Né en octobre 1932, le romancier Patrick Cauvin est décédé à la mi-août 2010. Claude Klotz, sous son vrai nom, signa bon nombre de romans. C’est sous le pseudo de Patrick Cauvin que sont parus la plupart de ses best-sellers. Il sut faire preuve de lyrisme autant que d’humour dans ses romans. En voici deux exemples diamétralement opposé, montrant l’étendue de son talent.
"Belange" (2006)
Quadragénaire, Adrien Beaurecourt est un éditeur parisien réputé. Bien qu’il s’y ennuie, il passe tous ses week-ends à Belange, sa gentilhommière du Maine-et-Loire. Inhospitalière, cette demeure ancienne lui vient de sa mère. Celle-ci personnifia l’autorité militaire aux yeux d’Adrien, qu’elle nomma longtemps Éliane. S’il reçoit à Belange des amis ou sa barbante maîtresse du moment, Adrien ne déteste pas la solitude.
Un jour, il s’aperçoit qu’un squatteur occupe les lieux en semaine. Le père Furet, qui fait office de jardinier et de gardien, n’a rien remarqué. Estimant que cette présence n’est pas inquiétante, Adrien n’alerte pas les gendarmes. Le squatteur répond aimablement au message qu’il lui laisse. L’éditeur tente de le surprendre en arrivant en avance, mais l’individu reste invisible. Ils continuent à échanger une sympathique correspondance, petit jeu qui dure plusieurs semaines. Puisqu’ils se partagent Belange, Adrien propose à l’inconnu de se rencontrer.
Quand il arrive cette fois-là, le squatteur a préparé un délicieux dîner. En réalité, il s’agit d’une charmante jeune femme de trente ans, Lucette. Mis à part son prénom, tout plait à Adrien chez cette jolie personne. Elle avoue être un peu alcoolique, mais ça peut s’arranger. A Paris, l’éditeur pense beaucoup à elle. Quand Furet fait du zèle, Adrien la tire des griffes gendarmesques. Il la présente comme sa fiancée. Mais les romances de princes et de bergères sont obsolètes. Car il y a Bob, le mec de Lucette, corpulent squatteur qui s’installe aussi à Belange. Rageuse déception pour Adrien dont, par ailleurs, les affaires sont florissantes…
Patrick Cauvin ne fut pas moins convaincant dans les souriantes comédies amoureuses. Si elle exprime une tonalité plus légère, cette facette est fort agréable. Humour astucieux et fluidité narrative sont les qualités majeures de ce roman, qui ne manque pas de surprises. On est très éloigné d’un romantisme désuet. La vie du héros et les divers portraits (dont celui de sa mère) offrent de savoureux épisodes.
"La reine du monde" (2001)
En 1972, Marc part s’installer en Afrique. Dix ans plus tard, lors d’un voyage à Vienne, il rencontre Marah. La jeune femme s’expatrie avec lui, dans sa plantation. Il crée le dispensaire local de Kitan, où elle s’investit. Au milieu des années 1990, Marc se demande s’il doit vendre. Mais la situation politique du pays paraît stable. L’arrivée du médecin Béral au dispensaire excite la jalousie de Marc. Il s’interroge sur lui-même autant que sur sa relation avec Marah. En 2000, des troubles commencent à agiter le pays. On évoque le retour de l’ancien dictateur, Toramba. A sa solde, Bacala et ses mercenaires mènent la guérilla.
Malgré son allure insignifiante, Van Oben est le patron occulte des affaires africaines de la France. Pour soutenir Toramba, il faut un prétexte : officiellement, des français habitant le pays seront victimes de partisans du pouvoir actuel. Un des hommes de Bacala tue Marah, mais rate Marc. Celui-ci veut venger sa compagne. Un ami va enquêter pour lui. Si le rôle de Bacala est évident, l’ordre vient de plus haut. En France, l’émissaire de Marc repère le nom de Van Oben. Il le surveille… Toute la famille de Kerando a été tuée dans une attaque. Ne restait que sa fille, un bébé qu’il confia à Marah. On ne sait ce qu’est devenu l’enfant dans la tourmente des évènements. Kerando recherche vainement Bacala pour l’abattre.
Zoran, homme d’affaires proche de Toramba, propose à Marc de lui racheter sa propriété. Zoran veut posséder les vallées, pour qu’on y cultive du pavot qu’il exportera. Les populations vivant là sont évacuées ou exterminées. Le médecin Béral en est aussi victime. Bien qu’il sache ne pas avoir le choix, Marc temporise. L’assaut est donné dans la capitale. L’état-major déchu s’enfuit…
Une histoire impeccable, d’une éclatante virtuosité, d’une puissante humanité. Patrick Cauvin dessine avec acuité un magnifique portrait de l’Afrique. De nombreuses questions sont évoquées : les peuples martyrs, l’illusion du pouvoir, les manigances occidentales, les mensonges, les trafics, la vision idéalisée de ce continent. Sans oublier tout le sang versé au nom d’intérêts incertains.