu envahissante dans son genre, est plutôt adepte de sports de combat. Lola aime papillonner, s'amourachant du dernier beau garçon qu'elle croise, même un bad boy. À l'inverse, Jessica n'en vise qu'un : Pedro, joueur de volley un peu plus âgé qu'elle. C'est avec lui, pas un autre, que la jeune fille compte perdre sa virginité. À condition qu'il finisse par se décider.

Jessica est très heureuse quand Pedro a un service à lui demander. Une sorte de mission au Touquet. Elle est parfaitement capable de sécher les cours sans attirer l'attention, pas de problème. Sur place, Jessica doit se rendre au bar de l'Enduro : “Là, à treize heures cinquante précises, un Anglais vient s'asseoir derrière toi, tu le reconnaîtras, je viens de t'envoyer sa photo. Sa valise à roulette est identique à la tienne, il va la ranger juste à côté…” Échange de valise, puis rendez-vous avec Pedro en fin de journée à l'appartement dont il lui donne l'adresse. Rien de bien compliqué. Sauf que, virée de chez sa mère, Lola s'invite pour ce voyage au Touquet. D'autant qu'elle a vu la photo de l'Anglais en question, et qu'elle a immédiatement flashé sur lui, comme si c'était le prince charmant.

De l'autre côté de la Manche, Terry Christensen est agent immobilier. Possédant un petit avion, il affirme vendre des propriétés de la Côte d'Opale à de riches compatriotes. C'est grâce à l'argent d'Ida, son épouse, qu'il a monté son agence. Ida est très pieuse, mais pas vraiment naïve. Son jeune frère James, un type désinvolte sans activité réelle, claque des sommes importantes, couche avec des mannequins russes : très mauvaise fréquentation pour son mari Terry. Concernant ce nouvel aller-retour jusqu'au Touquet, Ida tient à en avoir le cœur net. Peu lui importe que, du côté de la jetée du Palace Pier de Brighton, le mafieux nommé Floyd gère à distance ses affaires. Pour Jessica, la mission confiée par Pedro s'avère moins simple que prévu, car l'Anglais n'est pas au rendez-vous…

Karim Miské : Les filles du Touquet (Petits polars du Monde, 2015)

En 2012, le roman de Karim Miské “Arab Jazz” (Éd.Viviane Hamy) a été récompensé par le Grand Prix de Littérature Policière, ce qui n'est pas un mince référence. En 2013, c'est le Prix du Goéland Masqué qui lui est décerné à Penmarc'h. En 2014, il remporte le Prix du meilleur polar des lecteurs de la collection Points. Nul doute que les mésaventures d'Ahmed Taroudant, grand lecteur littérature policière habitant dans le 19e à Paris, et des policiers atypiques Rachel Kupferstein et Jean Amelot, aient séduit un large public. Si Karim Miské s'est essentiellement fait connaître comme réalisateur de documentaires, il ne manque pas de talent en tant qu'auteur de fictions, non plus.

Illustrée par Florence Dupré Latour, cette nouvelle est diablement bien construite. Jessica, l'héroïne, pourrait être une jeune fille actuelle, quelque peu paumée, prête à "faire plaisir" à un amant malintentionné, prenant des risques à sa place. Son profil apparaît nettement plus nuancé que cela, car elle est très déterminée. Le rôle de sa copine Lola fait sourire, et celui de l'Anglaise Ida Christensen, respectée de sa communauté à Hastings, ne sera pas négligeable du tout dans cette histoire mouvementée. Il y a de fortes chances que ce soient les femmes qui sortent gagnantes dans cette affaire-là.

Dans cette saison 4 des Petits polars du Monde, le journaliste Jean-Michel Boissier offre aux lecteurs son approche de chaque ville concernée. Après Marseille, La Baule et Lyon, voici donc une “Échappée au Touquet”. C'est à la fin du 19e siècle que le notaire Jean-Baptiste Dalloz et qu'Hippolyte de Villemessant, nouveau propriétaire du journal Le Figaro, lancèrent cette station balnéaire située sur la Manche, dans le Pas-de-Calais, en baptisant cet endroit Le Touquet-Paris-Plage. Fréquenté par des princes, des maharadjah, des stars de cinéma, des écrivains, l'endroit connut un succès mondain durant quelques décennies. Mais on peut aujourd'hui apprécier Le Touquet pour diverses autres distractions, dont nous parle ici Jean-Michel Boissier.

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30 juin 2015 2 30 /06 /juin /2015 04:55

Watertown est une ville du Massachusetts, au Nord-Est des États-Unis, dans la banlieue de Boston. On y trouve un quartier mal famé, les Bellams. Le reste de Watertown est typique des villes américaines sans atout particulier. À part peut-être son Grand Hôtel des Congrès datant de 1927. Marié, père de deux filles, Paul McCarthy est le shérif de Watertown. Sa famille reste son point de repère, même si leur vie est sans grande fantaisie. Dans son métier, il compte sur ses adjoints, Gomez et les autres, pour l'assister efficacement. Ce soir-là, le septuagénaire Jimmy Henderson est assassiné et mutilé, dans son propre pick-up, au cœur de la ville. Le shérif McCarthy le connaissait depuis longtemps. Henderson, un vieux bonhomme sans histoire ? C'était sans doute moins vrai ces derniers temps.

En effet, Laura Henderson, la fille de la victime, s'est acoquinée avec Alexander Marshall, un repris de justice. “Ils se sont d'abord associés pour revendre de la came, puis ils ont habité ensemble. Alexander a rapidement eu des vues sur la fille de Laura, Julia.” Quand on sait quel fut le parcours délinquant de Marshall, et si on y ajoute une possible affaire de mœurs autour de la jeune Julia, il apparaît comme le principal suspect du meurtre. Peut-être un coupable trop idéal ? Wilde, un flic venu de l'extérieur pour renforcer l'équipe du shérif, estime que Marshall n'a pas le profil dans ce cas. D'autant que le meurtrier n'a rien volé. Au fond, McCarthy n'est pas si sûr, non plus. Avec Gomez, il interroge un cousin de Henderson. La seule piste plausible serait un club de fitness, base d'un trafic de drogue.

Franck dirige en dilettante une agence de détectives new-yorkaise. Il est de passage à Watertown. Adepte de Joséphin Peladan (1858-1918), Franck est un dandy cocaïnomane affichant des opinions anti-conformistes, pouvant surprendre la population d'une telle ville. Installé au Grand Hôtel des Congrès, il s'intéresse bientôt au meurtre étrange de Jimmy Henderson. Ayant intercepté des infos en surveillant le shérif, il se penche sur le dossier d'un ancien acteur de films pornographiques. Celui-ci dirige un club de fitness, où passe de la drogue. Club dont le propriétaire n'est autre que Lance Le Carré, un homme d'affaire que Franck a approché. S'il organise des réceptions mondaines, c'est surtout un puissant caïd mafieux. Le détective a coutume de ne pas sous-estimer ce genre de personnes.

Après avoir croisé un romancier à succès, auteur de polars noirs à grands tirages, Franck se rend au Jaguar Club, pivot du trafic de drogue à Watertown. Il y retrouve Lyllian, un flûtiste sans doute talentueux, qui a grand tort d'abuser des drogues de synthèse. De leur côté, les policiers avancent dans l'enquête. Pour aider sa petite-fille Julia à s'en sortir, il est possible que Jimmy Henderson ait commis des délits…

Quentin Mouron : Trois gouttes de sang et un nuage de coke (Ed.de La Grande Ourse, 2015)

Lorsqu'un auteur non-Américain situe un roman sur le territoire des États-Unis, le lecteur est en droit d'éprouver un certain scepticisme. Certes, on peut s'être documenté sur les lieux évoqués : souvenons-nous qu'après les attentats du marathon de Boston, en avril 2013, c'est à Watertown que s'est achevée la course-poursuite avec les deux terroristes. Toutefois, un polar n'est pas seulement géographique, et un contexte superficiel ne suffit pas. Dans ces conditions, Quentin Mouron va-t-il nous convaincre ? La réponse est "oui". D'abord, l'intrigue proprement dite n'est pas réduite à une enquête ordinaire, balisée. Et ce que l'on retient surtout, c'est la tonalité de cette histoire, son écriture.

“Sacrée Linda ! pense [le shérif] McCarthy. Pour être folle, elle n'en est pas moins attachante. Elle peut fulminer, récriminer, se braquer contre la terre entière, elle ne fera jamais de mal à une mouche. Au fond, elle fait ce qu'elle peut.” Si, d'un côté, nous avons un policier professionnel et attentif, menant une existence plutôt routinière, c'est une galerie de personnages décalés que nous découvrons, d'autre part. À commencer par le singulier détective Franck, influencé par le sâr Péladan. Il explique à son assistante : “Cette affaire n'est motivée par rien de raisonnable, ni même de passionnel. Je vous l'ai dit : il ne s'agit que de curiosité… Que ferais-je à New York ? Éventrer des poubelles ? Brasser des ordures ménagères ? Non merci ! Il ne s'agit pas d'une "affaire". Considérez cela comme un divertissement, un caprice. Et de la première importance.” On retiendra aussi quelques portraits, dont ceux du repris de justice et du romancier best-seller. Voilà un polar noir différent, d'une belle originalité.

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29 juin 2015 1 29 /06 /juin /2015 04:55

Un hold-up spectaculaire est commis aux caisses d'une grande surface. Un coup audacieux dont l'organisateur est l'énigmatique Raner, l'homme le plus recherché de France en ce début des années 1970. Un braquage qu'il a bien préparé, non sans arrière-pensée. Il a engagé deux bandes distinctes pour commettre ce hold-up. La première se compose de petits truands possédant un passé chargé, vaguement politisés. La seconde est un groupe de nazillons ayant besoin de financer leur cause. Sans doute sont-ils plus dangereux que leurs complices issus du banditisme. Du point de vue des braqueurs, le coup est réussi, non sans causer deux victimes parmi les personnes présentes. Raner et les voleurs partent se cacher dans une ferme isolée. Chacune des bandes n'a qu'une envie : éliminer les autres et supprimer Raner pour empocher le butin.

Le massacre a effectivement lieu, laissant néanmoins quelques survivants. Raner se charge de les retrouver, et de récupérer les trente millions de Francs. Patron du magasin attaqué, Delanay était en réalité le co-organisateur du hold-up. Il lance son adjoint Frantz, un ancien SS, sur les traces des derniers voleurs, avec mission de buter aussi Raner. Ce dernier a senti le vent tourner. Frantz rapporte bel et bien le butin, mais risque de se montrer trop présomptueux. Delanay a prévu de passer en Suisse avec le fric détourné. La tranquillité qu'il espère sera de courte durée. Raner n'a pas dit son dernier mot. D'autant que personne d'autre que lui ne sait vraiment ce qu'il a en tête. Son rôle dans cette affaire était nettement plus obscur que l'ont pensé les autres…

Claude Klotz : Casse-cash (Ed.Christian Bourgois, 1971)

De 1971 à 1975, les éditions Christian Bourgois ont publié treize titres dans cette série de polars, écrits par Patrick Cauvin (1932-2010). À l'origine, le héros s'appelait Reiner : son nom fut changé en Raner (suite à un procès intenté par un homonyme) lors de la réédition aux éditions du Fleuve Noir, quelques années plus tard. La meilleure description de Raner figure dans le Dictionnaire des Littératures Policières (Éd.Joseph K.) :

“Âgé d'une trentaine d'années, ce séduisant athlète d'un mètre-quatre-vingt est fidèle à sa compagne, une ancienne call-girl, la très belle Laurence. Splendide et tout aussi intelligente, Laurence dépense sans compter. Certes, l'argent ne leur manque pas : il est le fruit de leurs vols, de leurs escroqueries, et parfois même de leur labeur. Mercenaire dont les services coûtent très cher, Raner vient de temps à autre au secours de l'humanité. Aguerri aux techniques de combat, il se moque des dangers auxquels il fait face avec sang-froid au cours d'aventures mouvementées qui le mènent aux quatre coins du monde. Sous des apparences de baroudeur, ce personnage est toutefois d'une réelle complexité…”

Deuxième titre de cette série, “Casse-Cash” est un très bon exemple de l'ambiance qui y règne. Un polar d'action, mouvementé et violent, d'une sacrée noirceur car les meurtres se succèdent à un rythme effréné. Les rebondissements abondent dans un tourbillon de scènes percutantes. On est loin d'une simple histoire de truands réalisant un braquage, et se supprimant les uns les autres ensuite. Raner est l'archétype du héros froid et cynique, manipulateur à tous les niveaux, préservant son mystère. Si l'on a publié depuis beaucoup de romans à suspense très agités, cette série et ce personnage de Reiner/Raner peuvent faire figure de précurseurs.

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