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23 juin 2013 7 23 /06 /juin /2013 04:55

Dans la France de 1958, certaines plaies datant de la guerre ne sont pas refermées. Âgé de quarante-quatre ans, Jean-François Roy s'est exilé en Espagne durant treize années. Il fut l'un des plus célèbres pamphlétaires de son temps. À la Libération, on le condamna à mort par contumace pour collaboration, à cause de ses écrits pro-nazis. Roy a subi une opération de chirurgie esthétique, assez peu réussie, avant de rentrer clandestinement à Paris. Il y végète depuis quelques jours, solitaire, n'y retrouvant pas ses marques. Il croise par hasard Fernand Medina, modeste journaliste trentenaire. Celui-ci reconnaît sans mal Jean-François Roy, dont il se dit l'admirateur. Roy hésite, n'ignorant pas que certains anciens résistants veulent encore le buter.

Il recontacte quand même Medina, qui l'invite dans son pavillon de Saint-Cloud. Le journaliste lui présente sa jeune épouse, Emma, qui a vingt ans. Immédiatement, Roy se sent bien dans cette maison, un foyer normal dans un quartier tranquille. Medina lui propose d'habiter chez eux. En échange, puisque Roy éprouve tant le besoin d'écrire, il rédigera une rubrique régulière pour le journal qui emploie son hôte. Plus serein qu'autrefois, Roy retrouve vite la talentueuse virulence de ses écrits d'antan. Il commence par éreinter une pièce de théâtre diffusée à la télévision. Un média qu'il connaît encore mal, mais qui l'inspire. Après ces critiques télé, Roy s'attaque à des sujets de société. Sujets abstraits n'entraînant pas de scandale, mais qui plaisent à l'opinion publique, et au rédacteur en chef. Ainsi qu'à Emma, qui aime son esprit “démolisseur”.

Pour l'heure, c'est Medina qui profite du succès de ces articles forts, puisqu'ils sont signés de son nom. Quand le journaliste est interviewé à la télé, Roy réalise à quel point le falot Medina exploite ses qualités d'écriture. L'explication qui s'ensuit entre eux est orageuse. Roy menace de ne plus coopérer, et même de s'en aller. Medina produit un article fielleux sur l'éventuel retour en France de Jean-François Roy. Un statu-quo est obligatoire entre les deux hommes. Ça ne durera pas longtemps, car un suicide vient changer la donne dans le pavillon de Saint-Cloud...

Frédéric Dard : Une gueule comme la mienne (Pocket, 2013)

Il ne s'agit pas strictement d'un huis-clos, puisque des scènes importantes se déroulent en extérieur. Néanmoins, c'est bien dans cette petite maison à l'ambiance apaisante que se noue l'intrigue. Nul besoin d'une flopée de protagonistes pour alimenter une histoire de qualité. Un paria longtemps exilé à Barcelone, un petit journaliste arriviste, une épouse dénuée de sentiments sincères, trois ou quatre personnages suffisent. Encore faut-il les décrire de façon convaincante, ce qui est le cas ici. Par exemple, l'ancien écrivain collabo est présenté tel un homme lucide sur son sort, comme sur son œuvre. “J'ai écrit ce livre, mais je ne l'ai jamais lu, pas même pour en corriger les épreuves. Cette sorte de prose vinaigrée ne supporte pas le fignolage ! On la crache comme du venin. Vous avez déjà vu des vipères s'occuper de leur venin ?” Inutile de le juger, puisque cela a déjà était fait.

Le suspense ne réside pas dans l'ambition de Medina, exploitant la plume de son invité. C'est bien le couple qui est en cause. Entre tranquillité du lieu et tension interne au trio, Frédéric Dard installe un climat très prenant. Grâce, comme toujours, à la fluidité de la narration. Viennent s'ajouter quelques autres éléments, pimentant l'intrigue, bien sûr. Une des belles réussites de l'auteur. Ce roman fut traduit dès 1964 en allemand (Der pavillon in Saint-Cloud) et en espagnol (Una cara como la mia). Peut-être en d'autres langues, aussi.

En 1959, Frédéric Dard réalisa un film éponyme (sorti en juillet 1960) qu'il adapta lui-même de son roman. Avec pour interprètes Claire Maurier, Paul Guers, Jacques Duby, Howard Vernon, Olivier Hussenot, Annie Robert, Jacqueline Morane. La musique du film, signée André Hossein, existe en disque 45 tours. Pierre Granier-Deferre, crédité comme conseiller technique, fut l'assistant-réalisateur de plusieurs cinéastes, dont André Berthomieu, ami de Frédéric Dard auquel est dédié ce roman. Il est possible que Frédéric Dard ait réalisé ce film suite à la défection du cinéaste Luis Savlavsky (La neige était sale, d'après Simenon; Les louves, d'après Boileau-Narcejac). Ce film a été aussi exploité sous le titre “Gestapo contre X” (en Italie, “Due soldi di gloria”). Le scénario diffère sensiblement du roman : Roy et Medina sont tous deux journalistes. Dans la France occupée, l'un résiste à l'ennemi tandis que l'autre collabore. Medina offre sa protection à Roy lors d'une rafle. Ce dernier loge chez Medina et lui écrit des articles pro-nazis. Devenu l'amant de l'épouse de Medina, Roy décide de venger son protecteur après qu'il ait été assassiné par sa femme...

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commentaires

A
J'ai une copie du film en VHS, je vais essayer de la numériser cet été.
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O
c'st très gentil claude ! ce sera évidemment à usage privé <br /> et si une participation aux frais est nécessaire, pas de problème bien sûr<br /> amitiés
C
Bonsoir Olivier<br /> Je donnerai aussi votre adresse e-mail à Alexandre, s'il a l'occasion de numériser le film. Rappelons que tout cela reste artisanale, entre passionnés de Frédéric Dard.<br /> Amitiés.
O
aie aie aie ça m'intéresse .... !!
C
Bonjour Alexandre<br /> Si c'est le cas, je te mettrai en contact avec Serge le moment venu, au cas où tu n'as pas son adresse e-mail. <br /> Amitiés.
O
merci beaucoup claude pour cette chronique ! je me procure au plus vite cet ouvrage ! amitiés olivier
Répondre
O
merci beaucoup ! je vais l'écouter avec intérêt !<br /> amitiés
C
Bonjour Olivier<br /> Comme le confirme Alexandre, c'est un des très bons titres de Dard. <br /> Et si vous avez une heure devant vous, écoutez donc ceci :<br /> http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4634476 <br /> Amitiés.
A
C'est effectivement un excellent Frédéric Dard, un des meilleurs de la période spécial police. Le film de Frédéric Dard par contre est mauvais, le scénario a été transformé, faisant du personnage central un résistant. C'est filmé n'importe comment, mais c'est bien la défection de Luis Savlavsky. D'ailleurs la façon dont meurt Roy rappelle assez celle de Franck dans le film &quot;La neige était sale&quot;. Petite anecdote, la musique du film sera reprise par Robert Hossein dans &quot;le Vampire de Dusseldorf&quot;.
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C
En effet, Alexandre, j'ai croisé ce détail (que je n'ai pas repris) au sujet de la musique du film. Probablement pas un chef d'œuvre, non. Mais - ce n'est ni à toi, ni à l'ami Serge que je l'apprendrai - le cinéma d'alors était souvent fait à la va-vite. Soit le réalisateur était bon technicien (genre Bernard Borderie, G.Lautner, etc) et palliait aux faiblesses du sujet, soit les acteurs étaient assez pros pour &quot;tenir&quot; le rôle à jouer, et le résultat était convenable. Hélas, ce ne fut pas toujours le cas, loin s'en faut. (si tu as vu &quot;La bonne tisane&quot; d'Hervé Bromberger, d'après Jean Amila, tu peux mesurer ce genre de ratages). <br /> Amitiés.
O
Bonjour Claude<br /> Quoi ma gueule, qu'est-ce qu'elle ma gueule... comme chantait Johnny... Jamais vu le film mais lu le bouquin, il y a longtemps... Mais excellente initiative des éditions Pocket de rééditer les romans de Frédéric Dard, un Frédéric Dard obsédé encore dans ce roman par la guerre mais aussi par les romanciers collabos, plus nombreux que ce qui est retenu par l'histoire. Et certains sont encore adulés, ce que je ne comprends guère<br /> Amitiés
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C
Salut Serge<br /> Mon exemplaire (relu pour l'occasion) date aussi de 1976, pas trop défraichi. Le film, j'en parle sur documentation, en confrontant d'ailleurs plusieurs sources. Je doute qu'on en retrouve aisément des copies aujourd'hui. Sauf peut-être en demandant à Alexandre Clément (voir plus loin).<br /> Amitiés.
S
Salut Claude.<br /> Pocket avait déjà publié bon nombre de Dard dans les années 70. Mes exemplaires sont bien fatigués et j'attends vainement une réédition en collection Bouquins ou Omnibus!... Le film fut bien réalisé par Dard lui-même dans les conditions que tu décris. Jamais vu non plus. Manque cruellement à ma curiosié cinéphilique...<br /> Amitiés.
C
Salut Paul<br /> On sait que Dard était un admirateur du style de Céline (pas Céline Dion, mais du facho pamphlétaire qui n'a jamais renié aucune de ses opinions criminelles). Je ne suis pas sûr qu'il s'en soit inspiré ici, car J.F.Roy est un homme jeune encore, qu'on suggère séduisant quand même (ce qui n'était plus le cas du nazi Céline)... <br /> Vu de 2013, treize ans entre 1945 et 1958 nous semblent sans doute une période déjà longue. Mais n'oublions pas que c'est relatif. Et qu'il reste aujourd'hui encore des gens qui n'ont pas digéré l'Histoire depuis tout ce temps.<br /> Bonne initiative de rééditer ces romans, oui !<br /> Amitiés.

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