Écrites par Pascal Martin, les aventures des "Coureurs de nuits" comptent désormais neuf titres (indépendants), avec ce nouveau roman “Le seigneur des atolls” (Presses de la Cité). Sans doute est-il bon d’en situer le contexte.
L’Œuvre est une organisation occulte, composée d’orphelins recrutés en prison, ceux qu’on appelle les "Coureurs de nuits". Il y a Eva, jolie femme au passé chargé; Saint-Sauveur, musicien de jazz; Vincent, dit Le Bonsaï, génie de l’informatique, animé de quelques rancœurs. Tous sont en quête d’identité, et agissent hors du contrôle des services de police. Le but de l’Œuvre est de s’emparer de fortes sommes d’argent : trésors archéologiques, héritages non revendiqués, récompenses offertes. L’organisation est dirigée par l’énigmatique Foch, intransigeant père de substitution pour les "Coureurs de nuits". Jusqu’à ce neuvième épisode, on n’avait guère de précisions à son sujet.
En mai 1968, Chrétien est reporter pour l’ORTF, la télévision d’alors. Les images qu’il a tourné ne sont pas exploitées par 3D, le rédacteur en chef. Sous prétexte de ne pas alimenter le chaos, une censure destinée à masquer les exactions côté forces de l’ordre. Désabusé, Chrétien s’exile en Polynésie, sur l’atoll de Tureia. La population de l’île a la réputation d’être anthropophage. Rumeur qui protège la tranquillité des Maoris de Tureia, ayant à leur tête le “général” Arakino. C’est un village tabou pour les Blancs, hormis les légionnaires stationnés à la pointe de l’île. Jouant un rôle ambigu, Moto Guzzi est aussi un Blanc toléré par Arakino. Se faire adopter par les Tahitiens d’ici suppose pour Chrétien une lente intégration. On finit par le surnommer Upo, le fou. Si Maeva est prévenante et pas farouche, Upo est vite sous le charme de la mûre Hina, pas si facile à conquérir.
Ayant fraternisé avec Arakino, Upo devient membre à part entière du village. Il accepte d’adopter pour fils les jeunes Hiro et Teva. Habiles à manier la caméra acquise par Upo, ce sont des reporters plutôt doués, quitte à prendre certains risques. En réalité, la vie n’est pas si sereine sur Tureia. L’atoll est proche de Mururoa, où sont menés de dangereuses expériences nucléaires. Les ennuis de santé d’employés tahitiens du site s’avèrent éloquents. Sur l’île, la Marine a bâti un bunker supposé protéger la population lors des explosions. Grâce à Upo, l’endroit sert autant de salle de cinéma. Autre problème, la production de perles noires, seule richesse de l’île, est pillée par un voleur. Celui-ci ayant agressé mortellement la jeune Maïna, Upo et Arakino lui règlent son compte.
Les ennemis de Tureia ne manquent pas. L’Albinos, chef des légionnaires, traite ses sbires et les habitants locaux avec la même supériorité cruelle. Le juge Chan a tenté de spolier les Maoris des terres dont-ils ont hérité. Upo y met bon ordre, mais Chan n’a sans doute pas dit son dernier mot. Les Mikimoto règnent sur le commerce des perles rares dans le secteur. Prouvant qu’il n’a pas peur d’eux, Upo négocie avec Mikimoto père un contrat honnête. Ainsi, les sommes aideront à améliorer le sort des Maoris de Tureia. Désormais marié, père de Teva et Hiro, Upo est intronisé par Arakino, fatigué. Nouveau chef de l’île, on l’appelle Foch de Tureia. Les problèmes se compliquent encore quand les services secrets français veulent récupérer le compromettant film d’Upo-Foch, illustrant ce qui se passe réellement à Mururoa et dans ses environs. Un véritable combat est engagé entre les îliens, pour préserver leur espace, et tous leurs redoutables ennemis…
Ne nous y trompons pas, ce n’est pas un exotique petit roman d’aventures que nous propose ici Pascal Martin. À travers les multiples péripéties traversées par Foch et ses amis Maoris, l’enjeu est plus sérieux. Reporter, l’auteur connaît les plus noirs aspects de la présence militaire française dans cette région du monde. Car Mururoa a eu un impact dramatique sur les habitants.
Certes, ils ont gagné un peu d’argent, pouvant s’offrir le rêve de tous : un dentier et un scooter. Avec sagesse, Arakino exprime bien les conséquences dévastatrices : “Il pourrit tout. Si l’argent poussait dans la terre ou nageait dans les océans, il serait mon ami. Mais il niche dans la tête des hommes. C’est à cause de lui, à cause de l’argent qu’on vole nos perles.” Et qu’il vole ou ruine la santé des Polynésiens, irradiés par le nucléaire. Qui se soucie du sort de ces populations vers 1970 ? Fidèles à l’illusoire grandeur de la France, les politiciens gaullistes font pression pour taire la vérité. Les officines à leur service, et autres soldats de fortune, persécutent sur le terrain ceux qui s’opposent aux projets, ceux qu’ils n’ont su convaincre en douceur. Pourtant, ces populations ne revendiquent que le droit de garder leur territoire.
C’est avec détermination que Foch et ses fils adoptifs, les premiers "Coureurs de nuits", affrontent les nombreux périls de cette intrigue détaillée. Si le suspense et l’action sont bien présents, c’est finalement l’Humain qui est au cœur de cette aventure mouvementée.
Il faut rappeler que Pascal Martin a été récompensé par le Prix Exbrayat 2005 et par le Prix Intramuros 2009, pour deux des neufs titres de cette série de romans.
Du même auteur : "L'archange du Médoc" - "La traque des maîtres flamands" - "L'ogre des Landes".