Mission impossible que celle consistant à définir quels seraient les douze romans majeurs de l’année, parmi ceux que l’on a lus ? L’exercice n’est pas facile, mais pas insurmontable non plus. Il se publie quantité de bons polars, très agréables à découvrir. Toutefois, il s’agit de sélectionner ceux possédant ce degré supérieur, qui fait la différence. Choix subjectif, diront certains fâcheux. Pas tant que ça.
À bien observer la liste des romans retenus au final, ils ont plusieurs points communs. Le plus évident, c’est “l’écriture”. Aucun d’entre eux ne se contente de “raconter une histoire”. Ces douze auteurs soignent leur style, offrant une force supplémentaire à leurs récits. Des descriptions précises et nuancées, des portraits peaufinés et crédibles, ça ne n’improvise pas. Il est indispensable “d’écrire” avec maîtrise. Par exemple, comment se croire dans la capitale du Gabon (J.Otsiemi), ou dans le Delta du Niger (A.Molas), si les auteurs ne partagent pas un peu plus que le narratif ? La monstruosité des héros de J.Incardona et de H.Jaouen, qui semblent pourtant “socialement insérés”, devient évidente grâce à l’habileté avec laquelle ils sont dessinés. Quant au délirantes mésaventures du héros de Pierre Hanot, on n’y adhèrerait probablement pas sans son écriture inspirée.
Complémentaire, le deuxième atout est la construction des intrigues. Aucun de ces romans n’est linéaire car, là encore, ces écrivains ont structuré à merveille leur présentation des faits. Bel exemple, avec l’histoire qu’à reconstituée Ryan David Jahn, se déroulant sur seulement quelques heures. C’est aussi particulièrement le cas de Nicolas Bouchard, dont le parcours infernal du héros est disséqué dans ses moindres détails. Romans écrits et construits, voilà ce qui assure la belle solidité de ces douze titres.
On s’aperçoit qu’il existe un point commun supplémentaire. Les contextes de ces intrigues sont, à divers degrés, d’une violence réaliste. C’est fatalement le cas chez les marginaux campés par Hervé Sard. La dureté n’est pas uniquement dans le crime, elle se trouve dans la vie de ces personnages. Car l’omniprésence du démon décrit par Ken Bruen, ou ce que découvre l’adolescente mise en scène par Megan Abbott, c’est autant de la violence psychologique que l’univers de Donald Ray Pollock ou celui de Ron Rash. Pourtant, cette dureté évoquée avec puissance n’est pas effrayante. Tandis que les personnages négatifs s’enfoncent, les héros positifs puisent en eux-mêmes pour faire face. L’ex-prof et le jeune campagnard de Ron Rash le démontrent. Lueurs d’espoir et d’humanité.
À juste titre, on pourra objecter qu’il y a bien peu de “purs polars” ou de stricts “romans noirs” dans ma sélection. Peut-être parce que les étiquettes en question n’ont plus véritablement de sens. Récompensé par le Grand prix de Littérature policière cette année, le chef d’œuvre de Donald Ray Pollock ne figure pas dans une collection dédiée au polar. Est-ce si important, puisque ces titres s’adressent quand même au public concerné ?
Voici ma liste alphabétique des titres à retenir pour l'année 2012 :
Megan Abbott : La fin de l’innocence (Éd.J.C.Lattès)
Nicolas Bouchard : Ceux qui règnent dans l’ombre (Éd.Lokomodo-Asgard)
Ken Bruen : Le Démon (Ed.Fayard)
Pierre Hanot : Tout du tatou (Éd.La Branche)
Joseph Incardona : Trash Circus (Éd.Parigramme)
Ryan David Jahn : De bons voisins (Actes Noirs)
Hervé Jaouen : Dans l’œil du schizo (Presses de la Cité)
Aurélien Molas : Les fantômes du Delta (Albin Michel)
Janis Otsiemi : Le chasseur de lucioles (Éd.Jigal)
Donald Ray Pollock : Le diable, tout le temps (Albin Michel)
Ron Rash : Le monde à l’endroit (Ed.Seuil)
Hervé Sard : Le crépuscule des gueux (Krakoen)
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