Journaliste et écrivain, Michel Embareck est né en 1952. Il s'est fait connaître des lecteurs de polars grâce à quelques romans publiés chez L'Archipel (“Cloaca maxima”, réédité chez Folio sous le titre “Dans la seringue”) et dans la Série Noire (“La mort fait mal” ou “Le rosaire de la douleur”). À noter aussi deux ouvrages documentaires parus chez L’Écailler du Sud, “Rock en vrac” (2011) et “Très chers escrocs” (2013). Petit hommage à travers deux titres d'un format assez court, qui sont néanmoins des livres savoureux.
"Rubens" (Éd.L’Écailler du Sud, 2004)
D’ordinaire, il préfère les femmes Modigliani. Il communique mieux avec elles, même si ça dure peu. Celle qui l’attire cette fois est une Rubens, surnom qu’il donne à cette femme aux belles rondeurs. Le contact est moins aisé à établir. Sans doute est-ce à cause de son passé qu’il est maladroit pour tisser des liens.
Il se souvient du camp de base, autrement-dit sa maison. Comment oublier le Général Dégueule et de la Maréchale de Hauteclaque, ainsi qu'il surnommait ses parents. Des adeptes du pastis et de la sainte Torgnole. Des dérouillées, il en a reçu enfant ce “toucon” qui avait selon eux “le diable dans la peau”. Des bêtises, il en a commis, par ennui plutôt que par idiotie. Déjà, il inventait son propre langage, plus imagé que le vocabulaire actuel. Il aimait les “ravajoux”, ces gamins vivants que l’on qualifiait chez lui de péquenots. L’envie de bourlinguer pointait depuis qu’il lisait des romans d’aventure.
Son envie d’évasion fut contrariée : on l’interna au lycée de redressement. Parmi les incorrigibles redressés (“graine d’enragés, tout çà fera d’excellents sauvages adultes”) il ne s’améliora pas, estimaient les parents. Longues années répressives au bout desquelles il obtint pourtant la fourragère d’honneur. Suivant des “ravajoux éclairés”, il connut une politisation anarchique. Désapprobation parentale quand il publia ses premiers articles sur la musique bleue, le jazz. Au fil des ans, l’artisanal “ébéniste en narration” devint voyageur littéraire. “Chasseur d’ombres mortes”, depuis il sillonne la planète sur les traces de défunts grands écrivains. Son approche mystique des bars lui offre des repères partout dans le monde. Ce monde qu’il observe, solitaire et silencieux. Il espère que Rubens comprendra tout ce qu’il est. Si, toutefois, elle peut le rejoindre à La Nouvelle-Orléans…
Quitte à ne rien savoir faire de ses dix doigts, autant inventer une écriture à soi. Telle est la philosophie de ce narrateur, qui emprunte certainement beaucoup à l'auteur. Écriture vive, inventive, amusée, grinçante, complicité avec le lecteur, ce savoureux récit n’est pas une autobiographie puisque l’écrivain se réserve le droit “d’accommoder la vérité”. Un roman aussi jouissif qu’attachant.
"Le futon de Malte" (Éd.La Branche, Suite Noire n°12, 2007)
Le commissaire Friedman est un pur Alsacien de Strasbourg, avec l’accent germanique de rigueur. Il s’est “égaré sous des latitudes parpaillotes”, à Montpellier. Il y teste une gastronomie pas moins riche que dans sa région d’origine. Jusqu’à ce qu’on découvre sur la plage de Maguelone le cadavre nu d’un notaire. L’avant-bras de la victime, qui ne porte qu’une cravate, a disparu : deux faibles indices, pour un crime que la police suppose sexuel. Son tatouage sur le bras est sans importance. Les trois CD du groupe “Ten Years After”, récemment adressés au notaire, peuvent avoir une signification.
Un reporter et son ami gendarme, tous deux exilés chez les pétulants “Toulousaings”, envisagent une piste sérieuse. Le notaire était un ancien joueur de rugby à XV, toujours impliqué dans ce sport. Quelques jours avant sa mort, on l’a vu en compagnie d’officiels du rugby à XIII. Depuis le schisme opposant les deux disciplines, les rivalités sont fortes. Entre l’ombre de clans maçonniques et les intérêts politico-économiques liés aux milieux sportifs, il serait bon d’enquêter dans cette direction. Les molles investigations des policiers piétinent. Friedman risque de se voir retirer l’affaire par le juge d’instruction, un dandy à particule. Il est temps de s’activer. Après un coup de gueule contre une profileuse aussi fiable qu’une astrologue, Friedman explore les arcanes de l’Ovalie. Il y a aussi cet agent immobilier véreux, qu’on suspecte et qui a des révélations à faire...
On est subjugué par l’humour subtil ou mordant de l'auteur. On aime ses heureuses caricatures, comme celle du Toulousaing au leitmotiv “T’sé, inc’ulé”. On adore ses savoureuses formules : le tueur s’est servi d’un outil de maçon “… ou de n’importe quelle Simone Weber sortant de chez Casto”. On apprécie les ironiques expressions du commissaire, en langage alsacien ; et tout autant quand l’auteur raille les scénarios-télé, basés sur l’ADN et le douteux profilage. Il nous rappelle que l’impact du sport intéresse surtout les financiers. D’une tonalité réellement enjouée, cette histoire est un pur bonheur de lecture.