On ne prétendra pas que Télérama découvre que le polar est un genre "grand public". Ce magazine
a consacré un certain nombre de chroniques à cette catégorie de livres. Néanmoins, c’est la réalité des chiffres qui légitime
l’intérêt actuel de Télérama pour ces romans. Dans son n°3137, titrant "Sang neuf pour le polar", un article de Michel Abescat et Christine
Ferniot ("Le crime paye enfin") nous offre des pistes pour mieux comprendre.
“Lire un polar n’est plus un crime. Il fut un temps, en effet, où le policier était méprisé,
associé à la "culture populaire", c’est-à-dire vulgaire et incompétente […] Depuis le début des années 1990, la situation a changé. Les aficionados, qui n’avaient pas attendu pour défendre la
dimension littéraire du genre, ont pu sortir de leur ghetto […] Les gens "cultivés" ne se sentent plus obligés de garder leurs distances.” analyse Michel Abescat.
Universitaires et éditeurs sont ici sollicités pour définir quelques clés de l’indéniable succès du polar. Lectorat décomplexé, tradition du roman criminel, rejet de l’intellectualisme à
l’obscurité cultivée, tels sont les éléments évoqués. “Le succès du roman policier s’expliquerait ainsi par sa prise en charge de ce qui est aujourd’hui souvent déserté
par le roman généraliste, français en particulier : des histoires qui vous embarquent, une façon de comprendre le monde contemporain, une évasion dans le réel. "Le roman noir colle à notre société en pleine décadence",
estime Patrick Raynal. "Le noir interroge la violence, c’est une littérature de l’extrême où les pulsions sont libérées" ajoute Francis Geffard, éditeur chez Albin Michel. François
Guérif (Rivages) définit le noir comme "un roman qui met en scène une transgression". Interviennent aussi Arnaud Hofmarcher (Sonatine, Le Cherche Midi), ou Oliver Gallmeister. Ce dernier
faisait preuve d’une part d’ambiguïté vis-à-vis du polar, notons-le. D’ailleurs, on ne lit pas le mot écrivain dans cet article, on ne cite que des auteurs.
Avec ce numéro (qui n’est pas un énième Spécial Polar), Télérama lance la série "Perles
noires", huit romans issus du catalogue Rivages. On peut déjà supposer qu’ils deviendront collectors, notamment grâce à leurs illustrations de couvertures signées Myles Hyman. Choix
avisé pour le premier titre proposé : Les morsures de l’aube, de Tonino Benacquista. Suivront La bête contre les murs, d’Edward Bunker; J’étais Dora Suarez, de Robin
Cook; Merci pour le chocolat, de Charlotte Armstrong; Les six jours du condor, de James Grady; Rouge est ma couleur, de
Marc Villard; Scarface, d’Armitage Trail; Nightfall, de David Goodis.
Romans classiques ou contemporains, cette série aborde différentes facettes du genre. Bonne façon de s’offrir de solides bases en matière de culture polar, c’est vrai. Toutefois, on pouvait espérer la parité entre auteurs étrangers et français, le catalogue Rivages n’en manque pas : Jean-Paul Nozière, Pierre Siniac, Claude Amoz, Jean-Hugues Oppel, Pascal Dessaint, Pierre Pelot, etc. Faut-il y voir l’habituel ostracisme contre la production française ? On nous répondra que non, qu’il fallait de l’emblématique, de l’incontournable, mais on connaît la réalité. Le polar français est mal soutenu par les médias culturels, qui ne s’occupe guère des talents d’aujourd’hui, préférant consacrer uniquement les valeurs sûres. On s’interroge sur leur capacité à découvrir des auteurs de qualité, selon les critères du public. Ce qui n’empêche pas de saluer cette initiative, soyons clairs. Juste de signaler que la culture labellisée inclut peu les polars français, que les murs du ghetto ne sont pas tous tombés.