Situer un polar dans un région de France serait-il donc une hérésie ? Certains lecteurs s’expriment parfois en ironisant sur ce qu’ils appellent avec mépris les “polars régionaux”. Par opposition à cette vieille idée, que le polar ne peut qu’être urbain, citadin. C’est vrai, il n’y a pas de villes dans les régions, juste de la cambrousse. Préjugeant une qualité insuffisante ou médiocre, lesdits lecteurs n’en lisent quasiment jamais. C’est leur droit, mais on peut s’étonner d’une position aussi intransigeante, et citer quelques exemples récents.
C’est pour moitié dans la Creuse que se situe l’action de La rigole du diable, de Sylvie Granotier (Albin
Michel). Dans ce suspense psychologique, sa jeune héroïne avocate cherche autant la vérité sur l’affaire qu’elle traite que sur sa propre enfance, dans cette région. C’est principalement à Nancy
et dans sa région que se passe le roman Je suis un
terroriste de Pierre Brasseur (Après La Lune). La jeune Maude et un petit groupe d’étudiants nancéens, en décalage avec la société actuelle, se lancent dans une expérience
terroriste en province. C’est dans un petit village des Pyrénées que Pascal Dessaint place l’intrigue de son roman Le bal des frelons (Rivages). On y croise une belle
galerie de personnages malhonnêtes, déjantés, ou ayant des projets meurtriers. Tous vont glisser sur la peau de banane de leur propre stupidité. C’est dans la région des Vosges où il vit toujours
que Pierre Pelot, auteur émérite, situe l’intrigue de son roman Maria (Éd.Héloïse d’Ormesson). L’histoire de cette vallée des
Vosges est au cœur du récit, et des mésaventures dramatiques vécues depuis la fin de la guerre par cette dame âgée. Un récent épisode de la série Le Poulpe est intitulé Les ignobles du Bordelais (Baleine).
François Darnaudet, son auteur, envoie Gabriel Lecouvreur du côté de Bordeaux et du Bassin d’Arcachon, pour une affaire aux forts relents antisémites.
L’action de Enlèvement avec rançon (Éditions de Minuit, 2010) d’Yves Ravey se
place dans un secteur des Alpes, frontalier de la Suisse. C’est dans ce petit village si provincial que deux frères, pas si complices, commettent un kidnapping…
Nous parlons là de polars de belle qualité, publiés ces dernières semaines, ces
derniers mois. À moins que cette dénomination de “polars régionaux” ne vise ceux publiés par des éditeurs installés en région ? Dans ce cas, il convient de citer
L’Œil du singe d’Hugo Buan, chez Pascal
Galodé Éd. C’est dans la région de Rennes que l’irascible (et fort drôle) commissaire Lucien Workan mène une enquête débridée. Un paléoanthropologue ne sait plus où il en est, des cadavres sont
enterrés, disparaissent, et Workan se met en colère plus souvent qu’à son tour… On peut aussi citer Bavure dans le béton de Charles Madézo (Éd.du Palémon)
qui nous apprend bien des détails sur les pratiques illégales du BTP. Entre Paris et la Bretagne, enquête sur un univers sombre et corrompu, que cet auteur a lui-même quelque peu connu… S’il
situe souvent ses intrigues du côté de Dunkerque, Maxime Gillio choisit une région frontalière proche dans son roman La fracture de Coxyde (Polars en Nord). Son détective
Jacques Bower, aussi téméraire qu’un Poulpe en action, y mène une enquête mouvementée… Pour Noires vengeances en V.O. (Éd.du
Valhermeil), Jean-Louis Serrano place l’affaire criminelle dans le Val d’Oise, département
certes proches de Paris, mais en plus régional quand même. Un vieux policier se penche sur un dossier datant de vingt ans, alors que des crimes similaires sont commis. Une intrigue solide… Ces
quatre romans ne déméritent sûrement pas, et que leurs éditeurs soient “régionaux” ne change rien à leur qualité.
Une dizaine d’exemples parmi des parutions du dernier trimestre, qui semblent bien indiquer que l’étiquette “polars régionaux”, trop vite décriée par quelques puristes, ne rime pas à grand-chose. Sans doute ne s’agit-il que de mes propres lectures, mais je ne suis pas le seul à apprécier ces contextes. Oui, j’admets que d’autres auteurs de “polars régionaux” seraient peut-être moins inspirés, nous proposeraient parfois des romans moins convaincants. Un constat valable pour toutes les collections, tous les éditeurs, non ?
(Pour les chroniques, cliquez sur chaque titre)