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2 octobre 2018 2 02 /10 /octobre /2018 04:55

Dans le Massif central, au nord du département du Cantal. Un terroir rude, en particulier pendant l’hiver, où la population d’origine se raréfie. Beaucoup de maisons de retraite, mais peu d’emplois pour les jeunes générations. Pour lesquelles l’avenir ne consiste pas à travailler en Ehpad. Des fermes et des chasseurs, il en reste encore, se voulant gardiens d’un esprit local alors qu’ils n’ont pas choisi leur vie. Ils n’apprécient guère les étrangers, qui choisissent de s’installer ici. Pourtant, ils n’empiètent nullement sur leur existence. Ce sont généralement des solitaires, marqués par de mauvaises expériences passées.

C’est le cas de Louise, jeune femme dont la vie a été gâchée jusque-là. Elle s’occupe d’une ferme servant de refuge aux animaux, aux chevaux, appartenant à un couple d’Américains (Andrew et Fiona) s’étant exilés dans ce coin perdu. Renouer vraiment avec sa famille ne figure pas encore dans les projets de Louise. Quant à Lison, récemment veuve d’Hervé, elle connut aussi des épreuves avant de se fixer avec lui dans sa ferme. Maintenant qu’elle est seule avec les enfants, quel futur pour elle ? Le capitaine de gendarmerie Laurentin a renoncé à faire carrière dans les forces de l’ordre. Les blessures de ce taiseux sont autant corporelles qu’à cause de vives déceptions dans son métier. S’il entraîne bénévolement les jeunes footballeurs locaux, ce n’est pas pour être accepté par la population.

Les frères Couble sont natifs de la région, mais Jean Couble ne partage pas l’agressivité de beaucoup de ses voisins. Il s’occupe de son frère Patrick, un simplet aux yeux de tous. Celui qui va perturber la morne routine de de petit territoire en cet hiver neigeux, c’est Éli. Fiévreux, hagard, il est venu incendier une maison désaffectée, vide et quasiment en ruine. À trente-six ans, c’est un être désenchanté, perdu. Suite à son acte, il rôde pendant des jours et des nuits dans les environs, tel un sauvage égaré. Le capitaine Laurentin n’a mené qu’une vague enquête sur l’incendie. Il constate qu’une partie des habitants sont prêts à utiliser ce prétexte pour exprimer leur besoin de violence. Ce qu’il doit empêcher.

C’est Louise qui finit par retrouver Éli, dont elle sait qu’il est le pyromane. Avec l’aide d’Andrew et Fiona, elle le recueille et tente de le requinquer. Le mutisme d’Éli ne facilite pas les choses, mais Louise est patiente, compréhensive. Des balades avec les chevaux, de petits travaux pour le couple d’Américains, voilà ce qui permet à Éli le retour à un état normal. Au printemps, il retrouvera la parole, se confiera à Louise. Laurentin sent monter la tension, montrant au nommé Ringrave – chef des habitants armés – qu’il ne le craint pas. Quant à éviter l’affrontement, c’est probablement illusoire…    

Alexandre Lenot : Écorces vives (Actes Noirs, 2018)

La plupart des chemins relevés sur sa carte ne sont plus entretenus. On pourrait passer outre les ronces mais les arbres sont tombés en travers du premier qu’elle tente d’emprunter. Il faudra faire un détour, impossible de traverser. Chaque son est tellement isolé qu’il en prend une signification prophétique. C’est le hoquet d’un moteur plus bas sur la route, le démarrage d’une tronçonneuse, c’est le lent retour au silence, c’est le cri d’un rare oiseau, les branches qui craquent sous ses pieds, et son souffle qui finit par se faire court. Elle a promis à ses parents de rentrer pour Noël, mais pour l’instant, elle ne voit pas bien ce qui pourrait l’arracher à ce rude petit pays, couleur noir et ocre, qui sent la boue et les fumières, la bouse séchée sur le bitume cabossé, qui sent la neige toute fraîche, qui sent les cailloux gelés et le bois mouillé.

Avant tout, il s’agit d’un roman d’atmosphère, ce qui n’exclut pas qu’on puisse le classer parmi les romans noirs. Le décor, au milieu de nulle part, est celui du pays de l’oubli pour les principaux protagonistes. Des sites ruraux magnifiques, mais respirant une tristesse mélancolique. Avec une population qui n’adopte pas les nouveaux venus. Ces derniers ne gênent pourtant personne, car c’est la nécessité de solitude et de tourner la page qui les a menés là. Ils portent en eux une douleur, chacun la sienne. Leurs portraits sont finement dessinés par l’auteur, à travers leur état psychologique. Ils gardent leurs secrets, une part de mystère : qui comprendrait les épreuves qu’ils ont enduré ? La nature, les animaux, ça les aide à récupérer un certain équilibre. Même ici, l’hostilité et la bêtise vont les rattraper.

L’originalité du climat de cette histoire sombre, profondément humaine, fort bien écrite, mérite que “Écorces vives” soit découvert par un large lectorat.

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30 septembre 2018 7 30 /09 /septembre /2018 04:55

Au Japon, fin des années 1950. Âgée de vingt-six ans, c’est par un entremetteur que Teiko Itane a rencontré et épousé Kenichi Uhara, de dix ans son aîné. Il est publicitaire, un métier d’avenir dans ce pays en reconstruction. En poste à l’agence de Kanazawa, il rejoindra bientôt la direction de sa société à Tokyo. Après un chaste voyage de noces, Uhara doit effectuer un dernier déplacement à Kanazawa, avant que son successeur Yoshio Honda ne le remplace. À la date prévue de son retour à Tokyo, Teiko s’inquiète de ne pas avoir de nouvelles. Ni la société qui l’emploie, ni le beau-frère de la jeune femme n’ont d’explication à cette disparition. Teiko se rend à Kanazawa pour en savoir plus. Mais le commissariat local n’a aucun élément, et Yoshio Honda n’y comprend rien non plus.

Le duo Teiko-Honda ne dispose que d’une ancienne adresse où logea le mari disparu. Il ne semblait plus avoir de domicile fixe depuis un an et demi. Qu’il soit vivant ou mort, Uhara avait assurément ses secrets. Teiko imagine qu’il a pu mener une double vie, ayant une autre compagne. Elle a retrouvé deux photos de maisons, très différentes, pouvant constituer un indice. Le duo s’adresse à M.Murota, qui fut un client et un ami de Uhara. Ils font la connaissance de Sachito, la jeune épouse de M.Murota, qui appréciait également le mari de Teiko. Le couple ne voit pas plus d’explication à cette soudaine disparition. La police informe Teiko d’un suicide dans la région : elle se rend sur place pour vérifier qu’il ne s’agit pas de Keinichi Uhara. Il n’avait d’ailleurs aucune raison apparente d’en finir.

Le CV du disparu surprend quelque peu Teiko. Après la guerre, il fut un temps policier. Elle contacte M.Hayama, un de ses ex-collègues, qui lui apprend qu’il était en service à la police des mœurs de Tachikawa, une base américaine. Décidément, elle ne savait rien sur le passé de son époux. Le beau-frère de Teiko se libère afin de se rendre à Kanazawa, bien que la jeune femme ne pense pas que ça fasse avancer les choses – Yoshio Honda lui apportant un meilleur soutien. Quelques jours plus tard, le beau-frère trouve la mort à Kanazawa, empoisonné. Dans cette région hostile, grise et froide, se déplaçant en train, Teiko ne peut compter que sur ses propres investigations. Trouver des témoins s’avère compliqué, comme si Kenichi Uhara avait voulu effacer une période de son existence…

Seichô Matsumoto : Le point zéro (Atelier akatombo, 2018)

Mais, en y repensant, elle avait désormais la certitude que Sôtarô connaissait la raison de la disparition de Kenichi. Il était resté optimiste et était probablement convaincu qu’il était toujours en vie. Cette conviction, il l’avait encore lors de son arrivée à Kanazawa. Sa tournée des teinturiers montrait qu’il était le seul détenteur d’une information à propos de son frère. Ou, plus précisément, qu’il le recherchait sur la base de cette information. Avait-il été réduit au silence par une personne jugeant qu’il en savait trop ?
Si quelqu’un était responsable de sa mort, il était logique de penser qu’elle avait un rapport avec la disparition de Kenichi. Et cela signifiait que les deux frères partageaient un secret…

Seichô Matsumoto (1909-1992) fut, dans la lignée d’Edogawa Rampo, un des écrivains majeurs de la littérature policière japonaise. Quelques-uns de ses romans – dont “Tokyo Express”-“Le rapide de Tokyo” – ont rencontré un certain succès en France. Très bonne initiative que cette traduction actuelle du japonais de “Le point zéro”. Un roman, publié en 1959, permettant de mesurer le talent et la finesse de cet auteur. Il serait faux de penser que cette intrigue soit "datée". Bien au contraire, par bien des aspects, il s’agit d’un état des lieux de la société japonaise de l’après-guerre. Si le pays se modernise vite – la télévision est déjà largement présente, par exemple – il a connu un marasme économique qui a appauvri la population durant de longues années post-conflit. On semble s’y déplacer davantage en train qu’en voiture, et certaines régions restent très excentrées.

Les codes de la vie quotidienne (dont la politesse) sont très présents dans ce Japon en reconstruction qui n’entend pas perdre ses valeurs. Sans doute n’était-il pas rare que des mariages soient favorisés par des entremetteurs. L’épouse étant toujours alors "femme au foyer", l’auteur attribue ici à son héroïne un rôle actif de premier plan dans l’enquête. Signe d’une ouverture d’esprit sûrement encore peu courante. Un très beau portrait, riche en sensibilité autant qu’en détermination. Dix ans de différence avec son mari plus âgé, ça signifie qu’elle n’a pas vécu les mêmes épreuves, la même histoire. Tout un pan de la récente histoire du pays n’a-t-il pas été masqué par les autorités, pour la faire oublier ?

Quant à l’intrigue, on baigne ici dans un constant mystère. Seichô Matsumoto souligna une facette capitale de sa méthode : “Je pense qu’il faut mettre l’accent sur le mobile, car cela rend la description des personnages plus percutante. En montrant les mobiles du crime, on révèle la psychologie des personnages à un moment extrême et dans une situation limite…” Ce qui se vérifie dans ce roman où le suspense est permanent et subtil, n’occultant pas l’état d’esprit des protagonistes (ni le climat gris-sombre de la région en question). Une très belle réussite, un auteur à ne surtout pas dédaigner.

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29 septembre 2018 6 29 /09 /septembre /2018 04:55

C’est l’hiver à Isola, et il fait sacrément froid dans cette métropole américaine. Lors de la nuit du 18 décembre, un agent de police découvre un jeune suicidé dans une cave. Steve Carella, policier au commissariat du 87e, et son jeune collègue Bert Kling (alors âgé de vingt-quatre ans), se chargent de l’enquête. Carella ne croit pas une seconde à la thèse du suicide. Âgé d’une quinzaine d’années, Annibal Hernandez avait récemment rejoint sa famille portoricaine ici. Il a une sœur, Maria, son aînée de quelques années. La mère de l’adolescent ne croit nullement au suicide, elle non plus. Elle sait qu’Annibal se droguait depuis son arrivée à Isola, sous l’influence de sa sœur, une camée qui tapine pour se payer sa consommation de stupéfiants. 

Qui fournissait la drogue à Annibal ? Voilà ce que doit trouver Carella. Tandis que Bert Kling va s’adresser au légiste Soames, qui lui confirme que le jeune homme n’est pas mort par strangulation, mais d’une overdose. Carella cherche des infos au club El Centro, un boui-boui où Maria passe très souvent. Elle prétend ne rien savoir sur le fournisseur de son frère. Carella ne comptait pas vraiment sur sa coopération. Il repère près de Grover Park un jeune dealer et ses deux complices. Bien qu’interrogé avec rudesse, le suspect ne livre aucune piste valable. Quant aux empreintes sur le lieu du crime, elles ne sont pas répertoriées dans les fichiers de police. Le lieutenant Peter Byrnes, qui dirige à cette époque le commissariat du 87e, suit de près cette affaire. Pour des raisons privées.

En effet, Byrnes a deviné que son fils Larry se droguait depuis quelques temps. Sans doute est-ce le fournisseur de celui-ci qui téléphone anonymement à Byrnes pour faire monter la pression. Ce dealer a également incité Maria a faire, le moment venu, un faux témoignage contre Larry – qui semblait connaître Annibal. Si Maria n’accepte plus de jouer le jeu, le dealer n’hésitera pas à la poignarder. Peter Byrnes et son épouse Harriet vont tenter de désintoxiquer leur fils, avant qu’il ne soit trop accro. Les inspecteurs Meyer Meyer (trente-sept ans) et Hal Willis vont bientôt participer à cette enquête. Mais c’est Carella qui tient déjà la meilleure piste, un certain Gonzo, intermédiaire du fournisseur de drogue. Ce qui ne sera pas sans danger pour Carella, car ce jeune type ne craint pas de tirer sur un flic. L’équipe du 87e doit donc identifier le fameux Gonzo, ce qui peut les mener au commanditaire. Possible que l’affaire trouve son épilogue avant Noël…

Ed McBain : Le fourgue (Série Noire, 1957)

Cette triple séance avait pour but de découvrir l’individu qui avait fourni de la drogue aux jeunes gens. L’arrestation d’un camé ne présente pas d’intérêt. On le fourre au placard et c’est à la municipalité de faire alors les frais d’une cure de désintoxication d’un mois. Le personnage important dans l’affaire, c’est le revendeur. Si les flics du 87e avaient voulu coincer chaque jour une centaine de camés s’adonnant à toutes les variétés possibles de stupéfiants, il leur aurait suffi de se balader dans les rues de leur secteur. La détention illicite d’une quelconque quantité de drogue tombe sous le coup de la loi sur l’hygiène publique. Le délinquant se fait obligatoirement octroyer une peine de prison d’un mois ou plus. Une fois rendu à la circulation, il ne lui reste plus qu’à se remettre en quête de came.
Le gamin ramassé à la sortie de Grover Park avait été trouvé porteur de deux grammes d’héroïne, qu’il avait probablement payés cinq dollars. Sa capture était négligeable, et seul son fournisseur intéressait le flics du 87e.

Il s’agit d’une des premières enquêtes de la série du 87e district, la troisième. Ce qui explique que l’auteur nous donne quelques descriptions physiques (Meyer Meyer), professionnelles (Bert Kling, tout juste promu inspecteur) ou personnelles (Carella est jeune marié, sa femme Teddy apparaissant en filigrane) sur les policiers du commissariat. Il évoque aussi une famille venue de Porto Rico, où la mère est consciente que le confort dont ils disposent en Amérique a une contrepartie plus sordide.

Le thème, c’est la consommation de drogue. Bien que l’histoire se passe dans les années 1950, le sujet n’est pas du tout éculé, puisque le processus d’intoxication des junkies n’a guère changé depuis ce temps-là. La lutte contre les trafics continue, encore plus compliquée à cause des drogues de synthèse qui se sont banalisées (méthamphétamines), pas moins destructrices que l’héroïne. Les injections (dont on nous parle ici sans faux-semblants) comportaient des risques supplémentaires. Ed McBain ayant déjà plusieurs romans à son actif quand il écrit en 1956 “Le fourgue”, on sent une belle maîtrise de l’intrigue, et du dosage de la noirceur, avec cette fluidité narrative qui le caractérise dès cette époque. Sombre affaire oui, mais pas la moindre lourdeur dans le récit. Il est bon de lire et de relire les romans d’Ed McBain, en particulier cette série.

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28 septembre 2018 5 28 /09 /septembre /2018 04:55

Au Commencement, Caïn tua Abel… Non, il n’est pas nécessaire de remonter si loin pour raconter l’histoire du crime, ni celle du polar – qui débute réellement au 19e siècle. Après le “Dictionnaire des Littératures Policières” de Claude Mesplède, voici un nouvel ouvrage de référence sur cet univers et sa vaste diversité. Traductrices et éditrices, Marie-Caroline Aubert et Natalie Beunat maîtrisent parfaitement leur sujet.

Sans doute les lecteurs choisissent-ils des romans policiers pour leur mystère ou la promesse de péripéties, pour leur ambiance anxiogène ou leur climat réaliste, pour se divertir ou pour bien d’autres raisons. Chacun trouve son bonheur dans les multiples déclinaisons de ce genre littéraire. Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Jules Maigret, Hercule Poirot et miss Marple, James Bond, Perry Mason, San-Antonio, etc. : le lecteur a l’embarras du choix, optant pour son ou ses héros préférés. Romans noirs ou d’énigme, polar rural ou urbain, thématiques historiques ou contemporaines – en phase avec l’actualité, scénarios humoristiques ou d’une noirceur absolue… la Littérature policière, c’est toute une histoire, depuis ses précurseurs jusqu’à nos jours. Les romanciers talentueux se comptent par dizaines, peut-être par centaines. Ni eux, ni leurs personnages ne doivent sombrer dans un oubli injuste.

Marie-Caroline Aubert et Natalie Beunat ont raison d’inclure dans le "domaine policier" des auteurs tels Stephen King ou John Le Carré, car les romans d’horreur et d’espionnage (de géopolitique, aujourd’hui) appartiennent à la même famille littéraire. Elles explorent aussi, outre les Américains, Anglais et Français, les plus marquantes œuvres à travers le monde. Incontournable polar nordique depuis “Millenium”, Henning Mankell et quelques autres. Mais des Italiens, des Espagnols, des Israéliens, des auteurs de nombreuses nationalités méritent d’être mieux connus des lecteurs. Généralement, derrière la fiction, ils témoignent des réalités de leurs pays. Intrigue policière et sociologie vont souvent de pair.

Si l’on est fasciné par le Mal, les pulsions meurtrières, les perversions ou les motivations des serial-killers, la psychologie masquée des protagonistes, le thriller (quand il est bien écrit) répond aux attentes des lecteurs. On frissonne et on s’interroge, ou on se contente de suivre la narration tant on est captivés. C’est un genre protéiforme à lui tout seul…

Marie-Caroline Aubert et Natalie Beunat : Le polar pour les nuls (First Éd., 2018)

Le grand Ed McBain fut le premier à nous faire partager l’ambiance des commissariats de police, à travers le travail des inspecteurs du 87e District d’Isola – série de romans maintes fois copiée par la production télévisée. Depuis quelques années, les véritables policiers se sont mis à écrire des polars, collant à leur expérience. Avec de bons résultats, parfois. S’ils sont percutants dans bien des cas, cherchant à ressembler aux séries-télé actuelles, il faut admettre que tous ne sont pas convaincants. Ce serait vrai également de certains "polars historiques" privilégiant trop la précision descriptive sur l’époque évoquée, au détriment d’intrigues faibles, limite insipides.

Au-delà des best-sellers (on ne niera pas la qualité de quelques-uns d’entre eux), la Littérature policière est riche. Probablement parce qu’aucun sujet n’est tabou pour ses auteurs. L’homosexualité, le racisme, l’aspect socio-politique, l’ombre des mafias et celle des lobbies, tout est traité dans le polar – miroir des années où il a été écrit. D’Horace Mac Coy évoquant les victimes de la crise économique des années 1930 à Nicolas Mathieu dessinant le portrait de populations d’aujourd’hui oubliées après les fermetures dans l’industrie, le contexte importe autant que le côté criminel ou délictueux.

Un temps, certains ont prétendu que le roman d’enquête, exercice intellectuel où il s’agit de trouver des preuves contre le coupable, c’était terminé. Bien au contraire, quantité de lecteurs apprécient encore et toujours cette version du polar. D’ailleurs, souvenons-nous que Raymond Chandler – un des plus grands noms du roman noir, créateur de Philip Marlowe – aimait les fictions d’investigation, qu’elles aient pour héros des détectives privés, des policiers ou des personnages ordinaires. Si la violence et la fatalité sont des éléments très présents dans la Littérature policière, la résolution d’affaires meurtrières ne manque pas de charme non plus. Et puis, Agatha Christie reste une des meilleures ventes de romans policiers dans le monde entier, pas de hasard.

On pourra regretter que soient peu évoquées ici les collections françaises populaires de la seconde moitié du 20e siècle, comme le Fleuve Noir Spécial-Police et ses auteurs. Marie-Caroline Aubert et Natalie Beunat ne commettent pas l’erreur de se vouloir "pédagogiques". C’est sur une tonalité souple, souvent enjouée, qu’elles nous invitent à explorer cet univers du polar. Conscientes que c’est prioritairement le plaisir qui guide chaque lecteur, elles nous suggèrent d’aller plus loin dans la découverte – y compris en s’adressant aux bouquinistes, en se renseignant sur les blogs et les sites. Sans oublier, classés par dix, les romans incontournables, les collections majeures, les meilleurs films policiers ou d’espionnage, les séries-télé d’hier et d’aujourd’hui, etc. Un ouvrage à se procurer sans délai, pour (presque) tout savoir sur la galaxie polardeuse.

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27 septembre 2018 4 27 /09 /septembre /2018 04:55

James Katenberg est aujourd’hui un homme mûr. Fils d’Eva Lopès, une défunte actrice d’origine mexicaine, cet Américain fut un des scénaristes parmi les plus inspirés de Hollywood. Ce caractériel se lassa finalement de l’univers frelaté du cinéma et de la télé. Il quitta son ranch de l’Arizona pour s’exiler en France, où il écrivit une série-télé à succès. Il n’est plus guère motivé désormais. D’autant qu’il est habité par une obsession : savoir ce qui entraîna le suicide de sa mère, au début des années 1960.

James a rencontré Eden, une jeune junkie qui vient de passer huit mois en prison. Pour lui, pas de sentiment dans leur relation, mais sans doute le fascine-t-elle malgré tout. Autant que Marina Meinhof, l’actrice principale de sa série-télé européenne. Écrire un scénario sur la détention d’Eden ne l’intéresse pas. D’ailleurs, il sent le besoin de rentrer aux États-Unis, de déguerpir d’ici avec ou sans Eden, de retrouver son ranch du côté d’Oracle. En son absence, c’est le vieil estropié Gus qui s’est chargé de tout, là-bas.

Le producteur californien David Mac Coy est certainement un des seuls qui soit prêt à donner une nouvelle chance à James. Même si supporter les mouvements d’humeur de James n’est pas simple. Dans ce comté de l’Arizona, l’antipathique shérif Jim Dukan ne tarde pas à soupçonner Eden d’être une camée. Bon prétexte pour harceler James et son entourage. Toutefois, le scénariste ne craint pas vraiment ce prétentieux shérif. Au besoin, l’agent du FBI Robin Bakker usera de la méthode forte pour annihiler ce flic.

Tandis qu’Eden s’adapte tant bien que mal aux serpents et autres inconvénients de cette région, James ressasse les questions autour de sa défunte mère. “Le réveillon de Noël fut pour elle un moment insurmontable. Elle fut prise d’une crise d’angoisse dévorante…” Eva Lopès était alors une gloire montante de Hollywood, choisie par Erich von Stroheim, amie de Marlon Brando, rivale de Marilyn Monroe. Elle laissa plusieurs cahiers évoquant son quotidien, mais le troisième a disparu mystérieusement – ce qui intrigue James.

Le scénariste est obligé de se rendre à Los Angeles pour rencontrer David Mac Coy. Ce qui amène des réminiscences douloureuses pour James. Il y retrouve Robin Bakker, toujours mutique sur les raisons de cette protection incessante par le FBI. Qu’un biographe veuille retracer dans un livre la vie d’Eva Lopès risque de causer de graves soucis, car l’actrice avait incontestablement ses secrets. Eden sera-t-elle prête à décrocher de la drogue ? Une nouvelle étape de la vie de James est-elle envisageable ? Peut-être, à condition que soient éclaircis les sombres aspects de l’existence de sa mère…

Pascal Louvrier : Moteur ! (Tohu-Bohu Éditions, 2018)

L’ambition de ce roman est double. D’une part, il s’agit d’un hommage à Hollywood, celui de l’Âge d’Or. L’auteur n’oublie pas d’y inclure le génial Buster Keaton, au côté des stars de l’époque. Le monde du cinéma d’alors, ce sont également des facettes moins brillantes. L’ombre du FBI plane sur ce milieu, où règne une perversité bien réelle. D’autre part, outre le souvenir de sa mère, le héros traverse diverses péripéties, accompagné de cette névrosée d’Eden. Telles sont les deux lignes narratives de l’histoire.

On aurait aimé ressentir davantage d’empathie pour James. C’est lui et sa misanthropie qui s’y refusent, sans doute. Eden non plus n’est pas touchante, même si l’avenir ne peut que l’améliorer. Ce qui correspond finalement à l’ambiance du milieu cinématographique, où tout apparaît merveilleux alors qu’existent tant de jalousies, de comportements plus que malsains. Évoqué crûment, le sexe est très présent dans cette fiction. Sans se montrer puritains, ça aurait pu être plus allusif. Respectons ce choix de l’auteur.

Ce “Moteur !”, terme évocateur des tournages de films, n’est pas un percutant roman d’action, même si certaines scènes en sont proches. Pascal Louvrier installe une tonalité entre énigme et nostalgie, ce qui aboutit à un roman plutôt sympathique.

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25 septembre 2018 2 25 /09 /septembre /2018 04:55

Fils d’un père persécuté par la dictature, le commissaire athénien Stavros Nikopolidis est aujourd’hui quinquagénaire. La police n’était pas une vocation, mais il voulait contribuer à davantage de justice dans son pays qui compta tant de flics véreux. Le tavli, jeu de stratégie typiquement grec, participa à sa rigueur intellectuelle. Lui qui fut un brillant policier, est miné depuis dix ans par la disparition inexpliquée de son épouse Elena, archéologue. Le coupable, il le connaît : un certain Rodolphe, mafieux d’origine russe, qu’il n’a jamais réussi à alpaguer. Avec sa grand-mère et son amie Matoula, patronne d’un bar qui est quelque peu son QG, Stavros élève son fils Yannis.

Quant à se soumettre à la hiérarchie, représentée par son supérieur Livanos, c’est hors de question pour Stavros. Surtout quand se produit un crime similaire à celui qui causa la disparition d’Elena, dix ans jour pour jour après. D’ailleurs, le meurtrier a signé son acte à destination de Stavros… c’est bien Rodolphe qui est de retour. Même si on lui impose deux flics moins fiables, son équipe d’enquêteurs va l’épauler avec fidélité. La baroudeuse Dora, le hacker Eugène, et Nikos l’Albanais acceptent les humeurs de leur patron. Ainsi que ses méthodes peu orthodoxes, que Livanos croit pouvoir encadrer. Rodolphe espère faire pression sur le commissaire en s’en prenant à l’ex-prostituée Svetlana, la protégée de Stavros, ou en incendiant le bar de Matoula. Ce qui ne fait que renforcer la volonté du policier de mettre la main sur Rodophe.

Ce mafieux russe s’est spécialisé dans le vol d’œuvres d’art et de vestiges archéologiques pour des commanditaires fortunés. La Grèce est son "terrain de jeu" favori, même s’il a dû s’en éloigner durant quelques années. Ayant cultivé des réseaux secrets, Rodolphe baigne par ailleurs dans toutes sortes de trafics. De son côté, le commissaire a aussi des relations dans les milieux du banditisme. Tel Mikhaïl, un caïd russe se faisant appeler le Tsar, qui peut lui fournir des renseignements et des armes à feu. La lutte entre les deux hommes est engagée, et Rodolphe aurait tort d’aller trop loin en s’attaquant à Yannis, le fils du policier. Stavros tuera son adversaire s’il en trouve l’occasion. Toutefois, pas avant de savoir si Elena est réellement morte ou encore en vie…

Sophia Mavroudis : Stavros (Éditions Jigal, 2018) – Coup de cœur –

Sans un regard pour ce qui l’entoure, tête baissée et regard vide, Stavros s’enfonce dans le dédale de ruelles désertes. Seuls les chats et les étrangers s’aventurent désormais dans ces vieux quartiers d’Athènes autour de Metaxourgieo autrefois remplis de bars, de tavernes et de petits entrepôts. Les murs tagués de slogans antigouvernementaux tombent en ruines, les portes des maisons sont cadenassées pour éloigner les squatteurs, les rideaux de fer des entrepôts sont baissés, et les trottoirs défoncés s’ouvrent, béants, sur des flaques d’eau suintantes. Dans ces bas-fonds, Stravos n’erre pas. Il sait où il va.

Ce “Stavros” est une pure merveille, une perle rare qui frise la perfection. L’harmonie entre les deux facettes du roman noir – intrigue et sociologie – est impeccable. Le regard porté sur le contexte, la Grèce depuis près d’un demi-siècle, s’avère d’une indéniable justesse. Illusoire prospérité d’un pays ayant trop longtemps vécu "à crédit" avant d’être frappé par les réalités de la crise économique. Une cible facile pour les financiers, ainsi que pour les mafieux et leurs trafics. La Grèce, riche de culture et de sites magnifiques, possède de multiples atouts favorables. Néanmoins, elle reste si fragile par tant d’aspects. Sophia Mavroudis aime et respecte ses origines, tout en étant lucide sur les flagrantes faiblesses grecques.

Au centre de l’histoire, Stavros Nikopolidis ne fait rien pour nous apparaître sympathique. Un héros déglingué, plutôt caractériel. Finement dessiné, son portrait nous révèle un personnage nettement plus subtil, avec son intelligence et son instinct, avec ses fêlures et sa détermination. Son vécu l’autorise à se comporter en électron libre, à piétiner des règles trop rigides pour un homme tel que lui. Émouvant et combatif à la fois, belle synthèse. Force et humanisme vont de pair, chez lui. Réciprocité dans la fidélité, élément essentiel dans sa vie, privée et professionnelle. Stavros n’est pas le butor qu’il montre. On espère bien le retrouver dans de futures aventures. Quant à son équipe de policiers, elle ne manque pas de singularités non plus – apportant une touche d’humour au récit. Non sans rappeler que certains flics grecs sont les héritiers de l’idéologie fascisante d’extrême droite. Là encore, les nuances aident à installer l’ambiance.

On est loin d’un polar ordinaire. Mille bravos à Sophia Mavroudis pour “Stavros”. Il n’est pas exagéré de qualifier ce roman superbement construit de puissant, aussi clair que son climat est sombre. À ne manquer sous aucun prétexte !

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24 septembre 2018 1 24 /09 /septembre /2018 04:55

Décembre 1968, à Chicago. Smokey Dalton est un Noir au physique athlétique. Voilà huit mois qu’il a fui Memphis avec Jimmy, son fils adoptif âgé d’à peine onze ans. Le gamin ayant été témoin dans le meurtre de Martin Luther King, ils sont tous deux traqués par certains flics corrompus. C’est pourquoi, à Chicago, Smokey se fait appeler Bill Grimshaw, nom de la famille qui les a accueillis ici Jimmy et lui. La seule amie Blanche qu’ils fréquentent, c’est Laura Hathaway. Cette riche héritière a actuellement beaucoup de mal à s’imposer dans la société Sturdy, créée par son père. Bien que son avocat soit tenace, elle ne parvient pas à obtenir les rapports d’activité de Sturdy. Elle engage Smokey comme garde du corps lors des réunions, assez tendues, avec les dirigeants de la société.

Outre de petits jobs pour la communauté noire, Smokey est aussi détective privé sans licence, mais pas sans clients. Il est contacté par la veuve de Louis Foster, un dentiste noir récemment assassiné dans un parc de Chicago. La police n’a guère fait d’efforts pour trouver le coupable. Par défaut, ils attribuent le meurtre à un gang de rues, composés de jeunes noirs vindicatifs et violents. D’ailleurs, le petit Jimmy a été approché par une de ces bandes. Smokey leur a rendu le béret symbolisant l’appartenance au gang, mais il sait que Jimmy reste en danger. Le détective rencontre les deux gamins présents après le meurtre de Louis Foster. Eux aussi s’étant fait racketter par un gang, Smokey promet de retrouver la montre qu’on leur a volé. Il rencontre le photographe qui a pris des clichés de la scène de crime, Saul Epstein, ainsi que sa sympathique grand-mère.

Ce début d’enquête est encore insatisfaisant pour Smokey : “Ce qui lui est arrivé le jour de sa mort, ça je vais le trouver. En revanche, pourquoi on lui a fait ça, je n’en sais rien.” Saul Epstein, sa petite amie noire Elaine, et la grand-mère du photographe sont victimes d’une sérieuse agression. Hospitalisés, Saul et Elaine doivent être rafistolés sur tout le corps. Moralement, la jeune Noire supporte très mal l’incident, comprenant que sa relation avec un Juif blanc déplaît à quelqu’un. Smokey enquête au cabinet dentaire de Louis Foster. Il retrouve bientôt Jane Sarton, qui n’était pas sa maîtresse mais son agent immobilier. En effet, Foster envisageait l’achat d’une belle maison, celle de M.Delevan. Smokey explore le quartier en question. Un problème dans un magasin réservé aux Blancs lui fait comprendre que le racisme règne dans ce secteur.

Smokey consulte les archives des journaux, à la bibliothèque. Il se rend compte que plusieurs autres meurtres similaires se sont produits, tout autant négligés par la police. Il y aurait au moins cinq, peut-être sept assassinats de Noirs, selon le même mode opératoire. Le flic Sinkovich, moins corrompu que la moyenne, est lui aussi confronté à un cas ennuyeux. Près de chez lui, le comité de quartier composé de Blancs s’apprête à incendier une maison où vit une famille de Noirs. Il se doit de les dénoncer, ce qui n’est pas sans conséquences pour lui. Smokey fait appel au gros policier noir Truman Johnson, le seul en qui il puisse avoir confiance. Avec Sinkovich et lui, le détective peut espérer coincer le coupable…

Kris Nelscott : Blanc sur noir (L’Aube noire poche, 2018)

Ces quelques lignes de résumé retracent l’aspect criminel du sujet, mais ce remarquable roman est bien plus riche. C’est une page de l’Histoire américaine que l’auteure revisite. Car les aventures de Smokey Dalton et de Jimmy s’inscrivent dans l’Histoire du peuple Noir américain. En cette fin des années 1960, deux états d’esprit s’opposent : d’un côté, la lutte pacifique initiée par Martin Luther King, adoptée par la plupart des Noirs; de l’autre, les gangs de rues dans la lignée des Black Panthers, partisans de l’action violente y compris contre leur communauté. Ce qui est illustré ici par les ennuis du jeune Jimmy. À Chicago, la mixité sociale et raciale gagne lentement du terrain dans des “quartiers de transition”. La population blanche plutôt modeste s’accroche à ses valeurs, au risque de dérapages meurtriers allant au-delà du simple racisme.

Les parents d’élèves noirs s’organisent eux aussi peu à peu, contre les gangs et pour que leurs enfants aient accès à toutes les écoles. Chez les puissants, symbolisés par la société Sturdy, on n’est pas prêts non plus à renoncer à des pratiques à la fois lucratives et fort peu morales. Bien d’autres images sont restituées avec une belle justesse dans ce roman. Pendant ce temps, témoin de tous les évènements de son époque, Smokey enquête avec discrétion (il est pisté par le FBI et la police de Memphis) et avec efficacité. Le personnage le plus sympa qu’il rencontre est, sans conteste, la grand-mère du photographe Saul Epstein, la pétillante Mme Weisman. S’il possède un suspect, le dénouement n’est pas sans surprise. Un authentique roman noir de qualité supérieure, 2e titre d’une trilogie (La route de tous les dangers, Blanc sur noir, À couper au couteau) que les éditions L’Aube noire ont la très bonne idée de rééditer maintenant en version poche.

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23 septembre 2018 7 23 /09 /septembre /2018 04:55

Le criminel Angoualima terrorisa longtemps ce pays d’Afrique noire. Jamais il ne fut repéré par les autorités, qu’il provoquait avec cynisme, jusqu’à ce qu’il choisisse sa propre mort. Plus célèbre que les grands noms de ce pays, Angoualima devint un mythe. Un exemple à suivre pour le jeune Grégoire Nakobomayo, qui voit en lui un Grand Maître. Grégoire était un "enfant ramassé" qui a bénéficié de bribes d’éducation dans des familles d’accueil. Mais il préféra la liberté, s’installant tôt dans le pauvre quartier de Celui-qui-boit-de-l’eau-est-un-idiot. La solidarité entre parias lui convient. Rapidement, il devient un des petits caïds de cet endroit. Il s’y construit une masure, crée une sorte de garage automobile – ayant suivi une formation de mécanicien. Toutefois, le crime reste son obsession.

Grégoire Nakobomayo revendique sa vulgarité autant que sa marginalité. Il est convaincu d’être supérieur aux autres, disciple digne du défunt Angoualima – sur la tombe duquel il se recueille fréquemment au cimetière. Ses premiers "exploits" dans le banditisme ne sont pourtant que des ratages. Outre de menus larcins, il tente d’assassiner le notaire Quiroga – dont la maîtresse l’excite fortement – mais ne réussit pas à voler l’argent de sa victime. Habitué (en spectateur) du Palais de Justice, Grégoire pense se perfectionner afin de commettre, le moment venu, un crime parfait. “N’allez pas vous imaginer que je ne sois qu’un bon à rien même si je compte à mon actif à peine quelques infractions qui, si j’avais été appréhendé, m’auraient à la rigueur traîné devant le tribunal correctionnel du quartier où mon audience aurait eu lieu après celles des voleurs de coqs et de papayes.”

Pour Grégoire, il est temps de passer aux choses sérieuses. Il s’attaque à une fille en blanc, qu’il croyait être une prostituée alors qu’il s’agissait d’une infirmière. Une agression qui ne sera aucunement médiatisée, ce qui déçoit terriblement Grégoire. Au cimetière, il a une conversation avec l’esprit d’Angoualima. Ce dernier s’agace d’avoir pour adepte un tel crétin, mais Grégoire y voit un encouragement à se montrer plus efficace. La cible de son meurtre idéal, programmé le 29 décembre, ce sera Germaine. Cette fois, il s’agit bien d’une prostituée – qu’il trouve trop romantique à force d’avoir des Blancs pour clients. Il réussit à l’attirer chez lui, Germaine n’ayant guère de domicile fixe. Oui, Grégoire est prêt, sûr de son fait. Il espère être à la hauteur d’Angoualima, son Grand Maître…

Alain Mabanckou : African psycho (Éd.Points, 2018)

Non, je ne m’imaginais pas dans ce scénario banal, ordinaire et propre aux petits malfrats, aux apprentis criminels. On n’entre pas dans la légende par la petite porte. Les bandits des deux rives de notre quartier auraient pouffé de rire pendant des mois. J’aurais à peine osé sortir de ma parcelle. On m’aurait collé un sobriquet du genre Poule Mouillée. C’était comme si je poignardais ma victime dans le dos. Or, un meurtre commis de dos ne compte pas pour qui sait faire les choses avec professionnalisme.

Heureuse initiative que de rééditer ce roman jubilatoire d’Alain Mabanckou. Rappelons que cet auteur d’origine congolaise né en 1966 fut récompensé en 2006 par le Prix Renaudot. La liste de ses autres prix littéraires est impressionnante. Ses livres sont traduits dans une quinzaine de langues. Un écrivain majeur, à l’évidence.

La tonalité de cet "autoportrait d’un tueur" s’avère enjouée, ironique, souple quant à la narration. Avec sa tête carrée, le pauvre Grégoire ne sera jamais qu’un raté, perdu dans la masse de ces délinquants à peine capables de subvenir à leurs besoins par des rapines de bas-étage. Quant à tuer sans se faire alpaguer, voilà un projet probablement bien trop ambitieux pour un type comme lui. De quoi écœurer Angoualima, même s’il est mort.

Alain Mabanckou évoque-t-il ici "un certaine jeunesse africaine" sans grand avenir ? Ces "enfants ramassés", qui se soucie d’eux, en effet ? Une vraie culture (autre que les médiocres BD que lit Grégoire) pourrait orienter en mieux leur vie, sans doute. Ce peut être ce qui apparaît en filigrane. Néanmoins, c’est la drôlerie caustique du récit que l’on apprécie, que l’on retient. “African psycho”, un savoureux roman à redécouvrir dans l’œuvre d’Alain Mabanckou.

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