Petit hommage à l'auteur de très astucieux suspenses sous tension, Louis C.Thomas (1921-2003). Sans doute semble-t-il un peu vite oublié, il reste pourtant un excellent romancier. Ses intrigues criminelles sont habilement menées et passionnantes. Avant de découvrir trois de ses subtiles histoires, commençons par un titre quasiment introuvable. Certes, le policier est ici héritier de Maigret. Néanmoins, l’ambiance et l’énigme sont très réussies. Après avoir obtenu le "Prix du Quai des Orfèvres" en 1957 ("Poison d'avril"), le style de Louis C.Thomas s'affine, devenant plus psychologique.
"Le mal est fait" (1955). Il fait très chaud cet été-là à Lyon. Le commissaire Paron enquête sur la mort d’Henriette Pellegrin, retrouvée noyée dans le Rhône. Dans l’immeuble où vivait la jeune femme, le policier rencontre Mlle Conchet (concierge et tireuse de cartes) et Mado, entraîneuse de boite de nuit. Paron convoque Étienne Joulian, l’employeur d’Henriette, papetier en demi-gros et détail. Ex-employeur, plutôt, car il venait de la licencier le samedi précédent. Une piste mène le policier à Saint-Menet, où la jeune femme avait des attaches. Mais Jules et Augusta, les patrons du Relais, ne l’aident guère. Chez Joulian, le commissaire fait la connaissance de son épouse Paulette, de sa belle-mère, Mme Hacquier, et de Jojo, l’employé de la papeterie. Plus tard, il rencontre Arthur Bresson, comptable de l’entreprise, frère de Mme Hacquier. C’est grâce à lui qu’Henriette a quitté son village pour s’installer à Lyon. Le jeune Robert Gallec, voisin de la défunte, n’est pas totalement naïf. Il sait qu’Henriette avait un amant, mais qu’il ne s’agit pas d’Arthur Bresson. Ce n’était donc pas la pure jeune fille qu’on imaginait. D’ailleurs, elle était enceinte au moment de sa mort. En outre, elle avait depuis longtemps économisé de belles sommes d’argent. Le commissaire Paron ne manque pas de suspects, s’il s’agit bien d’un meurtre…
"La mort au cœur" (1961). Propriétaire d’une agence immobilière à Melun, Étienne Sanvic est un alcoolique violent. Marié à Hélène, il a déjà fait plusieurs crises et dépressions nerveuses. Son épouse ne le supporte plus, mais ne veut pas le quitter à cause de leur fils placé en nourrice. Étienne menace de le garder si elle part. Quant il la blesse légèrement lors d’une dispute, Hélène est à bout de patience. Principal employé de l’agence immobilière, Marc Legrand s’occupe de la faire tourner. Il est l’amant d’Hélène, son consolateur. Sanvic projette de vendre sa maison et son agence, de partir avec son épouse. Marc doit rapidement réagir. Il improvise un plan les mettant hors de cause Hélène et lui, tandis qu’il supprime Sanvic.
Grâce au témoignage de Fressard, médecin qui est son meilleur ami, Marc est vite disculpé. Hélène aussi, car elle est censée avoir fui avant la mort de son mari. Malgré quelques émotions fortes, le couple constate que la police admet un suicide. Le policier Alici est réticent, mais insiste peu. Antoine Sanvic, le frère du défunt, espérait glaner une bonne partie de l’héritage. Jeté dehors par Marc, Antoine répand des rumeurs en ville. Marc et Hélène reçoivent des lettres anonymes menaçantes. Plusieurs suspects sont possibles : Antoine Savic, mais aussi la petite Dizot, secrétaire de l’agence, ou Simone, la femme de Fressard. Peut-être même Mme de Saint-Servin, la logeuse de Marc. Ce dernier commence à s’alcooliser plus qu’il ne faudrait, à cause de la tension causée par la situation. On veut faire craquer le couple, mais qui ?
"Manie de la persécution" (1962). Sur la Côte d’Azur. Georges a été victime d’un grave accident de voiture. Le docteur Mars l’a pris en charge dès qu’on l’a découvert. Selon le médecin, c’est un véritable miracle que Georges soit encore en vie. Son bras cassé et son bandeau sur les yeux, qu’on lui enlève bientôt, c’est un moindre mal. Ce qui est plus inquiétant, ce sont les troubles de la mémoire dont souffre Georges. Le choc de l’accident l’a rendu amnésique. La convalescence dans sa villa du Cap Bénat devrait lui remettre les idées en place. Il y sera entouré de sa femme, de son serviteur indochinois, et de son ami Frédéric.
Georges ne parvient pas à admettre qu’il se nomme Romery. Malgré de confus souvenirs qui lui reviennent et des évidences qu’il ne peut contester, il refuse cette identité. Un nom le hante, Georges Campo. On lui parle de son passé en Indochine, alors que des images du Brésil flottent dans sa mémoire. Ce sont bien ses lunettes, son étui à cigarettes. Mais ces photos dans des plantations d’hévéas n’évoquent rien. Georges se souvient du visage de Fred, mais l’associe à Marseille, pas à Saigon. Christiane serait la femme de Georges, alors qu’il n’a pas le sentiment d’avoir jamais été marié. Il ne reconnaît pas Kiem, le serviteur fidèle. Le chien Mikado ne lui semble pas familier non plus. Georges se sent en danger, comme prisonnier dans cette propriété isolée et cadenassée. Quand il essaie de fuir, il est entraîné sur un sentier où il risque sa vie. Georges a la conviction que le docteur Mars veut l’enfermer en hôpital psychiatrique. En effet, cette manie de la persécution peut le faire tomber dans la folie…
"Les trente deniers" (1968). À Grenoble, Jacques Melleray est marié depuis bientôt dix ans à Hélène Charolles. Cet ancien moniteur de ski l’a épousée pour sa fortune. La ganterie qu’elle dirige est une grosse entreprise. Jacques se sent de plus en plus prisonnier de son épouse et de la ganterie. C’est pourquoi il a une maîtresse. Jeannine Toussy est une ravissante jeune femme, qu’il entretient depuis plusieurs mois en détournant discrètement de l’argent. Elle se dit manucure, se prétend amoureuse de Jacques. Il est possible que celui-ci lui accorde trop de confiance.
Alors qu’il se rend secrètement chez Jeannine, Jacques s’aperçoit qu’un homme l’a pris en filature. L’homme a des manières de détective privé, ce qu’il confirme en prenant contact avec Jacques. Il se fait appeler Roger, affirme ne pas vouloir nuire au bonheur des amants. Que Jacques lui verse une somme de trente mille francs, et il se charge de rédiger des rapports rassurants pour sa cliente, Hélène Melleray-Charolles. Sortir de petites sommes, pas de problème, mais où Jacques trouverait-il trente mille francs ? D’autant que, dans le même temps, Hélène a prévu d’investir dans une mégisserie. Organiser un vol, dérober l’argent servant à payer certaines ouvrières, ça lui semble beaucoup trop dangereux. Roger peut se charger d’une alternative plus radicale, visant Hélène. Cherchant la meilleure solution, Jacques ignore que Jeannine et Roger sont complices, qu’ils se sont organisés pour lui soutirer le plus d’argent possible…
(Soulignons deux allusions souriantes. Un personnage annexe s’appelle Michel Cade, ce qui était le vrai nom de Michel Lebrun. L’officier de police s’appelle Humblot, qui était le patronyme du romancier Fred Kassak.)