Le numéro 400 de la collection Spécial-Police du Fleuve Noir fut publié début 1964. “La mort prend l’ascenseur” est un roman signé Jean Socoa.
Le héros en est le policier Jutel, proche de la retraite. Il n’a rien d’un brillant enquêteur : “On lui refilait toutes les pannes, les os, les sales boulots anonymes, les plus dangereux, et [le commissaire] Galissard rappliquait toujours à pic pour se faire photographier avec le criminel.” Ce n’est pas l’affaire dont on le charge aujourd’hui qui devrait le mettre en valeur. Dans le 13e arrondissement, près du square Lancelot, un homme a été retrouvé mort cette nuit, quand le locataire d’un immeuble a appelé l’ascenseur. La victime est un sexagénaire élégant, portant une Légion d’Honneur à la boutonnière. On identifie rapidement Charles Heitzman, médecin-colonel en retraite habitant Auteuil. Il n’avait rien à faire à cette heure tardive dans cet immeuble éloigné de chez lui. Selon les premières constatations, la mort naturelle est privilégiée.
Jutel mène une enquête sur les lieux, interrogeant le concierge M.Méhu. Il prend les noms des locataires, de l’agent de police du premier à la cartomancienne du cinquième, en passant par M.Vincent qui a découvert le corps. Ici, personne ne connaissait Charles Heitzman. C’est assez curieux, mais la police ne peut perdre son temps avec un cas aussi banal. L’affaire est bientôt close. Néanmoins, Jutel estime qu’il doit continuer, mieux fouiller dans les habitudes de l’immeuble. À l’insu de ses collègues et de son supérieur, il revient interroger les gens vivant à cette adresse.
Il est même possible qu’il ait posé des questions dérangeantes car, une nuit, il est agressé en pleine rue. Ce qui lui donne quelques jours de repos. Grâce à ce congé inattendu, il glane discrètement de nouveaux éléments. Le témoignage de Claude Heitzman, neveu de la victime, et le livre écrit par le médecin-colonel, lui offrent de précieux indices. Il est sur le point d’arrêter le coupable supposé, quand celui-ci se suicide. On lui vole son heure de gloire ? Non, car ce comparse a été éliminé de la même façon que Charles Heitzman…
Nous avons là un classique roman d’enquête, de bon aloi, possédant toutes les qualités pour satisfaire le lecteur. Revanche d’un flic sans prestige, qui flaire une affaire plus opaque qu’il n’y parait, et finit par démontrer la vérité. Un suspense fluide, comme on savait les raconter en ce temps-là.
Néanmoins, il subsiste un mystère. Son nom n’apparaissant qu’une seule fois dans la collection, Jean Socoa est forcément un pseudonyme. En effet, Socoa se trouve dans le Pays Basque. C’est un quartier en bord de mer, au sud de Saint-Jean-de-Luz, un petit port entre Ciboure et Urrugne. Ce hameau est quelque peu connu grâce au Fort de Socoa. Au 16e siècle, on bâtit une forteresse afin de protéger Saint-Jean-de-Luz des voisins espagnols. C’est évidemment Vauban qui, à la fin du 17e siècle, fit renforcer l’édifice et lui donna sa forme actuelle.
Quel rapport entre l’auteur de ce roman et le site de Socoa ? Il exista bien un écrivain nommé Michel de Socoa (1893-1980), pseudo de Luc Benoist, conservateur de musée, puis historien de l’art. Auteur d’ouvrages sur ce thème, et d’autres livres faisant référence dans les domaines de l’ésotérisme et de l’astrologie, on l’imagine mal écrire un roman policier. Qu’une cartomancienne figure dans “La mort prend l’ascenseur” n’est pas un indice sérieux.
Alors, il faudrait certainement chercher, parmi les obscurs auteurs des années 1960, lequel avait un quelconque lien avec le quartier du Fort de Socoa. Voilà une mission qu’il serait vain de s’imposer. Pourtant, s’agissant d’une centaine, le n°400 pouvait sembler symbolique, de ceux qu’on attribue aux piliers d’une telle collection. Le n°100 fut réservé à Frédéric Dard, le n°200 à Mario Ropp, le n°300 à André Lay, puis le n°500 à Peter Randa, autant d’auteurs importants chez Spécial-Police. Derrière le pseudonyme, il y a donc bien un “mystère Socoa”. Si quelqu’un possède une réponse probante, ça intéressera les passionnés de cette collection…