Depuis “Mort aveugle” (2002), on connaît les thrillers de Karin Slaughter, qui ont assuré son succès international. C’est une autre facette qu’elle présente avec “Pas de pitié pour Martin” (Grasset, 2009), une comédie à suspense. L’histoire du pathétique Martin, victime toute désignée, est véritablement savoureuse.
Martin Reed est un raté. Pas un simple perdant, un loser, mais un vrai minable. Enfant déjà, les élèves de son école le ridiculisaient. Or, beaucoup d’entre eux sont devenus, comme lui, employés chez Super Sanitaires. Âgé de 36 ans, il en a passé seize à la comptabilité de cette entreprise d’une bourgade de Géorgie. Son bureau est le passage obligé pour aller aux toilettes. Souffre-douleur de tout le personnel, cible de divers quolibets et mauvaises blagues, Martin craint en particulier sa collègue Unique Jones. Depuis trois ans, cette autoritaire et corpulente Noire n’est pas avare de pénibles réparties cinglantes. Ce n’est pas sa mère Evelyn qui l’a tellement aidé, même s’il habite encore chez elle. Evie préfèrerait un fils homo ou alcoolique, que cette sexagénaire aurait des raisons de défendre. Bien qu’intelligent, Martin supporte les humiliations sans réagir.
La modeste Toyota de Martin avait déjà été vandalisée. On avait gravé “Trouduc” sur sa carrosserie. Cette fois, c’est son pare-choc qu’il retrouve très abîmé et ensanglanté. Il se blesse en l’enlevant, détruit sa mallette en voulant nettoyer les traces de sang. Quand deux flics se présentent chez Super Sanitaires, Martin est subjugué par l’inspectrice An Albada. Le charme troublant de la policière le fascine. Ce n’est pas pour le problème “Trouduc” qui les amène, ils sont de la Criminelle. Sandy, une des employées de l’entreprise, a été victime d’un meurtre. On s’est servi de la voiture de Martin pour l’écraser à plusieurs reprises. Non seulement le comptable ne peut fournir d’alibi, mais il avait des motifs de vengeance contre Sandy. Martin est immédiatement inculpé. Bien sûr, il nie cet horrible crime, se demandant qui a cherché à le piéger.
Née dans une famille d’immigrés Hollandais, l’inspectrice Anther An Albada fut mariée à un homme violent, heureusement décédé tôt. Ses collègues masculins manquant de finesse, An s’inventa une vie parallèle qui lui valut la sympathie des autres flics. Pour le meurtre de cette Sandy, qu’elle ne trouve guère digne de pitié, Martin est sans doute le meilleur suspect. Mais, par certains aspects, An le trouve touchant. Martin ne peut quand même pas avouer à cette policière dont il est amoureux, où il se trouvait au moment du crime. Malgré un avocat commis d’office peu compétent, Martin est placé en liberté conditionnelle. Non sans méchanceté, sa mère lui apprend qu’on en a profité pour le virer de chez Super Sanitaires. Ce soir-là, il va récupérer ses affaires. Unique Jones est encore présente au bureau. Le lendemain, on la retrouve assassinée dans les toilettes. Cette fois, rien ne peut disculper Martin…
Humour noir, situations inexorablement accablantes, tonalité ironique, Martin s’enfonce pour notre plus grand plaisir. Le cas de la policière n’est pas moins insolite, avouons-le. Elle cultive les relations virtuelles d’une bien curieuse manière. Si le récit fait largement sourire, l’intrigue criminelle proprement dite n’est pas oubliée. Car, si Martin n’est pas l’assassin, qui veut à ce point le faire accuser ? Et pour quel profit ? Ce pauvre héros étant un grand lecteur de polars, l’auteur en profite pour faire allusion à d’autres célèbres romanciers américains (Stuart Woods, James Patterson, Janet Evanovich, Patricia Cornwell, etc.) Nettement moins sombre que ses titres habituels, ce roman drôle de Karin Slaughter est un régal.