Au printemps 1998, six quinquagénaires font du tourisme dans la région du Wuyishan. Ces voyageurs forment un groupe d'amis se connaissant depuis leurs études, trente ans plus tôt. Ils s'installent dans un bel hôtel, disposant chacun d'une chambre individuelle. Certes, dès leur arrivée, la prédiction d'un prêtre taoïste leur apparaît assez néfaste, et la légende de l'Immortel du nuage noir est plutôt inquiétante.
Après une soirée décontractée, Sun Feihu croit apercevoir un spectre, puis il reçoit le dessin d'une chauve-souris. Voilà qui le ramène à de sombres souvenirs, au temps de la Révolution Culturelle. Le lendemain, leur balade en radeau est agitée. Sun Feihu tombe dans l'eau, ce qui lui occasionne de fortes fièvres. “Cette fois-ci, sa mauvaise conscience avait entamé sa confiance en lui. Il avait même un peu peur, ne sachant ni qui était son rival ni où il se terrait.”
Ses maux étant un peu calmés, Sun Feihu accompagne quand même ses amis, partant visiter un site rocheux remarquable des environs. Hélas, Sun Feihu est victime d'une chute mortelle, en partie causée par une chauve-souris blanche. Puisqu'il a été hospitalisé et que ses amis trouvent sa mort un peu suspecte, une autopsie de Sun Feihu est décidée. La cause réelle du décès est un empoisonnement. Un couple de policiers débute son enquête de proximité, explorant la chambre du défunt, interrogeant sa veuve Li Yanmei et leurs amis. Si Sun Feihu n'était pas tellement joyeux, nul ne croit à un suicide. Utiliser un pesticide en guise de poison, c'est plus sûrement le signe d'un crime. Peu après, la veuve et les quatre autres reçoivent chacun un dessin figurant une chauve-souris, comme pour Sun Feihu. Les deux policiers trouvent bientôt l'origine du poison, en vente libre.
Confiné à l'hôtel, le groupe donne individuellement une version à la fois complexe et trop préparée des faits. Les policiers établissent le portrait-robot d'une suspecte, mais c'est un habile stratagème qui entraînera des aveux. À ceci près qu'il s'agit d'un faux témoignage, que le détecteur de mensonge démontrera, et que c'est un autre coupable qui sera arrêté et jugé par la suite. L'avocate de la défense va utiliser les nouvelles dispositions juridiques admises en Chine, afin d'étayer sa plaidoirie...
À l'automne 1998, l'universitaire He Ren séjourne à Aix-en-Provence. Par hasard, il croise un vieux Chinois, d'abord peu communicatif, préférant le silence des églises. M.Yang finit par accorder à He Ren quelques cours de Droit. Outre les débats sur la preuve et ce qui permet l'identification criminelle, ils assistent à un procès au tribunal d'Aix. Les systèmes judiciaires occidentaux fonctionnent différemment qu'en Chine où, malgré les progrès, la justice manque encore de nuances. Si He Ren a un but précis en suivant attentivement les cours de M.Yang, il imagine quelque mystère autour du vieux Chinois. Il n'aura de vraie réponse que bien des années plus tard, entre Genève et Paris...
He Jiahong, l'auteur, dont voici le cinquième roman publié en France, est professeur de Droit. Il semble avoir extrapolé ce roman d'après un cas réel, une affaire mal résolue par la justice chinoise. Certains de nos principes, telles “l'intime conviction” et “la présomption d'innocence”, furent longtemps des notions inconnues en Chine. Pression sur les suspects et procédure pénale minimale suffisaient à faire admettre les preuves. Ça correspondait à une habitude ancestrale, que la politique maoïste ne se priva pas d'utiliser. Soulignons que c'est avec une belle liberté que sont évoqués dans cette histoire certains méfaits de la Révolution Culturelle, et les condamnations en “laogai” (camps de prisonniers) pour ceux qui eurent la malchance d'être dénoncés comme mauvais citoyens. Le contexte général importe autant que le dossier particulier, à l'évidence.
Toutefois, même si les règles du Droit et le passé de la Chine sont très présents, ce roman n'a rien d'austère. L'auteur apporte des notes de légèreté et certains sourires. Y compris quand il montre une part de candeur de ses compatriotes sur les questions de justice. S'il s'agit d'un véritable roman d'enquête, sa structure – en deux temps parallèles – ajoute un plaisir supplémentaire. Ce qui ménage plusieurs niveaux de suspense, à savourer. Un petit conseil : nous ne sommes pas coutumiers des patronymes chinois. Ici, ne cherchons pas à situer d'emblée chaque protagoniste. Cela viendra tout naturellement, au fil de la lecture. Car les personnages sont admirablement décrits, tout en finesse. Par ailleurs, concernant en particulier la Provence, le regard d'un intellectuel chinois sur notre pays ne manque pas d'intérêt. Un polar d'une riche subtilité, captivant du début au dénouement.