Roger Vilard (1921-2004, de son vrai nom Roger Valuet) fut un gros producteurs de romans dans la collection Spécial-Police du Fleuve Noir, de 1960 à 1986. Il fit partie des piliers du Fleuve Noir de cette époque. Sur la quantité, l’originalité n’était peut-être pas toujours au rendez-vous. Néanmoins, comme tous les auteurs de cette génération, Roger Vilard savait installer des intrigues solides. Il joua souvent avec l'ironie du destin de ses personnages, une fatalité sombre. En témoignent quelques-uns de ses titres de la décennie 1960, qui restent très plaisants à lire. Voici une sélection de cinq romans.
Quand Carla chantait (1965)
Dick Anderson est un petit chanteur sans réel talent. Il cohabite avec son amie chanteuse Poussy Parker. Tous deux ont été engagés pour la tournée dont Carla Volnay, artiste confirmée, est la vedette. Rapidement, Carla s’intéresse à Dick, plutôt pour son charme que pour ses qualités de chanteur. Il devient son amant. Son gigolo, plus exactement. Carla est fortunée, contrairement à lui. Marc, le chauffeur et ex-amant de la jeune femme, a laissé la place mais reste dans l’ombre. L’antipathie entre Dick et Marc est grandissante. Finalement, Carla épouse Dick. Ce qui apporte une petite notoriété à Dick, mais rien de plus. Il n’est pas question pour Carla de donner de l’argent à Dick, ni d’aider sa carrière. Dick songe à éliminer sa femme. Pas difficile, puisqu’il est son chauffeur. Il suffit de rater un virage en montagne, et de sauter à temps. Le scénario ne se déroule pas comme prévu. Dick devient plus prisonnier de la belle maison de Carla, qu’il ne le serait en prison. Et il doit se méfier de Marc, qui pourrait dénoncer le faux accident. Pour compliquer encore, voilà que la belle Poussy Parker s’en mêle…
La mort en tubes (1966)
Jean-Claude Dubois est un dilettante, ne cherchant un boulot que lorsqu’il n’a d’autres choix, par besoin d’argent. Il est engagé par Honoré Beauchardon, le directeur d’une usine de tubes en acier. Celui-ci reçoit des lettres anonymes menaçantes. La présence de Jean-Claude à ses côtés va le rassurer. Qui Honoré doit-il soupçonner ? Ses trois associés ont des raisons d’être mécontents, car la société est de plus en plus déficitaire, alors que le directeur n’a pas baissé son train de vie. Jean-Claude les trouve fort antipathiques, ces trois-là. Suspecter Antoine Lorimay, le secrétaire ? Un arriviste auquel on ne peut accorder aucune confiance, selon Jean-Claude. Peut-être le danger vient-il de la maisonnée d’Honoré, finalement ? La fille de sa femme est une peste, pas méchante. Par contre, l’épouse d’Honoré a un curieux comportement. Avec la complicité du chef d’atelier Doutremont, Honoré traficote quelque chose. Cette manière d’écarter les gêneurs quand il reçoit un visiteur italien le prouve. Les livraisons gérées par Doutremont mériteraient qu’on en sache plus. Mais, à trop de mêler des affaires d’Honoré, Jean-Claude risque d’être impliqué dans un meurtre. Et même de devoir prendre la fuite, en attendant de démontrer son innocence.
Le bateau des nuits blanches (1967)
Lourdais sort de prison. Il n’espère aucune aide de Toinon, qui fut un temps sa protégée. Il ne compte pas non plus sur Berdici, un truand qui le considère comme un demi-sel, quasiment un cave. Lourdais a le sentiment d’être plus malin que ne l’imaginent les autres. S’il a la chance avec lui, tout ira bien. Ce serait un juste retour des choses après son incarcération. Il élabore un plan assez simple. Il s’agit de s’emparer du pactole que transporte Plangois, prêcheur quêtant pour une Église américaine. Il va prendre le même bateau que lui vers l’Amérique, où débutera pour lui une nouvelle vie. Utilisant l’identité de Paul Mérard, Lourdais se sent dans un état d’esprit optimiste. Trouver de l’argent pour monter l’opération ? Quelques nuits avec la riche Élise de Belois, qui va être victime d’une crise cardiaque, et le voici prêt. À bord du bateau, Plangois n’a pas le temps de se défendre. À peine entre-t-il dans sa cabine que Lourdais le supprime. Meurtre sans ennuis, d’autant qu’il a un alibi grâce à la belle Laura. Le commissaire de bord annonce bientôt qu’un des passagers est policier. Il va mener son enquête sans se faire connaître. Lourdais s’inquiète un peu, mais doit conserver le comportement d’un innocent. (Un de ses meilleurs suspenses : une très belle ambiance cynique et noire, la tension s'intensifiant encore vers la fin)
La dernière séquence (1967)
Le cinéaste Ludovic Andromay tourne son nouveau film dans des conditions un peu particulières, sur la mer. En effet, il s’agit de l’histoire d’un petit groupe de Résistants s’emparant d’un yacht pour gagner l’Angleterre. Quand une vedette allemande tente de les intercepter, un officier blessé va être soigné à bord du yacht. L’héroïne, une Résistante, va tomber amoureuse du bel Allemand… Sur le bateau loué par Gérard Toussaint-Dupuis à la production, c’est l’effervescence. Gérard, sa fille Valérie et son assistant Jean Sainton, ne trouvent plus leur place face à l’invasion d’acteurs et de techniciens. Ambiance excitante, qui ne leur déplait pas. Jean Sainton va faire de la figuration. Gérard est séduit par la belle Évelyne, comédienne, fille de l‘accessoiriste Dédé. Valérie observe les tensions dans l’équipe de tournage. Plusieurs acteurs parmi les seconds rôles n’apprécient guère le couple star, Cora et Didier Paulin. Un couple qui va plutôt mal, à vrai dire. Perfectionniste, le cinéaste Andromay fait tourner de jour une première version de la scène de l’abordage, qui aura lieu de nuit. Comme prévu, Cora tire sur l’officier allemand. Didier Paulin devrait jouer le blessé, mais il est mort. Gérard se prend pour un détective amateur, mais son enquête ne mène à rien. Le policier Domain arrive sur le yacht…
Chantages en chaîne (1969)
Souffrant d’un léger handicap, Léon est amoureux de sa jeune et jolie voisine Olga. Léon n’est ni vraiment beau, ni riche, ni courageux. Olga a pour amant un minable proxénète, Robert, qui envisage de la mettre bientôt sur le trottoir. Cette nuit-là, Léon a un peu de chance. Alors qu’il épie sa belle, planqué sur le toit de leur immeuble, il est témoin d’autre chose. Deux truands partagent le butin d’un coup, qu’ils ont réussi en causant une victime. Charles et Dédé n’étant pas d’accord, ça finit par des coups de couteau. Blessé, Dédé s’enfuit, laissant Charles mourrant. Léon récupère les billets et les brillants, puis s’en retourne chez lui. Quand intervient la police, la thèse d’un banal règlement de comptes entre truand n’implique nullement Léon. Enrichi, celui-ci entreprend de faire des cadeaux à Olga pour la séduire. Pourquoi refuserait-elle ? Robert n’est pas très futé, mais il fait vite le rapprochement entre les truands et Léon. Il fait chanter Léon. Jacki, un autre proxénète, indic de la police, connaît bien Dédé. Il compte tirer parti de ce qu’il sait, sans en parler aux flics. Soigné, Dédé espère récupérer son butin. Il ne tarde pas à comprendre que Robert cherche la même chose, sans réaliser le rôle de Léon. (Une très bonne comédie policière, un roman malin)