On peut discuter de la valeur des Prix littéraires, dans le domaine du polar comme ailleurs. Pourtant, certaines récompenses semblent peu discutables. C’est le cas de celles attribuées au Festival de Cognac. Cette année 2010, le Prix Polar du roman a été attribué à Sire Cedric pour "De fièvre et de sang", aux Éditions Le Pré aux Clerc. Si j’ai fait l’impasse sur ce roman, j’ai adoré le lauréat du Prix Polar International. Il s’agit de Keigo Higashino pour "La maison où je suis mort autrefois" (Actes Sud). Petit résumé de ce suspense, effectivement un des meilleurs de l’année…
Voilà longtemps que le narrateur, jeune universitaire, n’avait plus de nouvelles de son ex-petite amie, Sayaka. Celle-ci est aujourd’hui mariée à un homme d’affaires absent. Ils ont une fillette de trois ans, qu’elle rejette et maltraite. Elle pense que son mal-être est issu de sa prime enfance, dont elle ne garde aucun souvenir en mémoire. D’ailleurs, il n’existe pas de photo d’elle avant l’âge de cinq ans dans les albums de famille. Dans le sac de pêche de son défunt père, elle a découvert deux éléments énigmatiques : une clé à tête de lion et un plan conduisant à une maison isolée dans la montagne, près du lac de Matsubara. Sayaka demande à son ancien ami de l’aider à retrouver cette maison. Distant avec son propre passé, il hésite à l’accompagner. La détresse de Sayaka finit par le convaincre. Ils suivent l’itinéraire indiqué, depuis la gare desservant le lac de Matsubara jusqu’à une maison grise, close et semblant inoccupée.
La clé à tête de lion permet d’ouvrir la discrète porte du sous-sol. Explorant les lieux, le couple constate que la porte d’entrée est fortement verrouillée. Ils remarquent que plusieurs pendules et montres sont arrêtée sur 11h10. Étrange demeure, qui parait avoir été habitée par une famille père, mère et fils. Tout est ici figé comme dans un décor, ce qui étonne le jeune universitaire. La vie aurait cessé en cette maison vingt-trois ans plus tôt, selon un indice qu’ils recueillent. Il est probable que le père de Sayaka venait y faire régulièrement le ménage. Dans la chambre du petit Yusuke, que le garçon semble avoir brusquement quittée, le couple découvre le journal intime du gamin. Il y évoque d’abord une vie familiale simple de bon élève. Toutefois, il recevait des cadeaux d’une personne que son père n’aimait pas du tout. Il cite encore sans détails une Mme Otai, sans doute la femme de ménage des parents. Sayaka ne peut affirmer avoir des souvenirs précis dans cette maison. Malgré son aspect quelque peu lugubre, le duo décide de passer la nuit dans cette curieuse demeure…
Toujours à Cognac, le Prix Polar du meilleur album BD One Shot a été attribué à Mako, Daeninckx, Pagan pour "Dernière station avant l’autoroute" (Rivages-Casterman). Plus que des affaires criminelles, c’est le parcours du flic solitaire que retient Daeninckx dans ce scénario. Il exploite toute la mythologie du loser, du flic hanté par un échec, prématurément usé, sur la mauvaise pente. Quelques éléments sur cette excellente BD…
C’est un nuiteux, un flic désabusé dont la nuit est le sombre royaume. Pas de vie de couple régulière; pas beaucoup d’estime de la part de ses collègues, non plus. On le traite de baltringue, autant dire d’inutile. Ce pochard de Yobe, quasiment le chef du service, le prévient qu’il est en “zone rouge”. Il se concentre sur les sordides crimes nocturnes. Comme la mort de Joséphine, jeune black tuée par balles, ayant un dossier au Mœurs et un autre aux Stups. “Joséphine, technicienne de surface, exécutée à domicile, avait eu droit à une mort qui n’était pas à sa taille. Son meurtre faisait au moins trois ou quatre pointures de trop.” Mais les énigmes ne l’intéressent plus. Son collègue Maurice sait qu’il a détourné un flingue sur les lieux du crime. Mau lui conseille d’éviter d’autres dérapages, de demander une mutation en service de jour.
Un sénateur ministrable est retrouvé mort dans un hôtel de luxe, chambre 101. Toutes les allures d’un suicide. Ou peut-être pas. Une affaire pas plus excitante que d’autres pour le flic nuiteux. Il reçoit la visite d’Alexandra Brandt, ex-épouse du défunt sénateur. Pas de franche sympathie entre eux. Elle lui laisse son numéro de portable, “à toutes fins utiles”. La position du flic devient de plus en plus incertaine dans le service de nuit. Selon Mau, il y a au moins quatre bonnes raisons pour l’éjecter. On pense qu’il est “rincé” ? Pas faux, sans doute…
Au Festival du Mans, l’association du Prix polar Michel Lebrun a récompensé le roman de Catherine Fradier "Cristal défense", éditions Au diable vauvert. Nouveauté cette année, le Prix polar Michel Lebrun des Lycéens, (PPM2L) résultat d'une opération expérimentale menée sur l'année scolaire 2009-2010, avec des classes de deux lycées. Le premier lauréat de ce prix est Hugo Buan pour "Cézembre noire" (Pascal Galodé Éd.,2009). J’avais bien évidemment chroniqué cette deuxième trépidante aventure du commissaire Workan, entre noirceur et humour…
Cézembre est une île de la baie de Saint-Malo. En cette veille de week-end du 11 novembre, elle est quasiment inaccessible à cause d’une violente tempête. Ceux qui s’y trouvent sont réfugiés dans la barge-hôtel de la famille Darec (Léon, le grand-père ; Marie-Line, sa fille, la gérante ; Noël, le fils de celle-ci). Outre deux scientifiques américains, les Monsiret et consorts sont des dirigeants de société en séminaire. On attend personne d’autre. Berthy, un malchanceux congénital, n’a pas choisi de se rendre sur Cézembre. Pour rembourser une dette de poker, il doit jouer au tueur à gages. Exécuter le contrat devient un vrai enfer pour ce “tueur à crédit” amateur. À part Hale-la-patte, ancien para d’Indochine muni d’une jambe artificielle, personne n’oserait braver les éléments. C’est ainsi que le duo improbable échoue sur l’île, après une tumultueuse traversée.
Dans le même temps, le commissaire Lucien Workan (du SRPJ de Rennes) est chargé d’une mission à Cézembre. Les deux Américains sont bien des scientifiques, mais surtout des agents de la CIA. Workan doit les surveiller pour essayer de savoir ce qu’ils font là. C’est sans doute en rapport avec le fait que l’île fut bombardée au napalm à la fin de la 2e Guerre. Sous la tempête, Workan embarque avec son équipe sur le bateau de son adjoint rouquin Lerouyer. Quand débarquent ces cinq convives supplémentaires sur la barge-hôtel coupée du monde, Marie-Line Darec s’inquiète pour l’approvisionnement. Tandis que le grand-père Léon retrouve son vieux copain Hale-la-patte, le jeune Noël raconte à Workan la riche histoire de l’île. Vers la fin de la guerre, le cas du capitaine allemand Ruhbescht, proche de Rommel, est plutôt intrigant. Il aurait caché sur Cézembre un lot de diamants, avant de mourir électrocuté à Rennes. Daphné, la fille des Monsiret, croit voir un soldat nazi. Tous les clients se pensent attaqués par des armes de guerre. C’est plutôt une mise en scène qu’une hallucination collective. Par contre, Mme Monsiret poignardée par une baïonnette, c’est un meurtre bien réel…