Sans doute n’est-il pas indispensable de chroniquer “Indignez-vous !” de Stéphane Hessel, vu l’énorme succès de cet opuscule — de ce message à la population française actuelle, pourrait-on dire. D’abord, rappelons l’argumentaire éditeur de ce petit livre : "Pour Stéphane Hessel, le «motif de base de la Résistance, c’était l’indignation». Certes, les raisons de s’indigner dans le monde complexe d’aujourd’hui peuvent paraître moins nettes qu’au temps du nazisme. Mais «cherchez et vous trouverez» : l’écart grandissant entre les très riches et les très pauvres, l’état de la planète, le traitement fait aux sans-papiers, aux immigrés, aux Roms, la course au “toujours plus”, à la compétition, la dictature des marchés financiers et jusqu’aux acquis bradés de la Résistance – retraites, Sécurité sociale… Alors, on peut croire Stéphane Hessel, et lui emboîter le pas, lorsqu’il appelle à une «insurrection pacifique»."
Sans doute est-ce par esprit de contradiction que j’ai tardé à acquérir ce livre. Le côté “c’est un vieux sage capable d’analyser notre monde mieux qu’un autre” me hérissait même un peu. Naguère, dans les familles bourgeoises, il était de bon ton que les aïeux affichent ce précepte hypocrite : notre réussite sociale ne doit pas empêcher notre capacité d’indignation. Ils ajoutaient la notion de charité, car c’étaient des principes basés sur leurs convictions religieuses. Telle est l’image que me donnait cet “Indignez-vous !”. Sceptique, c’est peu dire. Trop de louanges, trop de révérence envers la parole de cet ancien Résistant.
Je ne donne jamais d’opinion définitive avant d’avoir lu un livre. Ce que j’ai fait,
finalement. Le message de M.Hessel doit être lu, compris, mais surtout doit être considéré comme une base de réflexion, et d’action. Ne pas en rester au constat (l’argument ci-dessus), mais
retrouver l’esprit de solidarité qui peut briser cet individualisme qui fait tant de dégâts. Solidarité citoyenne plutôt qu'égoïsme bien-pensant, est-ce illusoire ? L’esprit de compétition prôné
par nos décideurs économiques aboutit à ce "chacun pour soi", synonyme d’échec pour tous. Pour la population, les élites n’ayant rien à craindre, bien entendu. D’après M.Hessel, il s’agit
désormais d’une élite dirigeante mondiale. Certes, mais notre vie quotidienne dépend néanmoins de nos propres gouvernants. Ce sont eux, tous camps confondus, qui bradent les règles égalitaires
mises en place par le Conseil National de la Résistance, qui méprisent parfois (en soutenant des politiques injustes) la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
S’opposer pacifiquement (“Le terrorisme n’est pas efficace. Dans la notion d’efficacité, il faut une espérance non-violente” dit l’auteur), mais activement. La désobéissance civile ou citoyenne contre de mauvaises lois reste un acte concret. Face à la pensée productiviste occidentale, “il est grand temps que le souci d’éthique, de justice, d’équilibre durable devienne prévalent.” M.Hessel a évidemment raison, mais on ne sent guère aujourd’hui de vent de révolte, ni même une indignation suffisante pour changer les choses. Des vœux pieux, une prise de conscience fort incertaine. Au Bouthan, le Bonheur National Brut est l'indice de référence économique, socioculturel et spirituel. Un exemple que le monde n'a jamais suivi, hélas !
Il est vrai que l’on s’éloigne du polar, de la fiction. Trouvons quand même un point commun, puisque Stéphane Hessel s’intéresse aussi à la Palestine : “Quant à Gaza, c’est une prison à ciel ouvert pour un million et demi de Palestiniens. Une prison où ils s’organisent pour survivre.” Sur cette région du monde, n’oublions pas de citer le récent roman de Yishaï Sarid “Le poète de Gaza” (Actes Noirs, 2011).