Nos z’amis z’auteurs de polars ont accepté de répondre à l’interview express 2011 d’Action-Suspense, une nouvelle série dans l’esprit des Portraits Chinois.
Ils nous donnent chacun leur version, amusée ou sérieuse, aux six questions décalées qui leur sont posées.
Aujourd’hui : Michel Vézina
L’ambiance de vos romans, c’est plutôt : Soleil bruineux sur jungle urbaine, ou Grisaille radieuse sur cambrousse pittoresque ?
Les deux. Je déteste les villages et les petites villes, terrains trop fertiles aux délations, médisances, potins et autres back stabbings de langues sales et de gueules pourries. Je suis à la fois un hyper urbain forcené qui, en ville, n'écoute jamais d'autres musiques que celles des cris, des sirènes et des bouchons qui se pète la gueule. En plein hiver montréalais je garde une fenêtre ouverte en face de ma table de travail pour entendre geindre les roues des trains qui crissent sur les rails à une centaine de mètres de chez moi.
La sauvagerie magnifique de la campagne totale m'émeut : je n'ai jamais aussi peur, dans la forêt, que de rencontrer
un autre homme. Emmenez-en des coyotes et des ours! Je suis un poilu des bois, un sauvage absolu qui n'écoute jamais d'autres musiques, dans les bois, que celle du sifflements des oiseaux, des
cris des écureuils, et des coyotes qui s'arrachent les restes d'un chevreuil crevé.
Vos héros sont plutôt : Beaujolais de comptoir, ou Double whisky sec ?
Double whisky sec. Sans ambiguïté. Y'en a pas de Beaujolais chez nous. Ou alors c'est du vieux jus de barriques assaisonné aux antigels: beuark! Oui, sans faute: faut que ça brûle, faut que ça sente le bois, faut que ça arrache la gueule, faut que ça saoule, faut que ça laisse une trace quand il en tombe par terre.
Vos héros sont du genre : J’aime personne, ou Je me déteste ?
Les deux, avec une petite tendance pour "Je me déteste". Mes héros aimeraient bien avoir la capacité d'aimer, mais se détestent tellement qu'ils rejettent souvent ceux qui les aiment... Tordu? Oui, peut-être.
Vos intrigues, c’est : J’ai tout inventé, ou Y a sûrement du vrai ?
Ça n'a aucune importance. À partir du moment où c'est inventé, c'est vrai.
Vos intrigues sont : Des torrents imprévisibles, ou Des fleuves canalisés?
Je dirais plutôt "torrents imprévisibles". Je fais très peu de plans et j'aime surprendre le lecteur en l'emmenant là où il ne s'y attend pas. Comme lecteur, j'aime les histoires qui me sortent de mes caleçons, qui tournent si vite qu'on ne sait plus où est l'avant et l'arrière. J'essaie de faire aux lecteurs ce que j'aimerais qu'ils me fassent s'ils étaient écrivains.
Quel est votre propre état d’esprit : C’était mieux demain, ou Le futur c’est maintenant ?
Le futur c'est hier. Nous avons dépassé la science-fiction. Très peu d'auteurs ont su pressentir le monde dans lequel nous vivons, celui qui se présente à nous, depuis quelques années. Le monde s'invente au fur et à mesure du passage des heures et des minutes, comme si les repères dont nous avons besoin pour avancer nous apparaissaient au fil des événements.
J'aime me répéter ce vieux proverbe Rom : "Après-demain, demain sera hier."
Tant qu'il nous restera des histoires à raconter et à se faire raconter, je ne vois pas de quoi nous pourrions avoir besoin de plus.
En littérature comme au lit, rien n'existe d'autre que le présent.
Pour en savoir davantage au sujet de Michel Vézina, il est vivement recommandé de lire le précédent entretien avec cet auteur. Deux de ses romans ont été chroniqués : "Sur les rives" et "Zones 5". Il faut rappeler que Michel Vézina dirige la collection "Coups de Tête", qui compte déjà environ cinquante titres (disponibles en France).