Dans les rues de Paris, en ce printemps 1861, se multiplient les rénovations inspirées par le baron Haussmann. Le Second Empire transforme la ville en une capitale moderne, qui disposera de grandes artères, de vastes places, et qui promet de mieux loger la population modeste. C'est aussi une époque flamboyante pour la haute-bourgeoisie, qui gagne des fortunes et s'amuse entre soi dans les soirées mondaines. Issu d'une riche famille, Achille Bonnefond appartient à ces milieux. Avec son amante Lucile, jeune femme mariée qu'il est censé chaperonner, il assiste à tous les évènements parisiens. Encore que ce séducteur lui préfère sans doute la moins snob Marthe, qui va bientôt convoler avec un vieux soupirant aisé. Chez lui, Achille vit entre sa chatte borgne et Tamara, son employée qui le traite telle une mère. Admirateur de Vidocq, il créa une agence de détective, en association avec son camarade Félix. Ce dernier s'en occupe encore aujourd'hui. Achille a réussi à faire partie du cercle entourant l'Empereur, pour lequel il a mené quelques discrètes missions.
Achille est convoqué par le Ministre de l'Intérieur, qu'il connaît bien et qu'il apprécie. Un étrange meurtre a été commis au Parc Monceaux, lui aussi en travaux. Près du cadavre de la victime, dont le visage a été vitriolé, on a trouvé un message à caractère politique. S'il s'agit d'un avertissement menaçant envers l'Empereur, il faut trouver le coupable au plus tôt. D'abord, il est nécessaire d'identifier cette femme rousse, âgée de vingt à trente ans, qui a été battue à mort avant d'être aspergée de vitriol. Phtisique, alcoolique, anémiée, ce n'était probablement pas une prostituée, mais une femme dans la misère. Sur elle, des témoins ont aussi trouvé une carte de tarot, la Maison-Dieu. Achille fait appel à son ami Félix, afin que l'agence retrouve le nom de cette personne. Par obligation, lui-même se rend au bal masqué de Lucile de Brizacq, mais s'en échappe pour rejoindre Marthe. Hélas, Félix est blessé dans un accident, désormais incapable de poursuivre sa mission. Il venait de prendre contact avec un chiffonnier, Baise-la-Mort, qui pourrait les aider.
Ce Baise-la-Mort a autrefois assassiné un homme, qui abusait de la femme qu'il aimait. Une vengeance qu'il a payée cher, mais il a survécu à toutes les épreuves, et vivote parmi les chiffonniers triant les déchets parisiens. Achille va devoir mener l'enquête en personne, en suivant ce pitoyable compagnon (et son chien, Totor-la-Guillotine). Avant tout, comme son maître à penser Vidocq, il se grime pour ressembler aux plus pauvres gens du peuple. Achille se fait passer pour un apprenti chiffonnier, sous le nom de Dents-de-Lait. Malgré ses efforts, la victime reste longtemps anonyme : “C'est incroyable ! Personne, je dis bien personne ne connaît l'identité de cette femme. Elle est comme un fantôme qui aurait traversé son temps, puis se serait volatilisé sans laisser de traces.” Même le témoignage de “la femme en culotte” le renseigne peu. Gardant un pied à Paris, Achille doit voyager de Cologne à Dieppe afin d'en apprendre davantage sur la mystérieuse victime...
Ce n'est pas un pur roman policier qu'on nous propose ici, on l'aura bien vite compris. Néanmoins, dans l'esprit de Vidocq, ce distingué détective va mener l'enquête sur un meurtre aussi énigmatique que violent. Peut-être un crime en rapport avec l'attentat d'Orsini ayant visé l'Empereur trois ans plus tôt. Comme dans beaucoup de bons polars, c'est en découvrant le contexte entourant la victime que notre fin limier espère progresser. Achille est assisté d'un pittoresque comparse, maniant l'argot d'alors, et connaissant ce Paris des bas-fonds qui disparaîtra largement grâce aux travaux haussmanniens.
Outre l'intrigue criminelle, bien présente, c'est une belle reconstitution de la capitale sous le Second Empire que nous présente l'auteure. Dans ce Paris dont la mutation s'accélère, la bourgeoisie des nouveaux riches tient le haut du pavé. Chantiers en cours, soirées de fêtes se voulant toutes plus glorieuses, prospérité affichée des puissants, mariages d'argent empreints d'un certain cynisme, tel est l'univers qui est restitué ici d'une manière très documentée. Nul doute qu'on approche de près l'ambiance qui régnait en ces temps-là, dans la bonne société. Quant à la population, incluant bon nombre de gueux, on peut supposer qu'elle profita beaucoup moins du “progrès”, qui enrichissait les notables. Notre héros se veut plus humaniste que ceux de son milieu social. C'est donc un très intéressant voyage dans le passé, qui nous est offert grâce à cette enquête.