Le nouveau roman de Serge Quadruppani “Saturne” (Le Masque) est disponible depuis septembre 2010. Tentons un petit survol de l’intrigue, bien plus copieuse que ne l’indique ce résumé…
Saturnia est une localité au sud de la Toscane, où se trouve un établissement thermal
réputé pour ses sources chaudes et soufrées, très apprécié des Italiens. Ce week-end, il est fréquenté par beaucoup de monde. Un homme surgit, qui tire sur trois femmes se trouvant dans la
piscine, blessant aussi gravement une adolescente. Il disparaît avant que quiconque ait réagi. Les victimes sont Maria Salvina, venue là avec son amante Giovanna; Frédérique Play, épouse d’un
célèbre artiste français; Rita Gardonni, mère de famille dont la fille Sylvia est dans le coma. Témoin de la scène, le détective Cédric Rottheimer est sûr que “le tueur était un
spécialiste en mission, il avait abattu précisément trois personnes prises au hasard mais pas une de plus, puis tiré pour semer la panique, au-dessus des têtes.” Chargée de
l’enquête, la commissaire Simona Tavianello partage l’opinion de Rottheimer. Grassouillette quinquagénaire à la crinière blanche, policière à l’Anti-Mafia, Simona a le soutien du procureur Bianchi. Par contre, dans ce dossier pourri,
elle doit se méfier d’autres officiels, tel ce facho de Febbraro.
À l’heure où le G8 se réunit à l’Aquila, la piste d’Al-Quaeda apparaît peu crédible, malgré la revendication adressée par e-mail. On ne peut exclure que l’ombre de la Mafia plane une fois encore sur ce carnage. En réalité, le tueur est un Français nommé Jean Kopa, en mission pour la Défense Dubien. Les activités secrètes de cette société sont liées à des enjeux internationaux. Kopa veut cesser ce métier, principalement pour s’occuper de sa sœur Jeanne, lourdement handicapée. Il en a les moyens, mais doit buter quelques traîtres et assumer au moins une autre mission. En coulisse, deux financiers pensent que l’affaire Saturnia les concerne. Provocateur, Gérard Todos a pu énerver les Partenaires Associés, omnipuissant groupe aux intérêts masqués par leurs manœuvres financières. Son éminence grise George Palo a perçu le message, lui aussi. En Italie, Simona se concentre difficilement sur l’enquête. D’autant que l’ancien commissaire Aldo Maronne vient d’être abattu. Puis c’est le vice-questeur de Bologne, Jacoppo Sarasso, qui disparaît mystérieusement. Deux des meilleurs amis de Simona.
Le détective Cédric Rottheimer est embauché par plusieurs clients, les proches des trois victimes de Saturnia. Ils créent un comité pour obtenir la vérité et la justice sur l’affaire. Le plus nerveux du groupe est le fils Gardonni, Ricardo, dont la jumelle est toujours dans le coma. “Pour moi, la vengeance c’est la même chose que la vérité et la justice” affirme le jeune homme, avec véhémence. À Paris où il poursuit l’enquête, Rottheimer est victime d’un accident. En Italie, Simona pense à démissionner. Le procureur Bianchi tente de la remotiver. Une lettre posthume de son ami Aldo lui offre des éclaircissements sur le contexte du dossier Saturnia. Tandis que Simona est accusée d’avoir les accointances avec la N’drangheta, Ricardo et le comité espèrent trouver des réponses en France…
Ce foisonnant roman comporte plusieurs niveaux de lecture, chaque approche étant intéressante. D’abord, nous avons là une histoire aux multiples péripéties (“…c’était un rebondissement comme aucun auteur de polar sérieux n’aurait osé inventer.”), riche en secrets occultes, cultivant une ambiance à suspense. Quadruppani s’inscrit dans la meilleure tradition de la Littérature populaire, celle de Féval ou de Gaboriau, qui relance en permanence l’attention du lecteur, qui détaille portraits et descriptions tout en gardant une admirable souplesse narrative…
“Il avait répondu qu’il n’était pas écrivain mais qu’il le regrettait, car la littérature disposait de plus de moyens que le journalisme ou l’enquête policière pour dire la vérité d’une époque.” Voici donc une deuxième entrée : c’est le monde actuel qui est évoqué ici. Dans nos systèmes, il n’existe plus vraiment de fossé entre argent sale et fortune honnête. Multinationales et Mafias sont synonymes, utilisant des méthodes identiques, non sans violence. “Il porte un joli nom Saturne, mais c’est un Dieu fort inquiétant” chanta Georges Brassens. Saturne dévora ses enfants, comme notre société cannibalise les siens…
Troisième aspect, l’humour. Car c’est aussi une intrigue pleine d’ironie et de dérision que nous propose l’auteur. Quand, par exemple, il fait un clin d’œil au célèbre village de Tarnac, ou lorsque la commissaire Simona adopte les animaux de son défunt ami, on sourit évidemment. Bien d’autres passages nous offrent une tonalité enjouée, fort agréable. Et quand les proches des victimes rencontrent le Maestro, immense écrivain Sicilien, cela nous donne une scène savoureuse. Excellent traducteur, Serge Quadruppani est tout autant un romancier inspiré.
MARS 2011 - "Saturne" est récompensé à Lyon par le Prix Quais du Polar-20 Minutes.