Grâce aux productions Vivement Lundi, j’ai eu le privilège de visionner le film documentaire de Richard Hamon “Jim Thompson, le polar dans la peau” (2011). Il faut savoir que ce réalisateur avait déjà consacré un documentaire à un autre grand nom du roman noir, “Howard Fast, histoire d’un rouge” (2004). Dessiner un portrait de Jim Thompson (1906-1977) n’est pas chose facile. Aujourd’hui encore, si cet écrivain est davantage reconnu aux Etats-Unis, il effraie quelque peu les lecteurs américains. La violence du film “The killer inside me” (2010) choque toujours le public. Tel est l’univers des livres de Jim Thompson. Pourtant sa fille, Sharon Thompson Reed, témoigne dans le documentaire de la gentillesse de son père : “Il n’avait pas de face obscure. Il détestait la cruauté. Ça se lisait sur son visage”.
Cette violence, Thompson l’a observée dès son plus jeune âge. On ne peut exclure qu’il ait assisté à des lynchages à Anadarko, bled perdu de l’Oklahoma (dont le shérif actuel témoigne, lui aussi). Violence du banditisme des années 1920-1930, alors que Jim Thompson fréquente encore le lycée de Fort Worth. Des images d’époque nous montrent crûment l’ambiance d’alors. Quand son éditeur Arnold Hano, de Lion Books, raconte Thompson, on ressent la tendresse et l’exaltation qui liait les deux hommes. “Il avait une nature fragile et sensible. Je n’ai jamais entendu Jim parler violemment, être violent ou grossier” dit Arnold Hano, sans cacher l’alcoolisme de Thompson. Pour lui, cet auteur exprima “une écriture terrible et désespérée qui creuse dans les profondeurs de la dépravation”.
Robert Polito, biographe de Thompson, partage ce respect pour l’homme et l’écrivain. “[il] a ceci de fascinant qu’il s’est réinventé au milieu de sa vie”. En effet, c’est vers l’âge de quarante-cinq ans que Jim Thompson se démarque de la littérature prolétarienne pour entamer l’écriture de romans noirs. Il en écrira d’abord onze en vingt-deux mois. Arnold Hano nous raconte la genèse de “The killer inside me”, devenu un chef d’œuvre. Le journaliste David Geffner souligne aussi la nouveauté des romans de Thompson. “Il n'entre pas dans les conventions du genre Pulps. Il les a dynamités.” La violence jusqu’au-boutiste de cet écrivain il l’explique comme “prophétique, car il était capable de ne pas se censurer”. Ses récits à la première personne sont totalement à l’opposé de l’image américaine de ces années-là. Face au style de vie idéalisé, il montre qu’elle engendre aussi la monstruosité.
C’est ce que retiennent François Guérif, éditeur qui a beaucoup fait pour cet auteur en France, et le cinéaste Bertrand Tavernier (“Coup de torchon”, adapté de “1275 âmes”). Pour Guérif, il y a chez Thompson “une volonté d‘aller au tréfonds des choses. Il donne la parole à ceux qui n’y ont pas droit.” L’analyse sociale et politique, c’est ce qui intéresse aussi Tavernier. Pour lui, “il est éloigné des normes, pas culturellement correct” dans l’Amérique de son temps. Bien qu’il ait collaboré à plusieurs films majeurs, le cinéma hollywoodien ne pouvait pas apporter une reconnaissance méritée à Thompson. Son dernier agent-producteur en témoigne. Lui aussi répète combien la violence des romans de Thompson est toujours dérangeante pour le public américain. Chez toutes les personnes interrogées, on sent respect ou admiration pour Jim Thompson et son œuvre.
Un grand merci à Jean-François Le Corre, des Productions Vivement Lundi. Ce DVD est désormais disponible à la vente via la boutique PayPal de Vivement Lundi : http://www.vivement-lundi.com/vivement-lundi/Boutique.html ...
Lire ici la chronique sur "Le démon dans ma peau" et des infos sur les traductions nouvelles de Jim Thompson, par Pierre Bondil.