Datant de 1977, “Une banane dans l’oreille” de San-Antonio est réédité fin janvier 2013 chez Pocket. Bien qu’évidemment mérités, il est inutile d’user une fois de plus des superlatifs élogieux et louangeurs au sujet de l’œuvre de Frédéric Dard, et de ce roman en particulier. Certes, le colossal Bérurier partage ici la vedette avec le commissaire chéri de ces dames, et tous deux vont forniquer à plaisir. Bien que le style langagier san-antoniesque soit plus délicieux que jamais, c’est l’occasion de rappeler que cette série n’est pas seulement humoristique. Car les rebondissements sont permanents, les péripéties s’enchaînent, alimentant un vrai suspense. Glissons sur quelques références d’époque oubliées (le nain Piéral ou Sheila). L’essentiel reste la merveilleuse tonalité de cette remuante intrigue.
À cette époque-là, San-Antonio s’est mué en enquêteur privé, pour la Paris Détective Agency. En réalité, le commissaire reste sous les ordres d’Achille, dit Le Vieux, le patron de la police. Ce dernier a une mission à lui confier, en compagnie d’un duo de petits truands experts en signaux d’alarme, les frères Prince. Ils ont été contactés par des malfaiteurs internationaux, afin de participer au casse de la salle des coffres d’une grande banque de Londres. Mais l’affaire est pratiquement impossible, car l’endroit est hautement sécurisé. Par la Landon Shaffer’s Limited, la société de protection la plus efficace qui soit. Le Vieux exige que San-Antonio s’associe au casse, ciblant un casier bien précis de la banque, le N°44. L’équipe va tester à Bruxelles un autre établissement bancaire, pareillement équipé question sécurité, histoire de voir si le coup est réalisable.
La belle employée de banque Gertrude ne demande qu’à se laisser apprivoiser par San-Antonio. Et il suffit d’un rusé prétexte pour que l’agence Landon Shaffer’s lui fasse une démonstration de son système. Malgré ces précisions, les frères Prince trouvent que c’est trop problématique. Bien que risqué, le plan de San-Antonio a des chances de fonctionner. Le commanditaire anglais leur révèle que ce n’est pas la banque londonienne, mais celle-ci à Bruxelles qu’ils doivent réussir à braquer. Le Vieux a parlé du coffre 44 de celle de Londres. Contacté, il demande pourtant à San-Antonio de continuer, d’ouvrir ce casier bruxellois. Dinant avec Gertrude, le commissaire apprend un autre détail intéressant sur la sécurité. “Moi je la sens bien, cette affaire. Mais à condition qu’on m’accorde le don d’ubiquité” se dit-il.
L’envoûtante photographe d’art Barbara a prévenu San-Antonio d’un danger. Pas plus tard que le lendemain, Béru et lui essuient des coups de feux. Avant de retrouver le commanditaire anglais assassiné à son bureau. Les frères Prince ne tardent pas à fuir cette ambiance façon massacre. San-Antonio et Bérurier se rendent au studio d’art de Barbara, en réalité une volière de prostituées. Barbara, moins féminine qu’il y semblait, a été défuntée genre sadique. L’enquête du duo se poursuit à Bruges. Ce qui les met sur la piste d’un gros type à barbe blanche, conduisant une Porsche blanche aussi. Ils trouvent son adresse, 69 rue des frères Paul Kenny. Par ailleurs, San-Antonio apprend qui a loué le fameux coffre 44, et s’interroge. Avec Béru, se poursuit le parcours du combattant pour démêler ce furieux mic-mac…
Pour se mettre en appétit, un petit extrait. Bérurier a été quelque peu contrarié par Fayol, leur complice belge. Voilà le résultat : “Béru a le sens des valeurs. Qu’un malfrat de bas étage lui parle sur ce ton, et il sort ses gonds des grandes occasions sans la moindre sommation. En l’occurrence un doublé féroce au menton du crevard. Qui, sans hésiter, part à dame. Sa posture, je te jure qu’on aurait voulu, on serait pas arrivé. Il a exécuté, sous le double impact des poings de Mister King Kong, un demi saut périlleux qui l’a propulsé jusqu’à mi-corps entre le lit et le mur. Son derrière est dressé, ses deux jambes demeurent étalées sur le couvre-lit, inertes, et l’on constate que les semelles de ses tiges en croco commencent à gruyérer vilainement.
— Tu l’as entendu ? [dit Bérurier] Non, mais des fois, un saint-panzé pareil, que t’aurais envie, dans tes bons jours, de lu balancer des cacahouètes, m’parler commak !”
Mes autres chroniques sur San-Antonio : "Le coup du père François", "Descendez-le à la prochaine", "Des clientes pour la morgue", "Turlute gartos les jours fériés", "T'es beau, tu sais", "Votez Bérurier". Sur les romans de Frédéric Dard : "C'est toi le venin", "Le cauchemar de l'aube", "La Peuchère", "La crève". Ainsi que "Frédéric Dard mon père San-Antonio" de Joséphine Dard.