Dans la collection Polars en Nord, Roland Sadaune a publié l’an dernier “Pélicans-les-Bains”. Il revient avec un nouveau titre, “Le loup d’Abbeville” (Ravet-Anceau, 2010), sombre suspense très convaincant.
Écrivain quadragénaire, Sylvain Target est très marqué par le décès subit de son père Rémy, instituteur retraité âgé de 69 ans. Il s’est noyé en bordure du port de Saint-Valéry-sur-Somme. Sylvain s’interroge, tout autant que l’artiste peintre Martineau, qui a découvert le corps. Rémy ne fréquentait jamais la plage où on l’a trouvé. Il ne portait pas de veste, malgré la fraîcheur du petit matin. Ses vêtements sont secs, alors l’accès aux lieux l’aurait obligé à se mouiller à cause de la marée. En outre, la maison de l’ex-instituteur n’est pas fermée à clé. Sa commère de voisine a entendu des éclats de voix la veille au soir. Un message sur le répondeur téléphonique de Rémy Target émane d’un nommé Duquesne, que son fils Sylvain ne connaît pas. Agent immobilier arrogant, l’oncle Francis Target affiche de l’indifférence vis-à-vis de la mort de son frère aîné. Marin-pêcheur, l’oncle Gilbert Target se montre beaucoup plus amical avec son neveu.
Sylvain rentre chez lui, à Abbeville, avec quelques documents appartenant à son père. Des cahiers de souvenirs, ainsi que le plan d’un terrain. Sylvain n’a jamais entendu parler de cette “parcelle fantôme” qu’il a du mal à situer précisément. Son logement ayant été visité, se sachant suivi en voiture, Sylvain sent planer une menace autour de lui. Le peintre Martineau est assassiné avant d’avoir pu rencontrer Sylvain, alors qu’il avait des photographies à lui confier. L’atypique policier Leray, qui a déjà auditionné Sylvain, est chargé de l’enquête. “47 ans, taille moyenne, il était vêtu d’un costume gris foncé, d’un polo noir et d’une parka gris clair. Le visage émacié, la courte brosse brune, les yeux anthracite et les lèvres minces justifiaient-ils ce surnom de Capitaine Wolf, attribué par il ne savait plus qui ni à quelle occasion ? Un loup célibataire qui ne fumait, ni ne buvait. Voire un loup blanc, avec un parcours rempli d’embûches…”
Les policiers retrouvent les photos du peintre, ce qui les me sur la piste d’un 4x4 pick-up, véhicule que Sylvain a déjà remarqué lui aussi. Le type qui le prend en filature dans une voiture blanche n’est pas le plus dangereux. Il est au service de l’oncle Francis. Par contre, Sylvain est bientôt visé par un tir venant du 4x4 pick-up. Dans les cahiers de son père, il constate que Rémy s’intéressait à la généalogie. Ce qui est le métier de ce Duquesne, qui l’avait contacté. Sylvain ne découvre rien de nouveau sur l’énigmatique parcelle de terrain. Le policier Leray interroge les oncles de Sylvain. En particulier, le marin-pêcheur Gilbert, qui a possédé un 4x4 très semblable à celui recherché. Ce qui mène Leray chez un garagiste country agressif et peu honnête. Finalement, le policier obtient le nom du client ayant acquis le véhicule. On comptera encore quelques meurtres dans cette affaire, avant de savoir qui est le commanditaire, quelle est sa motivation…
Voilà un polar “vrai de vrai” déployant ses mystères et ses péripéties, tandis qu’un assassin continue à éliminer les témoins gênants. L’ambiance sombre et tourmentée nous indique bien qu’il ne s’agit pas d’un ordinaire roman d’enquête. Le policier évolue dans la noirceur et sous la pluie, n’hésitant pas à bousculer quelques règles. Il doit outrepasser la confusion régnant dans cette affaire, et ne pas trop céder à une violente latente, afin d’arriver à faire la lumière. C’est une histoire criminelle idéalement maîtrisée que nous a concocté ici l’expérimenté Roland Sadaune. Bien dessinés, les personnages conservent des contours flous. La tension est dense, permanente. Et si l’on vous dit que c’est dans le 4e cahier de son père que Sylvain trouve l’explication, ça vous aide à comprendre ? Sans doute pas, puisque c’est tout le contexte de cette intrigue qui en fait la force. Encore un excellent suspense noir de ce prolifique auteur de talent.