Aujourd’hui, évoquons l’actualité du polar… d’il y a soixante ans, en 1951. Il est évident que le nom de Michel Marly (1909-1989) ne rappelle plus rien aux lecteurs. Ce romancier d’origine allemande publia principalement cinq titres. Au Fleuve Noir, dans la collection Spécial-Police : De quoi j’me mêle (1950, n°10), Une poule de trop (1951, n°14), Jusqu’au coude (1951, n°18); chez Édica, Bibliothèque noire, 1954 : Ça cadre; et aux Éditions Arabesque, 1956 : Mort aux innocents.
Mon ami l’Oncle Paul ayant consacré un portrait à cet auteur, je me suis souvenu que j’avais l’un de ses titres dans mes collections, pas encore lu. L’inévitable préjugé consiste à considérer ce genre de vieux romans comme des livres mineurs. Du pisse-copie émanant d’écrivaillons ne méritant que l’oubli, en somme. Le côté rétro de ces romans-là peut s’avérer sympa, sans nostalgie exagérée. Notons que les couvertures du Fleuve Noir sont de Michel Gourdon, et que la dernière chez Arabesque est d’Aslan, frère de Gourdon. Puisque Paul m’a donné mission de lire Une poule de trop, je ne me déroberai pas !
Héros et narrateur de ses propres aventures, Michel Marly gagne sa vie grâce à de fructueuses combines. Il a pour petite amie une employée de banque, Dominique Fourquier, surnommée Didine. Ce séducteur ne lui est guère fidèle, collectionnant les amantes. Depuis une précédente affaire, Michel Marly s’est lié d’amitié avec l’inspecteur Plantaud, de la Péji. Ce policier n’a aucune vocation de flic, donc assez peu d’instinct déductif. Il avise Michel Marly et Didine que leur amie Monique Prunier risque de sérieux ennuis. La jeune artiste est soupçonnée du meurtre de son patron, Louis Lodas, directeur des Boulevard-Folies. Il a été assassiné dans son bureau secret, au sous-sol de la salle de spectacle. On le croyait en fuite, ce Brésilien d’origine ayant une sulfureuse réputation. Faute d’autre suspect, Plantaud suspecte Monique qui avait menacé Lodas peu avant.
Marly hésite à s’en mêler, mais Didine l’y incite. Il rend visite à Monique dans l’hôtel miteux où elle loge. Il fait connaissance de Maryse, amie plus âgée de la jeune femme. Un coup de téléphone provoque le départ précipité de Monique, qui va rester introuvable. Marly s’invite au bistrot voisin, chez Raymond, lieu que fréquente ponctuellement Monique, où le détective amateur est fort mal reçu. Il remarque une Cadillac aux plaques Corps Diplomatique dans la cour attenante. Il se débrouille pour inspecter clandestinement le véhicule, dont les plaques sont fausses. Des indices montrent qu’un enfant a voyagé dans cette voiture. Marly est mis KO et transporté dans un sac. Ses agresseurs parlant portugais le balancent bientôt à l’eau. Ayant évité la noyade, il s’aperçoit qu’on l’a jeté dans l’Escaut, en Belgique. La belle Charlotte va lui apporter un réconfort bienvenu.
De Tournai, Marly revient à Paris. Plantaud et lui vérifient que Patricia, la fille de Monique âgée de cinq ans, a bel et bien été kidnappée. Une descente de police est organisée au bar de Raymond. Grâce à Didine, la piste d’un poulet rôti va éclaircir certains détails. Les méthodes musclées des policiers entraînent les aveux du bistrotier. Le QG de la bande se situe dans la région marseillaise où, malgré la mésentente entre les flics locaux et Plantaud, plusieurs arrestations suivent. Louis Lodas fut bien le chef de cette bande trafiquant les femmes et la drogue, mais ça n’explique pas sa mort brutale. C’est aussi là-bas qu’on retrouve Monique, qui va revenir à Paris toujours suspecte. Soupçonnant d’autres proches de Lodas, Marly peut compter sur la nymphomane Ginette pour l’aider. Même si les coupables avouent, il existe une dernière explication du meurtre…
Voilà un parfait exemple de roman mésestimé, perdu, qui était pourtant riche en qualités. Il s’agit d’une bonne comédie policière, fluide et largement souriante, avec ses moments plus denses. Trente chapitres pas trop longs, pour 222 pages, le procédé donne du rythme à l’histoire (il est souvent utilisé de nos jours). Un héros dynamique et malicieux, flanqué d’une pétulante amie de cœur et d’un policier pas très efficace, le trio fonctionne à merveille. Bien sûr, c’est Marly qui prend les coups, mais aussi trouve indices et solutions. Une intrigue mystérieuse et mouvementée, au dénouement surprise très malin. La tonalité d’écriture est enjouée, avec un atout supplémentaire : l’immédiateté.
L’aventure, qui se passe à l’automne 1950, fut publiée en mars 1951. Si nous y voyons aujourd’hui une sorte de témoignage sur ce temps-là, pour le lecteur d’alors, c’était un roman “dans son époque”. On fume des cigarettes Celtiques, on roule en 4CV ou en Cadillac, on francise les mots venus de l’anglais (les “gueurles”, pour girls), et on s’intéresse au monde : “[il] se met en rogne quand il lit dans son canard qu’on a coffré des types de Ollivoude parce qu’ils ont refusé de témoigner devant une commission politique, et [il] devient blême de rage en apprenant que Franco a fait fusiller un anarchiste espagnol…” Ginette ? “Un mélange de Rita Hayworth, de Martine Carol et de Miss France 1950 (…) Une qui aurait pu épouser l’Aga Khan de la main droite et Erroll Flynn de la main gauche, sans parler de Tyrone Power et de Gérard Philippe.” On n’oublie pas la guerre encore récente, avec le cas de Lodas: “Ce n’est qu’à la Libération qu’on peut lui mettre la main au collet. Il avait collaboré de façon spécialement dégueulasse : il avait fourni en filles les bordels de l’armée allemande en Russie.” Contexte qui permet d’offrir de la crédibilité à cette fiction, puisque astucieusement situé dans l’univers vécu par les lecteurs.
On ne va pas considérer ce roman comme un chef d’œuvre, bien sûr. Pourtant, c’est un polar qui témoigne que ces auteurs des années 1950 savaient habilement passionner leur lectorat, autant que ceux qui écrivent aujourd’hui…