Sur un îlot ou sur la côte, le phare éclairé prévient les navigateurs des dangers, des récifs. Aujourd’hui automatisés, ces lieux particuliers furent longtemps habités par leurs gardiens. Ceux-ci étaient attachés à cette vie quasi-solitaire, veillant au bon fonctionnement et à l’entretien du phare. Pourtant, on peut imaginer des cohabitations difficiles, de sourdes rivalités entre gardiens. C’est là que nous entrons dans le domaine romanesque.
Un des premiers romans à traiter le sujet fut certainement Le gardien du feu d’Anatole Le Braz (Liv’Editions, 2006) : En 1876, Goulven Dénès est gardien-chef au phare de Gorlébella, dans le Raz de Sein. Originaire du Léon, il suivit des études religieuses, avant de devenir marin. Puis il épousa la belle Adèle Lézurec, native du Trégor. Pour elle, il choisit d’être gardien de phare. Tant que Goulven occupa des postes à terre, le couple vécut heureux. Ensuite, il fut affecté au large de la Pointe du Raz. Restant seule les deux tiers du temps, Adèle s’adapta mal à la population capiste de la contrée. En mer, la séparation était aussi douloureuse pour Goulven. Son service irréprochable à Gorlébella lui permit de compenser cette épreuve. Malgré les efforts de Goulven, la situation conjugale se dégradait. L’ombre de la femme Chevanton contrariait Goulven. Epouse d’un collègue, cette îlienne de Sein lui semblait néfaste. Adèle sollicita un poste au phare pour son cousin Hervé Louarn. Celui-ci inspirait à tous la sympathie. Goulven appréciait l’amélioration du caractère de son épouse. Les légendaires «démons du Raz» assombrirent bientôt son naïf bonheur…
Œuvre du grand écrivain breton Anatole Le Braz (1859-1926), ce drame d’antan conserve
toute sa force. On peut le lire comme un roman historique régional. L’auteur décrit en témoin la Bretagne de cette époque. Le décor sauvage proche de la fameuse Baie des Trépassés se prête
idéalement à l’ambiance. Quant à la construction narrative, elle propose un vrai suspense astucieux. Nous disposons d’éléments nous rendant moins candides que Goulven. Mais quelle fut la
progression jusqu’à l’issue probablement fatale ? Tel est le moteur de l’intrigue.
Dans le numéro 98 de la revue "813", Jean-Philippe Gury nous dit qu’un
autre livre s’inspire largement du précédent : L’abbé Garrec, gardien de phare de René Madec (1956) : L’abbé Garrec, débarquant au phare imaginaire des Verrès, se
trouve confronté à la disparition d’un des deux gardiens et la mort de l’autre. Seules les déductions logiques de l’ecclésiastique, que le lecteur peut suivre grâce au plan fourni page 21, permet
de résoudre l’énigme (…) L’abbé Garrec et l’assassin du photographe (1959). Il s’agit encore d’un crime en îlot clos : un cadavre à moitié momifié enterré sous le sable est
découvert à proximité du phare de l’Île aux Moutons, bien réelle celle-ci.»
Du Danois V.P.Jensen, Le phare de l'Atlantide (Métailié, 2003) se passe sur Eilean Mor, une petite île rocheuse perdue dans l’Atlantique, à la fin de l’année 1900. Quand
arrive la relève, les trois gardiens du phare ont disparu. Chacun d’eux avait ses propres motifs pour s’isoler du monde. Mais la crise couvait entre eux, lorsque advint une tempête
exceptionnelle. « Bâti comme une intrigue criminelle (c’) est un récit tendu et haletant dont le huis-clos central (…) est nourri par les thèmes de la solitude et de la folie.» (J.C.Alizet,
L’Année de la Fiction, volume 13)
Dans L’étrange sourire de Pamela Dove de John-Erich Nielsen (Editions HoH, 2006) un couple s’est suicidé près du phare écossais de Cornewall, une nuit de tempête. Des incohérences incitent le policier Sweeney à interroger le propriétaire de l’hôtel du phare, qui découvrit les cadavres. Pour Pamela, la suicidée, cet endroit était lié au souvenir de son défunt mari. Nostalgie romantique désespérée ? Sentant que “la lumière vient du phare”, l’enquêteur à la barbe rousse retourbe sur les lieux, et trouve bientôt la bonne piste…
Parfois, seule un scène (forte) se déroule dans un phare. C’est le cas dans Amères désillusions de Jérôme Bucy (Liv’Editions, 2003) : « Face à moi se dressait une tour de pierre de section octogonale surmontée d’un dôme vitré, une tour qui me sembla magnifique… Je sus dès le premier regard que j’avais enfin trouvé le “Sémaphore des Chimères” ! » C’est dans ce phare étrange que le héros va découvrir les pires secrets de sa famille.
Voici quatre autres romans, où le thème des phares est abordé…
Jean-Jacques Antier : Tempête sur Armen (Presses de la Cité, Terres de France 2007)
Mars 1914. Natif d’Audierne, Gildas a 22 ans. Après des postes moins difficiles, le jeune gardien de phare est nommé à celui d’Ar-Men. L’enfer, dit-on. Pourtant, Gildas en rêve depuis toujours. Son défunt père y fut Maître de phare. Il se suicida, quand on l’accusa d’une faute de service qui causa un drame. L’affaire reste mal éclaircie. Gildas remplace le gardien Morvan, qui s’est noyé au phare lors d’une terrible tempête. Il va seconder Maître Tréboul. N’ayant pu être débarqué, ce dernier est sur Ar-Men depuis cent jours. Il ne paraît pas pressé de retourner à terre. Gildas pense souvent à sa fiancée Oanig, 17 ans, dont le père l’a prévenu : “Le phare ou ma fille”. Pour l’instant, sa passion pour Ar-Men prime tout. Maître Tréboul apprécie Gildas. Il lui révèle la vérité sur la mort du gardien Morvan. Celui-ci confessa qu’il s’était montré déloyal avec le père de Gildas, qu’il jalousait. Gildas s’interroge sur l’aveu et le comportement de Maître Tréboul : “Il n’est pas fou de façon continue, mais par éclipse, comme un phare”. Une nuit, Gildas chute et se blesse au pied. Peut-être a-t-il été poussé. Evacué, il est hospitalisé à Douarnenez. Ce n’est qu’une foulure. Le jeune homme n’est pas insensible au charme de la libre Gwendoline, la fille d’un armateur. Il ne veut pas trahir Oanig.
« Tempête sur Armen » appartient à la belle tradition romanesque populaire. Comme dans « Le gardien du
feu » d’Anatole Le Braz, l’univers des phares est singulier. Ce qui offre une ambiance propice aux sombres secrets et aux issues dramatiques. S’il est question d’amours contrariées, des
faits non élucidés hantent ce récit en filigrane. L’auteur souligne la vie particulière des gardiens, que leur
métier passionne jusqu’au mysticisme. Il décrit la Bretagne côtière de l’époque, sa population, ses puissantes tempêtes, ses phares parfois fragiles, ses inévitables légendes. Le sujet exigeait
une certaine force, ce qu’exprime cet écrivain confirmé qu’est Jean-Jacques Antier.
P.D.James : Le phare (Fayard)
Au large de la Cornouailles anglaise, Combe Island abrite une Fondation permettant à des
personnalités de jouir de la quiétude d’un lieu coupé du monde et se ressourcer à l’iode marin. Outre les résidents permanents - Emily Holcombe, dernière héritière des propriétaires de l’île,
Rupert Maycroft, l’administrateur de la Fondation, Adrian Boyde, le comptable, Dan Padgett, le factotum, etc. -, Nathan Oliver, un écrivain de réputation mondiale, y séjourne régulièrement,
accompagné de sa fille et de son secrétaire. Alors que l’île accueille deux nouveaux visiteurs, l’un de ses habitants est retrouvé mort dans des conditions très suspectes. Chargé de mener une
enquête aussi rapide que discrète, car Combe Island doit prochainement servir de cadre à un sommet international, le policier Dalgliesh a très vite la certitude qu’il s’agit d’un crime. Mais
l’île est soudain la proie d’une autre menace, beaucoup plus insidieuse.
(d’après www.polardefemme.info)
Pascal Martin : La malédicition de Tévennec (Presses de la Cité, Terres de France, 2007) Pour sa mystérieuse organisation L’Oeuvre, Foch envoie un de ses “coureurs de nuits”, le saxophoniste Saint-Sauveur, sur la piste d’un trésor. Villepreux, ami de Foch vivant à Lorient, a trouvé un lingot d’or. C’est une infime partie de la fortune disparue d’un armateur nantais, Morandais Le Queffélec. Fin 18e siècle, il s’était enrichi dans le commerce triangulaire négrier. Selon le conservateur du musée de Port-Louis, son navire “Marie-Océane” sombra avec sa cargaison de lingots. L’avare Morandais voulait ainsi berner le cruel révolutionnaire tyrannisant Nantes. Il s’agissait d’un stratagème, car les lingots n’étaient qu’en plomb. Villepreux espérait une part du vrai trésor, pour être aussi riche que sa compagne, l’artiste Duchesse. Il est victime d’un “accident” en mer. Le conservateur du musée décède également peu après. A Nantes, Saint-Sauveur sympathise avec le bohème Olaf, ultime descendant de Morandais. Olaf lui confie le carnet de son aïeul. Si c’est la clé du trésor, les messages de Morandais sont énigmatiques. Les recherches de Saint-Sauveur intriguent l’inspecteur Le Meur. Il alerte à la fois ses anciens amis indépendantistes bretons, et ses supérieurs au Ministère. Le trésor serait caché dans une grotte, non loin de l’île de Sein. D’inquiétantes légendes sont encore vivaces autour du phare de Tévennec…
Pascal Martin nous propose une fois encore un véritable feu d’artifice. L’action et le suspense sont les moteurs de cette
trépidante aventure. Les péripéties se multiplient sur un tempo vif. Le décryptage des messages (et des fausses pistes) aide Saint-Sauveur à progresser vers le trésor. Si le saxophoniste est au
centre du récit, chaque personnage est – autant que lui – héros de l’affaire. De la jeune Léocadie au cambodgien Lon, du ministre Vidocq à l’autonomiste Erwan, sans oublier La Carotte ou Le
Penec’h, tous les protagonistes jouent ici un vrai rôle. Le foisonnant scénario est plein d’inventivité et d’humour : Olaf M. le Q., ou le nouveau Faria attendant “l’élu” digne de Dantès, en
sont de bons exemples. Cette réjouissante histoire confirme les indéniables qualités d’un auteur inspiré.
Eric Rondel : Le phare au pendu (Astoure Editions, collection Breizh Noir, 2002) Une terrible nuit d’ouragan cause de graves dégâts sur la côte nord de la Bretagne. Deux faits concomitants se produisent cette nuit-là. Georges Souhatier, propriétaire de restaurant, un homme au passé mouvementé, est victime d’un mortel accident de la route. Mme Fernandez se suicide au sommet du phare du Cap Fréhel. Mario, son fils macho et brutal, gardien du phare, la trouve pendue le matin suivant. Il ne croit pas au suicide. Il pense que sa femme, la pauvre Maria, a tué sa mère. Le soir même, une violente altercation oppose Mario (fou furieux et armé) à son épouse. Pedro, un de leurs fils, homo, s’interpose et finit par sauver Maria. Le gardien fait une chute mortelle d’une falaise. Le journaliste Victor Tarin, de "La Chronique de l’Ouest", participa de près à l’enquête sur ces dramatiques faits divers. Quelques années ont passé, mais il y pense à nouveau le jour où il remonte en haut du phare. Un détail prouve qu’il ne s’agissait pas d’un suicide.
Cet épisode des aventures du journaliste Victor Tarin est très réussi.
(Cet article fut initialement diffusé sur www.bibliopoche.com)