Parmi les grandes collections de polars d’autrefois, l’une est souvent occultée. Il s’agit de Crime-Club, publiée chez Denoël. Elle compta pourtant bon nombre de romanciers de haut niveau : Boileau-Narcejac, Louis C.Thomas, Jean-François Coatmeur, René Réouven, Sébastien Japrisot, Hubert Monteilhet, Laurence Oriol, Evelyn Piper, Pierre Salva, Gilbert Tanugi, etc. La première série fut publiée de 1958 à 1962, avec quarante titres. Puis vint une seconde série de cent-quarante titres. Vers 1971, la collection fut rebaptisée Super Crime Club. Un catalogue de très belle qualité, des auteurs généralement plus originaux que la moyenne. Qu’on en juge par les quatre exemples suivants. Des histoires parfaitement racontées, qui ne manquent pas d’un humour certain, tout en entretenant un authentique suspense jusqu’au dénouement.
Emmanuel Le Lauraguais : La fièvre à quarante (1960)
Germain Ferrand est policier. Pas du tout une vocation pour ce dilettante, jeune homme paresseux fuyant les enquêtes. Suite à un accident, son oncle vient de mourir. Il s’approprie son luxueux appartement, avenue Hoche. Qui d’autre en hériterait ? Lui qui vivait depuis dix ans dans une chambre de bonne louée par l’oncle, il a ses habitudes dans le quartier. Par exemple au café Le Téméraire, dont son ami Serge est le patron.
Ayant investi les lieux, deux faits consécutifs le troublent. L’ordonnateur des pompes funèbres venu préparer les funérailles se montre fort curieux. Et puis il y a cette pièce en rotonde, dont il ne trouve pas la clé. Il finit par y pénétrer, découvrant quarante académiciens siégeant en tenue. Ils semblent tellement vrai qu’il hésite entre des mannequins ou des cadavres momifiés. La belle Évelyne, avec laquelle il était en contact, a été tuée dans le café de Serge. Sa mort entraîne une enquête, dont Germain est chargé. Évelyne a téléphoné avant son décès à Rolande Evenard, une femme médecin séduisante et mystérieuse. Cette jolie brune possèderait un alibi. Tout en enquêtant sans vraie méthode, le jeune policier cherche à se débarrasser des académiciens en “vynil souple pluri-polymérisés-polyesterés à l’Italienne”…
Pierre Siniac : Monsieur Cauchemar (1960)
La brume et le froid intense envahissent la capitale. Plus beaucoup de monde dans les rues, le soir. Plus de policiers non plus, car ils sont en grève totale. Une aubaine pour un criminel qui aurait depuis des années mûri un plan diabolique. M.Esbirol est bouquiniste. Un brave homme qui ne ferait pas de mal à une mouche. Néanmoins, voilà plusieurs jours qu’il sort chaque soir. Et ça correspond exactement avec les sorties du mystérieux assassin, que la presse surnomme déjà Monsieur Cauchemar.
Francinet est un jeune garçon amateur de romans policiers. Il faut croire que M.Esbirol l’aime bien, car il le laisse voler des livres. Francinet vit avec sa mère et le nouveau compagnon de celle-ci, Budé. Ce dernier est l’inspecteur de police qui a arrêté et abattu le père de Francinet, un criminel. Si jamais le gamin découvre l’identité de l’assassin, ce n’est pas à Budé qu’il le dira. Francinet finit même par accompagner le meurtrier lorsqu’il opère. Il ne comprend pas bien sa technique, qui ressemble à de l’hypnose… Pour le dénouement, le lecteur aura le choix entre trois versions.
Pierre Forquin : Le printemps fait toujours un peu mal (1962)
Un village de la vallée du Rhône, où l’hôtel local reçoit des clients
attitrés. Il y a M.et Mme Martel, dont l’épouse est fort désagréable; Mlle Dumaine, jeune femme d’allure maladive; Binaze, un bonhomme quasi-transparent; Jordille, le marchand de grains qui ne
loge pas là mais y prend ses repas; l’instituteur Vincent, qui a sympathisé avec Jordille et se sent attiré par Mme Dumaine. Un soir, il dérobe l’écharpe rouge de la jeune femme, afin de trouver
un prétexte pour engager la conversation.
Mais le train-train de ces gens va dérailler. La pulpeuse patronne de l’hôtel est retrouvée étranglée. Elle revenait de la gare d’une ville voisine, tandis que son mari allait à sa rencontre. Étranglée avec l’écharpe rouge de Mlle Dumaine. Impossible, se dit Vincent, puisque c’est lui qui possède encore cet accessoire. Il ne peut pas affirmer au commissaire qu’il existe deux écharpes identiques sans être suspecté. Selon la rumeur, Vincent passe pour l’amant de la victime. Les élèves comme leurs parents soupçonnent l’instituteur. Même Jordille n’épargne pas Vincent. Il existe bien d’autres pistes que le policier devrait exploiter…
René Cambon : Nos chers disparus (1970)
Bijart s’installe dans un village de l’arrière-pays provençal. Il y prend la succession d’un ivrogne nommé Paguet, comme menuisier et fossoyeur. Il sera assisté de Pierre, le fils de Paguet, qui passe pour l’idiot du village. S’il s’entend bien avec le jeune homme, Bijart se sent très mal accepté par ailleurs. Le maire Ansaldi, le secrétaire de mairie Périsol, et le commercial Saint-Martin cachent mal leur hostilité. Bijart se rend souvent à Saint-Tropez, où il devient l’amant de Sabine, qui dirige une boite de nuit. Celle-ci a des problèmes avec un certain Sanchez, type dangereux qui veut s’emparer de son club.
Alice Saint-Martin a prévenu Bijart qu’elle allait assassiner son mari, et lui faire porter la responsabilité du meurtre. Bien que s’étant ménagé un bon alibi, il est quand même obligé de se débarrasser du cadavre. Il en fait cadeau à Sanchez. Prêts à croire les rumeurs, les gendarmes suspectent Bijart quand la disparition de Saint-Martin est signalée. Lorsque Paguet est à son tour tué, on dépose encore le cadavre chez Bijart. Ce ne sera pas le dernier corps qu’on lui livrera, qu'il enverra à Sanchez. Mais, entre-temps, Sanchez et sa bande débarquent au village, pour une virée agitée. Bijart pense finalement comprendre pourquoi l’assassin lui livre les cadavres. Mais la vérité sera pourtant plus complexe…