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26 février 2013 2 26 /02 /février /2013 05:52

 

Son grand-père Alexandre Millar venait d’une famille très protestante. Sa grand-mère Elizabeth O’Neill était une catholique militante. Ce fut elle qui imposa la religion de la famille. Sam Millar vécut son enfance à Belfast, dans le quartier de Lancaster Street, durant la décennie 1960. Pas facile d’être un catholique pauvre dans ce secteur où défilaient régulièrement les Orangemen, venant les provoquer. Pas simple, quand on a une mère dépressive alcoolique et un père au caractère dur. Les catholiques sont comme des soucoupes en Irlande du Nord : près de la tasse, mais jamais autorisés à savourer son contenu disait-il avec colère.MILLAR-2013

Et puis, il y eut la manifestation meurtrière du 30 janvier 1972. Avec son frère aîné Danny, Sam en revient sain et sauf, mais marqué par la violence des Anglais. À quatorze ans, c’est le début de sa conscience politique. Alors qu’il commence à travailler aux abattoirs, un deuxième acte va frapper Sam. Son meilleur ami Jim Kerr, dix-sept ans, est assassiné par un protestant. Désormais, pour Sam, c’est la fin de la soumission aux Beefs et aux Orangemen extrémistes.

Toutefois, l’action politique le mène très vite en prison, à Long Kesh. Pas question d’être assimilé aux vulgaires détenus, puisqu’il est prisonnier politique. Évoquer le cycle de brimades sévères face à la Rébellion des plus décidés de l’IRA, dont Sam fait partie ? Le bras de fer entre les réfractaires au travail et à l’uniforme des prisons, les traitements de plus en plus dégradants ? La pression permanente, la puanteur à laquelle succède des bains obligatoires, façon nazis ? Des alliés au sein de Long Kesh, des personnages autant chez les détenus que parmi les matons ? Tout cela, seul Sam Millar peut savoir au fond de lui ce que représenta ce long tunnel. Huit ans de prison, de guerre psychologique. Puis arriva la mort de Bobby Sands, le plus symbolique des martyrs de la cause nord-irlandaise. Négocier avec l’ennemi ou tenter de s’évader ? Sam Milar les aura à l’usure. Il est finalement relâché.

Sam s’est installé à New York, dans le Queens. Clandestin, il fréquente le milieu des casinos plus ou moins illégaux, tolérés, rançonnés. Il pourrait y trouver sa place, en tant que croupier. À moins qu’il ne choisisse de suivre son ami Ronnie Gibbons, qui compte ouvrir son propre casino. Sam reste méfiant, il n’a pas tort. Autour de Ronnie, l’organisation familiale fausse le projet. Et cette cliente âgée à l’allure digne, mieux vaut ne pas être trop gentil avec elle. Ratage sur toute la ligne. Connaissant Tom, un ex-flic aujourd’hui agent de la Brinks, Sam songe à un braquage de leur entrepôt.

La première tentative, avec Ronnie, échoue presque inévitablement. Avec la complicité de son copain Marco, en janvier 1993, la seconde est la bonne. Trois minutes. C’est tout ce que ça nous prit. D’une facilité effrayante. En sortant du bâtiment pour aller récupérer le fourgon, un drôle de sentiment me parcourut. J’étais déçu. Ça ne me paraissait pas naturel. Trois ans de préparation et c’était bouclé en trois minutes. Pour une obscure raison, c’est moi qui me sentais volé. De l’adrénaline, oui, mais pourtant un coup de branquignol, mal exécuté. Plus de sept millions de dollars dans la tirelire de Sam et Marco, quand même.

Sam Millar se crée une façade respectable, en ouvrant une boutique de bédés de collection qui tourne bien. Époux de Bernadette, père de famille, accepté dans le quartier, tout irait à peu près bien. Sauf qu’il est urgent de trouver un endroit où planquer le butin. Il peut compter sur le Père Pat, un prêtre irlandais hors norme, qui dispose d’un appartement. Depuis l’attaque du dépôt de la Brinks à Rochester, tous les flics sont sur les dents. Sam est bientôt dénoncé, observé par la police sans qu’il s’en doute. L’appartement servant de planque est sous surveillance. Pat et Sam tombent dans les griffes des enquêteurs, tandis que l’essentiel du butin se volatilise. L’avocat de Sam est un cador. On frôle l’abandon des charges contre son client, qui va écoper du minimum. L’avenir s’éclaircit tant soit peu pour Sam Millar, qui retrouvera une Irlande du Nord plus apaisée…

 

Il y a des livres autour desquels il n’est pas indispensable d’argumenter. Comme une évidence, cet ouvrage est de qualité supérieure, voilà tout. Cette histoire n’est pas de la fiction, il s’agit d’une autobiographie. MILLAR-2013Ou plutôt d’un polar-vérité, s’il faut imaginer une étiquette plus précise. Le parcours d’un type pas ordinaire, son témoignage. Digne d’un incroyable scénario à suspense, c’est vrai.

Quelquun ayant traversé de telles mésaventures aurait le droit de se prendre pour un héros. Sam Millar a assez d’humour, de dérision, et prend suffisamment de recul, pour éviter ce piège de l’autosatisfaction. Il a lutté, s’est rebellé face à l’inhumanité, pour une cause qu’il estimait juste, avant de réaliser un des plus gros braquages perpétrés aux Etats-Unis. Ce n’est pas la notion d’échec ou de réussite, ni même aucun jugement, qui importent pour lui, c’est d’avoir vécu ça. Des épreuves, des humiliations, des hasards. Rafler sept millions de dollars, et ne pas savoir quoi en faire. Pas le destin de tout le monde.

Encore faut-il être capable de transcrire avec talent ce que l’on a enduré, d’en dire le maximum sans se flatter, se glorifier. Sam Millar y parvient, car c’est un véritable écrivain. Et sans doute faut-il souligner la complicité de Patrick Raynal, son traducteur, qui transcrit les nuances de ce texte. L’un des meilleurs polars de l’année est autobiographique : il mérite le plus chaleureux Coup de cœur.

- On the Brinks est disponible dès le 7 mars 2013 -

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commentaires

P
Salut Claude, fini hier soir ... quel choc ! J'en ai passé une mauvaise nuit ! Amitiés
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C
<br /> <br /> Salut Pierre<br /> <br /> <br /> Ce livre figure dès maintenant dans ma sélection 2013 des meilleurs polars, m'en fiche que ce ne soit pas une fiction. C'est d'ailleurs parce que tout est vrai - et<br /> magnifiquement raconté - que c'est un grand bouquin. Tout est sincère, sauf peut-être le flou autour du butin, ce qui est autre chose. Quant à l'itinéraire de Sam Millar, oui, "énorme"<br /> ! <br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />
R
Salut Claude,<br /> Et voilà, encore une fois, tu viens de me convaincre ... Ne connaissant pas cet auteur, je vais me précipiter vers ma librairie préférée pour pallier à cette lacune. Selon ta chronique et aussi,<br /> avec les commentaires, je ne peux qu'aimer cet auteur.<br /> Et quelle gentillesse, il vient de t'écrire un mot !<br /> Amitiés et merci encore pour toutes ces découvertes !
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C
<br /> <br /> Salut Richard<br /> <br /> <br /> L'avantage, c'est que toi, tu n'auras pas eu besoin de traduction pour le message de Sam Millar. Oui, vraiment, c'est un homme à découvrir avec "On the Brinks" et un<br /> romancier plein de talent, en témoignent ses deux très noirs polars. Ses admirateurs sont aujourd'hui surtout parmi les amateurs de romans noirs, mais il mérite d'être connu d'un public<br /> large.<br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
S
Calude<br /> thank you for your kind words and taking the time to review the book, On The Brinks. I would also like to thank all the people in France who have made me so welcome each time I go there. Great<br /> people. Great country.<br /> Merci!
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C
<br /> <br /> Je traduis le sympathique message de Sam Millar : "Je vous remercie pour<br /> vos aimables paroles et de prendre le temps de détailler ce livre, On<br /> The Brink. Je tiens également à remercier tous les gens en France qui<br /> m'ont si bien accueillis à chaque fois que j'y vais. Grande<br /> population. Grand pays."<br /> <br /> <br /> Dear Sam, it was an honor for me to sign the first review of "On the Brinks", in french version. Your own story "speaks" to a lot of people in France, I<br /> think. Thank you.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
S
Salut Claude.<br /> A la même date, le Seuil republie en poche "Poussière tu seras". Ce sera pour moi l'occasion de découvrir cet auteur dont tu confortes ici tout le bien que j'ai lu par ailleurs...<br /> Pour vivre quasi de l'intérieur le calvaire de Bobby Sands, je recommande l'excellent (mais forcément traumatisant) film "Hunger" de Steve McQueen II (2008).<br /> Amitiés.
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C
<br /> <br /> Salut Serge<br /> <br /> <br /> "Poussière tu seras" est d'une belle noirceur. J'ai raté son roman suivant, mais il y en a deux ou trois autres pas encore traduits/publiés du même auteur. Peut-être<br /> à venir ?<br /> <br /> <br /> La première partie de "On the Brinks" raconte très clairement la motivation de ces militants. Bobby Sands y est évoqué, jalon essentiel de cette "Rébellion" qui les<br /> animait. Le sort de Sam Millar, d'une détermination exemplaire, mérite d'être connu aussi.<br /> <br /> <br /> Pas vu "Hunger", il va falloir que je me remette davantage au cinéma.<br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />
C
Salut Claude,<br /> Tu as eu bien tort de ne pas l'approcher: il est super gentil, cool et très à l'écoute de ce que tu peux lui raconter (et ce,malgré les fautes d'anglais que j'ai pu commettre lorsque je l'ai<br /> rencontré à Belfast l'an dernier).<br /> De plus, ce que j'aime chez lui -outre le fait qu'il écrit quand même plutôt bien- c'est qu'il en donne aucune leçon, ne se la joue pas du tout héros. Un mec bien, je pense.<br /> A plus<br /> autopub (désolé):http://noirsdesseins.com/2011/11/18/past-is-always-here/
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C
<br /> <br /> Salut Cynic<br /> <br /> <br /> Eh oui, il y a parfois des rencontres qui se font naturellement, d'autres moins. Mais il est fort probable que ce ne soit que partie remise. Surtout maintenant que<br /> je le "connais mieux".<br /> <br /> <br /> J'ai largement (je crois) souligné cet aspect, "pas jouer au héros". C'est pour beaucoup dans la force de "On the Brinks". Un livre à ne pas ranger aux oubliettes,<br /> c'est sûr !<br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />
H
vendu, il a pas ecrit d'autres trucs ?
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C
<br /> <br /> Salut Holden<br /> <br /> <br /> Sam Millar a publié, sous l'égide de Patrick Raynal, "Poussière tu seras" et "Redemption Factory", deux romans chez Fayard Noir. Pas du polar de mauviette, du noir<br /> pur jus.<br /> <br /> <br /> "On the Brinks", c'est autobiographique, sombre et ironique comme la vie de Sam Millar.<br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />
L
A l'époque de Boby Sand j'étais collégien, très loin de chez moi, j'écoutais la radio. Et j'entendais tous les jours les journalistes évoquer la grève de la faim de cet homme qui était prêt ( et il<br /> l'a fait) à mourir pour une cause dont j'ignorai tout. Passionné d'histoire je me suis interessé depuis l'histoire nord irlandaise. Tu penses donc que ce bouquin je vais le lire, il est là sur ma<br /> table et celui ci n'aura pas le temps de prendre la poussière ! Comme Pierre, je pense que je reviendrai vers toi via ma future chronique.bel article en tout cas que tu signes là Claude. Amitiés
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C
<br /> <br /> Merci Bruno<br /> <br /> <br /> Nous sommes d'une génération qui a suivi -de loin, à cause d'infos tronquées- ce "conflit", marqués par l'esprit de résistance des catholiques nord-irlandais. Ce<br /> n'est qu'adultes, que nous avons mesuré l'intensité de leur combat, et les drames liés à tout cela. La "rigueur" du traitement des militants de l'IRA, nous la sentions, mais pouvions-nous mesurer<br /> la maltraitance, l'humiliation dont ils étaient l'objet ? Oui, nous nous sommes informés davantage depuis. Non, nous qui n'avons pas grandi dans cette violence, nous ne pouvons toujours pas<br /> comprendre la férocité. Il n'y a jamais des "bons" et des "méchants", juste des êtres humains, victimes ou coupables. Parfois, entre les deux, compatissants.<br /> <br /> <br /> Sam Millar, comme je l'ai écrit, ne cherche ici qu'à montrer, et l'erreur serait de se placer en juge de son parcours. L'essentiel, c'est -quitte à me répéter- le<br /> destin hors catégorie d'un type comme lui. Je l'ai vu à Penmarc'h, l'an dernier. Je n'ai pas osé l'approcher (c'eût été facile car Patrick Raynal était près de lui - je crois bien que c'est ce<br /> livre-là qu'il commençait à traduire). Pas eu l'impression que ce gars trapu se prenait pour un héros.<br /> <br /> <br /> Un écrivain qui, à travers ce bouquin, mérite notre respect, voilà mon sentiment.<br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br /> (PS: Je ne t'ai pas laissé de commentaire sur "Intermittence" de Camilleri, mais c'est un roman qui, à la manière du Maestro, montre le cynisme de nos<br /> financiers, oui).<br /> <br /> <br /> <br />
L
pourquoi pas.<br /> <br /> j'ai en tête "sunday bloody sunday"
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C
<br /> <br /> Exactement, Lystig... La violence provocatrice a engendré la violence sanglante. Et on ne peut pas oublier que ces combats furent menés par des êtres de chair et de<br /> sang.<br /> <br /> <br /> Pour Sam Millar, début d'un parcours longtemps "agité".<br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
P
Salut Claude, évidemment je vais le lire ... donc je reviendrai après. Je suis fou de joie que tu aies mis un coup de coeur ! Amitiés
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C
<br /> <br /> Salut Pierre<br /> <br /> <br /> Au sujet du "Coup de coeur", j'irais plus loin : difficile de passer à un livre suivant, après avoir lu celui-là. Je pense le garder pas trop loin, "en vue", pour en<br /> savourer des extraits de temps à autre (car ça peut aussi se lire comme ça). Un des meilleurs "polars" de l'année.<br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />

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