Beaucoup de finesse dans les polars de cette talentueuse romancière (et comédienne) qu'est Sylvie Granotier. Voici deux suspenses qu’il n’est pas trop tard pour savourer, puisque disponibles en version poche.
"Belle à tuer"
Policier parisien, Mangin est en vacances chez des amis dans la Creuse. Des tensions agitent cette famille bourgeoise : l’épouse pense que son mari la trompe, le fils Gérard refuse leur conformisme, la jeune Lucie est un peu trop libre. Le très citadin Mangin craint de s’ennuyer dans cette campagne morte. Le commandant de gendarmerie Mercure lui soumet un dossier sur lequel il s’interroge. Quatre hommes sont décédés ou ont disparu récemment. On peut envisager une même série de meurtres. Mangin étudie l’affaire, mais préfère s’intéresser à l’énigmatique Ariane. Bibliothécaire à Aubusson, elle se montre distante quand il veut l’apprivoiser.
C’est bien une femme qui, certaines nuits pluvieuses, s’attife en séductrice vulgaire, et s’attaque à des jeunes hommes peu raffinés. Elle est alors dans un état second, qu’elle s’empresse d’oublier. Même quand cette autre vie rejoint son quotidien, elle la nie. Mangin collecte quelques indices, tentant de s’immerger dans le dossier criminel. Malgré leurs rapports difficiles, il reste obsédé par Ariane. « Rien, chez cette fille, ne collait avec rien » estime-t-il. Protégée par son vieux voisin armé et par le jaloux Gérard, Ariane s’avoue attirée par Mangin. Pour le policier, c’est une éventuelle suspecte – qu’il a plutôt envie de défendre que d’accabler.
Ariane est confrontée à un témoin, qui ne la reconnaît pas. La piste de l’improbable Eva est-elle plausible ? La mort
d’un irascible garagiste concerne-t-elle la même affaire ? Mangin songe un temps à abandonner cette affaire, mais...
Il ne s’agit ni d’une simple enquête, ni de la traque d’une tueuse en série. Ce vrai suspense est aussi troublant que subtil. Le doute plane en permanence sur la probable culpabilité de la
suspecte. On comprend l’instinct protecteur de ceux qui ont admis sa singularité. Mais cette histoire n’est pas absolument noire. On sourit également, du héros trop citadin ou de ses hôtes
hypocritement bourgeois. Sylvie Granotier humanise les faits plutôt que de les dramatiser. Sa finesse psychologique et sa souplesse narrative sont fort agréables.
"Tuer n’est pas jouer"
Le comédien Michel Leman avoue à un policier qu’il a commis deux meurtres. Difficile à croire, d’autant que l’homme parait dépressif. Aujourd’hui célèbre, Michel Leman revient sur sa carrière qui, depuis cinq ans, a pris un essor international. Tout commence un soir de générale au théâtre de l’Athénée. Par accident, Leman tue un médiocre maître chanteur, Patrick Manchot. Au lendemain de cette soirée où il se montre exceptionnel, Leman se débarrasse du cadavre. Bientôt, une jeune femme s’arrange pour qu’il la remarque. Il s’agit de Juliette Manchot, 23 ans, la fille de sa victime.
Au lieu de la fuir, Michel Leman engage Juliette, qui a su rapidement se rendre indispensable. Entre un tournage en Chine et une interprétation magistrale d’Hamlet à Londres, Leman a besoin d’elle pour s’organiser. Ils se marient deux ans plus tard, mais c’est plutôt un «partenariat». Leman n’est pas insensible au charme du beau Bruno, qui lui rappelle son aventure passée avec le défunt Steve. Bien que ces affaires soient closes, le commissaire Mangin s’interroge toujours sur les décès de Steve et de Patrick Manchot. Il soupçonne plus Juliette que Michel Leman d’avoir causé ces morts.
Leman sait que Juliette dispose de preuves contre lui. Ce qu’il ignore, c’est le but réel de son «épouse». Bruno peut s’avérer un allié fort utile. À moins qu’il ne soit manipulé par Juliette. Celle-ci veut profiter de la gloire de Leman, afin de devenir actrice. Peut-être y a-t-il une part de sincérité dans la prétendue admiration qu’elle affiche pour son mari ? Tous deux signent un contrat : il l’aide à se faire connaître, puis ils divorceront. Un film en duo est en projet. Les succès s’enchaînent pour Leman, mais son état moral empire. Il ne sait que déduire du rapport d’un détective chargé de surveiller Juliette. La contrer, divorcer, ce ne sera pas suffisant : il songe à l’éliminer…
Ce n’est pas un suspense de plomb, mais une intrigue nuancée. Avec la subtilité et la fine ironie déjà remarquée chez Sylvie Granotier. L’ego triomphant et la fragilité du comédien prêteraient à la caricature. Les stratagèmes d’une arriviste seraient trop ordinaires. Comédienne elle-même, l’auteur se surpasse. Elle réussit à nous faire entrer dans la vie (et les doutes) de cet acteur, confronté au grain de sable alors qu’il grimpe vers une gloire méritée. Excellent roman.